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Utopiales 2014 : La thématique générale
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Utopiales 2014 : La thématique générale

La thématique générale : Intelligence(s)
 
Après avoir exploré ses propres origines, en 2012, et laissé libre cours à sa passion pour les autres mondes, en 2013, le festival international de science-fiction de Nantes se lance un nouveau défi pour cette année 2014 et vous propose la plus lointaine, la plus exaltante, la plus centrale de toutes les aventures : celle de l’intelligence. 
 
Comprendre et élucider le monde, accepter sa complexité, et l’ayant fait, s’adapter, y trouver sa place, afin de partager des connaissances et des techniques, ou, à l’inverse, opposer des valeurs et des politiques, bâtir des cités, toujours imparfaites, mais portées par des rêves collectifs de grandeur ou de vérité, répondre aux défis de la physique, de la biologie, de l’identité psychologique, grâce à notre mémoire, nos sens, et nos facultés cognitives, est-ce vraiment ce qui définit humain, cet animal doué de raison ? Inventer le futur, surmonter les crises, et, pas à pas, faire reculer les bornes de l’empire humain : est-ce cela que l’on appelle l’intelligence ? Qu’est-ce qui compte le plus : l’ampleur de nos réalisations techniques au fil des âges, notre curiosité, ou le fait que nous soyons capables d’altérer notre environnement ? Notre intelligence est-elle le fruit du hasard, de l’évolution, d’un programme, ou d’une erreur ? Jusqu’où nous permet-elle d’aller dans la compréhension du réel ? Serions-nous, le cas échéant, à même de comprendre, d’échanger, ou simplement de communiquer avec des intelligences autres ? 
 
Ces questions, la science, la religion, l’histoire, la philosophie les ont posées très tôt. Mais elles ne sont pas les seules à l’avoir fait. Dès sa naissance, il y a plus de 150 ans, sous la plume de Jules Verne, la science-fiction s’est placée à la croisée des méthodes et des savoirs acquis pour, hardiment, embrasser l’inconnu et assumer une mission littéralement prométhéenne : faire de la recherche d’intelligences extraterrestres, du rêve de l’intelligence artificielle, peut-être en voie de concrétisation, des hypothèses intelligentes, qui participent de l’apprentissage du monde qui s’impose à chacun, en tant qu’individu et citoyen. 
 
Les intervenants, créateurs et chercheurs, artistes et essayistes, apporteront des réponses empiriques, subjectives, critiques et parfois goguenardes, hypothétiques par essence, et volontiers subversives, mais toutes seront intelligentes en ce qu’elles nous engageront à changer, le temps d’une lecture, d’un film, d’une table ronde, d’un dialogue, notre regard sur nous-mêmes et sur le monde qui, pour paraphraser Leibniz, est « gros » de toutes ces réalités en émergence, entre lesquelles il nous appartient de choisir. 
 
Intelligences terriennes
 
Sur Terre, l’humanité a-t-elle vraiment l’apanage de l’intelligence ? Il ne faut certes pas confondre conscience et intelligence, et nombreuses sont les espèces qui interagissent en bonne intelligence, comprennent les contraintes de leur environnement et en jouent pour mieux se développer. Les biologistes qui étudient des animaux comme les dauphins, ou des insectes sociaux comme les fourmis, le savent : il existe plusieurs formes distinctes d’intelligence, individuelle, collective, etc. 
Dans la science-fiction, les auteurs rivalisent d’audace pour changer le point de vue des lecteurs sur l’intelligence. Qu’il s’agisse de David Brin chez qui des dauphins et des singes, rendus plus intelligents par les humains, deviennent les partenaires de ces derniers (Marée stellaire), de Robert Merle (Un animal doué de raison), ou encore de Alfred E. Van Vogt (À la poursuite des Slans), c’est souvent sur la Terre elle-même que la grande course à l’intelligence est ouverte. Primates, cétacés, insectes sociaux, nombreuses sont les espèces qui peuvent concourir. L’Homme, en définitive, ne serait-il qu’une forme d’intelligence parmi d’autres, dont le règne n’a rien de nécessaire ou d’éternel ? Quelle aurait pu être une histoire de l’intelligence terrienne si elle n’avait pas été écrite par des mammifères doués de bipédie ? Peut-il y avoir un modèle d’intelligence rigoureusement non humaine et qui puisse être utilisé à des fins de survie de l’espèce ? 
 
