Actusf : Avant de commencer, parles-nous un peu de ton parcours. Comment es-tu venue à la science-fiction ? Quels sont les romans ou les auteurs qui t'ont particulièrement marquée ?
Stéphanie Nicot : Ou lala ! Trois question en une, et tellement de choses à dire ! Et après, on va me reprocher d’être une bavarde incorrigible ! Mon parcours ? Très peu conventionnel ! Finalement, je n’ai jamais fait ce qu’on attendait de moi. Et de moins en moins ;-) Selon les tests d’orientation, j’étais faite pour les Maths. Comme je déteste ça, je me suis tournée vers les Lettres classiques et j’ai fait un Bac A1 (latin et grec). Formation classique, donc. Puis hypokhâgne et khâgne. J’étais destinée à un avenir social radieux et à une vie toute tracée, du moins selon ma famille qui me voyait trois carrières possibles : avocate (loupé : mais j’ai été déléguée syndicale, responsable associative et même… attachée parlementaire), professeur (loupé, au début : mais j’ai fini par l’être à quarante ans passés, avec bonheur et succès, jusqu’à ce qu’à ce qu’on me trouve « mauvais genre ») ou journaliste (je n’en suis pas loin !)… Toute ma vie, j’ai été partagée entre la tentation de l’engagement et celle de la littérature, qui l’a définitivement emportée même si j’ai pris de nouveaux engagements associatifs et communautaires. Je suis donc venue à la science-fiction par hasard et, comme il se doit pour une « sous-littérature », sur un quai de gare ! Je cherchais mon habituel roman policier au Masque et je ne trouvais rien. Le train allait partir… J’aperçois alors un ouvrage à la couverture bizarre, avec un titre étrange : Le cerveau solitaire de Jeff Sutton… Des souvenirs de Verne et de Wells me reviennent et j’achète ; et je deviens une accro du Masque SF (sans doute l’une des pires collections de l’époque !). Très vite, élevée avec Balzac, Flaubert, Maupassant, je trouve tout de même que les idées ont beau être originales et dépaysantes, le style et les personnages laissent vraiment à désirer ! Bref, j’allais décrocher lorsque je suis tombée sur Le Prisme du néant, d’un certain… Philip K. Dick ! Aujourd’hui, je sais que la traduction était désastreuse et le livre coupé d’un tiers, mais ce fut le choc absolu. Un copain de faculté, Régis Tytgat (avis de recherche ! Je voudrais lui faire part de l’ampleur de ses responsabilités morales ! ;-), me précisa que c’était un bouquin mineur, me prêta Le Dieu venu du centaure, Le maître du haut château, En attendant l’année dernière… Il me fit ensuite découvrir Fiction puis les fanzines. Et, en janvier 1979, lui, moi et un autre complice, nous lançions Espaces Libres, fanzine ronéotypé, qu’on eut l’amabilité de remarquer. On l’avait d’ailleurs envoyé à quelques personnalités SF, dont un certain Alain Dorémieux, et là…
Actusf : On sait que tu es anthologiste et bien entendu Rédactrice en chef de Galaxies . Mais je crois aussi que tu as participé à Fiction. Est-ce que ça a eu un lien avec la création de Galaxies par la suite ?
Stéphanie Nicot : Bien sûr… Et avec le retour d’Alain Dorémieux à la rédaction en chef de Fiction. Alain lisait les fanzines que nous lui envoyions. Et lorsqu’il a pris la direction de la revue, il lui a fallu constituer une équipe. L’éditeur (OPTA) payait très mal et il a dû faire flèche de tout bois et faire appel pour moitié à ses vieux copains (chantage aux sentiments !) et pour moitié à une équipe de jeunes passionnés, ravis de pouvoir s’adresser non plus à quelques dizaines mais à des milliers de lecteurs ! J’ai donc fait partie de la petite cinquantaine de personnes qui ont reçu la lettre-circulaire d’Alain Dorémieux, un vrai document historique de l’histoire de la SF française que je rends public pour la 1ère fois (je dois être la seule, ou presque, à l’avoir conservée pieusement !).1 Peu à peu, Dorémieux nous a appris à écrire (la méthode était simple : on envoyait nos papiers et il les publiait… réécrits ! On faisait une drôle de tête, on n’osait rien dire et puis on essayait de laisser de moins en moins de scories… Rude méthode pour l’ego, mais efficace en diable !) ; puis il nous a confié de plus en plus de responsabilités, du moins à quelques-uns d’entre nous. Je ne suis pas sûre qu’il se soit beaucoup trompé puisque sa garde rapprochée, c’était Jean-Daniel Brèque, Francis Valéry, et quelques autres aujourd’hui disparus ou en semi-retraite de la SF mais qui avaient du talent. Et moi-même. Travailler à Fiction, et avec Alain Dorémieux, c’est le second hasard qui, au final, a changé ma vie à un point que je ne pouvais imaginer... De fil en aiguille, j’ai été sollicitée par d’autres médias, j’ai fait ma 1ère anthologie (merci Alain !), tout s’est enchaîné (La Vie du Rail, La Vie Ouvrière, Gai Pied, FR3 Lorraine…) ; j’ai alors commencé à comprendre qu’on pouvait vivre de sa passion, c’est-à-dire de l’écriture, alors que je m’ennuyais à mourir au travail (le Trésor Public, ça nourrit honnêtement mais ça ne fait pas vibrer !)…
Actusf : Est-ce que toutes ces années à publier les autres ne t'ont pas donné envie de toi-même prendre la plume ?
