Une distinction telle que culture légitime et culture illégitime, par exemple, mise en avant par Pierre Bourdieu et qui renvoyait aux années 60 quand l'école et les familles soucieuses de léguer un patrimoine constituaient les principales instances de transmission. Aujourd'hui celles-ci sont multiples, liées aux industries culturelles et aux médias. Culture et distraction, culture savante et culture populaire, tout est mélangé. « Tout est sur la surface plane de l'écran, il suffit d'un clic pour passer du plus érudit au plus distractif, remarque Olivier Donnat. On peut même faire les deux en même temps, lire un texte sophistiqué en écoutant des chansons débiles. Certains sites s'attachent à mêler le plus sérieux et le plus fantaisiste. C'est le caractère inédit de l'outil Internet, par essence le lieu de l'impur. » On peut en concevoir des craintes ou au contraire en espérer des ouvertures, de nouveaux chemins pour accéder aux oeuvres les plus pointues. Toujours est-il que pour les jeunes générations la distinction entre culture légitime et culture illégitime est aujourd'hui largement vidée de son sens.
Du sense of wonder à la SF métaphysique
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- Roland C. Wagner
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Trouvé ici :
« Regarde vers Lorient / Là tu trouveras la sagesse. » (Les Cravates à Pois)
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"C'est le point."Lensman a écrit : une différence entre philosophie et métaphysique
Et c'est aussi une très belle question en soi, pas seulement ici...
Une journée sans débat, on se sent tout bizarre, je trouve.
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En même temps sur la question du rejet je fais plus confiance à la théorie de Jean Claude Dunyach. La Sf est une littérature de la métamorphose. Le lecteur de SF est amené à changer son point de vue sur le monde pour accepter le texte.
Bienvenu chez Pulp Factory :
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Le blog impertinent des littératures de l'imaginaire :
http://propos-iconoclastes.blogspot.com
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+ 1bormandg a écrit :La SF non plus, cf Boris Vian, Temps modernes, nov 1951 (l'intérieur de l'article, pas le titre antiphrase, bien sûr)Erion a écrit :D'abord, ce ne sont pas des "genres".
AHMé!
(Il faut bien que je me raccroche à un truc, 30 pages en un WE, ça dégaine vite ici...

Blague à part, dans cet article Vian rapporte également les critiques adressées à la SF (c'était l'époque où se créaient des collections spécialisées, sur le modèle du roman policier 30 ans plus tôt - un fait qui a sans doute beaucoup déterminé la mise à l'écart de la SF).
Et c'est quoi ? L'équation traditionnelle en France (et ailleurs sans doute) :
Imaginaire = Pas sérieux = Pour les enfants ou les illettrés.
Je suis d'accord avec Roland C. Wagner quand il dit quelque part que le critère "populaire" a joué dans la réception de la SF.
Si l'on prend un "précurseur" comme JH Rosny, et qu'on se demande : pourquoi, alors qu'il était reconnu par l'institution littéraire (il fut membre de l'Académie Goncourt, je le rappelle), s'est-il retrouvé exclu des histoires de la littérature ?
Peut-être parce que ses oeuvres avaient été repris dans des collections pour la jeunesse (celles d'Hachette, par exemple) ou dans des collections visant au délassement du public affecté par les contingences de la vie moderne (les éditions Cosmopolites, par exemple).
A partir du moment où la lecture s'est démocratisée, n'était-il pas inévitable qu'il se crée une ligne de partage entre une littérature "mainstream" et "underground" ?
Et si les choses restent plus ou moins en l'état depuis 1950, c'est plus sûrement par paresse intellectuelle que par rejet plus ou moins conscient : décréter que la SF est une sous-littérature, ça évite d'aller se faire une opinion par soi-même en en lisant...
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Dans sa préface à Retour sur l'horizon et dans l'inénarrable fil auquel je contribue enfin, Lem pose deux questions parfaitement claires auxquelles il est possible d'apporter des réponses raisonnées.
Lorsque certains le somment de donner une réponse "scientifique", ils introduisent un troll parfaitement absurde si l'on entend par là la réponse que peut donner un physicien à tel problème de son ressort, un ingénieur à un problème de résistance de matériau ou un épidémiologue à la question de la prévalence d'une maladie.
