Pour une approche quantique de la SF par Claude Ecken

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Lem

Message par Lem » ven. janv. 28, 2011 4:41 pm

Lensman a écrit :on a l'étrange impression que la littérature n'est (presque) QUE sociologique, lorsqu'il s'agit de la caractériser (je ne parle même pas de définiton)
Il y a quand même une façon d'échapper au relativisme – même si elle est elle-même le consensus d'une époque, donc relative elle aussi. C'est l'idée d'autonomie de l'œuvre.

Est jugé littéraire tout texte qui s'autosuffit.

Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que si, en lisant la lettre d'un fou, on oublie que son auteur est fou pour se laisser embarquer par l'expérience de la lecture, l'expérience esthétique, cette lettre est de la littérature. Ça veut dire que si, en lisant une biographie, on échange à un moment "le désir d'avoir des informations sur une vie réellement vécue" contre le seul plaisir de lire, pour soi et en soi, en se foutant que ce soit vrai ou pas, c'est de la littérature. Etc.

Une autre manière de l'exprimer : quand la forme et le fond cessent d'être séparables, c'est de la littérature.

Et – pourquoi pas ? – un exemple qui ne t'aidera pas, qui te fera même ricaner mais que je trouve, pour ma part, étrangement pertinent. Un jour, au cours d'une émission télé, on a demandé à Derrida d'expliquer ce qu'était la déconstruction (sous-entendu de l'interviewer : c'est une notion très compliquée, pouvez-vous en donner une définition simple, compréhensible par tous ?) Derrida a réfléchi un bon moment et puis, il a finalement lâché : "la déconstruction, c'est l'Amérique."

Cette phrase, c'est de la littérature. Tu vois ce que veux dire ? (1)


(1) Non ? Bon.

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Lensman
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Message par Lensman » ven. janv. 28, 2011 4:42 pm

Erion a écrit :Hm, je sens venir un urinoir dans la conversation, là.
Et en plus, très trivialement, j'ai justement envie d'aller pisser. Sans doute une coïncidence significative...
Oncle Joe

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silramil
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Message par silramil » ven. janv. 28, 2011 4:45 pm

L'existence de "ready-made" en littérature n'implique pas que ce soit la logique par excellence de l'intégration de choses extérieures à la littérature.

Pour donner un exemple archaïque, les hymnes grecs sont au départ des chants religieux, préexistant à la littérature grecque. Ils ont été intégrés à la littérature grecque parce qu'ils ont des caractéristiques identifiées à des genres littéraires (versification) et parce que certains poètes ont repris la forme pour faire des oeuvres d'art.
L'acte d'intégration n'est pas lié à un artiste décidant ce qui est ou non de la littérature.
Ce dont on ne peut parler, il faut le faire.

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silramil
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Message par silramil » ven. janv. 28, 2011 4:46 pm

En fait la littérature c'est du sense of wonder.
Ce dont on ne peut parler, il faut le faire.

Lem

Message par Lem » ven. janv. 28, 2011 4:58 pm

Voilà une avancée significative.

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » ven. janv. 28, 2011 4:59 pm

Et le sense of wonder ne s'use que si l'on s'en sert ?

En fait, je passais juste pour dire que ça sera sans moi, cette fois.

J'ai comme qui dirait une uchronie à relire.
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Lensman
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Message par Lensman » ven. janv. 28, 2011 5:03 pm

Lem a écrit :.

Est jugé littéraire tout texte qui s'autosuffit.

Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que si, en lisant la lettre d'un fou, on oublie que son auteur est fou pour se laisser embarquer par l'expérience de la lecture, l'expérience esthétique, cette lettre est de la littérature. Ça veut dire que si, en lisant une biographie, on échange à un moment "le désir d'avoir des informations sur une vie réellement vécue" contre le seul plaisir de lire, pour soi et en soi, en se foutant que ce soit vrai ou pas, c'est de la littérature. Etc.
Je vois bien ce que tu veux dire, mais dans ce cas, pour moi, c'est le lecteur qui devient l'auteur .
Le texte n'est alors qu'un simple "déclancheur". Ce n'est pas rien, je n'en nie pas l'importance, mais j'ai bien du mal à voir le texte en question comme "autosuffisant". C'est presque le contraire: le texte n'est alors qu'un catalyseur, qui n'a fait QUE susciter la vocation d'"écrivain mental" du lecteur (si j'ose écrire).
J'aime l'idée, mais ça me semble un peu rude pour les malheureux écrivains.
Oncle Joe

