Lem a écrit :Lensman a écrit :Je prétends que cette quincaillerie est inhérente au genre.
C'est pourquoi j'ai proposé de faire une pause par un épisode sense of wonder. C'est pourquoi j'ai posé la question du futur lointain. Pour essayer, non pas de définir la sf, mais de recenser ce qui lui appartient en propre et serait éventuellement inassimilable par le dehors. On aurait dû avoir cette conversation. On peut toujours l'avoir.
Il me semble que ce qui appartient en propre à la science-fiction (au sens large, c'est-à-dire en y incluant l'imagination scientifique d'avant la subculture) c'est la position esthétique consistant à poser dans le cadre d'une fiction une réalité concrète alternative à la fois rationnelle et décalée par rapport à la réalité de référence. Il s'agit de poser comme s'ils étaient réels des objets dont il est acquis qu'ils n'existent pas, pour se poser à leur sujet des questions équivalant à celles que l'on se pose sur des objets de la réalité. La spéculation, dans le cadre du roman et de la nouvelle, correspond à un questionnement effectif sur des objets inexistants.
Ce qui distingue la science-fiction de la littérature générale, où peuvent se trouver de graves questions sur la réalité au travers de fiction, est la posture esthétique : la littérature générale ne fait pas comme si ses productions étaient concrètes, comme si elles existaient, elle joue librement avec des êtres d'encre et de papier.
Ce qui distingue la posture de la science-fiction de celle des deux autres courants matérialistes (= qui font comme si leurs productions étaient concrètes/réelles) est la nature de la simulation. La fantasy présente des objets concrets, mais qui ne sont pas rationnels et donc sur lesquels aucun questionnement ne peut porter. Le réalisme présente des objets concrets et calqués sur le réel, ce qui justifie en principe que des questions réelles puissent leur être appliquées, voire trouver des réponses.
Défendre la science-fiction comme source de questionnement effectif sur le monde est d'autant plus inconfortable que de nombreuses productions (le tout venant de la SF) ne posent de questions que de manière superficielle et que leurs réponses prennent la forme de clichés reproductibles à l'infini. pourtant, toute la production SF se trouve prise dans ce processus de questionnement.
L'hypothèse métaphysique défendue par Serge Lehman me paraît très intéressante, à cet égard : les questionnements qui traversent la science-fiction recoupent des interrogations sur la nature de l'espace et du temps, sur la place de l'homme dans l'univers, sur la multiplicité des mondes possibles, qui sont proprement métaphysiques.
(Note pour Joe : je n'ai pas dit "les sujets des récits", mais les "questions soulevées directement ou indirectement par ces récits"). bien sûr, personne n'est obligé de se poser de questions à partir de ces récits ; je les ai longtemps lus au premier degré, comme des occasions d'émerveillement.
les questionnements "métaphysiques" de la SF ont ceci de particulier qu'ils sont posés en termes concrets. On ne se contente pas de formuler, pour la forme, la possibilité d'une disparition de l'être humain, on la représente de multiples manières et avec force détails. On donne forme à ces mondes possibles laissés à l'état d'hypothèses de travail par les physiciens. On invente des cosmogonies et des fins de l'histoire, on réfléchit à toutes les formes de société possible, sans attendre que la réalité les justifie.
Et je rejoins également Lem pour considérer que l'état d'esprit de la science-fiction, en tant que tendance à se poser en termes concrets des problèmes n'existant pas immédiatement dans la réalité, n'est pas très répandu, ni très bien accueilli. Pour tout dire, c'est assez vain de perdre son temps dans ce type de spéculation, car le résultat apparent est bien maigre, surtout au départ. Ce n'est qu'après en avoir ingurgité un bon paquet que la science-fiction se met à porter ses fruits dans l'esprit de qui en lit.