Je vais commencer par la fin du post de MF, ça me semble plus logique.
Mais si tu continues à prétendre œuvrer pour la reconnaissance du genre par les p'tits gars qui décident, je ne suis pas certain que déterrer le cadavre de Renard pour leur agiter sous le nez soit un moyen efficace. Je crains qu'il ne le regarde que pour ce qu'il est : au mieux un vestige du passé et au pire un fantôme à vite fuir
C'est peut-être une chose que j'ai insuffisamment soulignée dans le débat jusquici : je fais un pari, je ressens quelque chose de flou, de difficile à cerner concernant le problème du déni et j'ai l'intuition qu'il y a quelque chose à faire du côté de l'Histoire (voir plus bas, j'essaie d'élucider ça). Mais ce n'est qu'un pari, sans garantie. Je le fais d'abord pour moi, comme critique et auteur – pour me sentir "davantage chez moi". Que Renard fasse ricaner les prescripteurs m'indiffère, tout comme m'indiffère leur ricanement devant Gernsback : les deux sont structurants pour l'histoire de la SF en France et je n'ai l'intention d'éliminer ni l'un ni l'autre pour entrer dans quelque moule que ce soit. Pas plus que je n'éliminerai le fleuve Noir qui a joué un certain rôle. Pour comprendre la SF, il faut tout prendre comme beaucoup l'ont dit ici. Mais "tout", en France, ça suppose Renard (et le siècle qui le précède). Est-ce plus clair ?
Ce qui, je dois bien le reconnaître, m'enthousiasme moins. Non pas qu'écrire, de nouveau (ça me semble préférable à un malheureux réécrire que j'ai vu passer et qui a dû en troubler, voire en faire fuir plus d'un), l'histoire de la SF ne puisse pas avoir d'intérêt. "Prétendre à avoir un avenir nécessite de connaître son passé et d'accepter vivre dans le présent" disais je ne sais quel soit-disant "philosophe" du petit écran.
L'ambiguité entre "réécrire" et "écrire de nouveau" est significative.
"De nouveau" impliquerait qu'il existe une histoire de la SF en France, ce qui n'est pas le cas. La seule histoire disponible (et ayant apparemment eu assez d'impact, bien que non-savante, pour influencer les rédacteurs de dictionnaires) est entièrement centrée sur le point de vue américain. Il s'agit donc bien de "réécrire", non pas en niant ou falsifiant l'histoire sadoulienne, mais en déplaçant le point de vue pour qu'il rende compte des choses telles qu'elles se sont passés ici, dans l'ordre où elles se sont passées. Les nuances ne sont pas évidentes à poser, j'admets.
MF a écrit :[J'avoue toutefois, qu'au fur et à mesure de la progression, j'ai le sentiment de te voir abandonner, un à un, les oripeaux de l'anthologiste pour apparaître dans le nu rayonnement de l'historien littéraire. Qu'est devenue la métaphysique ? Où sont passés les raisons de la fin du déni ?
L'hypothèse M a fait l'objet de ma part d'une attention particulière parce qu'elle est la petite dernière. Dans la préface d'Escales, il y a onze ans, j'a traité avec une profondeur relative le déni par la science (avec l'histoire de la Grande Guerre comme point de rupture), étudié les malentendus autour du mot "science-fiction" (où il s'avère que "fiction" aussi est problématique en France), regardé un peu ce qui tournait autour de l'anti-américanisme et de la mauvaise réputation du texte. M s'ajoute à ce dispositif.
Mais d'un point de vue historique, il n'est pas du tout dans mon intention d'écrire une histoire spécifique des rapports SF-métaphysique (dans ce domaine comme dans d'autres, je dois me contenter d'une approche généraliste, non-spécialisée contrairement à Systar). Ce que j'aimerais, c'est une histoire "culturelle" (au sens le plus large), c'est à dire prenant en compte l'évolution des sciences, la question littéraire, le système éditorial, les rapports avec l'illustration, le cinéma, la bande dessinée quand ça devient pertinent et aussi des domaines sulfureux comme l'ésotérisme (très important au XIXème et à mon avis encore au début du XXème), les fausses sciences, etc. La métaphysique et la religion prennent place dans ce dispositif. On peut sans doute leur affecter un certain nombre de relations explicatives mais elles ne seront pas en position centrale.
