Simon Bréan - La Science-fiction en France

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Monsieur W.
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Message par Monsieur W. » dim. janv. 20, 2013 12:41 pm

Si dans un roman l'auteur dit que Napoléon a conquis la Russie en 1812 puis est devenu Empereur du monde en 1835, c'est vrai pour le monde du roman -le fait de l'écrire instaure cette réalité.

Si dans un livre d'histoire on trouve les mêmes affirmations, cela n'aura aucun effet sur le monde de référence du livre d'histoire, le nôtre. Napoléon continuera à avoir perdu la campagne de Russie;
Je dois être fatigué, j'ai toujours du mal à comprendre. Si un livre d'histoire affirme que Napoléon a remporté la campagne de Russie, soit ce n'est pas un livre d'histoire, soit il administre des preuves de ce qu'il avance, auquel cas il y aura une controverse sur ce qui a pu se passer qui va effectivement transformer la réalité, notre façon de (re)vivre le passé et de (re)définir le présent.

Pour en venir à la notion de réalité, ou de "monde de référence" que tu ne définis pas vraiment dans le livre - il me semble que ce n'est pas quelque chose de "posée". On ne peut pas dire, comme Lensman, que "la réalité est la réalité", c'est purement tautologique (comme l'est la définition du terme dans n'importe quel dico)


À mon sens, La réalité est une construction, c'est un effort perpétuel fourni par les humains pour stabiliser le monde dans lequel il vive (monde au sens de Wittgenstein : "tout ce qui arrive" ou "tout ce qui peut arriver", donc le monde est contingence). L'État moderne, la science, la bureaucratie, ce sont des constructions qui permettent de stabiliser les choses, les contingences du monde.
Et je pense que tous ces textes que tu dis "soumis à vérification" (que ce soit des journaux intimes ou des articles qui traitent de la controverse sur le nucléaire, par exemple) modifient notre réalité. Quand on lit ces choses, ça peut impacter directement sur notre façon de vivre les choses. Et évidemment, les cas de performativité dont tu prends exemple, changent la réalité également.

Mais effectivement, peut-être que je lis trop littéralement ce que tu dis.

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bormandg
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Message par bormandg » dim. janv. 20, 2013 1:14 pm

Lensman a écrit :
bormandg a écrit :
Lensman a écrit :
silramil a écrit :
Il y a par ailleurs des cas de performativité - certains textes changent l'état du monde : si un acte d'état civil établit que Mr W est marié à Mme Z à la date du 21 janvier 2013, un fait supplémentaire est instauré par cet acte, du simple fait de cet acte (qui a nécessité une action de la part de l'officier d'état-civil, etc, mais c'est l'acte écrit qui crée cette nouvelle réalité).
Là, je ne comprends pas bien. Il n'y a pas "création d'une nouvelle réalité", mais "rectification de la description de la réalité", laquelle réalité est posée en soi. Non ?

Oncle Joe
Modification de la réalité. Tout dépend si tu considère la réalité comme évolutive auquel cas c'est la même qui a changé ou si tu considère la réalité comme un tout, instantané, et que tu appelles son état modifié nouvelle réalité... Comme (oubli lié à la dégénérescence mémorielle) qui dit qu'on se baigne dans un autre fleuve....
Heu... je fais comme si la réalité était la réalité, dont on tente de donner une description. Mais j'admets avoir besoin d'imaginer qu'il y a une réalité posée, y compris si elle est changeante (cela ferait partie de ses caractéristiques). Mais j'ai besoin de la poser comme telle.
Dans ma lecture de la SF, la réalité est la réalité. Mais il peut parfaitement s'introduire une remis en cause de la perception de la réalité dans le texte de SF, et cela peut même, évidemment, être central dans le texte. Cet élément, même si central, peut parfaitement ne pas être perçu avant que la lecture ne soit très avancée.