Intelligences artificielles
 
L’intelligence artificielle, qui s’inscrit dans la lignée du thème des robots, lui-même remontant au récit de Mary Shelley, ou à la pièce de Karel Capek, est l’un des plus profonds de la SF qui se retrouve sous des plumes aussi diverses que celle d’Arthur C. Clarke, celle de Vernor Vinge, celle de Robert A. Heinlein ou de Roland C. Wagner. L’ordinateur pensant et interagissant qui choisit de se retourner contre son créateur, parfois pour mieux le protéger de lui-même (comme chez Isaac Asimov ou chez Iain M. Banks) ou pour, au contraire, l’éradiquer de la surface de la Terre (comme dans Terminator, Matrix, Robopocalypse), ne saurait toutefois se résumer à une figure purement fictionnelle. L’intelligence artificielle est aussi (et avant tout) un thème de recherche scientifique : l’étude des capacités mimétiques de la machine qui, en se révélant capable de se faire passer pour humaine (le test de Turing), promet des intrications Homme-Machine qui modifieront la sociabilité en profondeur. Les tables rondes se concentreront sur les expériences menées, les réalisations attendues, et ce qui est, sans doute, la question la plus cruciale de toutes : la singularité. Une I.A. peut-elle, par sa seule existence, rendre l’humanité caduque ? Ou, à l’inverse, une I.A. peut-elle être considérée comme un citoyen à part entière dès lors qu’elle remplit une fonction sociale ? Serait-elle en mesure d’accepter le droit et les institutions tels que l’Histoire les a façonnés ? Ou, au contraire, inventerait-elle une nouvelle société ? Loin des inquiétudes exagérées des premiers auteurs de science-fiction, le rapprochement du biologique et du cybernétique pourrait faire naître un monde meilleur, une utopie post-humaine riche de ses contrastes. 
 
Intelligences extraterrestres
 
Depuis les origines de la science-fiction s’est posée la question du « premier contact » avec une intelligence extraterrestre. Sautant à pieds joints, et avec toute la licence de l’imaginaire, sur l’examen de la possibilité même d’une vie extraterrestre, anticipant la découverte, en masse, des exoplanètes, la SF a postulé la diversité des biosphères, la pluralité des systèmes solaires et, par ricochet, des civilisations. La science d’aujourd’hui peut-elle faire sien un tel postulat ? Malgré le développement de l’exobiologie, cela semblerait prématuré. Même sans s’en tenir au fameux paradoxe de Fermi, il faut constater que nul contact n’a été établi. Pourtant, le programme S.E.T.I, en particulier, a exprimé ce besoin à la fois scientifique et philosophique que l’humanité ressent en se plongeant dans les étoiles : celui de ne pas se retrouver seule dans l’immensité de l’espace, celui de se trouver, un jour peut-être, face à des pairs, voire des semblables. 
La science-fiction, plus que jamais, continue d’explorer toutes les possibilités narratives de cette rencontre, tantôt agressive, comme c’est souvent encore le cas au cinéma (voire les célèbres sagas d’Alien et de Prédator, et leurs multiples avatars), tantôt impossible, en raison de trop grandes différences entre les deux espèces et leurs modes d’interaction avec leur environnement. À ce dernier titre, des textes comme Solaris de Stanislaw Lem (adapté deux fois au cinéma) restent emblématiques. La science humaine peut échouer à donner les clefs de communication et, ce faisant, être non un support, mais un frein au contact. 
 
Le cerveau humain
 
Depuis Le Voyage fantastique d’Asimov, le cerveau humain a été exploré par la science-fiction, mais rarement en tant que tel. Celle-ci l’a très souvent abordé par le biais psychologique et identitaire, plutôt que par celui biologique : chez Philip K. Dick, chez Alfred E. Van Vogt, le cerveau est une terra incognita à conquérir, au sein de laquelle, entre mémoire implantée et émotions factices, se cache la réalité de la conscience, la vérité de l’individu. Qui suis-je ? Existé-je ? Telle est la question que se posent nombre de personnages de science-fiction. 
La science, elle, conserve la main haute sur les hypothèses liées au fonctionnement du cerveau, à la géographie fonctionnelle de cet organe, dont les capacités sont, dit-on souvent, loin d’être cernées. Comment fonctionne la mémoire ? Existe-t-il des zones infra-conscientes dans le cerveau que nous pouvons mieux maîtriser ? Grâce à des outils de modélisation numérique au développement récent, les chercheurs obtiennent de nouvelles informations qui, à l’instar des révolutions liées à l’astronomie, remettent en cause bien des connaissances. Plus que jamais, la « hard » science-fiction peut s’en faire l’écho, voire servir de champ libre de réflexion, comme c’est le cas de celle de Greg Egan. Au fond, la science-fiction, avec l’audace et la liberté qui la caractérisent, fait sienne cette belle maxime de Jean Cocteau : quand les mystères nous dépassent, il faut feindre d’en être les organisateurs.
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