Chercheur associé à la maison d'ailleurs (il vient de publier un guide sur
Lovecraft et Tolkien), mais aussi anthologiste,
écrivain de talent, musicien ou bien encore ancien co-rédacteur en chef de la revue
Cyberdreams, Francis Valéry ne va pas manquer d'activité en 2015...
Quel est ton bilan de 2014 ?
Ce fut plutôt une bonne année, je crois !
Comme d’habitude, j’ai travaillé sur les expositions temporaires de la Maison d’Ailleurs. En 2014, les sujets de ces expos qui sont semestrielles ont été "Les Super-Héros" et "Les Univers Etendus". J’ai réalisé les deux audio-guides : choix des objets concernés, écriture d’un court essai sur chacun d’eux, enregistrement oral de ces textes. Concernant les super-héros, j’ai écrit un essai sur l’apparition des super-héros étasuniens dans la presse BD française et la création de super-héros français, dès les années quarante : "Itinéraire du super-héros". Concernant les univers étendus, j’ai écrit un petit livre titré De H.P. Lovecraft à J.R.R. Tolkien. Ces travaux ont été publiés par ActuSF dans une collection dédiée, pilotée par Marc Atallah, le directeur de la Maison d’Ailleurs. Toujours au registre des essais, j’ai écrit pour Bifrost un article sur Louis Bouyer et son travail critique sur Tolkien, publié en France dès 1958, alors que l’auteur est un parfait inconnu dans notre pays : "Louis Bouyer : un prêtre visite la Terre du Milieu".
Côté écriture, j’ai préparé l’édition de deux recueils. Un Rêve mandarine et autres mythes urbains reprend les cinq novelettes et novellas que j’ai consacrées au monde de la musique et de la nuit, principalement dans le Bordeaux des années 70/80, et qui ont été publiées en leur temps dans la défunte revue Ténèbres. Ces textes ont été totalement réécrits. Les nouvelles versions sont beaucoup plus longues et mieux articulées, avec de nombreuses références croisées. Ces textes ont fait un peu de bruit lors de leur parution. Ils incarnaient une forme de fantastique urbain, revisitant des figures classiques (vampire, fantôme, lieu hanté…) de manière très moderne. Plusieurs éditeurs m’ont proposé de réaliser ce recueil, mais je n’avais jusque-là pas envie de renouer avec le milieu de l’édition avec lequel j’ai pris mes distances au début du nouveau millénaire. J’ai réuni un autre recueil : L’Envol du Flambé et autres récits insolites. Plus court, il est composé de quatre textes relevant d’un fantastique sans doute plus traditionnel, dont un long inédit écrit il y a une vingtaine d’années, inspiré par une visite à la maison de Pierre Loti, à Rochefort – un endroit magique où je retourne régulièrement. Les deux recueils vont paraître en un seul volume, le second présenté comme un « bonus » du premier, aux Editions Rivière Blanche, sans doute au printemps 2015.
Ce dont je suis le plus satisfait, parmi mes petits travaux du cru 2014, c’est la création aux Editions Le Bélial d’une collection de livres audio : CyberDreams. Nous y proposons d’une part des enregistrements (live ou studio) de spectacles relevant de la SF ou du fantastique : des lectures sur de la musique, des contes, etc. Et d’autre part, des nouvelles lues/jouées/interprétées par leurs auteurs avec un habillage musical et sonore, allant de la musique planante au jazz, en passant par toutes les expérimentations avant-gardistes, synthétiques ou bruitistes ! La collection est totalement ouverte sur le plan esthétique. La grande particularité est que la « bande son » et le texte sont traités avec une égale importance. Les textes sont d’ailleurs toujours plus ou moins réécrits pour un passage à l’oralité. A part un gros coup de main de mon vieux copain Jean-Jacques Girardot, écrivain et musicien, sur le mixage et l’enregistrement de la première proposition (La dernière chance, un spectacle que j’ai créé à Lyon en novembre 2013, dans le cadre de la programmation culturelle du Musée des Confluences), j’ai réalisé seul les quatre propositions suivantes : écriture et adaptation des textes, composition et enregistrement de la musique, habillage sonore et mixage. Ce n’est pas la règle du jeu d’une collection ouverte ! Mais curieusement, toutes les personnes à qui j’ai proposé de participer à cette aventure ont répondu que l’idée était géniale mais qu’elles ne se sentaient pas capables de le faire ou n’avaient pas le temps. Aux USA, quand un écrivain est invité par un libraire à rencontrer le public, cela commence toujours par une séance de lecture : debout face à l’auditoire, l’auteur lit en général un chapitre de son livre. Tous les écrivains anglo-saxons font ça. En France, de nombreux écrivains vous expliquent qu’ils ne savent pas lire en public, ou pour le moins qu’ils n’aiment pas cela ou le font mal – alors qu’ils participent tous à des débats dans les salons, donnent parfois des conférences et ont, pour nombre d’entre eux, une expérience d’enseignants habitués à parler haut et fort, et à projeter leur voix ! Quant au manque de temps, il faut moins d’une journée pour mettre en boîte la voix d’une nouvelle. Il y a un dicton qui dit que tout ce qui est nouveau fait peur. Moi, à l’inverse, tout ce qui est nouveau m’excite et me motive. Pour la petite histoire, les textes (dans leurs nouvelles versions) des trois plus récents audios que j’ai réalisés, Bleu, Cécile et L’Horreur des Collines, figurent dans le double recueil Rivière Blanche. En fait, j’aimerais décliner tous mes écrits, nouvelles et romans, de quatre manières : le texte en version papier (livre), le texte en version numérique (téléchargeable), le texte oralisé avec musique en téléchargement (aux formats mp3 et ogg) et sous forme matérielle (CD au format wave). Et confier ces déclinaisons à des éditeurs différents et complémentaires. C’est une manière de garder un certain contrôle sur ce qui est fait de mes réalisations artistiques (d’un point de vue commercial) et de mettre en place de véritables relations collaboratives, basées sur la confiance et l’estime réciproque, avec des éditeurs partenaires. J’ai un peu l’impression de faire œuvre de pionnier dans un monde en rapide évolution, et tout particulier dans la sphère culturelle (modalités de consommation culturelle et d’une juste rétribution des créateurs).
