Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lensman
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Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 5:48 pm

Shalmaneser a écrit :
Je reviens rapidement sur la question de la vérité intrinsèque du livre, hors de tout rapport au lecteur : comme le soulignait Gérard, c'est une question bien complexe, qui a suscité bien des débats... Je voulais simplement suggérer que même si le texte ne saurait exister sans la lecture, celle-ci ne peut le plier entièrement à sa volonté, lui imposer n'importe quelle interprétation. Le texte porte quelque chose qu'il s'agit d'interpréter : pour moi, au bout du compte, le sens est dans le livre, et non à proprement parler dans la lecture, qui est pourtant indispensable à son effectuation.
J'avoue ne pas avoir de connaissance théorique sur le sujet, et il faudrait eddectivement que je m'intéresse aux différentes approches.
Mais j'ai tendance à penser qu'il a des interactions multiples mettant en jeu auteur-texte-lecteur qui rendent forcément partiel (et partial) le fait de se polariser sur un seul élément. Une fois que j'ai dit ça, ça n'éclaire pas grand chose, sauf à suggérer que c'est pour le moins complexe...
Oncle Joe

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » jeu. déc. 17, 2009 6:05 pm

Gérard Klein a écrit :
Lensman a écrit :
silramil a écrit :
Lensman a écrit : Pourtant, je crois voir deux modes de fonctionnement différents, et j'ai l'impression que cette différence est pour une très grande part dans la prégnance de la SF américaine. En tout cas, pour ma part, je creuserai.
Oncle Joe
poétique de l'anomalie pour le roman scientifique.
littérature collective, fonctionnant sur un intertextualité visible, pour la science-fiction.
reprendre une idée pour la développer n'est pas du plagiat pour un auteur de science-fiction, alors que pour un auteur de roman scientifique, c'est au mieux une faute de goût, au pire une raison de procès.

Voir à cet égard les polémiques dans Fiction à propos de L'Homme qui rétrécit, que certains voyaient comme un plagiat inavoué de Maurice Renard, mais que les critiques les plus pertinents de la science-fiction ont vu comme la reprise d'un thème n'appartenant à personne.
Remarquable exemple!
Oncle Joe
Sauf que, désolé, Renard n'a rien écrit sur le rétrécissement de l'homme, mais Marc Wersinger qui publie dans Le Figaro en 1947 (j'ai dix ans et je le lis en ramenant le journal à mon grand-père) La Chute dans le néant, que je reprendrai en Ailleurs et demain:classiques en 1972. Jacques Spitz si l'on veut, avec L'Homme élastique.
Quel que soit le sujet dont on parle, un minimum de culture et de précision sied.
Matheson plagie, sans doute sans le savoir, Wersinger.
Je plaide coupable. J'avais oublié Un homme chez les microbes, de Maurice Renard que me signale Oncle Joe. Oubli significatif car ça n'a jamais été mon préféré chez Renard.
Mais le Wersinger est beaucoup plus proche du Matheson, au point qu'on pourrait croire qu'il l'a inspiré si la probabilité que Matheson l'ait lu ou même en ait entendu parler n'était si faible.
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Lensman
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Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 6:14 pm

Gérard Klein a écrit : Mais le Wersinger est beaucoup plus proche du Matheson, au point qu'on pourrait croire qu'il l'a inspiré si la probabilité que Matheson l'ait lu ou même en ait entendu parler n'était si faible.
Disons que ça peut être utilisé comme preuve indirecte de la transmission (consciente ou inconsciente?) de pensée à travers le temps. C'est déjà ça!
Oncle Joe

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » jeu. déc. 17, 2009 6:15 pm