Oncle Joe
Si tu préfères: la réalité, c'est ce qui est perçu comme existant, réel. Dans n'importe quel roman, tu es dans une fiction, tu ne considères pas le monde du roman comme celui qui existe et que tu perçois comme réel. Même si les différences ne tiennent qu'aux actes des personnages, même si lme monde du roman se veut semblable au monde extérieur "réel", la différence qualitative est là dès l'origine du roman. Si l'auteur rétend utiliser "LE" monde réel il n'écrit plus un roman, il écrit un reportage ou un livre d'histoire, et le classement de son récit est totalement différent. Dans un cas il y a construction (éventuellement "à l'imitation du réel"; dans l'autre il y a description (éventuellement plus ou moins fidèle). Quant aux problèmes de perception, n'oublions pas que le personnage d'un roman perçoit le monde fictif du roman et non le monde réel; même si le lecteur peut se demander si les fausses perceptions du personnage peuvent imiter des fausses percepions que lui-même aurait du monde "réel"....
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silramil
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Message par silramil » dim. janv. 20, 2013 1:19 pm

Monsieur W:
Hum, si tu désignes par "réalité" une "construction produite par le point de vue des humains", je ne crois pas que tu puisses saisir de quoi je parle, en effet.

Pour s'en tenir à des définitions consensuelles et sans tomber dans la métaphysique, "réalité" désigne généralement des manifestations concrètes, extérieures, indépendantes de l'esprit humain, "ce qui n'est pas le produit de l'esprit humain", si j'en crois le cnrtl dans le paragraphe philosophique.
Tu as bien sûr tout à fait droit à une conception philosophique spécifique qui pose la réalité comme résultant du point de vue de l'observateur.
ne faisant pas de philosophie ici, je me contenterai de suivre le sens du dictionnaire.

Ceci étant posé, nous sommes d'accord quand tu dis qu'un livre d'histoire disant quelque chose de faux n'est plus vraiment un livre d'histoire. C'est justement la question : un livre d'histoire parle de quelque chose qui est indépendant de toute construction humaine.
Mais il est hors de question de considérer ce genre d'écrit autrement que comme des tentatives, par nature vouées à l'échec, de désigner la réalité. Le langage ne correspond pas directement au réel, pas plus que nos sens ne nous montrent la réalité nue. Il y a toujours médiation.
Il ne faut pas confondre pour autant le fait que le caractère de médiation est inévitable (aucun livre d'histoire n'est autre chose qu'une tentative de dire l'histoire) avec l'idée étrange que la manière d'écrire un livre d'histoire modifierait la réalité - au mieux, il modifie notre perception/notre conception de la réalité.
Si un livre d'histoire révèle quelque chose d'ignoré ou d'oublié, il ne modifie pas la réalité, mais bien la connaissance que nous en avons.

Pour prendre un exemple d'histoire secrète, ou discrète, supposons que nous apprenions que Louis XIV a été remplacé pendant un an, en 1685, par son frère jumeau, celui qu'on appelle l'homme au masque de fer. Et pendant cette année, ce frère jumeau a révoqué l'édit de Nantes, ce sur quoi le vrai Louis XIV n'est pas revenu quand il a repris sa place.
La réalité ne change pas. Quelles que soient nos informations, c'est toujours et de toute éternité l'homme au masque de fer qui a révoqué l'édit de Nantes. Seulement, l'histoire "officielle" n'est pas informée de cette réalité et elle propage l'information, fausse mais considérée comme vraie, selon laquelle c'est Louis XIV qui a révoqué l'édit de Nantes. Pour peu que des documents apparaissent et que cette information devienne disponible, nous saurons que c'est l'homme au masque de fer qui est responsable - la réalité ne changera pas, seule notre perception changera.
Modifié en dernier par silramil le dim. janv. 20, 2013 1:23 pm, modifié 1 fois.
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silramil
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Message par silramil » dim. janv. 20, 2013 1:23 pm

