Simon Bréan - La Science-fiction en France

Modérateurs : Eric, jerome, Jean, Travis, Charlotte, tom, marie.m

Répondre
Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » lun. nov. 26, 2012 6:23 pm

dracosolis a écrit : et j'ajoute que perso un intervalle de 50 piges pour juger si un livre est intégrable à un corpus ne parait ni exorbitant, ni malavisé
se foutre de la gueule des universitaires sur ce thème, et les traiter de frileux quand ils ne sont que méthodiques, patients et méticuleux et ne font que ce pour quoi ils sont créés et payés me semble un chouïa pas chié
en gros, il vaut mieux que les universitaires -- comme la Loi -- soient lents, toutes les autres options sont pires
Je m'inscris totalement en faux par rapport au discours de draco qui a trop parfaitement intériorisé les contraintes de Richelieu, par ailleurs ecclésiastique.
Ce n'est pas le rôle de l'université de définir un corpus éternel et immuable comme le lui prescrivait ainsi qu'à l'Académie le Cardinal avec d'évidentes visées politiques. Il s'y connaissait en orthodoxie.
Laissons au Vatican et à son bureau spécialisé le soin de définir la liste des saints.
Un corpus universitaire et même scolaire est destiné à évoluer et à être l'objet de controverses.

Le délai de cinquante ans me semble tout aussi absurde. Cela signifierait que les universitaires, aussi bien littéraires ou philosophes qu'historiens s'interdiraient de réfléchir à quoi que ce soit de postérieur à 1962. À la trappe, presque toute l'œuvre de Michel Foucault. Et celle de Bourdieu, etc.
En sciences sérieuses, je frémis à l'idée des conséquences.
Ça ne signifie pas que les universitaires doivent se prononcer en toge sur les prix littéraires de l'an dernier, mais qu'un délai de dix ans ou tout au plus de quinze permet déjà d'avoir le recul suffisant pour autoriser une réflexion éclairée. On pourra toujours la faire évoluer si besoin est.

C'est tout à l'honneur de Simon Bréan et de Natacha Vas-Deyres d'avoir examiné à la fois des œuvres plus récentes ET des œuvres relativement mineures mais qui marquent une étape ou un moment significatif, et de l'avoir fait malgré le conformisme ambiant dans leur milieu professionnel, parvenant avec courage et audace à le faire plier.
Je ne suis pas toujours convaincu par les Cultural Studies à l'américaine qui virent souvent au journalisme à peine informé, mais du moins elles engendrent de vigoureux débats et elles ne font pas l'impasse sur ce qui a pu se passer pour les deux générations précédentes.
Mon immortalité est provisoire.

Avatar du membre
bormandg
Messages : 11906
Enregistré le : lun. févr. 12, 2007 2:56 pm
Localisation : Vanves (300 m de Paris)
Contact :

Message par bormandg » lun. nov. 26, 2012 6:34 pm

Gérard Klein a écrit :
bormandg a écrit : Je sais ce qu'est la force de Coriolis. Ce que je demande c'est par quioi on la justifie dans un référentiel supposé fixe (c'est le reste de l'univers qui tourne autour de la Terre, alors).
Et pourquoi, si on envisage le paradoxe de Langevin à partir du référentiel du vaisseau, ce n'est pas le jumeau terrien qui reste jeune. J'avoue être (toujours) bloqué sur ces questions antiméta-physiques. :oops:
L'asymétrie est évidente dans le résultat d'une éventuelle expérience (d'ailleurs, à défaut de vaisseau spatial, on a pu vérifier sur des faisceaux de particules, non?), mais pourquoi faudrait-il la justifier par une accélération? Le changement temporel est lié à la vitesse, avec ou sans accélération, non? Surtout que, vu du référentiel vaisseau, c'est la Terre qui subit une accélération.
Je ne comprends pas bien ton problème avec la force de Coriolis:
la vitesse angulaire est constante tout au long du méridien, de l'équateur aux pôles;
en revanche la vitesse linéaire, tangentielle si tu préfères, décroit de l'équateur à l'un ou l'autre des pôles.
C'est de cette différence, si petite que soit la rotation sur l'axe des pôles, que nait la force de Coriolis.
Alors la rotation par rapport à quoi?
Au tout début du XXème siècle Ernst Mach disait par rapport aux étoiles lointaines. On ne dispose pas d'une meilleure réponse aujourd'hui, mais peut-être dirait-on par rapport à la masse moyenne de l'univers, ou encore à sa déformation moyenne uniforme.
Mach posait à ce propos une question intéressante. Dans notre univers si l'on fait tourner sur son axe vertical un seau plein d'eau, la surface de l'eau va se creuser et épouser une forme parabolique.
Mais disait Mach, si l'on imagine un univers entièrement vide et qu'on y place un seau empli d'eau qu'on fait tourner de même, l'eau restera strictement horizontale. Encore faut-il qu'on soumette le seau à une accélération le long de son axe pour que l'eau reste dans le seau.
La relativité générale prévoit que la rotation d'un corps sur lui-même provoque un entrainement de l'espace voisin par rapport à l'espace plus lointain et à sa déformation moyenne. Aucun repère absolu n'est défini de la sorte puisque tout est défini par rapport aux masses et mouvements de tous les corps.

