Forum : Un avis sur Nuigrave de Lorris Murail

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Quelques mots sur « Nuigrave » de Lorris Murail (un écrivain qui a de la bouteille), en A&D (Laffont), sorti il y a peu.
L’action du roman se déroule en 2030, c’est-à-dire un avenir assez proche (20 ans, ce n’est pas rien, sans être très long non plus…). La surprise vient de ce que l’auteur semble ne tenir aucun compte du discours ambiant sur la « Singularité » (du pipeau, pour lui ? ce serait intéressant à savoir). Alors que pas mal de livres qui paraissent actuellement nous plongent dans un monde sursaturé de réseaux, d’intelligences artificielles, de multi-mondes multi-virtuels, etc., Lorris Murail revient, pour sa part, au bon vieil avenir morose (avec plus de lucidité ?). Dans son futur plutôt déprimant (je me demande bien ce qu’il y a de « réjouissant », comme l’indique la quatrième de couverture, dans ce tableau !), c’est plutôt à la majoration des problèmes rencontrés actuellement : déliquescence et désintégration des états (Europe centrale en tête), multiplication des ghettos d’immigrés plus ou moins volontaires, confusion géo-politique, obsession de la santé obligatoire (consommer de la nicotine est devenu un crime majeur), dégradation continue de l’état des commissariats français, politiquement correct farfelu poussé à l’extrême (ici, l’obsession de la restitution des œuvres d’art « pillées » dans le passé par l’Occident), etc, que l’on trouve décrite. Le tout est vu à travers les yeux du personnage principal (le narrateur), dont on se dit, en cours de lecture, que son état d’esprit évoque beaucoup, mais vraiment beaucoup, celui d’un Français de la soixantaine vivant en 2009. Il doit pourtant avoir la quarantaine (il me semble), dans le roman, ce qui lui ferait la vingtaine en 2009… Et des jeunes gens actuels, tels que je peux les voir, il n’a guère la mentalité, et notamment pas leur rapport décomplexé à l’informatique et à tout ce qui s’y rattache : dans le roman de Murail, on trouve des phrases comme « Sur l’écran 16/9e, il y avait une liste de fichiers, numéros suivis de quelques mots d’identification » ou « Les coordonnées transmises par Yoti dansaient devant mes yeux. Il me suffisait de les inscrire dans le cartouche blanc à gauche du mot SEARCH. ». Un peu comme s’il fallait décrire au lecteur de 2009 les merveilles d’une technologie dans laquelle il baigne quotidiennement depuis des années… Il y a là un décalage curieux, mais pas nécessairement désagréable.
L’aspect le plus marquant et le plus réussi du roman réside dans cette description « réaliste » d’un avenir possible (pour moi, en tout cas, car les états d’âme convenus du héros ressassant ses vieux chagrins d’amour et la énième course poursuite après la plante génératrice d’une drogue m’ont laissé indifférent, pour ne pas dire plus). A comparer avec « Rainbows End » de Vernor Vinge (publié en 2007 dans la même collection), roman remarquable qui parle de l’avenir proche d’une manière qui semble n’entretenir aucun rapport avec la vision de Lorris Murail ! Le Français nous remet-il les pieds sur terre ?
Lire « Nuigrave » offre en tout cas une bonne occasion de reposer la question de l’aspect prospectif de la science-fiction. Amusez-vous à faire la comparaison !

Oncle Joe
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