Vu la côte d’amour de Wagner chez les aficionados de la SF française, voilà un recueil qui devrait en intéresser plus d’un. Et si l’on regrettera l’absence d’inédit, cela reste une bonne occasion de se balader tout au long de sa carrière, redécouvrant au passage des textes « de jeunesse » et d’autres devenus difficile à trouver.
Des débuts, on retiendra surtout la vision pessimiste de l’auteur. C’est sombre, gluant et parfois à la limite du fantastique. J’en veux pour preuve Balâfre ta peau, rouge ton regard. Ecrite en 1985, elle rapporte l’étrange histoire d’amour entre deux êtres que tout oppose. Dans un décor de fin du monde, l’humanité est déchirée en deux. D’un côté, il y a les Loups, sorte de vampires futuristes et de l’autre les moutons qui essaient tant bien que mal de leur résister. Mais quand l’opération de transformation s’enclenche, comment une jeune femme jusqu’ici herbivore peut-elle résister à l’appel du sang humain ? Un texte pas très gai qui fait écho à Faire Part, nouvelle couronnée du prix Rosny Aîné 1983. Ici Wagner nous entraîne dans la course éperdue d’un homme quelque part dans une grande ville. Qui est-il ? Que fait-il là ? Que fuit-il ? Autant de questions aux réponses sinistres.
On nage en plein délire et franchement... c’est bon !
Parfois dérangeantes, souvent passionnantes, ces nouvelles donnent un premier aperçu des possibilités du bonhomme. Mais c’est dans l’humour que ses véritables capacités se dévoilent, explosant littéralement lorsqu’il décide de verser dans la dérision et la parodie. Wagner devient alors vite génial.
Celui qui bave et qui glougloute est un bon exemple. Dans une Amérique des pionniers, d’étranges êtres venus d’ailleurs se mettent à aider les Indiens dans la défense de leur territoire face aux blancs. Sont-ils extraterrestres ? Viennent-ils des profondeurs de la Terre ? Une petite équipe se met en quête de la réponse et va de surprises en surprises, croisant au passage les frères Dalton, Calamity Jane et le Nécronomicon. Complètement déjanté, bourré de références, ce récit est un véritable bonheur tout en étant un appel du pied flagrant à Lovecraft. Bref, c’est une réussite qui se savoure pleinement.
Dans le même genre, on peut aussi citer Musique de l’énergie qui donne son nom au recueil. Ici on bascule dans l’univers du rock dans un futur très, très proche. La vie de cette musique est alors sérieusement menacée par d’autres genres au point que l’archétype du rock'n’roll lui-même est obligé de s’incarner pour défendre sa peau et pousser son dernier représentant (un petit groupe de furieux) à jouer encore et encore. Ces ch’tits gars à la tête dure représentent son ultime espoir de survie... On nage en plein délire et franchement... c’est bon !
La dernière nouvelle, H.P.L. nous offre un ultime visage de Roland C. Wagner. Celui d’un érudit de la science-fiction qui manipule les références aussi bien que les traits d’humour. Dans ce texte, il a réécrit avec brio la vie de Lovecraft de 1890 à 1991 telle qu’elle aurait pu être s’il n’était mort prématurément. Truffant ses paragraphes de citations imaginaires et de situations vraissemblables, il mélange constamment le vrai et le faux, rendant l’ensemble parfaitement crédible. Les connaisseurs apprécieront.
Bref...
Que dire de ce recueil ? Que c’est un grand moment de bonheur ? Certainement ! Que l’on s’amuse beaucoup ? Aussi ! Musique de l’énergie est un bon petit livre que l’on dévore d’une traite. Ce serait dommage de s’en priver.