J'ai eu vingt-quatre ans de pratique sur le terrain à rechercher la solution de questions socio-économiques et socio-culturelles - et beaucoup plus si l'on y ajoute mes années d'éditeur, et à aucune de ces questions je n'ai n'ai jamais pu apporter, ni aucun de mes collègues , de réponse réellement "scientifique" au sens ci-dessus. Mais j'ai et nous avons souvent proposé des solutions qui se sont avérées efficaces quand elles ont été appliquées, ce qui n'a pas toujours été le cas. Il y a des savoirs là-même où il n'y a pas véritablement de sciences, sauf abus de langage.
De même quand on lui demande de présenter des textes à l'appuis de ses thèses, ce qu'il fait dans la mesure de ses moyens et qu'on lui rétorque que ce n'est jamais suffisant, on nage également dans l'absurde.
À aucune des questions qui m'ont été jadis posées, et qui étaient, croyez-moi, très concrètes, il n'y avait de réponse dans des textes préexistants. C'est même la raison pour laquelle on va sur le terrain et fait des enquêtes quand on en a les moyens, d'abord très qualitatives et très diverses et ensuite si l'on peut plus quantitatives. Le plus souvent, on finit par travailler "au doigt mouillé" en se fondant sur son expérience clinique. J'ajouterai que j'ai pratiqué ainsi en France, dans une grande partie de l'Europe et dans certains pays dits en voie de développement.
Cela juste pour rappeler que je ne suis pas né exactement de la dernière pluie pour ce qui est de problèmes disons socio-culturels. et qu'il n'est pas vraiment utile de me chercher sur ce terrain. J'ai pour faire bon poids également enseigné l'épargne des ménages au CNAM et l'économie à l'IEDES de François Perroux et longtemps après fait partie au CNAM du comité des doctorants pour la prospective sous la houlette de Michel Godet.
Bon, donc Lem pose deux questions.
La première est: y-a-t-il un déni opposé à la littérature de science-fiction en France depuis au moins un demi-siècle dans les milieux culturellement dominants et notamment dans la presse, l'audiovisuel voire la sphère politico-culturelle ?
La réponse est clairement oui.
Je n'aime pas trop le terme de déni, à la fois trop précis (il implique conscience et volonté) et trop général. Mais s'il recouvre une ignorance naïve ou délibérée, une occultation, un mépris, un dénigrement, un procès en dissolution, je l'accepte comme outil de travail.
Qui pratique ce déni? Largement l'intelligentsia ou la nomenklatura littéraire et culturelle, voire audiovisuelle, française (puisque nous ne nous intéressons ici surtout qu'à la France) avec bien entendu des exceptions sur lesquelles je reviendrai à l'occasion, et cela sur plus d'un demi-siècle. Il ne s'agit donc pas d'un problème de goût personnel de tel ou tel dont chacun est parfaitement libre, mais bien d'un problème collectif sur longue période donc susceptible d'une approche sociologique. Un symptôme en est évidemment la classique dénégation brandie à tel texte: ceci n'est pas de la science-fiction.
Il existe un ouvrage qui réunit les réactions négatives et positives d'environ six cents personnalités dont trois cents environs ont des textes cités: c'est l'Effet science-fiction, des frères Bogdanov, publié en 1979. En dehors de cet ouvrage, il faut aller à la pêche et le florilège ne manque pas même s'il faut ramer.
Par ailleurs, il se trouve que, de par mes différentes responsabilités, j'ai quelque peu fréquenté pendant un bon demi-siècle ce vaste et étroit milieu, fort divers, qui va des médias à la sphère politico-administrative et qui n'est pas, et de loin, exclusivement germano-pratin mais qui, s'il est principalement parisien, s'étend au moins aux 4°, 5°, 6°,7°,8°, 15° et 16° arrondissements plus au moins Neuilly et Boulogne. Même si je ne suis pas très mondain, je l'ai beaucoup rencontré et surtout beaucoup écouté. Appelons ça de l'ethnographie de terrain si l'on veut.
Toutes ces précautions sont simplement destinées à rappeler que je ne parle pas uniquement du haut de mon chapeau.