silramil a écrit :
Gérard Klein a écrit : Sauf que, désolé, Renard n'a rien écrit sur le rétrécissement de l'homme, mais Marc Wersinger qui publie dans Le Figaro en 1947 (j'ai dix ans et je le lis en ramenant le journal à mon grand-père) La Chute dans le néant, que je reprendrai en Ailleurs et demain:classiques en 1972. Jacques Spitz si l'on veut, avec L'Homme élastique.
Quel que soit le sujet dont on parle, un minimum de culture et de précision sied.
Matheson plagie, sans doute sans le savoir, Wersinger.
Hum, je faisais référence au débat qu'on trouve dans les colonnes de Fiction (n° 45, 47 et 48, août - octobre novembre 57) « A propos de l'affaire Renard-Matheson » , qui comme Lensman le rappelait portait sur Un homme chez les microbes et l'Homme qui rétrécit. je n'ai que mes notes sous les yeux et je ne sais si tu mentionnais Marc Wersinger à l'époque, mais c'est très probable.
J'ai déjà plaidé coupable et j'espère l'indulgence du jury. Une peine d'intérêt collectif comme la poursuite de mon feuilleton serait acceptable.
Mais ce qui m'épate, c'est la précision bibliographique. Fiction aurait-il été mis sur une base de données. J'ai la collection, mais de là à tout relire pour trouver la référence… j'en suis déjà bien incapable concernant mes propres critiques.
Ou alors, c'est la biblio d'Henriet, fort utile qui est mise à contribution?
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Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 6:19 pm

Gérard Klein a écrit :
silramil a écrit :
Gérard Klein a écrit : Sauf que, désolé, Renard n'a rien écrit sur le rétrécissement de l'homme, mais Marc Wersinger qui publie dans Le Figaro en 1947 (j'ai dix ans et je le lis en ramenant le journal à mon grand-père) La Chute dans le néant, que je reprendrai en Ailleurs et demain:classiques en 1972. Jacques Spitz si l'on veut, avec L'Homme élastique.
Quel que soit le sujet dont on parle, un minimum de culture et de précision sied.
Matheson plagie, sans doute sans le savoir, Wersinger.
Hum, je faisais référence au débat qu'on trouve dans les colonnes de Fiction (n° 45, 47 et 48, août - octobre novembre 57) « A propos de l'affaire Renard-Matheson » , qui comme Lensman le rappelait portait sur Un homme chez les microbes et l'Homme qui rétrécit. je n'ai que mes notes sous les yeux et je ne sais si tu mentionnais Marc Wersinger à l'époque, mais c'est très probable.
J'ai déjà plaidé coupable et j'espère l'indulgence du jury. Une peine d'intérêt collectif comme la poursuite de mon feuilleton serait acceptable.
Mais ce qui m'épate, c'est la précision bibliographique. Fiction aurait-il été mis sur une base de données. J'ai la collection, mais de là à tout relire pour trouver la référence… j'en suis déjà bien incapable concernant mes propres critiques.
Ou alors, c'est la biblio d'Henriet, fort utile qui est mise à contribution?
Je me demande, plus prosaïquement, si ce n'est pas parce que le jeune Silramil travaille (sérieusement) sur la SF française... Il devait presque (?) être en face de toi lors du couscous de Sèvres...
Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le jeu. déc. 17, 2009 6:21 pm, modifié 1 fois.

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Message par MF » jeu. déc. 17, 2009 6:20 pm

Gérard Klein a écrit :>Oncle Joe
Les dinosaures existaient avant le mot. Enfin, je le crois.
Le roman policier aussi.
Et donc, pourquoi pas la science-fiction.
Même les quarks existaient bien avant Joyce.
En général, les choses existent avant qu'on ne les nomme. C'est même parce qu'on les rencontre qu'on finit par les nommer.
Mouarf !

Même le terme "inventeur" pose problème...
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » jeu. déc. 17, 2009 6:26 pm

Lensman a écrit : Je me demande, plus prosaïquement, si ce n'est pas parce que le jeune Silramil travaille (sérieusement) sur la SF française... Il devait presque (?) être en face de toi lors du couscous de Sèvres...
Oncle Joe
Oui, on a même eu une excellente conversation qu'on reprendra. Je lui présente mes excuses pour mon doute sur sa culture et sa précision. Mais dans le feu de l'action, à je ne sais plus quelle heure du matin…
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Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 6:30 pm

Gérard Klein a écrit : sa culture et sa précision
Ils se mettent à être précis... on ne peut plus lutter...
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 6:51 pm