Stéphanie Nicot : Je ne fais que ça ! Je passe l’essentiel de mon temps à écrire… Mais j’ai bien compris que tu parlais de fiction. J’ai écrit deux nouvelles, une de SF, jamais publiée, juste pour voir ce que c’était le travail de la fiction (intrigue, personnages, dialogues, etc.). Expérience instructive pour mieux lire les autres. Et une autre, pour la lire en feuilleton le soir à ma fille (avec une contrainte : faire de son cochon d’Inde le personnage principal !). Au final, je trouve qu’il y a assez de mauvais textes de fiction pour ne pas en ajouter d’autres ; et si j’avais envie d’écrire un jour de la fiction, ce ne serait pas de la SF (c’est trop difficile !). J’écris donc, mais de la non-Fiction comme disent les anglo-saxons : des anthologies, des collectifs, des critiques, des articles, des essais, et la rédaction en chef de Galaxies, bien sûr !
Actusf : Comment est née l'idée d'une revue comme Galaxies en 1996 ? Raconte-nous un peu sa gestion ? Quel était ton objectif ?
Stéphanie Nicot : Je renvoie à l’éditorial collectif de ce numéro 1, désormais introuvable et je crois plus simple d’en citer un extrait, qui résume bien notre analyse et nos objectifs à cette époque : « Ce premier numéro s’efforce de donner une idée, sans doute encore imparfaite, de ce que nous voulons réaliser. Nous souhaitons que Galaxies soit l’une des pistes d’envol de la SF francophone, qu’elle serve à générer des vocations et qu’elle aide des auteurs en devenir à accoucher d’eux-mêmes. Mais, ne l’oubliez pas, Galaxies est avant tout votre revue. Nous attendons donc vos commentaires, vos suggestions, vos critiques constructives. C’est aussi cela, la grande force de la SF : ce dialogue inlassable entre une revue et ses lecteurs. Ensemble, nous ferons de Galaxies la revue de SF dont nous rêvions ! »
Actusf : Comment s'est passé concrètement le lancement ? Comment as-tu recruter les « 50 » fondateurs ?
Stéphanie Nicot : Assez facilement, en fait. Outre les dix du comité de rédaction initial, nous avons adressé une circulaire à une centaine d’acteurs majeurs du genre : il y a eu 40 réponses positives. Les 50 ont eu, pour tout viatique, un numéro 1 numéroté et signé de la gentille rédac’cheffe (On publie la liste de ces « Justes » à chaque anniversaire de la revue). C’est dire si on ne se prenait guère au sérieux mais aussi comme le milieu SF a soutenu avec chaleur notre projet…
Actusf : Quelle était l'ambiance à l'époque ? On imagine facilement que la rédaction devait déborder d'enthousiasme ?
Stéphanie Nicot : Ouii ! Une vraie ruche, de la passion, des envies de tout publier… Nous étions jeunes encore et persuadés de changer la face du monde (de la SF). Avec le recul, c’est une belle aventure, mais fêter un jour nos 10 ans, ça, on n’y pensait pas vraiment !
Actusf : Raconte-nous un peu la péripétie du n° 1 avec cette histoire de couverture ?
Stéphanie Nicot : Je l’ai relatée dans l’éditorial du n° 39 de Galaxies… On récupère chez l’imprimeur les 1000 exemplaires du tirage à quelques jours de la convention nationale, qui se tenait à Nancy et où l’on devait lancer la revue. On ouvre les cartons et… le cauchemar commence. On découvre que le papier n’est pas adapté et donne l’impression que notre revue est un petit machin misérable (Francis Valéry en a parlé avec gourmandise dans CyberDreams, sa revue, comme une « petite chose molle et fauchée » : il avait plutôt raison, mais j’étais furieuse !). Puis l’horreur : numéro après numéro, les couvertures se décollaient toutes ! Je me souviens encore de la tête de Raymond Iss… Le lendemain, direction Virton, en commando vengeur : notre imprimeur a tout recollé en 48 heures, mais au prix de la perte de près de 50 exemplaires. C’est l’une des raisons qui fait la rareté de ce n° 1 : un tirage trop faible, les 50 exemplaires de souscripteur, le Service de Presse du lancement, les numéros perdus… Au final, nous en avons vendu 850.
Actusf : Quels ont été pour toi les numéros ou les tournants importants pour Galaxies ?
Stéphanie Nicot : Tous, en fait. Les tournants ? Il n’y en a pas vraiment eu, hormis le passage à 160 pages dès le n° 2, puis aux 192 pages dès le n°8. La revue a évolué doucement, en conservant son ton et, je l’espère, sa qualité rédactionnelle. les départs de la « vieille garde » (mais Jean-Daniel Brèque ou Jean-Claude Dunyach ont officié respectivement pendant huit et neuf ans, et la revue n’aurait jamais été ce qu’elle a été sans eux !) et l’arrivée de nouveaux collaborateurs (Bruno della Chiesa, Sylvie Miller, Olivier Noël…).
Actusf : Quel regard portes-tu sur ces 10 ans d'aventures ?