oncle Joe : tu donnes un sens trop large (selon moi) au mot de réalité... La réalité change à chaque décision que tu prends, à chaque minute. Les lois générales ne se modifient pas, mais ce qui existe change. Selon que tu as bu trois cafés ou cinq ce matin, la réalité n'est pas la même.
je te renvoie à ma suggestion d'uchronie - si Louis XVI se marie avec une infante d'Espagne, la Révolution a-t-elle eu lieu? Là, c'est en grand, mais c'est la même chose que quand tu te verses un café...
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Lensman
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Message par Lensman » dim. janv. 20, 2013 1:41 pm

Perso, j'ai du mal à attribuer des qualités à la réalité, du genre changement, ou pas changement. Pour cela, il faudrait que je me place au-dessus, et cela ne veut rien dire pour moi. Je la prends donc la réalité comme une base non discutable. En revanche, la représentation de commodité que je m'en fait changer tout le temps (ce n'est pas la même chose).
Dans une fiction, je fais en lisant comme si j'étais le rapport habituel aux représentations habituelles de la réalité. s'il faut en changer (ce sont des éléments de la lecture donné par l'auteur qui peuvent y conduire), j'avise. Il n'est pas rare de devoir aviser, dans un texte de SF. Pas toujours, mais ce n'est pas rare, cela fait parti des petits avertissements que l'on a en tête quand on lit de la SF, de mon point de vue, en tout cas....

Oncle Joe
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Message par Fabien Lyraud » dim. janv. 20, 2013 1:52 pm

En sémiotique on distingue la vérité de la véridiction. L'oeuvre de fiction ne délivrera jamais une vérité sur le monde, on sera toujours dans un régime de véridiction. La réalité au sens où l'entend Simon est la seule entité où peut exister une vérité. La véridiction est une "vérité" relative. Des choses qui sont vraies dans l'oeuvre de fiction mais qui n'auront aucune vérité dans le monde réel.
La réalité est le seul endroit où il peut y avoir une vérité.
Je crois que je suis en train de complexifier le débat au lieu de la simplifier.
Bienvenu chez Pulp Factory :
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Le blog impertinent des littératures de l'imaginaire :
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Message par dracosolis » dim. janv. 20, 2013 2:06 pm

Fabien Lyraud a écrit :E
Je crois que je suis en train de complexifier le débat au lieu de la simplifier.
story of your life, dear^^
(mais c'est vrai également pour la plupart des férus de ce forum)^^
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Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » dim. janv. 20, 2013 2:09 pm

Lensman a écrit : j'admets avoir besoin d'imaginer qu'il y a une réalité posée, y compris si elle est changeante (cela ferait partie de ses caractéristiques). Mais j'ai besoin de la poser comme telle.
Oncle Joe
Ah Ah Ah !!! (rire sardonique)
Tu vas avoir des problèmes avec la théorie quantique. Nous sommes au cœur de nos débats épistémologiques. Cette réalité (je préfère le terme de réel) est au delà de toute mesure possible. La supposer, c'est l'adopter.
Et hop: en plein dans la métaphysique.

>Sil…
Je tiens à la distinction entre réalité (en gros au sens de M. W.) construite, faisant (plus ou moins) consensus et dans un domaine scientifique correspondant à un état des observations, mesures et théories, et réel, inaccessible bien que toute démarche intellectuelle (dont les sciences représentent une petite partie) cherche à atteindre, décrire et utiliser.

Cela posé, la distinction de Sil me semble claire: par exemple, on peut admettre dans le cadre d'un roman que des astronefs vont plus vite que la lumière. Cela n'infirme pas la relativité dans notre réalité et n'y autorise pas, jusqu'à plus informé, un astronef à dépasser la vitesse de la lumière. Le roman ou la nouvele n'a pas changé la réalité ni rendu compter de ce que nous subodorons du réel.
Modifié en dernier par Gérard Klein le dim. janv. 20, 2013 2:19 pm, modifié 1 fois.
Mon immortalité est provisoire.