Je vais commencer par la fin du post de MF, ça me semble plus logique.
Mais si tu continues à prétendre œuvrer pour la reconnaissance du genre par les p'tits gars qui décident, je ne suis pas certain que déterrer le cadavre de Renard pour leur agiter sous le nez soit un moyen efficace. Je crains qu'il ne le regarde que pour ce qu'il est : au mieux un vestige du passé et au pire un fantôme à vite fuir
C'est peut-être une chose que j'ai insuffisamment soulignée dans le débat jusquici : je fais un pari, je ressens quelque chose de flou, de difficile à cerner concernant le problème du déni et j'ai l'intuition qu'il y a quelque chose à faire du côté de l'Histoire (voir plus bas, j'essaie d'élucider ça). Mais ce n'est qu'un pari, sans garantie. Je le fais d'abord pour moi, comme critique et auteur – pour me sentir "davantage chez moi". Que Renard fasse ricaner les prescripteurs m'indiffère, tout comme m'indiffère leur ricanement devant Gernsback : les deux sont structurants pour l'histoire de la SF en France et je n'ai l'intention d'éliminer ni l'un ni l'autre pour entrer dans quelque moule que ce soit. Pas plus que je n'éliminerai le fleuve Noir qui a joué un certain rôle. Pour comprendre la SF, il faut tout prendre comme beaucoup l'ont dit ici. Mais "tout", en France, ça suppose Renard (et le siècle qui le précède). Est-ce plus clair ?
Ce qui, je dois bien le reconnaître, m'enthousiasme moins. Non pas qu'écrire, de nouveau (ça me semble préférable à un malheureux réécrire que j'ai vu passer et qui a dû en troubler, voire en faire fuir plus d'un), l'histoire de la SF ne puisse pas avoir d'intérêt. "Prétendre à avoir un avenir nécessite de connaître son passé et d'accepter vivre dans le présent" disais je ne sais quel soit-disant "philosophe" du petit écran.
L'ambiguité entre "réécrire" et "écrire de nouveau" est significative.
"De nouveau" impliquerait qu'il existe une histoire de la SF en France, ce qui n'est pas le cas. La seule histoire disponible (et ayant apparemment eu assez d'impact, bien que non-savante, pour influencer les rédacteurs de dictionnaires) est entièrement centrée sur le point de vue américain. Il s'agit donc bien de "réécrire", non pas en niant ou falsifiant l'histoire sadoulienne, mais en déplaçant le point de vue pour qu'il rende compte des choses telles qu'elles se sont passés ici, dans l'ordre où elles se sont passées. Les nuances ne sont pas évidentes à poser, j'admets.
MF a écrit :[J'avoue toutefois, qu'au fur et à mesure de la progression, j'ai le sentiment de te voir abandonner, un à un, les oripeaux de l'anthologiste pour apparaître dans le nu rayonnement de l'historien littéraire. Qu'est devenue la métaphysique ? Où sont passés les raisons de la fin du déni ?
L'hypothèse M a fait l'objet de ma part d'une attention particulière parce qu'elle est la petite dernière. Dans la préface d'Escales, il y a onze ans, j'a traité avec une profondeur relative le déni par la science (avec l'histoire de la Grande Guerre comme point de rupture), étudié les malentendus autour du mot "science-fiction" (où il s'avère que "fiction" aussi est problématique en France), regardé un peu ce qui tournait autour de l'anti-américanisme et de la mauvaise réputation du texte. M s'ajoute à ce dispositif.
Mais d'un point de vue historique, il n'est pas du tout dans mon intention d'écrire une histoire spécifique des rapports SF-métaphysique (dans ce domaine comme dans d'autres, je dois me contenter d'une approche généraliste, non-spécialisée contrairement à Systar). Ce que j'aimerais, c'est une histoire "culturelle" (au sens le plus large), c'est à dire prenant en compte l'évolution des sciences, la question littéraire, le système éditorial, les rapports avec l'illustration, le cinéma, la bande dessinée quand ça devient pertinent et aussi des domaines sulfureux comme l'ésotérisme (très important au XIXème et à mon avis encore au début du XXème), les fausses sciences, etc. La métaphysique et la religion prennent place dans ce dispositif. On peut sans doute leur affecter un certain nombre de relations explicatives mais elles ne seront pas en position centrale.
Si tu ne traces pas quelques lignes de force de l'avenir ("Hé, les p'tits gars, la SF ça déchire sa race, ça a une histoire à faire pleurer Margot, ça cocoricote à tout va, mais, mieux, ça produit du texte qui cause aux lecteurs et qui lui donne envie d'acheter parce que... L... M... S, dailleurs, pour S, même une ancienne ministre qui s'est envoyée en l'air l'aime...") alors, comme le dit Sand de manière imagée, à part caler les armoires bancales dans les Salons, ça aura autant d'intérêt qu'un emplâtre sur une jambe... de Renard.
J'ignore si j'ai quoi que ce soit de ce type en réserve mais je te livre une des sources de mon analyse et tu verras bien si elle dessine une perspective fertile ou non.