En ce qui concerne le paradoxe des jumeaux, Langevin, si je me souviens bien, dans son texte à visée purement pédagogique, imagine que le jumeau voyageur s'éloigne instantanément du jumeau terrestre à une vitesse proche de celle de la lumière et change de direction tout aussi instantanément lors de son retour. Il escamote ainsi la question de l'accélération mais ne l'évacue pas, la supposant implicitement infinie, ce qui doit être assez inconfortable.
Ce sont bien les vitesses relatives qui produisent l'effet. Mais dans un cas le corps a été accéléré et l'autre pas. Il n'y a pas de symétrie. Pour accélérer le corps, il a fallu lui communiquer de l'énergie donc accroître sa masse (résiduelle si on le propulse par réaction).
Mon problème est celui-ci:
Dans les deux cas il y a un référentiel dans lequel il n'y a pas de forces ou de modifications internes au référentiel, et un autre dans lequel il faut introduire des contraintes (forces de Coriolis dans le repère tournant, ralentissement du temps dans le vaisseau luminique). Et prétendre regarder le mouvement du référentiel sans forces ou contraintes par rapport à celui supposé immobile quand on le choisit comme référentiel crée une asymétrie dérangeante pour la pensée relativiste.
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » lun. nov. 26, 2012 6:38 pm

Et je me souviens avec émotion de Marc Soriano (1918-1994), un très grand universitaire que j'ai connu grâce à Jacques Goimard, et qui n'a pas fait la carrière universitaire qu'il aurait méritée parce qu'il avait choisi comme sujet de thèse Charles Perrault (pensez: un conteur pour enfant) un peu avant 1968 et qu'il se livrait à d'inqualifiables écarts en incluant dans sa recherche la psychanalyse (voir son article dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse où il commet du reste une petite erreur d'interprétation que je lui avais signalée et qu'il avait reconnue) et un pan de sociologie marxisante.
Un esprit vraiment scandaleux pour son temps.
Mon immortalité est provisoire.

Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » lun. nov. 26, 2012 6:44 pm

bormandg a écrit : Mon problème est celui-ci:
Dans les deux cas il y a un référentiel dans lequel il n'y a pas de forces ou de modifications internes au référentiel, et un autre dans lequel il faut introduire des contraintes (forces de Coriolis dans le repère tournant, ralentissement du temps dans le vaisseau luminique). Et prétendre regarder le mouvement du référentiel sans forces ou contraintes par rapport à celui supposé immobile quand on le choisit comme référentiel crée une asymétrie dérangeante pour la pensée relativiste.
Pour la pensée relativiste au sens strictement galiléen oui, et c'est bien ce que nous faisait remarquer Estelle Blanquet.
Pour la pensée complètement relativiste au sens einsteinien (et même avant) il n'y a pas de problème. Voir là-dessus les derniers chapitres de La valeur de la science (vers 1905), de Henri Poincaré et accessoirement ma récente préface à Océaniques de Greg Egan.
Mon immortalité est provisoire.