Stéphanie Nicot : L’étonnement d’avoir tenu si longtemps, et plus encore d’être encore là ! Et que la passion ne soit pas éteinte, même si publier un trimestriel est un peu une gageure…
Actusf : Y'a-t-il des nouvelles publiées dans la revue pour lesquelles tu as une tendresse particulière ?
Stéphanie Nicot : Je n’en renie aucune, puisque je les ai toutes choisies ou validées (lorsque c’était le choix initial des chefs de rubrique !). Disons que j’ai mes coups de cœur : La mort du centaure de Dan Simmons (n° 2), passionnant pour ses résonnances autobiographiques, Déchiffrer la trame de Jean-Claude Dunyach (n° 4), un texte au succès planétaire, La mort de Cassandra Québec d’Éric Brown (n° 10), magnifique récit qui me touche aussi pour une raison très intime, La forêt de glace de Juan Miguel Aguilera, parce que nous avons été, grâce à Sylvie Miller, les premiers à le publier en France. Et ceux que nous publierons demain.
Actusf : Et y a-t-il eu des épisodes cocasses ou inoubliables ?
Stéphanie Nicot : Désolée de te décevoir, mais non (enfin, vraiment un, encore inavouable. On le révèlera lorsqu’il y aura prescription pour la victime2 ;-). Siii, un autre, ça me revient ! Le cambriolage, bien sûr… Une bande de pieds nickelés a réalisé le « casse du siècle » en détruisant à la masse le mur d’accès à nos bureaux… Ils étaient si discrets qu’ils ont réveillé les voisins et si organisés que la patrouille de police les a arrêtés… sur la route, les bras chargés de nos ordinateurs (ils n’avaient pas de voiture !) On aurait beaucoup moins ri si on n’avait pas récupéré notre matériel et surtout les données qu’on n’avait pas la prudence de copier régulièrement à l’époque ! Bilan : un réveil de nuit pour moi et quatre mois pour les trois jeunes (Et on dira que la justice est laxiste ! Je lui trouve plutôt la main lourde…), sans sursis pour le récidiviste. Deux des délinquants travaillaient… dans le bâtiment ! Cela ne s’invente pas.
Actusf : Ce qui est remarquable, c'est une certaine stabilité au fil des années. Vous avez gardé le même format, le nombre de pages n'a que peu varié. C'est une vraie volonté de s'inscrire dans la durée, non ?
Stéphanie Nicot : Bien sûr. La maquette évolue périodiquement, des rubriques apparaissent puis s’éteignent mais, globalement, la stabilité est notre maître-mot.
Actusf : Comment aujourd'hui se répartissent les rôles au sein de Galaxies?
Stéphanie Nicot : C’est assez simple : des chefs de rubrique (Bruno della Chiesa pour les textes allemands, Sylvie Miller pour les textes hispaniques, Éric Vial pour les textes italiens) assurent la sélection des nouvelles (Jean-Claude Dunyach assurait la sélection française jusqu’en 2005 et nous avons une quinzaine de textes francophones en attente de publication !). Depuis peu, Tom Clegg me suggère des textes anglo-saxons. Un chef de rubrique coordonne également la trentaine de critiques de nos Lectures. Et des collaborateurs ponctuels rédigent pour nous articles et dossiers. Ah, j’allais oublier : il y a une rédactrice en chef qui tente de justifier son statut en écrivant des éditoriaux, en bâtissant les sommaires, en décidant des dossiers, en coordonnant vaguement l’équipe, en relisant plus ou moins…
Actusf : Dans l'édito du numéro 39, tu évoques quelques retards à cause de « Changements, restructurations et remises en ordre diverses ». Rassure nous, rien de grave pour l'avenir de Galaxies ?
Stéphanie Nicot : Ce qui était grave, c’était moi, tout simplement ;-) Récemment, pour des raisons personnelles qui ne sont pas un mystère pour les abonnés de la revue,3 j’ai ressenti le besoin d’un bref arrêt sur image, et de faire un 1er bilan, de ma vie et des 10 ans de Galaxies , une revue à laquelle je suis très attachée. Le n° 39 a marqué l’aboutissement de cette réflexion, même si cela a pu un temps inquiéter quelques amis (mais passer un mois à 8000 kilomètres de la France aide à relativiser pas mal de choses).
Actusf : Comment vois-tu justement l'avenir de la revue ?
Stéphanie Nicot : Long ;-) Mais… pas 10 ans de plus avec Stéphanie Nicot comme rédactrice en chef… La nomination récente d’un rédacteur en chef adjoint, Olivier Noël, l’arrivée de jeunes collaborateurs, traduisaient déjà cet objectif. Mais c’est désormais décidé : je vais passer la main,4 pas tout de suite, mais d’ici 2, ou 3 ans. Progressivement, car une succession, ça se prépare. Et après cette période d’inquiétude (notre lectorat allait-il résister ?), les bonnes nouvelles se succèdent : notre nombre d’abonnés progresse, peu à peu, mais réellement, ce qui est une surprise pour nous dans une période difficile pour la SF ; le Centre national du Livre nous soutient toujours fidèlement ; et le conseil régional de Lorraine vient, pour la 1ère fois, de nous accorder une subvention très significative. Des partenariats, entre éditeurs régionaux de création, se discutent (nous réfléchissons à des stratégies, de façon à nous adapter à la nouvelle donne de la diffusion, et à des synergies de façon à mutualiser nos moyens). Vivre en province n’a pas que des inconvénients.