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Erion
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Message par Erion » ven. janv. 28, 2011 5:09 pm

Lem a écrit : Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que si, en lisant la lettre d'un fou, on oublie que son auteur est fou pour se laisser embarquer par l'expérience de la lecture, l'expérience esthétique, cette lettre est de la littérature. Ça veut dire que si, en lisant une biographie, on échange à un moment "le désir d'avoir des informations sur une vie réellement vécue" contre le seul plaisir de lire, pour soi et en soi, en se foutant que ce soit vrai ou pas, c'est de la littérature. Etc.
Je ne vois pas en quoi ce serait une définition non relativiste. Est-ce qu'un texte de Greg Egan est auto-suffisant ou faut-il connaître des concepts de physique fondamentale pour le comprendre ? Est-ce qu'une uchronie est auto-suffisante ou faut-il connaître l'histoire réelle pour l'apprécier ?
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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Message par Lem » ven. janv. 28, 2011 5:15 pm

Lensman a écrit :Je vois bien ce que tu veux dire, mais dans ce cas, pour moi, c'est le lecteur qui devient l'auteur
C'est la théorie de Barthes : "Des débats se sont ainsi ouverts portés par les créateurs comme par les universitaires et les critiques, par exemple à propos du lien entre l'œuvre et l'auteur récusé par Proust contre Sainte-Beuve, ou de la « mort de l'auteur » que proclame Roland Barthes pour qui la place majeure revient au lecteur qui réécrit le texte pour lui-même."

Et d'une manière générale, c'est le plus petit commun dénominateur définitionnel, comme le disait l'extrait wiki que j'avais posté plus haut : "la littérature est d'abord la rencontre entre celui qui, par ses mots, dit lui-même et son monde, et celui qui reçoit et partage ce dévoilement."
Le texte n'est alors qu'un simple "déclancheur". Ce n'est pas rien, je n'en nie pas l'importance, mais j'ai bien du mal à voir le texte en question comme "autosuffisant". C'est presque le contraire: le texte n'est alors qu'un catalyseur, qui n'a fait QUE susciter la vocation d'"écrivain mental" du lecteur (si j'ose écrire).
J'aime l'idée, mais ça me semble un peu rude pour les malheureux écrivains.
Expérience de pensée borgésienne : Kafka se réveille un matin de 1910 et tout le monde a disparu sur la Terre. Un mystérieux cataclysme s'est produit, le laissant seul survivant. N'ayant rien d'autre à faire, Kafka s'assied à sa table et commence à écrire cette nouvelle expérience de la condition humaine.

Question : s'il n'y a, par définition, personne pour lire son texte, est-ce de la littérature ?

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Erion
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Message par Erion » ven. janv. 28, 2011 5:17 pm

Lem a écrit : Question : s'il n'y a, par définition, personne pour lire son texte, est-ce de la littérature ?
La dernière fois que j'ai osé suggéré ça, Transhumain m'a envoyé une insulte :)
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Lensman
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Message par Lensman » ven. janv. 28, 2011 5:20 pm

Erion a écrit :
Lem a écrit : Question : s'il n'y a, par définition, personne pour lire son texte, est-ce de la littérature ?
La dernière fois que j'ai osé suggéré ça, Transhumain m'a envoyé une insulte :)
Oui, mais une insulte de Transhumain, c'est de la littérature , voyons!
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Message par Lem » ven. janv. 28, 2011 5:21 pm

Erion a écrit :Je ne vois pas en quoi ce serait une définition non relativiste. Est-ce qu'un texte de Greg Egan est auto-suffisant ou faut-il connaître des concepts de physique fondamentale pour le comprendre ? Est-ce qu'une uchronie est auto-suffisante ou faut-il connaître l'histoire réelle pour l'apprécier ?
C'est non-relativiste parce que ça découple le lien entre l'auteur, son monde, et l'œuvre elle-même. Shakespeare est grand même si on ne connaît rien à l'Angleterre du XVIème siècle. Borgès idem, même si on ignore tout de l'Argentine des années 30, des systèmes de classement en bibliothèque, de sa cécité, etc. J'imagine que pour Egan et l'uchronie, la réponse est la même.

