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Bifrost 50 - l'édito
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Bifrost 50 - l'édito

S’il y a un truc auquel je n’ai jamais su échapper en douze années (au mois près !) passées à la tête de la rédaction de Bifrost, c’est la peur de manquer. A chaque fois c’est la même chose, à chaque nouveau numéro ça revient comme un boomerang : je suis convaincu qu’on ne va pas avoir assez d’articles, pas suffisamment de critiques, pas pouvoir parler de tel ou tel bouquin, et je me dis que quand même, tomber pas loin de 500 000 signes tous les trois mois, c’est beaucoup. Bref et pour tout dire, j’ai l’intime conviction « qu’on a pas assez de matos et que c’est vraiment la merde ». Et invariablement, vers le milieu du bouclage de chaque numéro, je réalise avec une surprise tout ce qu’il y a de sincère qu’en fait de manque de « matos » on en a trop, et qu’il va donc falloir choisir et laisser des articles de côté… Parce qu’il faut bien avouer que l’autre truc que je n’arrive pas à faire en dépit de douze années d’expérience, c’est un « mulet » — c’est-à-dire un calibrage précis de chaque rubrique, une rigidité à laquelle je suis incapable de me résoudre parce qu’elle interdirait, entre autres, de critiquer un livre sur 12 000 signes lorsque ça s’impose… Bien sûr, je ne doute pas que ce blocage à deux étages (peur du manque et phobie du strict calibrage) contribue à faire de chaque bouclage un petit enfer personnel. Comme il contribue à la souplesse de la revue, à son adaptabilité vis-à-vis d’une actualité de plus en plus chargée — on remarquera ici à quel point le volet critique de Bifrost n’a cessé de croître au fil des ans. Ceci dit pour souligner combien, après douze années, Bifrost demeure une revue « amatrice » — entendez bouclée en catastrophe, dans une urgence radicale et avec ce sentiment constant de tenter d’éteindre un incendie à coups de pistolet à eau… Et aussi pour m’excuser auprès des auteurs qui ont des récits « acceptés pour publication » depuis des lustres, des textes qui ne sont toujours pas sortis dans nos pages alors qu’à chaque nouvel opus je me dis : « Cette fois, c’est sûr, ce sera dans notre prochaine livraison. »

Reste que ce numéro 50 a bel et bien été bouclé — après tout, vous le tenez entre vos mains. A l’occasion d’un tel chiffre (50… tout de même !), chiffre qui marque, on l’a dit, nos douze années de publication, il nous est apparu assez logique et savoureux de concocter un dossier consacré à quelqu’un comme Tim Powers — au-delà de l’aspect « événementiel » lié à l’actualité de l’auteur aux éditions Denoël, qui publient A deux pas du néant, son dernier roman. D’abord parce que célébrer un écrivain qui, en terme de genres, a toujours affiché sa « transversalité » en n’hésitant pas à mêler science-fiction, fantastique et fantasy, nous semblait une excellente illustration de nos intérêts et de nos ambitions, une manière de réaffirmer notre mépris des étiquettes. Enfin parce qu’à l’occasion d’un anniversaire, s’attaquer à une œuvre qui ne cesse de revisiter l’Histoire et ses secrets représentait un clin d’œil auquel nous ne pouvions échapper. Ledit dossier s’articule en quatre points : un récit inédit, une longue interview/carrière exclusive, un guide de lecture et une bibliographie exhaustive. Autant de grains à moudre visant à donner, dans la mesure du possible, une vision de l’œuvre et de l’homme aussi précise que personnelle. Côté fictions inédites, outre le texte de Powers, deux représentants de ce que la science-fiction d’expression française fait de mieux sont ici à l’honneur : Laurent Genefort qui, à quarante ans et autant de bouquins publiés, fait figure de vieux routard, et Stéphane Beauverger, un petit nouveau ou presque (bien que filant droit, lui aussi, sur le cape de la quarantaine), dont on ne peut que recommander l’excellente trilogie « Chromozone » chez La Volte (et bientôt en Folio « SF »). On ajoutera à cela notre imposant quota critique habituel, en prise avec l’actualité, ainsi que nos rubriques récurrentes (dont l’histoire de la S-F avec « Les Anticipateurs » de Fred Jaccaud — pour ce trimestre, nous abordons Maurice Renard — et la science chère à notre bon professeur Roland Lehoucq, astrophysicien au CEA, dans ce qui est désormais l’une des plus anciennes rubriques de Bifrost, « Scientifiction ») pour compléter un numéro anniversaire à même de vous faire patienter jusqu’au 10 juillet prochain, date de la sortie du Bifrost n° 51 qui célèbrera l’un de nos auteurs favoris, l’américain Lucius Shepard, avec notamment une formidable novella de S-F récompensée par le prix Locus en 2001, « Radieuse étoile verte ».

Enfin, pour conclure, j’aurai ici une pensée pour les nombreuses étoiles qui nous ont récemment quittées (Ira Levin, dont l’œuvre S-F — Un bonheur insoutenable, Les Femmes de Stepford — et fantastique — Un bébé pour Rosemary — est disponible chez J’ai Lu ; le peintre de nos lectures d’enfance, Tibor Csernus ; bien évidemment, le géant Arthur C. Clarke, à qui il faudra consacrer un dossier dans Bifrost un jour ou l’autre…). Parmi elles, il en est une à laquelle nous pensons tout particulièrement. Emmanuel Jouanne était un écrivain exceptionnel. Ainsi qu’un collaborateur régulier de Bifrost. C’est donc au nom de l’ensemble de la rédaction que j’exprime, navré, des vœux de condoléances sincères à ses proches. Bon vent…

Olivier Girard

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