dracosolis a écrit :c'est bien possible que j'ai intériorisé un discours, je n'en disconviens pas, et sans doute suis je politiquement suspecte de penser qu'une nation se définit sur un corpus commum (notamment culturel) qu'il revient à certains de définir et pas à d'autres
mais peut-être est-ce parce que je baigne dans des milieux où la base même de ce corpus est hors de portée de l'individu lambda et qu'il me revient tous les jours de le tirer jusqu'à lui tandis que toi la plupart des gens que tu croises y baignent comme poissons qui ont oublié ce qu'est l'eau, ne se rendent même pas compte qu'ils nagent et peuvent même faire des bonds hors de ce bain sans s'étouffer ou étouffer les voisins
en gros ce que je dis c'est qu'on peut pas faire dead poets dans le 93 ou le 20° : pour lutter contre le conformisme, il faut encore qu'il y ait une norme, qu'il ne parait pas exorbitant que l'université l'établisse en général, surtout si elles n'étouffent pas en prime les tentatives comme celles de Simon
Ce contre quoi j'ai protesté, c'est d'abord le délai d'un demi-siècle qui me semble insensé. Simon Bréan en parlant de la difficulté à estimer la production de moins de douze ans en sf propose une limite beaucoup plus pertinente et que j'accepte. Dix, douze, quinze ans, pas de problème.
Quand j'étais au lycée (j'ai eu mon bac en 1954), donc vers 1951 ou 1952, pas en première ni en philo, on nous a fait lire entre autres Sartre et en particulier sa nouvelle Le mur. Je me souviens encore d'une dissert sur cette nouvelle et l'absurde, et d'avoir fait remarquer que Sartre avait triché. Incidemment, ça m'a appris pas mal de choses sur l'écriture de nouvelles que j'entamais à l'époque. On lisait aussi Théophile Gautier, on n'était pas âgiste.
Lire Sartre, ça semblait tout à fait normal et il était loin d'être mort. La Nausée et Malraux, je crois que c'est plutôt à Science Po qu'on m'a fait lire ça.
Ainsi, je ne trouverais pas du tout anormal qu'on fasse lire Michel Houellebecq en première ou en terminale (dans des éditions expurgées évidemment, car ces pauvres bambins ne savent rien du sexe).
Quant au corpus, il suffit de regarder des littératures et choix de textes un peu anciens pour voir à quel point il a changé disons au cours des cent dernières années. Le corpus théorique, peut-être pas, mais le corpus effectivement enseigné, oui. Quand j'étais très jeune, Victor Hugo était honni, je n'ai jamais compris pourquoi. Moi dès l'âge de neuf ou dix ans je le lisais avidement dans la petite collection Nelson qu'avaient mes grands-parents. Si bien que quand j'ai été testé pour débilité légère à onze ans, je pouvais résumer et parfois citer des passages entiers de La Légende des siècles à des psychologues légèrement désorientés.
Beaucoup plus récemment, j'ai relu avec Lola, treize ou quatorze ans à l'époque, donc au collège, Les Fourberies de Scapin, évidemment jamais revu depuis ma scolarité.
Et je me suis aperçu que la langue était en grande partie incompréhensible pour cette jeune fille très intelligente mais peu liseuse, qui avait pourtant bénéficié pratiquement depuis sa naissance de mes contes et propos de table pendant toutes ses vacances. Moi-même, si je comprenais à peu près ce que je lisais (comme je comprends à peu près Shakespeare dans le texte), j'avais beaucoup de mal à l'expliciter.
Plus grave encore, les situations sociales lui échappaient complètement, comme à ses copines du reste qui s'en foutaient complètement et apprenaient par cœur ce qu'on voulait leur faire dire (ce que Lola faisait difficilement). Le rôle du père dans le choix d'un amant ou d'un fiancé, les relations sociales entre maître et valet, la question de l'héritage, et, je me mélange peut-être avec L'Avare (pas les textes sous la main), l'histoire inventée d'enlèvement et de pirates barbaresque, paraissaient à Lola complètement absurdes voire incompréhensibles.
Dans un autre champ, je me souviens d'avoir lu à haute voix devant un petit auditoire écroulé de rire les petits romans américains de Chateaubriand, Attala et cie. Je vous les recommande.
Le corpus nationaliste, c'est une évidence: à l'origine des langues, ou du moins de leur usage idéal, de toutes les nations européennes on place un auteur qui ne les a évidemment pas inventées: La Chanson de Roland en France ou qui on voudra, plutôt Molière (voir ci-dessus), Racine et Corneille, Shakespeare en GB, Goethe en Allemagne, Le Dante en Italie, Cervantès en Espagne, et sans doute Gernsback au Luxembourg.
Ça ne me gène pas du tout et je pense en effet qu'il faut un fonds culturel commun. Mais à le maintenir inchangé on s'expose à ce qu'il soit subi comme un pensum et aussitôt oublié, en tout cas jamais assimilé et qu'il laisse place entière au dernier manga.
Je sais très bien que les enseignants, fort heureusement, prennent des libertés avec le programme et essaient de bien choisir les textes de référence.
Mais ne faudrait-il pas donner un grand coup d'époussetage sur tout ça?
Je pense que je rejoins là-dessus les profondes réflexions de l'Oncle. l'enseignement actuel semble trop souvent fait pour les premiers de la classe et pour les enfants de profs, à ce que j'en vois.
La remarque vaut du reste pour l'enseignement des mathématiques. Lire là-dessus les livres de Mme Stella Baruk que j'ai rencontrée deux ou trois fois et qui explique très bien pourquoi les Français sont (en moyenne, notion déjà complexe) nuls en mathématiques.
Moi y compris qu'on a hélas complètement mais pas définitivement dégouté des maths au fil du secondaire.
Tout de même premier en maths en philo. Les autres étant plus nuls.
Mon immortalité est provisoire.