Actusf : Tu en parles également dans ton édito, quelle est pour toi la situation de la SF aujourd'hui en France. On parle de réduction du lectorat ou d'une SF un peu éclipsée par la fantasy. Quel est ton avis ?
Stéphanie Nicot : Le lectorat SF ne s’effondre pas, mais il stagne ou régresse légèrement et la fantasy occupe désormais l’essentiel des rayonnages… Les répercussions ont été rapides : la SF d’aventure marche bien, mais pour la SF plus pointue, c’est dur. De petites maisons indépendantes ferment leur portes ou sont menacées et la visibilité est d’autant plus réduite pour les revues ; avant, les librairies gardaient Galaxies , voir deux ans. Aujourd’hui, à de rares exceptions près, les retours sont plus rapides, les commandes sous-évaluées : des lecteurs nous contactent pour nous dire que, dans tel point de vente, Galaxies n’est plus diffusé. Or, c’est faux. Simplement, la commande passée, les numéros vendus en quinze jours, aucun réassort n’est fait. Il faut faire avec, et s’adapter. D’où notre décision d’augmenter le prix au numéro (de 10€, nous passons à 11,50 €) alors que le prix de l’abonnement restera inchangée, à 33 € pour la France ; une façon de nous ajuster à l’augmentation des frais de diffusion en librairie. Être une revue indépendante a des avantages, mais uniquement pour le lecteur, qui sait que nous ne sommes soumis à aucun intérêt extérieur. À l’inverse, nous connaissons des revues, que nous ne nommerons évidemment pas, par un souci de délicatesse que chacun appréciera, qui démolissent avec rage leurs concurrents et vantent de façon éhontée les produits de leur propre maison d’édition – ou de leurs rééditeurs (parfois bons, et quand ils sont bons, on en dit du bien dans Galaxies !) Ces faits sont connus de tout le milieu, mais une sorte d’omerta fait qu’on n’en parle pas aux lecteurs... Le plus rigolo, c’est que, toute honte bue, ils se prétendent courageux, originaux, branchouilles, et critiquent Galaxies pour sa prétendue absence d’âme ! Nous n’avons, nous, dans notre rubrique Lectures, nul besoin d’être agressifs et insultants, nous aimons ou pas tel ou tel ouvrage, sans autre raison que notre goût (discutable, bien sûr). Il fallait le dire, une bonne fois pour toutes. C’est dit. Pour nous, les inconvénients de l’indépendance existent en revanche : se diffuser soi-même limite la présence en librairie, d’où, par exemple, notre absence du réseau Virgin (à deux exceptions près, que je salue) qui n’a pas voulu référencer une revue indépendante (ce qui est leur droit). Dommage pour leurs lecteurs qui auront cependant l’occasion d’aller nous trouver à la Fnac, dans les librairies indépendantes ou via notre site Internet.5 Du coup, nous avons une proportion d’abonnés de plus en plus forte (un taux de plus de 60%), ce qui nous permet de continuer à prendre des risques (faire un dossier sur un auteur de SF inconnu, aujourd’hui, c’est 25% de ventes en moins en librairie !). À bien y réfléchir, Alain Dorémieux n’aurait sans doute plus, en 2006, la possibilité de faire découvrir Philip K. Dick ! Le succès d’un ouvrage aussi étonnant que La Horde du contrevent, D’alain Damasio, ou l’accueil favorable de Forteresse de Georges Panchard, montrent qu’il reste malgré tout des niches pour la SF originale. Et la SF chez Bragelonne, pour ciblée qu’elle soit, permettra aussi – ne négligeons pas cet élément marketing important – de conserver de la place en rayons pour le genre que nous aimons. Mais que le roman de Claire et Robert Belmas (leur meilleur livre, et de très loin !) soit encore à la recherche d’un éditeur me sidère et m’inquiète !
Actusf : Et quels sont tes projets ?
Stéphanie Nicot : Prendre de vraies vacances, la Bretagne toujours, puis l’Asie, la Thaïlande d’abord (l’Asie où je me suis rendue en 2005 a été un très grand choc), et sans doute le Cambodge… Ah, tu parlais de mes projets littéraires ? D’abord continuer à animer Galaxies (mais pas éternellement, comme je l’ai dit), publier quelques anthologies (j’ai un projet de SF pour 2007 ou 2008, en collaboration, mais il est encore un peu tôt pour en dire plus) et des essais en cours de rédaction. Le 1er sera en librairie fin septembre 2006.6 Cela n’a rien à voir avec la SF, mais le sujet devrait intéresser les lecteurs d’Ayerdhal, Banks, Effinger, Varley, et, qui sait, donner des idées... J’ai aussi des projets éditoriaux, en dehors du milieu de l’imaginaire. Quoique, imaginer d’autres façons d’être, c’est aussi faire avancer notre réflexion collective.
Stéphanie Nicot, le 11 août 2006
P.S. : Je profite de cet entretien pour dire que, pour moi, la SF c’est aussi de belles rencontres. Et parmi elles, je songe à Catherine Guiot, à Jean-Pierre Hubert et à Gilbert Millet. Et je n’ai pas oublié Danielle Fernandez et Pierre Giuliani.
