Quand je parle d'oeuvres problématiques, elles doivent l'être des deux côtés. Je vais prendre un exemple que je connais assez bien, les minorités. Du temps de l'Autriche-Hongrie, les Tchèques et les Allemands se définissaient assez bien, ils n'avaient pas de problème pour s'exclure l'un, l'autre (en fait, le nationalisme des deux côtés, était préoccupé par le fait que les frontières d'un groupe à l'autre étaient perméables, qu'on pouvait passer facilement d'un groupe à l'autre, mais les frontières existaient).Lem a écrit : Pardon mais je ne comprends pas la logique de ce paragraphe.
J'essaie de définir la SF, pas la littérature générale. Je m'intéresse donc aux marges de la SF, où se trouve précisément Borgès. Je fais exactement ce que tu dis au début : m'intéresser à une œuvre problématique (pour la SF) dans l'espoir d'apprendre quelque chose (sur la SF). Le fait que Borgès ne soit pas problématique pour le mainstream n'a, me semble-t-il, rien à voir.
C'est quand on est arrivé au cas des juifs que tout s'est compliqué, parce qu'ils posaient problèmes aux deux groupes. Ils n'étaient pas assez allemands, il n'étaient pas assez tchèques. Qu'en fait-on ? D'où l'antisémitisme local, et aussi la volonté affichée de forcer les juifs à choisir leur identité tchèque ou allemande, en faisant pression (et finalement, la communauté juive s'est séparée entre la haute bourgeoisie, allemande et la petite bourgeoisie tchèque, je simplifie).
Les juifs ont posé des problèmes d'identité parce qu'on ne pouvait pas se contenter de les rejeter vers "le camp d'en face" (alors que les ouvriers allemands chassés par l'exode rurale, se déclarèrent facilement tchèque lors des recensements).
Ce qui fait qu'au final, on se rend compte que ce qui définit le mieux les Tchèques et les Allemands, c'est des considérations de classe, bien plus que de langue, d'histoire ou de religion. Les juifs jouent un rôle de révélateur.
C'est ce genre de révélateur qu'on cherche pour définir la SF par les marges. Du coup, Borgès est un mauvais révélateur, puisqu'il a été facilement adopté par la littérature générale, et n'est SF que par annexionnisme. Il ne pose de problème qu'à la SF, pas à la littérature générale (enfin disons, "plus").
Duchamp n'a pas réalisé QUE le ready made, ce n'était qu'une oeuvre. Il a surtout PEINT "nu descendant l'escalier", qui est un grand classique, et appartient à l'histoire de la peinture, pas uniquement comme une plaisanterie.Quelle est l'influence de Duchamp sur le domaine ? Force est de reconnaître que près de huit décennies après son geste, les arts plastiques, pour la plupart des gens, ce sont encore des peintures et des sculptures. Mais il y a aussi ceux qui connaissent Duchamp et qui savent que ce n'est pas aussi simple. Que c'est même très compliqué.
Borgès était influencé par la SF, aucun problème. Et il a influencé des écrivains comme Herman Melville a influencé des écrivains. Mais il a aussi influencé Umberto Eco, et pas pour une oeuvre de SF.une de ses anthologies a été préfacée par Ursula LeGuin et qu'on trouve une Introduction à la littérature américaine de JLB mentionnant Lovecraft, Heinlein, Van Vogt et Bradbury.
Oh, en cherchant, on peut aussi trouver que Shakespeare a pesé de tout son poids sur la SF. Il y a une différence entre les courants littéraires engendrés par Verne ou Gibson, et la simple influence. Il y a eu des "copies" de Verne, des "copies" d'histoires à la Neuromancien, de même qu'il y a des "copies" d'histoires à la Dick, qui se sont diffusées dans les couches "basses" de la SF (Matrix en est un exemple). Est-ce que l'influence de Borgès est de la même nature ? Est-ce qu'il a généré des "copies" dans la SF la plus populaire ? (en fait, spontanément, j'ai UN exemple qui me vient en tête, c'est un épisode de la série Kino no tabi, qui met en scène le livre contenant le monde. Ca fait UN, dans tout l'ensemble des mangas, c'est quand même pas super énorme.)Je crois qu'en cherchant un peu, on finirait par se rendre compte que Borgès pèse de tout son poids sur la SF.