Un peu plus haut, il y a eu quelques commentaires sur le fait qu'au fond, le roman scientifique antérieur à 1950 n'était pas très utile pour comprendre la SF ici. Qu'il en était au fond une sorte de première manière un peu fruste et timide, un rameau mort que la SF US avait d'emblée déclassé.
D'une certaine manière, c'est exact.
D'une autre manière, ça me paraît infiniment plus compliqué. J'avais expliqué ça dans la préface de Chasseurs de chimères : certes, en tant que "genre", le roman scientifique a disparu et ses classiques, sauf une poignée, n'ont pas été réédités si bien qu'on a eu effectivement l'impression que la SF US naissait sur un sol quasi-vierge. Mais…
– toute la bande dessinée des années 50-60 (je veux dire, la BD qui va être légitimée, la franco-belge, pas les fascicules Artima) ne fait que reprendre, propager et donner une forme définitive, classique, aux thèmes et objets du roman scientifique. Il suffit de lire Blake et Mortimer : hommes modifiés, Atlantide, archéologie mystérieuse, voyages dans le temps, contrôle climatique, etc. Même chose dans Tintin, dans Spirou (sur un mode comique), dans L'épervier bleu, etc. Et ça dure en gros jusqu'à la fin des années 60, disons jusqu'à l'avènement de la BD adulte (Forest, Druillet, Mœbius, tout ce qui va finir par donner Métal Hurlant). Les grands thèmes du rameau mort ont quand même circulé et sur le public le plus sensible, le plus susceptible de recevoir son empreinte : les enfants et les adolescents.
– tous les romans français de SF légitimés relèvent peu ou prou du même roman scientifique : Ravage, Le voyageur imprudent, La planète des singes, Malevil, un animal doué de raison, La nuit des temps, Le grand secret… tout ça, c'est fin du monde, hommes ou animaux modifiés, mondes perdus, immortalité… ce sont des vieux thèmes. De ce point de vue, le rameau mort est terriblement actif, il influence la réception des textes, d'une manière assez floue et sur laquelle on manque de données. Je serais même enclin à le voir à l'œuvre dans le succès de celui-dont-je-n'écris-pas-le-nom et aussi, pour faire un bond vers le haut stratosphérique, Michel Houellebecq (cei mériterait d'être développé mais je n'ai pas le temps, je m'en remets à ta propre intuition, sachant que Laurent Genefort, quand je lui ai dit ça il y a quelques temps, a gravement hoché la tête avec un air d'assentiment ; c'est une référence !)
– enfin, on ne peut pas ne pas remarquer à quel point, depuis le début des années 70 (qui est aussi le moment où Versins et Van Herp sortent leurs encyclopédies), la SF semble en proie à une sorte de "retour du refoulé" dans ce domaine. Fritz Leiber a écrit un jour Un spectre hante le Texas. J'écrirais bien, moi, que le roman scientifique hante la SFF. Car dès le début de Métal, il y a Tardi qui fait une sorte de pré-steampunk qu'il systématisera ensuite avec Adèle Blanc-Sec. Il y a les frères Schuiten avec des choses comme La Terre Creuse – pour ne rien dire de la série des Cités Obscures qui est une sorte de mélange parfait entre roman scientifique et SF. Il y a un auteur comme René Réouven qui manifeste le même tropisme. Il y a André Ruellan et Philippe Curval qui produisent, de temps en temps, des choses hybrides. Il y a La compagnie des glaces qui a un indiscutable parfum archaïque… Et même certains Brussolo (Le syndr^me du scaphandrier, par exemple). Et depuis une dizaine d'années, la puissante manifestation d'un steampunk français totalement amoureux de Verne, de Flammarion, et de tout le premier âge d'or d'avant 1914. Cette esthétique n'est pas morte. Elle nous travaille encore. Et c'est une des raisons pour lesquelles je pense que sa réintégration dans l'histoire de la SF ici pourrait avoir un effet. A titre expérimental, c'est ce que j'ai fait avec La Brigade Chimérique. Et les commentaires que je reçois sont de ce type : "c'est bizarre, tous ces personnages, on ne les connaît pas et pourtant, ils nous sont tous familiers". Tu vois ce que je veux dire ? Ce n'est pas forcément une perspective d'avenir dans le sens où tu l'entends mais retrouver une pièce manquante du puzzle qui nous consitute pourrait quand même avoir des vertus inattendues. En tout cas, j'ai envie d'essayer.
Maintenant, je vais te dire, ça ne me gêne pas plus que ça ; ce n'est que la n-ième fois en une double paire de décennies que je vois se dérouler ce genre de film (hypothèse, crise herpétique, guerre des tranchées, trauma général, repli sur le "plus petit dénominateur commun" (*) qu'est une relecture -et dans les cas graves- une nouvelle écriture de l'histoire du genre).
Sur le fond, je n'ai toujours pas compris pourquoi ça suscitait autant de violence.
Mais ça m'ennuie pour l'avenir de M. que je m'étais mis à bien aimer...
L'hypothèse M sera clairement formulée et mise en œuvre un de ces jours. Mais tu as maintenant la grande image pour aller autour.

