gutboy a écrit :---> Natacha : sans agression de ma part, la différence entre Fantagraphics et Oxymore, c'est que Fantagraphics existe encore pour proposer de nouveaux et bons auteurs. Comme tu le dis, c'est une question de choix.
Hum, déjà partons d'un principe de base, c'est que je ne me sens pas agressée de prime abord par ce qui se dit ici
![Smile :)](./images/smilies/icon_smile.gif)
. Ca planifiera le chemin de la discussion.
Pour le reste, j'ai tout à fait compris le sens de cette comparaison que tu fais, et le fait que, pour toi, la démarche de Fantagraphics est plus louable (ou du moins, plus réaliste on va dire) que celle qu'avait choisie l'Oxymore, et que choisissent l'ensemble des éditeurs "à conviction".
Je ne partage pas par contre ta conclusion ou ton ressenti sur cette situation qui consiste finalement à dire que la "bonne" méthode est celle qui s'avère la plus pérenne. C'est
une méthode, pas nécessairement
la bonne si on regarde d'autres critères que ceux de la réussite ou de la durée à long terme.
gutboy a écrit :Bon, moi je suis un pragmatique (pour ne pas dire bêtement terre à terre): entre un éditeur qui publie de la merde ET de l'or, et un éditeur qui ne publie plus... J'ai choisi (à la fois l'éditeur ET parmi ce qu'il publie).
Pourquoi ?
Que tu achètes les livres que tu aimes chez l'éditeur qui publie aussi de la merde, c'est une chose. Mais pourquoi dire qu'on
choisi cet éditeur
plutôt que celui qui ne fait pas de concession ?
Celui qui ne publie plus, et bien il ne publie plus, donc il n'entre pas en ligne de compte dans ce choix, forcément.
Mais avant le dépôt de bilan (qui n'est pas forcément une fatalité inévitable), pourquoi faudrait-il choisir d'encourager l'éditeur qui sécurise ses arrières avec n'importe quoi, plutôt que celui qui fait le choix du risque sur chaque titre qu'il publie ? Comme s'il fallait cautionner une attitude économique ? Choisir de dire "oui, c'est ça qu'il faut faire" à un éditeur qui accepte de se compromettre ?
Mon avis sur ces choses est, évidemment, que
si on fait un choix en prenant sciemment en compte ces paramètres, il faut choisir l'éditeur qui ne publie pas de la merde, tant qu'il était encore là pour faire son job. Ce qui lui permettra peut-être d'être encore là dans dix ans, voire, ce qui lui permettra de ne pas céder à la tentation de faire de la merde, tentation qui se présente toujours sous le visage des manuscrits potentiellement vendeurs que j'évoquais plus tôt.
Comme presque tout le monde depuis quelques années, j'ai considérablement diminué mon budget d'achat en livres. D'autant plus que je m'intéresse à des domaines comme la poésie, la psycho, la philo etc. où la norme est de sortir un minimum de 20 à 25 euros pour des bouquins de 200 pages. Mon choix depuis la restriction budgétaire est clairement de soutenir l'édition indépendante. Les éditeurs sécuritaires s'en sortiront très bien sans moi. J'achète les livres des Moutons électriques, par exemple, parce que j'admire la politique éditoriale d'André-François Ruaud. Je trouve sa politique graphique audacieuse, ses choix littéraires intéressants, Fiction est une revue superbe à tous les égards. Devant les linéaires de livres, je choisis sciemment de ne pas acheter les poches de Stephen King que je pourrais trouver d'occas à Gibert dans cinq ans encore, et d'acheter les livres des éditeurs à risque. Parce qu'à ce stade chaque décision d'achat individuelle fait pencher la balance d'un côté ou de l'autre.
Chacun est évidemment libre de faire ainsi ou non, de se sentir concerné ou non par les problèmes de l'édition. Mais il y a ce constat : ça va mal. Et, issu de ce simple constat, l'alerte : si vous aimez ce qui est différent, et la possibilité d'avoir encore demain le choix d'acheter du Bélial, du Nesti, des Moutons, etc., ne vous endormez pas sur l'impression qu'ils seront toujours le paysage dans un an, trois ans, cinq ans. Faites du lobbying, que ce soit en argent ou en temps.
gutboy a écrit :D'où sort cette théorie? Le responsabilité est chez l'éditeur, pas chez l'auteur. Les auteurs continuent d'écrire, la publication ce n'est pas leur domaine.
Ah mais je suis bien d'accord (sur un point du moins).
L'éditeur qui fait ce genre de choix est parfaitement responsable, oui, du visage que prend le marché, comme en sont responsables les lecteurs qui ne demandent que ça. Ou les auteurs qui acceptent eux aussi de jouer ce jeu.
Et c'est tout le problème de ce genre de démarche.
gutboy a écrit :C'est aux éditeurs de trouver le moyen de proposer les bons auteurs.
Ce n'est pas le fait que le marché soit saturé de merde qui fait que les bons auteurs ne sont pas publiés. Ce qui fait que les bons auteurs ne sont pas publiés, c'est quand il n'y a plus personne pour le faire.