Donc ce milieu varié et divers, qui se prend pour une élite et se confond, toutes tendances politiques confondues, avec la classe dominante, manifeste en effet malgré quelques exceptions très notables, une opposition de fond à la littérature de science-fiction. Pourquoi, d'un point de vue de sociologue?
Quelques bonnes âmes, dont Erion, avancent deux idées supposément explicatoires et en tout cas contradictoires.
Ces braves gens ne s'intéressent pas à ça et il est inutile d'aller voir plus loin.
Cette littérature est de toute façon pour adolescents présumés attardés. Ce qui est méprisant, et pour les adolescents et pour cette littérature. Mais passons, au risque d'avoir à y revenir.
Les braves gens en question s'intéressent précisément beaucoup à la littérature pour adolescents, pour en parler, pour l'encourager, pour la censurer, pour l'orienter. Si la science-fiction était principalement une littérature pour adolescents - ce qu'elle est en partie, mais en partie seulement, et n'est pas dans sa sa plus grande partie-, l'élite en question (je prends ici le terme d'élite avec ironie si l'on en doute) s'y intéresserait au plus haut point.
Ensuite et peut-être surtout, dans ce milieu vaste et fluctuant mais néanmoins à la fois endogame jusqu'à l'inceste et solidaire dès qu'il s'agit de l'extérieur, certains aiment beaucoup cette littérature et il est intéressant de les écouter quand ils racontent le mépris dont ils sont accablés dès qu'ils en parlent et les obstacles qu'ils rencontrent dès qu'ils essaient de lui faire une petite place dans la presse, à la radio ou à la télévision. Cela depuis au moins cinquante ans.
On pourrait remonter beaucoup plus haut et montrer que dès le 19° siècle, la science-fiction archaïque a été reléguée dans la littérature pour adolescents, ce qui n'était pas l'intention d'Émile Souvestre avec Le Monde tel qu'il sera (1843/46) ni même du tout initialement celle de Jules Verne et évidemment encore bien moins celle de Rosny Aîné et de Maurice Renard, mais j'ai promis de m'en tenir au dernier demi-siècle.
Il y a donc un problème proprement sociologique. Comme j'essaierai de le montrer en évoquant certains de ses aspects, ce problème n'a pas concerné que cette espèce littéraire. Mais depuis cinquante ou soixante ans, il la concerne principalement.
À cette question, pourquoi ce déni dans ce milieu? question qui évoque immanquablement la théorie des champs culturels de Pierre Bourdieu et des luttes de pouvoir qui se déroulent entre ces champs et à l'intérieur de chaque, Lem propose une réponse qu'il baptise, maladroitement à mon avis, "variable cachée."
Il commence par poser que la science-fiction est une littérature qui, plus qu'aucune autre se construit autour de grandes questions philosophiques qu'il n'est pas absurde de qualifier de métaphysiques. J'en évoquerai deux, à titre d'exemple: y-a-t-il dans l'univers d'autres intelligences que l'humaine? Est-il concevable de produire une intelligence artificielle?
Il y en a des dizaines et vous les connaissez aussi bien que moi. La question de savoir si elles sont métaphysiques ou pas est parfaitement trollesque et elle est brandie par des gens qui par ignorance ou mauvaise foi affectent de confondre métaphysique et religion, et qui, par athéisme militant ce qui est tout à fait leur droit, déplacent la question de Lem là où elle n'a aucun intérêt pour personne ce qui n'est plus leur droit.
Donc Lem a parfaitement raison de proposer que de grandes questions philosophiques habitent la science-fiction et qu'elle est même la seule littérature à les travailler autant. (On pourrait du reste remonter aux libertins des 17° et 18° siècles qui faisaient de même mais là, je dérape.)
Ce n'est pas, comme Lem le dit lui même, une idée neuve. Elle est très explicite dans les textes de Jacques Goimard publiés dans Fiction à propos de Van Vogt , et dont je crois savoir qu'ils reparaîtront prochainement. Elle est souvent au moins implicite dans plusieurs préfaces de la GASF et en particulier dans les miennes. Elle a été reprise en connaissance de cause ou sans le savoir, c'est sans intérêt, par Guy Lardreau. Donc cette idée est assurément solide.
Explique-t-elle pour autant le déni par l'élite, de la science-fiction?