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silramil
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Message par silramil » dim. janv. 20, 2013 2:12 pm

Gérard Klein a écrit : Et hop: en plein dans la métaphysique.
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Message par dracosolis » dim. janv. 20, 2013 2:13 pm

Essuie tes pieds Gérard, ça porte bonheur^^

sinon "la base non discutable" de la réalité demande à être définie, ça implique qu'il y ait une réalité réelle observable et relatable pareil par tous, et euh...comment dire ?


Perso je crois à ma nespresso comme base non discutable du réel
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Message par jeandive » dim. janv. 20, 2013 2:15 pm

suis " out " niveau philosophie , en tout cas la réalité ça n'existe pas , puisque c'est un point de vue humain , donc il y a interpretation ( meme au niveau des " lois " de l'univers ou autres ) : seul un point de vue extra-terrestre pourrait changer la donne ( et encore ) : d'ailleurs toute cette conversation n'existe pas , nous sommes des presences electroniques discutant au travers de bits informatique :D

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dracosolis
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Message par dracosolis » dim. janv. 20, 2013 2:16 pm

Bon le premier qui brandit Philip Kindred a un gage
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Monsieur W.
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Message par Monsieur W. » dim. janv. 20, 2013 2:30 pm

Hum, si tu désignes par "réalité" une "construction produite par le point de vue des humains", je ne crois pas que tu puisses saisir de quoi je parle, en effet
Je ne dirais pas "produite par le point de vue des humains" parce que ça fait très subjectiviste. Et puis, techniquement, nous n'avons aucun "point de vue" non humain pour comparer (enfin pour le moment). Mais pour vivre, les humains doivent bien se débrouiller comme ils peuvent, se confronter à la concrétude des choses. Ma philosophie est très pragmatiste. Si un accusé est déclaré coupable, il l'est aux yeux de ses victimes, des jurys et de l'instance judiciaire, il l'est donc réellement. Si dans la réalité telle que tu l'entends, il n'a commis aucun crime, de fait, il y a donc une erreur judiciaire, mais ça on ne pourrait le déterminer que s'il y a des éléments concrets pour le disculper. Si ces éléments ne sont pas trouvés ou révélés, alors il est réellement coupable et il purgera réellement sa peine.

Bon en tout cas, je comprends mieux à présent ta construction théorique. Je crois que nous sommes d'accord sur le désaccord, en quelque sorte.

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silramil
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Message par silramil » dim. janv. 20, 2013 2:33 pm

Monsieur W. a écrit :Si ces éléments ne sont pas trouvés ou révélés, alors il est réellement coupable et il purgera réellement sa peine.

Bon en tout cas, je comprends mieux à présent ta construction théorique. Je crois que nous sommes d'accord sur le désaccord, en quelque sorte.
Nous sommes d'accord sur le désaccord, en effet, mais j'espère que tu n'as pas une profession juridique ! :D
Ce dont on ne peut parler, il faut le faire.

Monsieur W.
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Message par Monsieur W. » dim. janv. 20, 2013 2:42 pm

Non non, je ne suis qu'un pauvre doctorant en sociologie.

Mais cela dit, c'est comme ça que les choses fonctionnent, non ? Il n'existe pas de réalité objective qui nous surplombe tous, au lieu de ça, on tâtonne, on enquête, jusqu'à ce qu'une réalité parmi d'autres soit acceptée socialement.

Bref, on s'égard peut-être. En tout cas je trouve ton optique très "sociologique" pour une analyse littéraire, quand tu dis, par exemple, vouloir : « déterminer de manière exhaustive ce que signifie écrire et lire de la science-fiction » (p.42). Je trouve ça très sociologique comme perspective. J'essai de rédiger une fiche sur les apports sociologique de ton livre. Mais ce n'est pas un exercice évident, le passage entre deux disciplines.

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