Lem a écrit :
Ce que je ne comprends pas bien, c'est la raison pour laquelle il ne faudrait considérer que cette justification pseudo-scientifique comme facteur décisif. Comme si l'autre terme de l'équation – le monde MR annexé – n'avait aucune importance, aucun impact, aucun rôle à jouer dans le plaisir de lecture.
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Il a certainement un impact, qui peut être fort, dans le plaisir de lecture.
Mais là, je pense (on peut ne pas être d'accord) que cela dépend entièrement du point de vue du lecteur sur le statut de la "croyance religieuse" et plus largement de la "métaphysique".
Si le lecteur pense que, derrière la religion, il y a "autre chose" qu'un simple (si j'ose écrire) phénomène socio-psychologico-physiologico- culturel et tout ce que l'on veut, qu'il y a effectivement une sorte de "deuxième monde" ou "monde supérieur", quel que soit le nom qu'on lui donne, où se trouverait les "Réponses" au pourquoi de tout, alors, il pourra tirer un certain intérêt particulier à la lecture (qui sera en harmonie avec ce que veut faire ressentir l'auteur, si ce dernier est dans la même disposition d'esprit que son lecteur, ou au moins, essaie d'écrire pour cette disposition d'esprit).
Mais si le lecteur est une espèce de mon genre, qui voit bien que la religion existe et occupe un place considérable, que, sans parler de "pure" religion, les questionnements "métaphysiques" taraudent des tas de gens, mais qui n'y est pas sensible, l'approche du texte n'est pas la même. Il ne prendra pas "au sérieux" les aspects qui pouraient être vus comme métaphysiques, sauf si, bien sûr, il voit que l'auteur les prend au sérieux (et à mon avis, et tu ne seras sûrement pas d'accord, ces sujets sont rarement pris au sérieux en SF, en ce sens qu'il n'y a généralement pas d'
enjeu de conviction religieuse ou métaphysique, il y a
jeu, parfois, mais pas
enjeu).
De plus, même pour un lecteur comme moi, il existe un "héritage" culturel lié à la religion, qui fait que des termes, des images d'origine sont connues et utilisées, sans pour autant que cela veille dire qu'elles conservent leur sens initial. Ce sont des éléments culturels, mais plus des éléments... de culte. Cela fait partie de la culture, c'est une manière de s'exprimer.
Le cas de Farmer est très intéressant. Pour moi, c'est un auteur qui a sans doute été "croyant" au sens croire "sincèrement" à la vérité d'une religion. Il l'est peut-être resté, croyant, à un certain niveau (nous ne sommes pas dans sa tête) mais de toute évidence, il a changé, par rapport à la croyance "naïve", disons au "premier degré", très "factuelle", de sa jeunesse.
Dans pas mal de ses textes, il s'amuse (et je fais exprès d'employer le terme "s'amuse") à rationnaliser des thématiques religieuses, en faisant justement comme si le religieux parlait du "factuel". Son défi est: "Comment justifier l'apparence physique de ce que dit la religion (par exemple, le Christ sort d'un tombeau, avec des trous partout, alors qu'il devrait être mort) en respectant les lois du monde physique? comment procéder à une résurrection comme c'est dit dans les textes religieux, mais en employant des moyens physiques?" La réponse est TOUJOURS la même chez Farmer: à chaque fois qu'on croit y arriver, ce n'est qu'une apparence, ce n'est pas une vraie résurrection avec ce qu'elle implique du point de vue de la religion, ce n'est pas une vraie immortalité (elle est tout de même limité par quelque chose, la durée physique de l'univers, par exemple, dont on ne peut pas se débarasser, rien à faire...).
Je pense qu'il a été très marqué par une forme de croyance "naïve", très terre à terre (ce qui est dans la Bible est factuelle vrai, à la virgule près), forme de croyance à laquelle nous ne sommes pas habitués, sous nos climats, mais courante aux USA.
Regarde sa fameuse nouvelle
Faire voile, où il essaie de faire fonctionner un univers comme si des croyances religieuses pouvaient servir de lois physiques... Cela ne marche pas "vraiment", mais la tentative est passonnante à suivre.
J'ai tendance à penser que Farmer est beaucoup plus apprécié par les lecteurs "mécréants" que par les lecteurs qui "s'interrogent" (comme on dit..) qui cherchent un Sens au monde, ou un Pourquoi, parce que les solutions que Farmer propose sont toujours, en définitive, spectaculaires, imaginatives, touchantes, MAIS en même temps ringardes.. Que d'efforts, pour ce qui n'est que de la prestidigitation un peu ratée.....Mais il fallait s'y attendre: comment pourrait-il en être autrement? (en tout cas, pour les lecteurs comme moi...)
Il est difficile (à mon sens, hein), d'être plus éloigné de la métaphysique que Farmer... sauf à supposer que le prestigitateur qui sort un lapin de son chapeau, c'est le même tour que le Christ qui multiplie les pains et les poissons.
Oncle Joe