Comme Le Navire, je ne le pense pas. Mais alors vraiment pas.
D'abord parce que cette élite se contrefout en général de ces grandes questions sauf quand elles lui permettent de faire des effets de manche. Ces questions ont pu agacer dans les années 1950 quelques scientifiques mais de toute façon, leur avis n'a jamais eu la moindre importance. Par exemple, il était interdit d'évoquer la possibilité de vie ailleurs jusqu'à ce que la génération suivante de scientifiques inventent l'exobiologie, souvent après avoir lu de la science-fiction qu'ils citent abondamment dans leurs ouvrages de vulgarisation.
Ensuite parce que certaines de ces questions métaphysiques, en particulier celle de l'absurdité d'un monde sans sens parce que sans Dieu ont été assez largement évoquées dans des œuvres parfaitement académiques, celles de Sartre, Camus, Kafka, Ionesco, Beckett et bien d'autres. Sartre va même jusqu'à évoquer Wells sans le citer lorsqu'il parle de crabes errant sur une plage de la fin du monde (je crois que c'est dans Huis-clos mais des sartriens me corrigeront sûrement).
En bref, si la question est bonne, la réponse est mauvaise. Il faut donc chercher ailleurs.
Pour ma part, je vois quatre réponses fortes, pas forcément originales, et un assez grand nombre de raisons secondaires, l'ensemble formant un treillis assez consistant même s'il peut varier en composition d'un champ culturel à un autre.
(À suivre)
Lorsque certains le somment de donner une réponse "scientifique", ils introduisent un troll parfaitement absurde si l'on entend par là la réponse que peut donner un physicien à tel problème de son ressort, un ingénieur à un problème de résistance de matériau ou un épidémiologue à la question de la prévalence d'une maladie.
J'ai eu vingt-quatre ans de pratique sur le terrain à rechercher la solution de questions socio-économiques et socio-culturelles - et beaucoup plus si l'on y ajoute mes années d'éditeur, et à aucune de ces questions je n'ai n'ai jamais pu apporter, ni aucun de mes collègues , de réponse réellement "scientifique" au sens ci-dessus. Mais j'ai et nous avons souvent proposé des solutions qui se sont avérées efficaces quand elles ont été appliquées, ce qui n'a pas toujours été le cas. Il y a des savoirs là-même où il n'y a pas véritablement de sciences, sauf abus de langage.
De même quand on lui demande de présenter des textes à l'appuis de ses thèses, ce qu'il fait dans la mesure de ses moyens et qu'on lui rétorque que ce n'est jamais suffisant, on nage également dans l'absurde.
À aucune des questions qui m'ont été jadis posées, et qui étaient, croyez-moi, très concrètes, il n'y avait de réponse dans des textes préexistants. C'est même la raison pour laquelle on va sur le terrain et fait des enquêtes quand on en a les moyens, d'abord très qualitatives et très diverses et ensuite si l'on peut plus quantitatives. Le plus souvent, on finit par travailler "au doigt mouillé" en se fondant sur son expérience clinique. J'ajouterai que j'ai pratiqué ainsi en France, dans une grande partie de l'Europe et dans certains pays dits en voie de développement.
Cela juste pour rappeler que je ne suis pas né exactement de la dernière pluie pour ce qui est de problèmes disons socio-culturels. et qu'il n'est pas vraiment utile de me chercher sur ce terrain. J'ai pour faire bon poids également enseigné l'épargne des ménages au CNAM et l'économie à l'IEDES de François Perroux et longtemps après fait partie au CNAM du comité des doctorants pour la prospective sous la houlette de Michel Godet.
Bon, donc Lem pose deux questions.
La première est: y-a-t-il un déni opposé à la littérature de science-fiction en France depuis au moins un demi-siècle dans les milieux culturellement dominants et notamment dans la presse, l'audiovisuel voire la sphère politico-culturelle ?
La réponse est clairement oui.
Je n'aime pas trop le terme de déni, à la fois trop précis (il implique conscience et volonté) et trop général. Mais s'il recouvre une ignorance naïve ou délibérée, une occultation, un mépris, un dénigrement, un procès en dissolution, je l'accepte comme outil de travail.