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Transhumain
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Message par Transhumain » jeu. déc. 17, 2009 7:11 pm

Shalmaneser a écrit :Je reviens rapidement sur la question de la vérité intrinsèque du livre, hors de tout rapport au lecteur : comme le soulignait Gérard, c'est une question bien complexe, qui a suscité bien des débats... Je voulais simplement suggérer que même si le texte ne saurait exister sans la lecture, celle-ci ne peut le plier entièrement à sa volonté, lui imposer n'importe quelle interprétation. Le texte porte quelque chose qu'il s'agit d'interpréter : pour moi, au bout du compte, le sens est dans le livre, et non à proprement parler dans la lecture, qui est pourtant indispensable à son effectuation.
La "vérité" du texte n'est pas dans le texte, mais toujours à sa lecture. La lecture, ce n'est pas le lecteur, mais bien la jonction entre un texte, ensemble figé de signes, et un lecteur, avec sa culture, son expérience, sa vie intérieure, en évolution permanente. C'est le lecteur qui est indispensable à l'effectuation du sens dans la lecture. C'est tout le sens du cercle herméneutique : le texte n'apporte de sens - de réponses - qu'aux questions du lecteur. L'acte de lecture fait retour sur la culture et l'expérience du lecteur, et ce à chaque instant. On comprend un tout, avec nos préjugés et nos attentes, mais la compréhension des parties modifie ces attentes et nos préjugés, et donc notre compréhension du tout (je crois n'avoir pas trop perverti Gadamer).

Tenez, un cours d'Antoine Compagnon sur Fabula, qui peut faire avancer notre discussion sur la SF (et qui devrait intéresser autant Oncle et Celui qui ne Bave ni ne Glougloute plus, que Lem et tous ceux du Club) :
http://www.fabula.org/compagnon/genre.php
Et en particulier les leçons suivantes :
http://www.fabula.org/compagnon/genre10.php
http://www.fabula.org/compagnon/genre11.php
Il y est question des genres littéraires, au sens classique du terme, mais il me semble que la réflexion vaut également pour les genres romanesques comme la SF. Voir par exemple la conclusion (leçon numéro 13) :
On peut être tenté, comme Croce, suivant une démarche nominaliste et terroriste, de théoriser les oeuvres modernes en dénonçant le concept de genre. Mais ce sont seulement les définitions normatives et prescriptives des genres qui sont dépassées, beaucoup moins les descriptions formelles et sémantiques. Et, au début du xxie siècle, les oeuvres sont toujours identifiées négativement, par ce qu'elles ne sont pas, plutôt que par ce qu'elles sont : ainsi le système des genres reste pertinent, fût-ce modérément, même dans la violation généralisée d'aujourd'hui. Ce sera notre conclusion moyenne.

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 7:25 pm

Lensman a écrit :
Lem a écrit :Ce que j'aimerais savoir, c'est si une telle chose est spécifique à la sf, dans les pulps, ou si elles s'est produite dans d'autres genres.
La question de savoir si ça se produit ailleurs m'intéresse aussi... Je ne sais pas y répondre... il faut demander à nos grands spécialistes de la littérature.
Je reviens un instant là-dessus pour signaler un parallèle intéressant : il existe un sous-genre littéraire (je veux dire sans aucune connotation une subdivision) qui a fait l'objet d'un fonctionnement "scientifique" où la communauté des auteurs se tient au courant de ce que font les autres, élimine les trucs réfutés, discute l'élégance des solutions, la consistance des processus, cherche toujours des variations nouvelles, etc. : c'est le roman d'énigme et particulièrement le roman d'énigme en chambre close. Mais j'ignore si les lecteurs ont interagi comme les fans dans la sf.