Et non, pas seulement. C'est aussi le moment où il reste des éditeurs, mais où leur survie tient tellement à leurs collections "lamentables" qu'il leur reste peu de créneaux pour publier le reste. Voire, le moment où ils font le choix, pour honorer les salaires de leurs 300 employés, etc., d'arrêter purement et simplement de se prendre la tête à vouloir faire de la qualité, se contentant de sortir de l'ombre de temps en temps un auteur talentueux, tout en passant le plus clair de leur activité à nourrir la machine avec le reste.
Maintenant, regardons de près les implications du raisonnement suivant : pour produire quelques livres de qualité peut-être difficilement vendables, il faut être prêt à faire aussi de la merde.
Ok.
On peut cautionner ça. Mais ça revient alors à cautionner également :
- les maisons d'édition qui demandent à leurs traducteurs de dénaturer le travail d'origine de l'auteur pour le rendre plus vendable dans leur propre pays (je n'arrive pas à remettre la main dessus mais il y avait à l'époque au moins deux interviews en ligne de traducteurs qui racontaient comment ils avaient été priés sur certains titres de supprimer des scènes, ou d'en rajouter (!!!) pour que les livres traduits soient mieux reçus par le public.
- les maisons d'édition qui demandent aux auteurs publiés de consentir à de subséquents changements de leur travail pour qu'il soit plus vendable.
A partir du moment où on accepte de s'asseoir sur la qualité au profit du rendement ou de la viabilité, c'est valable pour tout le monde. Qu'est-ce qu'on dit de Spielberg ? Qu'il fait régulièrement des bouses pour pouvoir financer les quelques chefs-d'oeuvre qui lui tiennent vraiment à coeur ? Oui, c'est une façon de travailler. Il y a des auteurs qui adoptent aussi cette démarche. Pour pouvoir vendre leurs "invendables" ou supposés tels, ils produisent aussi des conneries, les unes finançant les autres.
La démarche d'un éditeur n'est en rien, par essence, moins créative, moins investie émotionnellement, moins passionnelle, que celle d'un auteur. Son aspiration à avoir une identité dans son travail est tout aussi légitime que celle de n'importe quel créateur.
Pourquoi aurait-il plus de raison de se prostituer que l'auteur ?
Parce qu'on est dans un monde économique et qu'il faut être réaliste ?
Mais ce constat est alors valable également pour les auteurs. Pourquoi veulent-ils publier ? Tu n'as pas besoin de sortir tes manuscrits de ton tiroir pour être un artiste, même la loi reconnaît l'existence d'une oeuvre intellectuelle qui n'est jamais sortie d'un placard. En publiant, ils acceptent "le jeu" d'une machine économique, et donc il faut qu'ils soient prêts à concéder ? Eux aussi ont des factures à payer à la fin du mois, alors, pour mieux vendre, ajouter une petite scène de cul / de politique / de cuisine aux navets dans leur bouquin parce que c'est ce qui fait vendre en ce moment ? Quelques éléments fantasy si c'est la mode ?
Tout artiste est en droit de vouloir conserver son intégrité en publiant une oeuvre qui lui ressemble, et pas qui se conforme au marché. Il est en droit de faire ceci sans qu'automatiquement on lui dise : "tu n'es qu'un doux rêveur impropre à survivre dans ce monde de brutes". Il est en droit d'espérer trouver des éditeurs qui croiront en lui, et tenteront de porter son oeuvre au monde sans la trahir ou la travestir.
Tout éditeur est de même en droit de vouloir conserver son intégrité en ne publiant que des oeuvres qui ressemblent à ses critères de goût, qualité, et pas des oeuvres qui répondent aux attentes du marché. Et sans qu'automatiquement on lui dise "tu es un irréaliste qui n'acceptes pas les lois du marché, et tu mérites de te casser la gueule".
gutboy a écrit :Pardon de l'écrire crûment, mais quand un éditeur s'arrête, il fait du tort aux auteurs qu'il prétend défendre.
Qu'il "prétend" défendre ?
Il les a défendus, de fait, tant qu'il était là. Et à sa manière, une manière que les auteurs ont accepté lorsqu'ils ont choisi de soumettre là leur manuscrit, et d'éditer dans le cadre qui leur était proposé.
Dans les faits, bien qu'il soit commode de se représenter l'éditeur comme une grosse machine pleine de devoirs et de dettes envers le talent littéraire qu'elle exploite, l'éditeur qui s'arrête se fait avant tout du tort à lui-même : aux salariés qui se retrouvent au chômage, aux associés qui perdent leurs billes, à tous ceux qui se retrouvent à pointer à l'ANPE. Et s'il s'arrête, dans le cas de figure dont on parle, c'est aussi parce qu'il a choisi de défendre des auteurs qui se vendent mal, ou peu, ou pas, quelle que soit la qualité de leur travail.
Il n'y a pas là, je crois, de quoi lui tendre le miroir de sa responsabilité face aux pauvres auteurs abandonnés en chemin.
Natacha