Stéphanie Nicot : Ou lala ! Trois question en une, et tellement de choses à dire ! Et après, on va me reprocher d’être une bavarde incorrigible ! Mon parcours ? Très peu conventionnel ! Finalement, je n’ai jamais fait ce qu’on attendait de moi. Et de moins en moins ;-) Selon les tests d’orientation, j’étais faite pour les Maths. Comme je déteste ça, je me suis tournée vers les Lettres classiques et j’ai fait un Bac A1 (latin et grec). Formation classique, donc. Puis hypokhâgne et khâgne. J’étais destinée à un avenir social radieux et à une vie toute tracée, du moins selon ma famille qui me voyait trois carrières possibles : avocate (loupé : mais j’ai été déléguée syndicale, responsable associative et même… attachée parlementaire), professeur (loupé, au début : mais j’ai fini par l’être à quarante ans passés, avec bonheur et succès, jusqu’à ce qu’à ce qu’on me trouve « mauvais genre ») ou journaliste (je n’en suis pas loin !)… Toute ma vie, j’ai été partagée entre la tentation de l’engagement et celle de la littérature, qui l’a définitivement emportée même si j’ai pris de nouveaux engagements associatifs et communautaires. Je suis donc venue à la science-fiction par hasard et, comme il se doit pour une « sous-littérature », sur un quai de gare ! Je cherchais mon habituel roman policier au Masque et je ne trouvais rien. Le train allait partir… J’aperçois alors un ouvrage à la couverture bizarre, avec un titre étrange : Le cerveau solitaire de Jeff Sutton… Des souvenirs de Verne et de Wells me reviennent et j’achète ; et je deviens une accro du Masque SF (sans doute l’une des pires collections de l’époque !). Très vite, élevée avec Balzac, Flaubert, Maupassant, je trouve tout de même que les idées ont beau être originales et dépaysantes, le style et les personnages laissent vraiment à désirer ! Bref, j’allais décrocher lorsque je suis tombée sur Le Prisme du néant, d’un certain… Philip K. Dick ! Aujourd’hui, je sais que la traduction était désastreuse et le livre coupé d’un tiers, mais ce fut le choc absolu. Un copain de faculté, Régis Tytgat (avis de recherche ! Je voudrais lui faire part de l’ampleur de ses responsabilités morales ! ;-), me précisa que c’était un bouquin mineur, me prêta Le Dieu venu du centaure, Le maître du haut château, En attendant l’année dernière… Il me fit ensuite découvrir Fiction puis les fanzines. Et, en janvier 1979, lui, moi et un autre complice, nous lançions Espaces Libres, fanzine ronéotypé, qu’on eut l’amabilité de remarquer. On l’avait d’ailleurs envoyé à quelques personnalités SF, dont un certain Alain Dorémieux, et là…
Actusf : On sait que tu es anthologiste et bien entendu Rédactrice en chef de Galaxies . Mais je crois aussi que tu as participé à Fiction. Est-ce que ça a eu un lien avec la création de Galaxies par la suite ?
Stéphanie Nicot : Bien sûr… Et avec le retour d’Alain Dorémieux à la rédaction en chef de Fiction. Alain lisait les fanzines que nous lui envoyions. Et lorsqu’il a pris la direction de la revue, il lui a fallu constituer une équipe. L’éditeur (OPTA) payait très mal et il a dû faire flèche de tout bois et faire appel pour moitié à ses vieux copains (chantage aux sentiments !) et pour moitié à une équipe de jeunes passionnés, ravis de pouvoir s’adresser non plus à quelques dizaines mais à des milliers de lecteurs ! J’ai donc fait partie de la petite cinquantaine de personnes qui ont reçu la lettre-circulaire d’Alain Dorémieux, un vrai document historique de l’histoire de la SF française que je rends public pour la 1ère fois (je dois être la seule, ou presque, à l’avoir conservée pieusement !).1 Peu à peu, Dorémieux nous a appris à écrire (la méthode était simple : on envoyait nos papiers et il les publiait… réécrits ! On faisait une drôle de tête, on n’osait rien dire et puis on essayait de laisser de moins en moins de scories… Rude méthode pour l’ego, mais efficace en diable !) ; puis il nous a confié de plus en plus de responsabilités, du moins à quelques-uns d’entre nous. Je ne suis pas sûre qu’il se soit beaucoup trompé puisque sa garde rapprochée, c’était Jean-Daniel Brèque, Francis Valéry, et quelques autres aujourd’hui disparus ou en semi-retraite de la SF mais qui avaient du talent. Et moi-même. Travailler à Fiction, et avec Alain Dorémieux, c’est le second hasard qui, au final, a changé ma vie à un point que je ne pouvais imaginer... De fil en aiguille, j’ai été sollicitée par d’autres médias, j’ai fait ma 1ère anthologie (merci Alain !), tout s’est enchaîné (La Vie du Rail, La Vie Ouvrière, Gai Pied, FR3 Lorraine…) ; j’ai alors commencé à comprendre qu’on pouvait vivre de sa passion, c’est-à-dire de l’écriture, alors que je m’ennuyais à mourir au travail (le Trésor Public, ça nourrit honnêtement mais ça ne fait pas vibrer !)…
Actusf : Est-ce que toutes ces années à publier les autres ne t'ont pas donné envie de toi-même prendre la plume ?
