ElGato a écrit: |
Sinon, je me suis posé la question en lisant les bouquins de ce bon vieux Fédor, savoir si tu n'avais pas eu de l'inspiration chez Dostoïevski, surtout la manière d'écrire l'oral : les monologues, les imprécations, la syntaxe même, enfin cet espèce de fièvre qu'on retrouve dans les dialogues de tes deux romans ? Enfin...À quelques exceptions près, le travail d'écriture dans un jeu vidéo oscille entre le mauvais et le pas terrible : scénarios bateaux et plats, dialogues pourris. Est-ce que c'est suite à ce genre de constatation que tu t'y es attelé, ou c'est plus un concours de circonstances ? Voire, soyons fous, tu trouves que c'est pas si terrible que ça et qu'il y a de bonnes choses (lesquelles ?!) |
Deuxième mi-temps : De Dostoïevsky, je n'ai lu que l'Idiot et j'en suis resté impressionné par la fièvre, oui, l'espèce de transe continue qu'on y sent, qui vient d'une écriture en coulée, très habitée, sans rupture, d'un seul tenant. C'est très dur à tenir sur des pages et Fédor a une énergie démentielle car on sent la poussée presque toujours, la poussée sentimentale, qui charrie des tonnes d'affects et de rapports humains vécus, c'est nourri au réel avec une psychologie de l'humain, comme l'avait vu Nietzsche, tout simplement hors norme, mediumnique. Comme s'il se baladait avec un scanner à émotion et qu'il traversait absolument tout : enfant, femme, vieille, idiot, fous. Maintenant, est-ce que ça a influencé la Horde ? Non, parce que je l'ai lu il y a trois ans, mais ça influencera d'autres choses. Tous les grands influencent, il faut les lire à petites doses, ce sont des drogues fortes et se concentrer sur un trait ou deux. Chez Dosto : la longueur de coulée et la faculté à embarquer, chopper ça.
Pour le jeu vidéo, comme pour beaucoup de choses, je joue très peu. À mon sens, nul besoin de beaucoup lire pour écrire bien, nul besoin de beaucoup jouer pour construire un univers de jeu vidéo. Il faut saisir le nexus, s'y tenir, le travailler au tissage. Et le nexus dans le jeu vidéo, c'est le gameplay, la mécanique de jeu et la sensation kinesthésique, nerveuse et mentale, qu'elle procure en jouant. Du peu que j'ai joué, oui, les scénarios sont pauvres, même sur les jeux dits "à univers" (Bioshock par exemple) mais ça n'a rien de surprenant : jouer est une expérience physique et nerveuse active, qui n'est qu'à la marge réceptive, au contraire de la vision d'un film ou de la lecture d'un livre. Si bien que la masse d'informations assimilable par le joueur est faible : son attention est accaparé par le fait d'agir, d'interagir. D'où mécaniquement la pauvreté des scénarios. Avec mon équipe, nous avons tenté de proposer un scénario dense. Comment finira-t-il ? Certainement très léger si j'en crois Stéphane (Beauverger) qui a 15 ans d'expérience dans le domaine et rigole de ma naïveté à vouloir livrer une histoire riche et complexe. Donc je reste modeste : le jeu vidéo n'est pas un media narratif.
Qu'il y ait de bonnes choses, oui, et comme partout, il faut les chercher en partie dans le jeu vidéo indépendant. Mais aucun scénario n'a de valeur sans un gameplay puissant. être inventif sur le gameplay est autrement plus central pour réussir un grand jeu vidéo que de proposer d'excellents personnages et un scénario digne des meilleures séries TV.
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