Avatar du membre
Eons
Messages : 6338
Enregistré le : sam. févr. 17, 2007 6:49 pm
Localisation : Le cœur de Flandre
Contact :

Message par Eons » lun. nov. 26, 2012 6:50 pm

bormandg a écrit :Mon problème est celui-ci:
Dans les deux cas il y a un référentiel dans lequel il n'y a pas de forces ou de modifications internes au référentiel, et un autre dans lequel il faut introduire des contraintes (forces de Coriolis dans le repère tournant, ralentissement du temps dans le vaisseau luminique). Et prétendre regarder le mouvement du référentiel sans forces ou contraintes par rapport à celui supposé immobile quand on le choisit comme référentiel crée une asymétrie dérangeante pour la pensée relativiste.
C'est parce que tu sembles croire que parce que les choses sont relatives il y a forcément symétrie des situations, or cela n'est vrai que si celles-ci sont équivalentes dans le temps et l'espace, et ce n'est pas le cas pour les exemples en question.

Si A et B s'éloignent l'un de l'autre à vitesse croissante, il n'y aura symétrie que si tous deux accèlèrent de manière identique.

Si A tourne sur lui-même et donc voit B comme si ce dernier tournait autour de lui, B en revanche ne verra pas A tourner autour de lui.
Les beaux livres, c’est aussi par ici : www.eons.fr

Avatar du membre
silramil
Messages : 1836
Enregistré le : sam. oct. 18, 2008 8:45 am

Message par silramil » lun. nov. 26, 2012 7:19 pm

Pour ce qui est de la distance temporelle pour étudier des oeuvres, je dirais qu'il y a une différence entre faire de l'histoire littéraire et faire des études monographiques, mais que dans les deux cas c'est toujours risqué d'approcher de l'ultracontemporain (qu'on peut placer entre dix et trente ans avant le présent, il n'y a pas de consensus là-dessus).

Pour l'histoire littéraire, on manque de recul pour juger de la pertinence d'un phénomène. Par exemple, ce que je propose comme thématique d'ensemble de la science-fiction à un moment donné, sous le nom de "paradigme dominant", n'est pas facile à distinguer pour les années 2000 - est-ce parce que la nature de la science-fiction a changé (domaine plus diversifié? concurrence et convergence avec d'autres domaines? difficile à dire, et peut-être ne suis-je même pas capable d'envisager une bonne réponse) ? - est-ce parce que c'est trop récent pour que je le voie avec certitude?
En revanche, dans une telle démarche, on peut avec une certaine précision faire des remarques pertinentes sur des effets de prolongation, de persistance, de nouveauté, par rapport à des tendances repérées plus tôt. L'histoire littéraire, sans devenir du journalisme, permet alors de faire communiquer les oeuvres récentes avec la mémoire du domaine.

Pour les études monographiques (sur un auteur/une oeuvre), c'est délicat : on ne mesure pas facilement l'originalité d'une oeuvre récente - malgré toute la bonne volonté du monde, la théorie littéraire se construit toujours dans l'après-coup, sinon c'est une construction esthétique qui se déploie en parallèle d'une oeuvre.
Toujours est-il que les 50 ans évoqués par Draco me semblent tenir de l'hyperbole, pour marquer la différence entre faire une critique de circonstance sur une oeuvre récente, et proposer une étude informée d'une oeuvre une fois les passions refroidies.
Ce dont on ne peut parler, il faut le faire.

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » lun. nov. 26, 2012 7:35 pm

bormandg a écrit : mais pourquoi faudrait-il la justifier par une accélération? .
Heu... parce que les situations du vaisseau et de la Terre ne sont pas symétriques du point de vue de la physique, le vaisseau ne subit pas le même traitement physique que la Terre. On est en physique, là.