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 7:27 pm

Lensman a écrit :
Lem a écrit :Ce qui me semble spécifique à la sf, c'est l'ouverture faite aux juste-lecteurs – beaucoup plus problématique dans le cas de la Générale de Littérature où il faut d'abord être introduit dans un Salon – même sans jamais avoir rien écrit – pour avoir ensuite le droit de prendre la parole de façon audible.
Dommage pour la France, si on veut avoir un regard national sur la chose.
Probablement. Et pas seulement pour la SF.
Modifié en dernier par Lem le jeu. déc. 17, 2009 7:49 pm, modifié 2 fois.

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Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 7:30 pm

La remarque sur Tardi (Adèle, et avant, "Le démon des glaces", publié dans "Pilote") me frappe. Comme s'il y avait une nostalgie de la vieille SF française, mais celle d'avant la guerre de 14. De nouveau, la rupture de 14. Les locomotives à ailes battantes qui papillonnent dans des pavillons Baltard géants, OK! Mais la technique d' après...
Il y a effectivement beaucoup à creuser.
Oncle Joe
PS: je me demande si Tardi a jamais essayé de dessiner l'avenir... Je me souviens (Pilote) de sa BD "Rumeur sur le Rouergue", fantastique régionaliste écolo se passant à l'époque contemporaine... mais le futur… je ne vois pas.

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Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 7:32 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :
Lem a écrit :Ce que j'aimerais savoir, c'est si une telle chose est spécifique à la sf, dans les pulps, ou si elles s'est produite dans d'autres genres.
La question de savoir si ça se produit ailleurs m'intéresse aussi... Je ne sais pas y répondre... il faut demander à nos grands spécialistes de la littérature.
Je reviens un instant là-dessus pour signaler un parallèle intéressant : il existe un sous-genre littéraire (je veux dire sans aucune connotation une subdivision) qui a fait l'objet d'un fonctionnement "scientifique" où la communauté des auteurs se tient au courant de ce que font les autres, élimine les trucs réfutés, discute l'élégance des solutions, la consistance des processus, cherche toujours des variations nouvelles, etc. : c'est le roman d'énigme et particulièrement le roman d'énigme en chambre close. Mais j'ignore si les lecteurs ont interagi comme les fans dans la sf.
J'y pensais aussi, mais je ne connais pas assez le dossier. J'ai l'impression que ça fait un peu... disons... club... mais il faudrait creuser, là aussi.
Oncle Joe

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Message par MF » jeu. déc. 17, 2009 7:41 pm

Lem a écrit :Je vais commencer par la fin du post de MF, ça me semble plus logique.
Je vais commencer par te remercier de ta réponse.