Sur quoi travailles-tu ? Quels sont tes projets ?
Je viens de terminer une longue présentation d’Ursula K. Le Guin, sa vie et son œuvre, qui servira d’ouverture à un dossier que la revue Bifrost va bientôt lui consacrer. Par ailleurs, dans le cadre de la prochaine exposition de la Maison d’Ailleurs, j’ai écris un assez long essai sur le motif du robot dans la littérature et la BD de SF, du point de vue de sa signification métaphorique. Ces deux essais m’ont occupé à temps plus que plein en janvier et février.
En mars, je réaliserai un nouvel audio. En principe, il s’agira d’une lecture intégrale de Maître Zacharius, de Jules Verne. A l’été 2008, j’ai composé un mini-opéra (pour synthétiseur, guitare électrique, basse électrique et bande son) pour un spectacle adapté de ce texte. Ce spectacle était une commande de la part de Patrick Gyger et a été donné au cours des journées d’inauguration de l’Espace Jules Verne de la Maison d’Ailleurs, en octobre 2008. Il a aussi été donné au Musée des automates de Sainte-Croix, également en Suisse. J’ai repris la partition et ai commencé à la compléter, en particulier par des pièces bruitistes minimalistes, influencées par la démarche de Terry Riley dans "In C" et "Rainbow in Curved Air", des œuvres qui me fascinaient lorsque j’étais adolescent. Ca sera compliqué à mixer – j’ai parfois une trentaine de pistes à faire intervenir et évoluer dans le panoramique. Le texte sera dit par Jean-Patrick Imbert, un ami assez extraordinaire et aux multiples talents, avec qui j’ai travaillé pendant des années sur des jeux de rôle littéraires, à Périgueux.
En avril, je participe à un spectacle privé, dans le Maine-et-Loire, donné en l’honneur d’un des musiciens du groupe dans lequel je jouais, quand j’étais gamin et vivais là-bas. Le groupe, "The Wags", s’est reformé pour cette unique soirée, quarante-trois ans plus tard ! Nous allons rejouer ce que nous jouions à l’époque, soit le "hit-parade" des années 1970/1972, français (Michel Fugain, Gérard Palaprat, Michel Delpech…) et anglo-saxon : Rolling Stones ("Rubie Tuesday"), Beatles ("Hey Jude"), Moody Blues ("Night in White Satin"), etc. Et également le répertoire de Creedence Clearwater Revival dont nous étions des fans absolus. Dans mon adolescence, j’étais seulement guitariste. Mais pour cette soirée, j’ai décidé, avec la bénédiction de mes vieux copains, de me taper une bonne partie des titres aux claviers, pour retrouver au mieux le son et les arrangements d’époque : ça veut dire installer sur scène un amoncellement de synthés analogiques ! Quant aux guitares, on entendait en ce temps-là beaucoup de douze cordes acoustique, de la LesPaul saturée, des chorus sur des Stratos montées en cordes extra-light, etc. Là encore, je vais devoir trimballer tout un rack de guitares. En fait, j’adore entasser les claviers et me planquer derrière. Evidemment, le projet m’éclate à mort ! Et je me réjouis par avance de cette soirée. Mais franchement, se taper tous les mois sept cents kilomètres pour un week-end de travail/répétition, et de retour passer des soirées à chercher des sons pour jouer un morceau que je ne rejouerai jamais de ma vie, faut être un peu cintré !
En mai, je commencerai une recherche curatoriale pour l’exposition suivante de la MdA, sur le traitement des Arts dans la SF : poésie lyrique, théâtre, danse, musique, etc. Mon mandat consiste à établir une sorte de catalogue commenté de textes, bandes dessinées, couvertures de pulps, illustrations, scènes de films ou de séries télé, etc. Ce catalogue servira de base au choix d’objets exposés. Là encore, c’est un mois de travail à temps plus que plein !