Stéphanie Nicot : Je ne fais que ça ! Je passe l’essentiel de mon temps à écrire… Mais j’ai bien compris que tu parlais de fiction. J’ai écrit deux nouvelles, une de SF, jamais publiée, juste pour voir ce que c’était le travail de la fiction (intrigue, personnages, dialogues, etc.). Expérience instructive pour mieux lire les autres. Et une autre, pour la lire en feuilleton le soir à ma fille (avec une contrainte : faire de son cochon d’Inde le personnage principal !). Au final, je trouve qu’il y a assez de mauvais textes de fiction pour ne pas en ajouter d’autres ; et si j’avais envie d’écrire un jour de la fiction, ce ne serait pas de la SF (c’est trop difficile !). J’écris donc, mais de la non-Fiction comme disent les anglo-saxons : des anthologies, des collectifs, des critiques, des articles, des essais, et la rédaction en chef de Galaxies, bien sûr !
Actusf : Comment est née l'idée d'une revue comme Galaxies en 1996 ? Raconte-nous un peu sa gestion ? Quel était ton objectif ?
Stéphanie Nicot : Je renvoie à l’éditorial collectif de ce numéro 1, désormais introuvable et je crois plus simple d’en citer un extrait, qui résume bien notre analyse et nos objectifs à cette époque : « Ce premier numéro s’efforce de donner une idée, sans doute encore imparfaite, de ce que nous voulons réaliser. Nous souhaitons que Galaxies soit l’une des pistes d’envol de la SF francophone, qu’elle serve à générer des vocations et qu’elle aide des auteurs en devenir à accoucher d’eux-mêmes. Mais, ne l’oubliez pas, Galaxies est avant tout votre revue. Nous attendons donc vos commentaires, vos suggestions, vos critiques constructives. C’est aussi cela, la grande force de la SF : ce dialogue inlassable entre une revue et ses lecteurs. Ensemble, nous ferons de Galaxies la revue de SF dont nous rêvions ! »
Actusf : Comment s'est passé concrètement le lancement ? Comment as-tu recruter les « 50 » fondateurs ?
Stéphanie Nicot : Assez facilement, en fait. Outre les dix du comité de rédaction initial, nous avons adressé une circulaire à une centaine d’acteurs majeurs du genre : il y a eu 40 réponses positives. Les 50 ont eu, pour tout viatique, un numéro 1 numéroté et signé de la gentille rédac’cheffe (On publie la liste de ces « Justes » à chaque anniversaire de la revue). C’est dire si on ne se prenait guère au sérieux mais aussi comme le milieu SF a soutenu avec chaleur notre projet…
Actusf : Quelle était l'ambiance à l'époque ? On imagine facilement que la rédaction devait déborder d'enthousiasme ?
Stéphanie Nicot : Ouii ! Une vraie ruche, de la passion, des envies de tout publier… Nous étions jeunes encore et persuadés de changer la face du monde (de la SF). Avec le recul, c’est une belle aventure, mais fêter un jour nos 10 ans, ça, on n’y pensait pas vraiment !
Actusf : Raconte-nous un peu la péripétie du n° 1 avec cette histoire de couverture ?
Stéphanie Nicot : Je l’ai relatée dans l’éditorial du n° 39 de Galaxies… On récupère chez l’imprimeur les 1000 exemplaires du tirage à quelques jours de la convention nationale, qui se tenait à Nancy et où l’on devait lancer la revue. On ouvre les cartons et… le cauchemar commence. On découvre que le papier n’est pas adapté et donne l’impression que notre revue est un petit machin misérable (Francis Valéry en a parlé avec gourmandise dans CyberDreams, sa revue, comme une « petite chose molle et fauchée » : il avait plutôt raison, mais j’étais furieuse !). Puis l’horreur : numéro après numéro, les couvertures se décollaient toutes ! Je me souviens encore de la tête de Raymond Iss… Le lendemain, direction Virton, en commando vengeur : notre imprimeur a tout recollé en 48 heures, mais au prix de la perte de près de 50 exemplaires. C’est l’une des raisons qui fait la rareté de ce n° 1 : un tirage trop faible, les 50 exemplaires de souscripteur, le Service de Presse du lancement, les numéros perdus… Au final, nous en avons vendu 850.
Actusf : Quels ont été pour toi les numéros ou les tournants importants pour Galaxies ?
Stéphanie Nicot : Tous, en fait. Les tournants ? Il n’y en a pas vraiment eu, hormis le passage à 160 pages dès le n° 2, puis aux 192 pages dès le n°8. La revue a évolué doucement, en conservant son ton et, je l’espère, sa qualité rédactionnelle. les départs de la « vieille garde » (mais Jean-Daniel Brèque ou Jean-Claude Dunyach ont officié respectivement pendant huit et neuf ans, et la revue n’aurait jamais été ce qu’elle a été sans eux !) et l’arrivée de nouveaux collaborateurs (Bruno della Chiesa, Sylvie Miller, Olivier Noël…).
Actusf : Quel regard portes-tu sur ces 10 ans d'aventures ?
