Kris Neville, de l’avis de Harlan Ellison qui s’y connaissait dans ce domaine, a écrit des histoires dont certaines sont « sacrément bizarres »… Il suffit pour s’en convaincre  de lire dans le second volume des Dangereuses visions son Manuel officiel pour l’éducation des enfants… Au cours des années soixante, on voyait en lui un des grands auteurs en devenir mais, malheureusement pour nous, il préféra s’adonner aux joies de la recherche industrielle dans le domaine des résines époxy et matières plastiques, dont il devint un spécialiste incontournable. Hormis quelques nouvelles intéressantes que les fouineurs trouveront dans de vieux numéros de Galaxie et Fiction, nous ne connaissons de lui qu’un seul titre, Bettyann’s children, Une suite existe pourtant mais, comme souvent, elle n’a jamais été traduite en français. Dommage…

Supergirl ?

Les Amios, une civilisation extra-terrestre en tribulation sur le vaisseau interstellaire qui constitue leur environnement, parcourent l’espace et déposent sur les planètes qu’ils visitent les ferments d’une sagesse qu’ils laissent se développer librement après leur départ. Immatériel, constitué d’entités métamorphes cristallines, l’être collectif qu’ils constituent est cependant menacé d’extinction. Le salut résiderait-il dans cette enfant qu’ils ont crue morte sur un des mondes qu’ils ont parcouru ?

Bettyann a été adoptée par un couple de braves gens après l’accident de voiture qui a tué ses parents. Elle a grandi parmi les Humains, à peine handicapée par le bras qu’elle a perdu à la suite du drame qui l’a rendue orpheline. Son corps extra-terrestre s’ajuste peu à peu à aux exigences de son enveloppe humaine, mais bien des choses la troublent. Les liens qui relient les différents membres de la société, par exemple, qu’elle sent différents et plus lâches que ceux qui unissent le corps social des Amios, ses semblables qu’elle n’a pourtant jamais connue. Elle se découvre également d’’étranges facultés, comme celle qui lui permet d’approcher les oiseaux sans les effaroucher…

Un roman empreint d’espoir et de douceur, pour changer…

Derrière le masque d’un récit très classique de présence extra-terrestre sur Terre et de vaisseau errant, on découvre une très belle histoire, service par une écriture aussi élégante et poétique qu’inattendue. La première partie du roman (et qui en représente la moitié) est polarisée sur l’enfance de Bettyann, sa lente adaptation à son corps humain et à cette société qui lui est si étrangère. Comment la comprendre vraiment alors qu’elle ne fait qu’imiter l’espèce qui l’a recueillie ?

D’autres chapitres alternent et présentent ces étranges voyageurs capables de se combiner entre eux ou de s’individualiser à volonté, ou de prendre la forme des créatures peuplant les planètes qu’ils visitent. Par la puissance des mots qu’ils leurs transmettent, ils espèrent (à juste titre) infléchir le destin de ces collectivités parfois violentes. En cassant ainsi le moule étroit des mots dans lesquels se forment les civilisations, ils amorcent les changements sociaux. Nous ne sommes pas loin des Langages de Pao de Jack Vance, ni des évolutions en cours dans notre vingt-et-unième siècle tourmenté !

Bettyann finira bien sûr par découvrir qui elle est vraiment, et devra composer avec sa double origine, faire des choix et, au final, grandir. Émouvant, ce récit ne se contente pas d’en rester au thème de la recherche d’une identité, mais étends la réflexion à la nécessité du dépassement des individualités afin de vivre ensemble et devenir une communauté harmonieuse. En nos temps troublés, c’est une lecture bien nécessaire…