Jérôme Noirez et le métier d'écrivain

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Tu es un écrivain de métier, c’est-à-dire que cette activité te nourrit.
Qu’est-ce que ça change, fondamentalement, dans l’activité d’écrire ? Est-ce que ça change quelque chose ?

A partir du moment où j'ai écrit en songeant à me faire publier, j'ai cessé d'exercer la précédente activité connexe qui était d'écrire tout court, pour le seul plaisir de l'exercice. Là, les choses ont changé puisque j'ai fait entrer dans le champ l'observateur relativiste : le lecteur. Et il n'y a pas de retour en arrière possible. Ou j'écris pour être lu, ou je n'écris plus.



N’as-tu pas peur de te perdre, de faire passer des projets que tu pourras vendre avant des projets qui te tiendraient davantage à cœur mais serait moins « commerciaux » (avec tous les guillemets qu’il faut, bien sûr) ? Ne retrouves-tu pas, fatalement, pressé par le temps, obligé de produire vite ?

Les projets qui me tiennent à coeur sont les projets que je peux vendre. On a cette vision très française, très romantique, de l'écrivain guidé par les muses, illuminé, pentecôtisé. Pour moi, c'est de la connerie. Les compositeurs, les peintres, ont toujours travaillé sur commande, et je ne crois pas que leur oeuvre s'en soit trouvée affadie. Oui, je me retrouve pressé par le temps, et il m'arrive de produire vite, et c'est tant mieux. J'acquiers de la technique, de l'aisance, comme un musicien qui bosse son engin huit heures par jour. Du coup, contrairement à ce qu'on pourrait peut-être imaginer, je gagne en liberté. Et c'est un remède merveilleux à la plus redoutée des affections : la paresse.

J'ai bien ri en tombant sur cette note en quatrième de couverture de la version poche de La Horde du Contrevent où il est dit que l'auteur "écrit peu, par exigence". Curieuse définition de l'exigence. Je songe à un pianiste concertiste qui avouerai : "je bosse mon piano qu'une heure par semaine par exigence".


Que devient l’angoisse de la page blanche, quand on dépend de cette activité ?

C'est pas l'angoisse de la page blanche. C'est l'angoisse de perdre la totale disponibilité d'esprit qu'implique l'écriture. Quand tu composes de la musique, tu peux te tenir en retrait de toi-même durant un moment, dans les mathématiques, dans l'intendance abstraite. En littérature, tu ne peux pas. Jamais.
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