Stéphanie Nicot : L’étonnement d’avoir tenu si longtemps, et plus encore d’être encore là ! Et que la passion ne soit pas éteinte, même si publier un trimestriel est un peu une gageure…
Actusf : Y'a-t-il des nouvelles publiées dans la revue pour lesquelles tu as une tendresse particulière ?
Stéphanie Nicot : Je n’en renie aucune, puisque je les ai toutes choisies ou validées (lorsque c’était le choix initial des chefs de rubrique !). Disons que j’ai mes coups de cœur : La mort du centaure de Dan Simmons (n° 2), passionnant pour ses résonnances autobiographiques, Déchiffrer la trame de Jean-Claude Dunyach (n° 4), un texte au succès planétaire, La mort de Cassandra Québec d’Éric Brown (n° 10), magnifique récit qui me touche aussi pour une raison très intime, La forêt de glace de Juan Miguel Aguilera, parce que nous avons été, grâce à Sylvie Miller, les premiers à le publier en France. Et ceux que nous publierons demain.
Actusf : Et y a-t-il eu des épisodes cocasses ou inoubliables ?
Stéphanie Nicot : Désolée de te décevoir, mais non (enfin, vraiment un, encore inavouable. On le révèlera lorsqu’il y aura prescription pour la victime2 ;-). Siii, un autre, ça me revient ! Le cambriolage, bien sûr… Une bande de pieds nickelés a réalisé le « casse du siècle » en détruisant à la masse le mur d’accès à nos bureaux… Ils étaient si discrets qu’ils ont réveillé les voisins et si organisés que la patrouille de police les a arrêtés… sur la route, les bras chargés de nos ordinateurs (ils n’avaient pas de voiture !) On aurait beaucoup moins ri si on n’avait pas récupéré notre matériel et surtout les données qu’on n’avait pas la prudence de copier régulièrement à l’époque ! Bilan : un réveil de nuit pour moi et quatre mois pour les trois jeunes (Et on dira que la justice est laxiste ! Je lui trouve plutôt la main lourde…), sans sursis pour le récidiviste. Deux des délinquants travaillaient… dans le bâtiment ! Cela ne s’invente pas.
Actusf : Ce qui est remarquable, c'est une certaine stabilité au fil des années. Vous avez gardé le même format, le nombre de pages n'a que peu varié. C'est une vraie volonté de s'inscrire dans la durée, non ?
Stéphanie Nicot : Bien sûr. La maquette évolue périodiquement, des rubriques apparaissent puis s’éteignent mais, globalement, la stabilité est notre maître-mot.
Actusf : Comment aujourd'hui se répartissent les rôles au sein de Galaxies?
Stéphanie Nicot : C’est assez simple : des chefs de rubrique (Bruno della Chiesa pour les textes allemands, Sylvie Miller pour les textes hispaniques, Éric Vial pour les textes italiens) assurent la sélection des nouvelles (Jean-Claude Dunyach assurait la sélection française jusqu’en 2005 et nous avons une quinzaine de textes francophones en attente de publication !). Depuis peu, Tom Clegg me suggère des textes anglo-saxons. Un chef de rubrique coordonne également la trentaine de critiques de nos Lectures. Et des collaborateurs ponctuels rédigent pour nous articles et dossiers. Ah, j’allais oublier : il y a une rédactrice en chef qui tente de justifier son statut en écrivant des éditoriaux, en bâtissant les sommaires, en décidant des dossiers, en coordonnant vaguement l’équipe, en relisant plus ou moins…
Actusf : Dans l'édito du numéro 39, tu évoques quelques retards à cause de « Changements, restructurations et remises en ordre diverses ». Rassure nous, rien de grave pour l'avenir de Galaxies ?
Stéphanie Nicot : Ce qui était grave, c’était moi, tout simplement ;-) Récemment, pour des raisons personnelles qui ne sont pas un mystère pour les abonnés de la revue,3 j’ai ressenti le besoin d’un bref arrêt sur image, et de faire un 1er bilan, de ma vie et des 10 ans de Galaxies , une revue à laquelle je suis très attachée. Le n° 39 a marqué l’aboutissement de cette réflexion, même si cela a pu un temps inquiéter quelques amis (mais passer un mois à 8000 kilomètres de la France aide à relativiser pas mal de choses).
Actusf : Comment vois-tu justement l'avenir de la revue ?
Stéphanie Nicot : Long ;-) Mais… pas 10 ans de plus avec Stéphanie Nicot comme rédactrice en chef… La nomination récente d’un rédacteur en chef adjoint, Olivier Noël, l’arrivée de jeunes collaborateurs, traduisaient déjà cet objectif. Mais c’est désormais décidé : je vais passer la main,4 pas tout de suite, mais d’ici 2, ou 3 ans. Progressivement, car une succession, ça se prépare. Et après cette période d’inquiétude (notre lectorat allait-il résister ?), les bonnes nouvelles se succèdent : notre nombre d’abonnés progresse, peu à peu, mais réellement, ce qui est une surprise pour nous dans une période difficile pour la SF ; le Centre national du Livre nous soutient toujours fidèlement ; et le conseil régional de Lorraine vient, pour la 1ère fois, de nous accorder une subvention très significative. Des partenariats, entre éditeurs régionaux de création, se discutent (nous réfléchissons à des stratégies, de façon à nous adapter à la nouvelle donne de la diffusion, et à des synergies de façon à mutualiser nos moyens). Vivre en province n’a pas que des inconvénients.