Qui pratique ce déni? Largement l'intelligentsia ou la nomenklatura littéraire et culturelle, voire audiovisuelle, française (puisque nous ne nous intéressons ici surtout qu'à la France) avec bien entendu des exceptions sur lesquelles je reviendrai à l'occasion, et cela sur plus d'un demi-siècle. Il ne s'agit donc pas d'un problème de goût personnel de tel ou tel dont chacun est parfaitement libre, mais bien d'un problème collectif sur longue période donc susceptible d'une approche sociologique. Un symptôme en est évidemment la classique dénégation brandie à tel texte: ceci n'est pas de la science-fiction.
Il existe un ouvrage qui réunit les réactions négatives et positives d'environ six cents personnalités dont trois cents environs ont des textes cités: c'est l'Effet science-fiction, des frères Bogdanov, publié en 1979. En dehors de cet ouvrage, il faut aller à la pêche et le florilège ne manque pas même s'il faut ramer.
Par ailleurs, il se trouve que, de par mes différentes responsabilités, j'ai quelque peu fréquenté pendant un bon demi-siècle ce vaste et étroit milieu, fort divers, qui va des médias à la sphère politico-administrative et qui n'est pas, et de loin, exclusivement germano-pratin mais qui, s'il est principalement parisien, s'étend au moins aux 4°, 5°, 6°,7°,8°, 15° et 16° arrondissements plus au moins Neuilly et Boulogne. Même si je ne suis pas très mondain, je l'ai beaucoup rencontré et surtout beaucoup écouté. Appelons ça de l'ethnographie de terrain si l'on veut.
Toutes ces précautions sont simplement destinées à rappeler que je ne parle pas uniquement du haut de mon chapeau.
Donc ce milieu varié et divers, qui se prend pour une élite et se confond, toutes tendances politiques confondues, avec la classe dominante, manifeste en effet malgré quelques exceptions très notables, une opposition de fond à la littérature de science-fiction. Pourquoi, d'un point de vue de sociologue?
Quelques bonnes âmes, dont Erion, avancent deux idées supposément explicatoires et en tout cas contradictoires.
Ces braves gens ne s'intéressent pas à ça et il est inutile d'aller voir plus loin.
Cette littérature est de toute façon pour adolescents présumés attardés. Ce qui est méprisant, et pour les adolescents et pour cette littérature. Mais passons, au risque d'avoir à y revenir.
Les braves gens en question s'intéressent précisément beaucoup à la littérature pour adolescents, pour en parler, pour l'encourager, pour la censurer, pour l'orienter. Si la science-fiction était principalement une littérature pour adolescents - ce qu'elle est en partie, mais en partie seulement, et n'est pas dans sa sa plus grande partie-, l'élite en question (je prends ici le terme d'élite avec ironie si l'on en doute) s'y intéresserait au plus haut point.
Ensuite et peut-être surtout, dans ce milieu vaste et fluctuant mais néanmoins à la fois endogame jusqu'à l'inceste et solidaire dès qu'il s'agit de l'extérieur, certains aiment beaucoup cette littérature et il est intéressant de les écouter quand ils racontent le mépris dont ils sont accablés dès qu'ils en parlent et les obstacles qu'ils rencontrent dès qu'ils essaient de lui faire une petite place dans la presse, à la radio ou à la télévision. Cela depuis au moins cinquante ans.
On pourrait remonter beaucoup plus haut et montrer que dès le 19° siècle, la science-fiction archaïque a été reléguée dans la littérature pour adolescents, ce qui n'était pas l'intention d'Émile Souvestre avec Le Monde tel qu'il sera (1843/46) ni même du tout initialement celle de Jules Verne et évidemment encore bien moins celle de Rosny Aîné et de Maurice Renard, mais j'ai promis de m'en tenir au dernier demi-siècle.
Il y a donc un problème proprement sociologique. Comme j'essaierai de le montrer en évoquant certains de ses aspects, ce problème n'a pas concerné que cette espèce littéraire. Mais depuis cinquante ou soixante ans, il la concerne principalement.
À cette question, pourquoi ce déni dans ce milieu? question qui évoque immanquablement la théorie des champs culturels de Pierre Bourdieu et des luttes de pouvoir qui se déroulent entre ces champs et à l'intérieur de chaque, Lem propose une réponse qu'il baptise, maladroitement à mon avis, "variable cachée."