Oncle Joe

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » lun. nov. 26, 2012 7:39 pm

Gérard Klein a écrit : Il n'y a pas de symétrie..
Cette remarque me semble suffisante.
On voit d'ailleurs, en passant, que la relativité n'est pas si facile que cela à bien assimiler, y compris par des esprits qui sont très, très loin d'être des imbéciles. Alors, quand on parle de vulgarisation en mécanique quantique, je rigole doucement…

Oncle Joe

Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » lun. nov. 26, 2012 8:13 pm

> silramil

Le problème d'une période trop longue, c'est que l'oubli, parfois miséricordieux parfois tout simplement mensonger a fait son œuvre et les témoins souvent disparus.
Ce qui me frappe dans des domaines passablement différents, la fin de la guerre d'Algérie, que j'ai vécue sur place à un bon poste d'observation, la science-fiction française de l'après-guerre et le petit groupe de La Balance, et une personnalité aussi controversée que celle de Jacques Bergier que j'ai très bien connu entre disons 1954 et à peu près sa mort, c'est que quand j'en lis quelque chose, cela ne correspond trop souvent absolument pas au souvenir que j'en ai, certes lui-même incertain, mais parfois étayé par des documents peu trouvables.

C'est l'inconvénient ou l'avantage d'une vie longue aux avant-postes.
Elle laisse sur l'impression que l'Histoire est une fiction guère robuste appuyée sur des os, les documents quand il en reste, qui ne rendent pas justice à la chair disparue.
Mon immortalité est provisoire.

Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » lun. nov. 26, 2012 8:15 pm

Lensman a écrit :
Gérard Klein a écrit : Il n'y a pas de symétrie..
Cette remarque me semble suffisante.
On voit d'ailleurs, en passant, que la relativité n'est pas si facile que cela à bien assimiler, y compris par des esprits qui sont très, très loin d'être des imbéciles. Alors, quand on parle de vulgarisation en mécanique quantique, je rigole doucement…

Oncle Joe
Alors lis ma dernière préface pour Océaniques, de Egan.
Et sois gai. Ris donc.
Mon immortalité est provisoire.

Avatar du membre
Patrice
Messages : 3535
Enregistré le : jeu. mai 04, 2006 10:26 am
Contact :

Message par Patrice » lun. nov. 26, 2012 8:35 pm

Salut,
C'est l'inconvénient ou l'avantage d'une vie longue aux avant-postes.
Elle laisse sur l'impression que l'Histoire est une fiction guère robuste appuyée sur des os, les documents quand il en reste, qui ne rendent pas justice à la chair disparue.
C'est une impression que l'on peut aussi avoir quand on vient, comme moi, avec 40 ans de retard (pour le cas qui nous occupe). C'est valable aussi pour mes autres domaines de recherche. Les documents subsistants sont toujours, toujours frustrants.

A+

Patrice

Avatar du membre
silramil
Messages : 1836
Enregistré le : sam. oct. 18, 2008 8:45 am

Message par silramil » lun. nov. 26, 2012 9:01 pm

Eh oui, c'est pour ça que les historiens travaillent : pour lutter contre la disparition inévitable de la mémoire. Mais leur demander de travailler aussi sur de l'ultracontemporain, ça revient à exiger des paléontologues qu'ils exercent en même temps comme biologistes.
Pour l'ultracontemporain, on a les sociologues, par exemple.
Pour la littérature, on a la critique des journalistes, avant la critique des professeurs qui ne vient que bien plus tard.
Ce dont on ne peut parler, il faut le faire.

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » lun. nov. 26, 2012 9:12 pm

Gérard Klein a écrit : Et sois gai. Ris donc.
Je tourne ! j'entends des voix ! Rosny ! Gernsback ! ils me parlent !

Oncle Joe

Soleil vert
Messages : 505
Enregistré le : mar. déc. 26, 2006 2:17 am

Message par Soleil vert » lun. nov. 26, 2012 9:33 pm

Dieu :
Pendant la guerre il y avait une faim de lectures
Je garde d'ailleurs précieusement un bréviaire des echecs de Tartakover imprimé en 1940. Un ancien PG m'en avait fait cadeau 28 ans plus tard ... mais là dans une période d' inoccupation ... en 1968.

Avatar du membre
Patrice
Messages : 3535
Enregistré le : jeu. mai 04, 2006 10:26 am
Contact :

Message par Patrice » mar. nov. 27, 2012 9:39 am

Salut,
ça revient à exiger des paléontologues qu'ils exercent en même temps comme biologistes.
C'est déjà le cas!

A+

Patrice

Répondre

Retourner vers « Vos dernières lectures »