Actusf : Tu en parles également dans ton édito, quelle est pour toi la situation de la SF aujourd'hui en France. On parle de réduction du lectorat ou d'une SF un peu éclipsée par la fantasy. Quel est ton avis ?
Stéphanie Nicot : Le lectorat SF ne s’effondre pas, mais il stagne ou régresse légèrement et la fantasy occupe désormais l’essentiel des rayonnages… Les répercussions ont été rapides : la SF d’aventure marche bien, mais pour la SF plus pointue, c’est dur. De petites maisons indépendantes ferment leur portes ou sont menacées et la visibilité est d’autant plus réduite pour les revues ; avant, les librairies gardaient Galaxies , voir deux ans. Aujourd’hui, à de rares exceptions près, les retours sont plus rapides, les commandes sous-évaluées : des lecteurs nous contactent pour nous dire que, dans tel point de vente, Galaxies n’est plus diffusé. Or, c’est faux. Simplement, la commande passée, les numéros vendus en quinze jours, aucun réassort n’est fait. Il faut faire avec, et s’adapter. D’où notre décision d’augmenter le prix au numéro (de 10€, nous passons à 11,50 €) alors que le prix de l’abonnement restera inchangée, à 33 € pour la France ; une façon de nous ajuster à l’augmentation des frais de diffusion en librairie. Être une revue indépendante a des avantages, mais uniquement pour le lecteur, qui sait que nous ne sommes soumis à aucun intérêt extérieur. À l’inverse, nous connaissons des revues, que nous ne nommerons évidemment pas, par un souci de délicatesse que chacun appréciera, qui démolissent avec rage leurs concurrents et vantent de façon éhontée les produits de leur propre maison d’édition – ou de leurs rééditeurs (parfois bons, et quand ils sont bons, on en dit du bien dans Galaxies !) Ces faits sont connus de tout le milieu, mais une sorte d’omerta fait qu’on n’en parle pas aux lecteurs... Le plus rigolo, c’est que, toute honte bue, ils se prétendent courageux, originaux, branchouilles, et critiquent Galaxies pour sa prétendue absence d’âme ! Nous n’avons, nous, dans notre rubrique Lectures, nul besoin d’être agressifs et insultants, nous aimons ou pas tel ou tel ouvrage, sans autre raison que notre goût (discutable, bien sûr). Il fallait le dire, une bonne fois pour toutes. C’est dit. Pour nous, les inconvénients de l’indépendance existent en revanche : se diffuser soi-même limite la présence en librairie, d’où, par exemple, notre absence du réseau Virgin (à deux exceptions près, que je salue) qui n’a pas voulu référencer une revue indépendante (ce qui est leur droit). Dommage pour leurs lecteurs qui auront cependant l’occasion d’aller nous trouver à la Fnac, dans les librairies indépendantes ou via notre site Internet.5 Du coup, nous avons une proportion d’abonnés de plus en plus forte (un taux de plus de 60%), ce qui nous permet de continuer à prendre des risques (faire un dossier sur un auteur de SF inconnu, aujourd’hui, c’est 25% de ventes en moins en librairie !). À bien y réfléchir, Alain Dorémieux n’aurait sans doute plus, en 2006, la possibilité de faire découvrir Philip K. Dick ! Le succès d’un ouvrage aussi étonnant que La Horde du contrevent, D’alain Damasio, ou l’accueil favorable de Forteresse de Georges Panchard, montrent qu’il reste malgré tout des niches pour la SF originale. Et la SF chez Bragelonne, pour ciblée qu’elle soit, permettra aussi – ne négligeons pas cet élément marketing important – de conserver de la place en rayons pour le genre que nous aimons. Mais que le roman de Claire et Robert Belmas (leur meilleur livre, et de très loin !) soit encore à la recherche d’un éditeur me sidère et m’inquiète !
Actusf : Et quels sont tes projets ?
Stéphanie Nicot : Prendre de vraies vacances, la Bretagne toujours, puis l’Asie, la Thaïlande d’abord (l’Asie où je me suis rendue en 2005 a été un très grand choc), et sans doute le Cambodge… Ah, tu parlais de mes projets littéraires ? D’abord continuer à animer Galaxies (mais pas éternellement, comme je l’ai dit), publier quelques anthologies (j’ai un projet de SF pour 2007 ou 2008, en collaboration, mais il est encore un peu tôt pour en dire plus) et des essais en cours de rédaction. Le 1er sera en librairie fin septembre 2006.6 Cela n’a rien à voir avec la SF, mais le sujet devrait intéresser les lecteurs d’Ayerdhal, Banks, Effinger, Varley, et, qui sait, donner des idées... J’ai aussi des projets éditoriaux, en dehors du milieu de l’imaginaire. Quoique, imaginer d’autres façons d’être, c’est aussi faire avancer notre réflexion collective.
Stéphanie Nicot, le 11 août 2006
P.S. : Je profite de cet entretien pour dire que, pour moi, la SF c’est aussi de belles rencontres. Et parmi elles, je songe à Catherine Guiot, à Jean-Pierre Hubert et à Gilbert Millet. Et je n’ai pas oublié Danielle Fernandez et Pierre Giuliani.