Il commence par poser que la science-fiction est une littérature qui, plus qu'aucune autre se construit autour de grandes questions philosophiques qu'il n'est pas absurde de qualifier de métaphysiques. J'en évoquerai deux, à titre d'exemple: y-a-t-il dans l'univers d'autres intelligences que l'humaine? Est-il concevable de produire une intelligence artificielle?
Il y en a des dizaines et vous les connaissez aussi bien que moi. La question de savoir si elles sont métaphysiques ou pas est parfaitement trollesque et elle est brandie par des gens qui par ignorance ou mauvaise foi affectent de confondre métaphysique et religion, et qui, par athéisme militant ce qui est tout à fait leur droit, déplacent la question de Lem là où elle n'a aucun intérêt pour personne ce qui n'est plus leur droit.
Donc Lem a parfaitement raison de proposer que de grandes questions philosophiques habitent la science-fiction et qu'elle est même la seule littérature à les travailler autant. (On pourrait du reste remonter aux libertins des 17° et 18° siècles qui faisaient de même mais là, je dérape.)
Ce n'est pas, comme Lem le dit lui même, une idée neuve. Elle est très explicite dans les textes de Jacques Goimard publiés dans Fiction à propos de Van Vogt , et dont je crois savoir qu'ils reparaîtront prochainement. Elle est souvent au moins implicite dans plusieurs préfaces de la GASF et en particulier dans les miennes. Elle a été reprise en connaissance de cause ou sans le savoir, c'est sans intérêt, par Guy Lardreau. Donc cette idée est assurément solide.
Explique-t-elle pour autant le déni par l'élite, de la science-fiction?
Comme Le Navire, je ne le pense pas. Mais alors vraiment pas.
D'abord parce que cette élite se contrefout en général de ces grandes questions sauf quand elles lui permettent de faire des effets de manche. Ces questions ont pu agacer dans les années 1950 quelques scientifiques mais de toute façon, leur avis n'a jamais eu la moindre importance. Par exemple, il était interdit d'évoquer la possibilité de vie ailleurs jusqu'à ce que la génération suivante de scientifiques inventent l'exobiologie, souvent après avoir lu de la science-fiction qu'ils citent abondamment dans leurs ouvrages de vulgarisation.
Ensuite parce que certaines de ces questions métaphysiques, en particulier celle de l'absurdité d'un monde sans sens parce que sans Dieu ont été assez largement évoquées dans des œuvres parfaitement académiques, celles de Sartre, Camus, Kafka, Ionesco, Beckett et bien d'autres. Sartre va même jusqu'à évoquer Wells sans le citer lorsqu'il parle de crabes errant sur une plage de la fin du monde (je crois que c'est dans Huis-clos mais des sartriens me corrigeront sûrement).
En bref, si la question est bonne, la réponse est mauvaise. Il faut donc chercher ailleurs.
Pour ma part, je vois quatre réponses fortes, pas forcément originales, et un assez grand nombre de raisons secondaires, l'ensemble formant un treillis assez consistant même s'il peut varier en composition d'un champ culturel à un autre.
(À suivre)
Modifié en dernier par Gérard Klein le mer. déc. 02, 2009 2:48 am, modifié 1 fois.
Mon immortalité est provisoire.
- Roland C. Wagner
- Messages : 3588
- Enregistré le : jeu. mars 23, 2006 11:47 am
Cher DieuGérard Klein a écrit :
Donc Lem a parfaitement raison de proposer que de grandes questions philosophiques habitent la science-fiction et qu'elle est même la seule littérature à les travailler autant. (On pourrait du reste remonter aux libertins des 17° et 18° siècles qui faisaient de même mais là, je dérape.)
Ce n'est pas, comme Lem le dit lui même, une idée neuve. Elle est très explicite dans les textes de Jacques Goimard publiés dans Fiction à propos de Van Vogt , et dont je crois savoir qu'ils reparaîtront prochainement. Elle est souvent au moins implicite dans plusieurs préfaces de la GASF et en particulier dans les miennes. Elle a été reprise en connaissance de cause ou sans le savoir, c'est sans intérêt, par Guy Lardreau. Donc cette idée est assurément solide.