A partir de juin, je me partagerai entre un nouvel audio et un roman. Concernant l’audio, j’ai déjà composé quelques pièces, des fugues et des bourrées, que j’aimerais voir interprétées par ma compagne qui joue de la vielle à roue, et que je pourrais accompagner avec d’autres instruments acoustiques, genre guitare, dulcimer, flûtes ou percussions. Un son très "trad", donc ! Et ce pour habiller un texte avec des ambiances campagnardes et mélancoliques, à la Simak. Concernant le roman, il s’agit de reprendre, élaguer et finaliser un roman dans lequel je me suis perdu (mon dernier roman, en fait, commencé après la sortie du Talent assassiné, chez Denoël) et dont le manuscrit inachevé est depuis douze ans dans un coin. Le nouveau titre de travail est Le dit du Centaure. C’est un roman sur la notion de synchronicité, au sens jungien du terme.
En juillet, ma compagne et moi passerons sûrement une partie du mois à la montage – l’occasion pour moi de faire des enregistrements de sons de nature, dans l’optique de composer des paysages sonores. Et une autre partie dans le Maine-et-Loire, près de chez mes potes d’enfance – l’occasion d’enregistrer avec eux des sections rythmiques (basse/batterie). Je donne parfois l’impression de vouloir tout faire tout seul – et c’est vrai que je suis en permanence dans une recherche d’autonomie ; mais j’aime aussi jouer à l’occasion avec d’autres musiciens !
Sinon, j’ai un projet de roman à quatre mains, avec Jean-Jacques Girardot, sur lequel nous avons déjà pas mal travaillé, mais à distance c’est difficile… J’ai aussi un projet personnel de space opera, rattaché à mon univers des "Voyageurs sans Mémoire", à l’état de notes et de réflexions. Côté musique, cela fait des années que je compose et écris des chansons (en fait, je l’ai toujours fait !). Les partitions remplissent un gros classeur, parfois avec plusieurs pages de projets d’arrangement. J’ai commencé à en enregistrer certaines parmi les plus récentes, il y a six ou sept ans, après ma rupture avec ma compagne d’alors. Mais après ma rencontre avec ma compagne d’aujourd’hui, je suis passé à autre chose, laissant tout cela en plan. Je me souviens que, lorsque je l’ai connue, j’étais depuis des jours sur mes synthés à essayer de programmer un son de violoncelle que je n’arrivais pas à façonner comme je l’entendais dans ma tête ! Il faut que j’apprenne à avoir envie de travailler en studio sur mes chansons même quand je suis heureux dans ma vie privée ! Il y a un an, j’ai retrouvé un carton avec une centaine de K7 audio datant des années 1970/80 : des notes prises à la volée, des enregistrements studio, des concerts de mes divers groupes… il faut que je regarde s’il y a des choses intéressantes. Une partie de moi a envie de « mettre en ordre » mes archives sonores et littéraires, tant que je me sens capable de le faire…
Et quelles sont tes prochaines dédicaces et apparitions à venir ?
Cela fait bien longtemps que plus personne ne n’invite dans les manifestations où l’on cause et/ou l’on dédicace ! Je n’ai aucune actualité littéraire "visible" (même si mes livres audio sont disponibles à la demande en version CD) et sur les quelques septante ou quatre-vingt livres que j’ai publiés au cours des vingt dernières années du précédent millénaire (romans, recueils, littérature jeunesse, essais…) il doit y en avoir un ou deux (au mieux trois) disponibles chez mes divers éditeurs ! Les moins de quarante ans n’ont jamais entendu parler de moi – et les plus de quarante croient que je suis mort. Je n’en ressens aucune contrariété. J’ai plaisir à travailler pour la Maison d’Ailleurs : ça me permet d’utiliser les connaissances en matière de SF que j’ai accumulées depuis que je suis gosse, et puis ça contribue très concrètement à me faire vivre. Je suis également très heureux de réaliser mes livres audios : je choisis les textes et compose les musiques sans la moindre contrainte ; c’est moi qui demande à mes éditeurs au Bélial de bien vouloir me donner leur avis concernant le mixage, en particulier la balance voix/musique, car ils ont le recul que je n’ai pas. Quant à mes projets littéraires, j’écris ce que j’ai envie d’écrire et je sais que mes éditeurs me font confiance. Avec l’âge et les problèmes de santé d’ordre neurologique, ma capacité de travail – qui était étonnante – a fortement chuté, et je n’ai désormais jamais assez de temps pour réaliser mes envies et mes désirs. Le temps passé loin de mon studio, de mon bureau ou de mon jardin, m’apparaît de plus en plus comme du temps gaspillé. Je suis profondément reconnaissant à mes amis de la Maison d’Ailleurs, du Bélial, de Rivière Blanche et d’ActuSF, de me permettre de continuer de vivre comme je vis désormais. Et je remercie sincèrement les lecteurs et auditeurs qui soutiennent mon travail par l’acquisition de mes petites réalisations…
