Forum : Un avis sur HPL dirigé par Christophe THILL

Commenter

p.

Howard Phillips Lovecraft fut sans conteste le plus grand écrivain d’horreur du XXe siècle.

Là, c’est dit.

(Bonjour le lieu commun.)

Préférons ce terme « d’horreur » à tout autre, ça nous évitera des débats stériles. Mais notons ceci : si Lovecraft a révolutionné le genre, c’est en en développant des aspects tellement personnels et en même temps tellement codifiés que la citation, irrésistible, ne peut être qu’explicite. Devant tel ou tel texte d’horreur, on aura envie de dire : « C’est du Lovecraft. ». Mais, souvent, l’auteur même nous y incitera en employant, non seulement les codes et thèmes du Maître de Providence, mais jusqu’à ses propres références… ou son vocabulaire, comme en clin d’œil.

Il y a tout un art du pastiche lovecraftien, qui s’est développé du vivant même de Lovecraft (je ne vous ferai pas l’insulte de citer des noms…). Mais, justement, c’est un art. Beaucoup s’y sont essayés, et nombreux (presque autant ?) s’y sont cassés les dents. Il n’est, pour s’en rendre compte, que de parcourir les plus « officielles » de ces compilations de pastiches, les « Légendes du Mythe de Cthulhu » rassemblées par August Derleth : déjà, des fois, ça ne tient franchement pas la comparaison. Alors a fortiori ce qui a été fait par la suite…

C’est qu’il y a un piège, dans le genre lovecraftien. Disons-le tout net : Lovecraft (que j’adule, pour ceux qui en douteraient) fait généralement dans le grotesque, dans tous les sens du terme, et ses textes se caractérisent par l’excès permanent. Aussi est-on généralement, jusque voire surtout dans ses meilleurs textes, sur une mince ligne de crête qui sépare le sublime du ridicule : un pas de côté et tout se pète la gueule. Pour que ses textes fonctionnent dans de pareilles conditions, Lovecraft devait déployer un remarquable sens de l’architecture et de la narration, et user, y’a pas d’autre mot, d’un style, avec une maestria certaine.

Ce que nombre de ses imitateurs semblent s’acharner à ne pas comprendre. Comme si c’était « simple » de « faire du Lovecraft »… Allez, hop, un monstre répugnant ici, un grimoire impie là, on case aussi souvent que possible « indicible » et « cyclopéen » pour la bonne bouche, et TA-DAA ! c’est du Lovecraft.

Ben non.

C’est du Canada Dry.

Howard Phillips Lovecraft est mort d’un cancer en 1937. Pour commémorer les soixante-dix ans de son décès, l’idée fut lancée de réunir une anthologie de nouvelles lovecraftiennes francophones, ce qui déboucha sur cet HPL 2007 sous la direction de Christophe Thill, publié par Malpertuis… dans la collection « Lovecraftiana » (ou « Lovecratiana », ça dépend si on se fie à la première ou à la quatrième de couv’ ; quoi qu’il en soit, ça fait un peu porno tentaculaire, non ?). On nous dit que ce recueil démontre « que la jeune fiction lovecraftienne francophone existe, et qu’elle est même en pleine forme ». Moi, je ne demandais qu’à être convaincu, hein.

Grand naïf que je suis…

On nous dit aussi que ces 22 (tout de même) nouvelles ont été « sélectionnées ». Et ça, j’ai du mal à le croire. Parce qu’il faut bien reconnaître que cet HPL 2007 contient tout et n’importe quoi, mais quand même essentiellement de la merde.

Commençons par le bon, ça ira plus vite.

Un texte, un auteur, dominent les autres d’une bonne tête, voire deux, voire d’un corps entier : Léo Henry, avec « En mémoire d’un ami pnakotique » (pp. 227-238). On n’y aborde pourtant la thématique lovecraftienne que par la marge (d’aucuns hurleraient sans doute à l’escroquerie), mais voilà : c’est original, c’est beau, c’est profond (sans mauvais jeu de mot), c’est très bon. C’est du Léo Henry.

On trouve ensuite une catégorie plus ou moins floue allant du « médiocre plus, parce qu’au fond je suis gentil » au « correct, voire bon, parce que je suis gentil, donc ». Dans l’ordre : Timothée Rey, avec « La Providence du reclus » (pp. 17-32) nous livre un pastiche correct, qui fait plus sourire que frémir, mais qui fonctionne, c’est déjà ça (j’ai longtemps trouvé que c’était le seul texte de l’anthologie méritant le qualificatif de « bon »). Nicolas Chapperon, dans « Klèsin » (pp. 196-204) fait dans le court et classique, mais ça marche. Sébastien Castelbou, avec « L’Envers du miroir » (pp. 205-210), est à la limite du hors-sujet, mais après avoir vanté Léo Henry, je peux difficilement le lui reprocher ; assez touchant. Karim Berrouka figure également dans cette liste pour « Soleil noir » (pp. 239-255), un texte assez classique à nouveau, mais pas trop mal ficelé. Reste enfin Simon Sanahujas pour « L’Ère humaine » (pp. 287-296), texte à la fois très personnel et imprégné (sans surprise) de réminiscences howardiennes.



Bon, je vais faire une catégorie « médiocre moins » à « simplement mauvais », on va dire que c’est les « repêches ». Adonc, commençons par Meddy Ligner, avec « Manuscrit trouvé dans une malle d’Estrémadure » (pp. 33-47) ; ça expérimente maladroitement, c’est plutôt lourd, mais ça en reste au stade du médiocre. Christian Perrot, dans « Secrets de famille » (pp. 65-75) use d’un style très médiocre, justement, mais ça reste lisible… « Le Puits » (pp. 103-119) d’Adam Joffrain est classique et atrocement téléphoné, mais on va dire que par rapport au reste… Un cas-limite avec « De feu et d’acier » (pp. 121-140) de Ghislain Morel : c’est écrit avec les tentacules et un peu maladroit, mais il y a de temps à autre une ambiance plutôt correcte. Franck Ferric, avec « Les Pas du golem » (pp. 141-153) fait dans le vainement grandiloquent (mais il y a pire, voyez plus bas) et plutôt maladroit… Reste « Le Dernier Jour du monde » (pp. 297-301) de Bertrand Bouton, texte plutôt inutile et qui ne respecte pas la doxa lovecraftienne (hérétique !) ; mais bon, pourquoi pas…

Nébal

 

(La suite)

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?