Explique-t-elle pour autant le déni par l'élite, de la science-fiction?
À suivre)
Je trouve remarquable (caractéristique divine s'il en est) la manière dont tu as ramené les questions de Lem à des questions classiques (et passionnantes, d'ailleurs...), et en les dépouillant de tous les éléments qui m'avaient posé problème, notamment la polarisation sur la métaphysique (prudemment remplacée par la philosophie, ce qui ne va paraître curieux à personne), et en signalant en passant que certaines expressions de Lem ("déni" et "variable cachée") étaient maladroites...
Ce n'était donc que d'un peu de maladresse, dont il s'agissait... il est vrai que Lem n'est pas homme, d'habitude, à choisir ses mots...
Très bien! voilà les problèmes mieux posés, dépouillés de ces ambiguités génératrices de malentendus, de quiproquos et de dérives...
Oncle Joe
Je m'absente douze heures et une Entité essaie de prendre le contrôle de ce fil !
Merci, Joseph. Savoir valoriser ses interlocuteurs, c'est tout un art.
Pourvu que le prochain message de Gérard ne parle pas du mélodrame augmenté ou des voitures volantes sinon, je n'oserai plus jamais prendre la parole en public.Lensman a écrit :Je trouve remarquable la manière dont tu as ramené les questions de Lem à des questions classiques. (…) Voilà les problèmes mieux posés, dépouillés de ces ambiguités génératrices de malentendus, de quiproquos et de dérives
Merci, Joseph. Savoir valoriser ses interlocuteurs, c'est tout un art.
- Roland C. Wagner
- Messages : 3588
- Enregistré le : jeu. mars 23, 2006 11:47 am
Moi, je n'y suis pour rien... c'est l'art de Dieu de rétablir l'harmonie au sein de Ses créatures, au prix de quelques... simplifications...Lem a écrit :Je m'absente douze heures et une Entité essaie de prendre le contrôle de ce fil !
Pourvu que le prochain message de Gérard ne parle pas du mélodrame augmenté ou des voitures volantes sinon, je n'oserai plus jamais prendre la parole en public.Lensman a écrit :Je trouve remarquable la manière dont tu as ramené les questions de Lem à des questions classiques. (…) Voilà les problèmes mieux posés, dépouillés de ces ambiguités génératrices de malentendus, de quiproquos et de dérives
Merci, Joseph. Savoir valoriser ses interlocuteurs, c'est tout un art.
Oncle Joe
Ceci étant, je pose la question aux spécialistes : vu la manière dont on a défini la métaphysique, qu'est-ce qui sort de son champ dans la philosophie, du coup ?
Le seul que je connaisse en la matière, c'est Michel Foucault, quand il applique la philo au sociologique (les prisons, le sexe - sans amour, justement pour pas y mettre de métaphysique) et il est plutôt controversé à cause de ça.
Il y en a d'autres exemples ?
Le seul que je connaisse en la matière, c'est Michel Foucault, quand il applique la philo au sociologique (les prisons, le sexe - sans amour, justement pour pas y mettre de métaphysique) et il est plutôt controversé à cause de ça.
Il y en a d'autres exemples ?
"Ils ne sont grands que parce que vous êtes à genoux"
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- Messages : 1991
- Enregistré le : sam. févr. 03, 2007 11:20 pm
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Je pourrais essayer de te répondre par des développements de doctrines philosophiques et de l'histoire de la philo, mais je crois que si je recommence à faire comme j'ai fait sur ce fil, à savoir de longs aperçus (oxymore qui indique bien le caractère bancal et insatisfaisant de la chose), ça va encore tout embrouiller...Le_navire a écrit :Ceci étant, je pose la question aux spécialistes : vu la manière dont on a défini la métaphysique, qu'est-ce qui sort de son champ dans la philosophie, du coup ?
Le seul que je connaisse en la matière, c'est Michel Foucault, quand il applique la philo au sociologique (les prisons, le sexe - sans amour, justement pour pas y mettre de métaphysique) et il est plutôt controversé à cause de ça.
Il y en a d'autres exemples ?
Attendons le post de Gérard Klein, et puis la suite du dialogue avec Lem.
Bruno - http://systar.hautetfort.com