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silramil
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Message par silramil » ven. janv. 28, 2011 5:27 pm

On va essayer avec une autre approche.

Le langage a de multiples usages.
Il sert, de manière évidente, sinon première, à communiquer. Un être pensant utilise le langage pour informer son interlocuteur sur divers sujets.
L'annuaire, un dictionnaire, une encyclopédie, un manuel d'histoire, un ouvrage critique sont des formes diverses de cet usage. Il s'agit de communiquer des informations à un destinataires.

Il sert aussi à imposer sa volonté au monde. C'est l'usage dit "performatif". Quand quelqu'un donne un ordre, quand un texte de loi est voté et transcrit en décret, c'est pour faire changer le monde (à un degré parfois minime). Sans le langage, la transformation n'aurait pas eu lieu.
Les codes de loi, les codes religieux, se servent de ce type d'usage.

Lorsque le langage est employé pour développer une pensée, comme dans un article d'opinion ou un essai philosophique, on est dans un usage intermédiaire - il s'agit d'informer et de dessiner une nouvelle forme au monde dans le même genre de geste. Le langage est alors à la fois descriptif et prescriptif.

Le langage peut également servir une fonction esthétique. Le premier axe de cette fonction esthétique est la gratuité - il ne s'agit pas d'informer ni de changer quoi que ce soit. Néanmoins, l'habileté de l'auteur peut consister à redoubler plus ou moins discrètement la fonction esthétique d'une fonction descriptive ou prescriptive.

Lorsque un texte est le produit de la fonction esthétique, il a sa place dans la littérature. Cela ne signifie pas qu'il est écrit "pour faire joli". ça veut dire qu'il est, à un niveau ou un autre, diffusé et lu pour autre chose qu'informer ou changer le monde. Simplement pour être lu.
Ce dont on ne peut parler, il faut le faire.

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Message par Erion » ven. janv. 28, 2011 5:30 pm

Lem a écrit :
Erion a écrit :Je ne vois pas en quoi ce serait une définition non relativiste. Est-ce qu'un texte de Greg Egan est auto-suffisant ou faut-il connaître des concepts de physique fondamentale pour le comprendre ? Est-ce qu'une uchronie est auto-suffisante ou faut-il connaître l'histoire réelle pour l'apprécier ?
C'est non-relativiste parce que ça découple le lien entre l'auteur, son monde, et l'œuvre elle-même. Shakespeare est grand même si on ne connaît rien à l'Angleterre du XVIème siècle. Borgès idem, même si on ignore tout de l'Argentine des années 30, des systèmes de classement en bibliothèque, de sa cécité, etc. J'imagine que pour Egan et l'uchronie, la réponse est la même.
Et "Le zéro et l'infini" ? Est-ce que l'intérêt est le même si on connait les procès de Moscou ou pas ? Même "la Plaisanterie" de Kundera, est-ce que ça résonne différemment en dehors du contexte du système totalitaire ? Est-ce que tout cela ne dépend pas de nos conceptions sociales, du contexte littéraire ?
Qu'il y ait des oeuvres plus universelles que d'autres, d'accord, mais est-ce que ça définit la littérature ? Je suis à peu près certain, qu'on trouvera bien des exemples un peu troubles et obliques par rapport à ta définition.
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Message par Lensman » ven. janv. 28, 2011 5:34 pm

Lem a écrit :Question : s'il n'y a, par définition, personne pour lire son texte, est-ce de la littérature ?
Il y a Kafka lui-même, donc c'est de la littérature (je pars de l'dée que Kafka pensait écrire de la littéature...). Par contre, si c'est le type chargé de rédiger les annuaires, qui se met à recopier des adresses pour faire un annuaire (qui ne servira à rien..), je dirais non (le malheureux est juste fou tout court, ce qui est bien compréhensible..). Pour que ça en devienne, il faudrait l'arrivé de Breton, et ça complique trop l'expérience.
Oncle Joe

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