Voilà. Ça, c'est fait !
J'ignore si j'ai quoi que ce soit de ce type en réserve mais je te livre une des sources de mon analyse et tu verras bien si elle dessine une perspective fertile ou non.
Un peu plus haut, il y a eu quelques commentaires sur le fait qu'au fond, le roman scientifique antérieur à 1950 n'était pas très utile pour comprendre la SF ici. Qu'il en était au fond une sorte de première manière un peu fruste et timide, un rameau mort que la SF US avait d'emblée déclassé.
D'une certaine manière, c'est exact.
D'une autre manière, ça me paraît infiniment plus compliqué. J'avais expliqué ça dans la préface de Chasseurs de chimères : certes, en tant que "genre", le roman scientifique a disparu et ses classiques, sauf une poignée, n'ont pas été réédités si bien qu'on a eu effectivement l'impression que la SF US naissait sur un sol quasi-vierge. Mais…
– toute la bande dessinée des années 50-60 (je veux dire, la BD qui va être légitimée, la franco-belge, pas les fascicules Artima) ne fait que reprendre, propager et donner une forme définitive, classique, aux thèmes et objets du roman scientifique. Il suffit de lire Blake et Mortimer : hommes modifiés, Atlantide, archéologie mystérieuse, voyages dans le temps, contrôle climatique, etc. Même chose dans Tintin, dans Spirou (sur un mode comique), dans L'épervier bleu, etc. Et ça dure en gros jusqu'à la fin des années 60, disons jusqu'à l'avènement de la BD adulte (Forest, Druillet, Mœbius, tout ce qui va finir par donner Métal Hurlant). Les grands thèmes du rameau mort ont quand même circulé et sur le public le plus sensible, le plus susceptible de recevoir son empreinte : les enfants et les adolescents.
– tous les romans français de SF légitimés relèvent peu ou prou du même roman scientifique : Ravage, Le voyageur imprudent, La planète des singes, Malevil, un animal doué de raison, La nuit des temps, Le grand secret… tout ça, c'est fin du monde, hommes ou animaux modifiés, mondes perdus, immortalité… ce sont des vieux thèmes. De ce point de vue, le rameau mort est terriblement actif, il influence la réception des textes, d'une manière assez floue et sur laquelle on manque de données. Je serais même enclin à le voir à l'œuvre dans le succès de celui-dont-je-n'écris-pas-le-nom et aussi, pour faire un bond vers le haut stratosphérique, Michel Houellebecq (cei mériterait d'être développé mais je n'ai pas le temps, je m'en remets à ta propre intuition, sachant que Laurent Genefort, quand je lui ai dit ça il y a quelques temps, a gravement hoché la tête avec un air d'assentiment ; c'est une référence !)
– enfin, on ne peut pas ne pas remarquer à quel point, depuis le début des années 70 (qui est aussi le moment où Versins et Van Herp sortent leurs encyclopédies), la SF semble en proie à une sorte de "retour du refoulé" dans ce domaine. Fritz Leiber a écrit un jour Un spectre hante le Texas. J'écrirais bien, moi, que le roman scientifique hante la SFF. Car dès le début de Métal, il y a Tardi qui fait une sorte de pré-steampunk qu'il systématisera ensuite avec Adèle Blanc-Sec. Il y a les frères Schuiten avec des choses comme La Terre Creuse – pour ne rien dire de la série des Cités Obscures qui est une sorte de mélange parfait entre roman scientifique et SF. Il y a un auteur comme René Réouven qui manifeste le même tropisme. Il y a André Ruellan et Philippe Curval qui produisent, de temps en temps, des choses hybrides. Il y a La compagnie des glaces qui a un indiscutable parfum archaïque… Et même certains Brussolo (Le syndr^me du scaphandrier, par exemple). Et depuis une dizaine d'années, la puissante manifestation d'un steampunk français totalement amoureux de Verne, de Flammarion, et de tout le premier âge d'or d'avant 1914. Cette esthétique n'est pas morte. Elle nous travaille encore. Et c'est une des raisons pour lesquelles je pense que sa réintégration dans l'histoire de la SF ici pourrait avoir un effet. A titre expérimental, c'est ce que j'ai fait avec La Brigade Chimérique. Et les commentaires que je reçois sont de ce type : "c'est bizarre, tous ces personnages, on ne les connaît pas et pourtant, ils nous sont tous familiers". Tu vois ce que je veux dire ?
Mieux que je n'imagine que tu ne le penses...
Souviens toi que si j'ai parlé de 1975, c'est aussi pour Angoulême.
Et qu'il me semble impossible de parler de littérature de science-fiction en perdant de vue son surgeon (...) dessiné.

Lem a écrit :
Maintenant, je vais te dire, ça ne me gêne pas plus que ça ; ce n'est que la n-ième fois en une double paire de décennies que je vois se dérouler ce genre de film (hypothèse, crise herpétique, guerre des tranchées, trauma général, repli sur le "plus petit dénominateur commun" (*) qu'est une relecture -et dans les cas graves- une nouvelle écriture de l'histoire du genre).
Sur le fond, je n'ai toujours pas compris pourquoi ça suscitait autant de violence.
Je crois que Joe a raison.

Le lecteur, et il en va de même pour l'auteur ou n'importe quelle autre entité, aimant la SF garde, du moins je l'espère, une vision adolescente de sa relation au genre.
Ce que, je crois, dit Roland lorsqu'il revendique ses 16 ans. Ou lorsque je revendique mes 15 ans (j'étais précoce).

Nul adolescent n'aime voir un adulte rentrer dans sa chambre et commencer à vouloir la ranger.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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