Si tu ne traces pas quelques lignes de force de l'avenir ("Hé, les p'tits gars, la SF ça déchire sa race, ça a une histoire à faire pleurer Margot, ça cocoricote à tout va, mais, mieux, ça produit du texte qui cause aux lecteurs et qui lui donne envie d'acheter parce que... L... M... S, dailleurs, pour S, même une ancienne ministre qui s'est envoyée en l'air l'aime...") alors, comme le dit Sand de manière imagée, à part caler les armoires bancales dans les Salons, ça aura autant d'intérêt qu'un emplâtre sur une jambe... de Renard.
J'ignore si j'ai quoi que ce soit de ce type en réserve mais je te livre une des sources de mon analyse et tu verras bien si elle dessine une perspective fertile ou non.
Un peu plus haut, il y a eu quelques commentaires sur le fait qu'au fond, le roman scientifique antérieur à 1950 n'était pas très utile pour comprendre la SF ici. Qu'il en était au fond une sorte de première manière un peu fruste et timide, un rameau mort que la SF US avait d'emblée déclassé.
D'une certaine manière, c'est exact.
D'une autre manière, ça me paraît infiniment plus compliqué. J'avais expliqué ça dans la préface de Chasseurs de chimères : certes, en tant que "genre", le roman scientifique a disparu et ses classiques, sauf une poignée, n'ont pas été réédités si bien qu'on a eu effectivement l'impression que la SF US naissait sur un sol quasi-vierge. Mais…
– toute la bande dessinée des années 50-60 (je veux dire, la BD qui va être légitimée, la franco-belge, pas les fascicules Artima) ne fait que reprendre, propager et donner une forme définitive, classique, aux thèmes et objets du roman scientifique. Il suffit de lire Blake et Mortimer : hommes modifiés, Atlantide, archéologie mystérieuse, voyages dans le temps, contrôle climatique, etc. Même chose dans Tintin, dans Spirou (sur un mode comique), dans L'épervier bleu, etc. Et ça dure en gros jusqu'à la fin des années 60, disons jusqu'à l'avènement de la BD adulte (Forest, Druillet, Mœbius, tout ce qui va finir par donner Métal Hurlant). Les grands thèmes du rameau mort ont quand même circulé et sur le public le plus sensible, le plus susceptible de recevoir son empreinte : les enfants et les adolescents.
– tous les romans français de SF légitimés relèvent peu ou prou du même roman scientifique : Ravage, Le voyageur imprudent, La planète des singes, Malevil, un animal doué de raison, La nuit des temps, Le grand secret… tout ça, c'est fin du monde, hommes ou animaux modifiés, mondes perdus, immortalité… ce sont des vieux thèmes. De ce point de vue, le rameau mort est terriblement actif, il influence la réception des textes, d'une manière assez floue et sur laquelle on manque de données. Je serais même enclin à le voir à l'œuvre dans le succès de celui-dont-je-n'écris-pas-le-nom et aussi, pour faire un bond vers le haut stratosphérique, Michel Houellebecq (cei mériterait d'être développé mais je n'ai pas le temps, je m'en remets à ta propre intuition, sachant que Laurent Genefort, quand je lui ai dit ça il y a quelques temps, a gravement hoché la tête avec un air d'assentiment ; c'est une référence !)
– enfin, on ne peut pas ne pas remarquer à quel point, depuis le début des années 70 (qui est aussi le moment où Versins et Van Herp sortent leurs encyclopédies), la SF semble en proie à une sorte de "retour du refoulé" dans ce domaine. Fritz Leiber a écrit un jour Un spectre hante le Texas. J'écrirais bien, moi, que le roman scientifique hante la SFF. Car dès le début de Métal, il y a Tardi qui fait une sorte de pré-steampunk qu'il systématisera ensuite avec Adèle Blanc-Sec. Il y a les frères Schuiten avec des choses comme La Terre Creuse – pour ne rien dire de la série des Cités Obscures qui est une sorte de mélange parfait entre roman scientifique et SF. Il y a un auteur comme René Réouven qui manifeste le même tropisme. Il y a André Ruellan et Philippe Curval qui produisent, de temps en temps, des choses hybrides. Il y a La compagnie des glaces qui a un indiscutable parfum archaïque… Et même certains Brussolo (Le syndr^me du scaphandrier, par exemple). Et depuis une dizaine d'années, la puissante manifestation d'un steampunk français totalement amoureux de Verne, de Flammarion, et de tout le premier âge d'or d'avant 1914. Cette esthétique n'est pas morte. Elle nous travaille encore. Et c'est une des raisons pour lesquelles je pense que sa réintégration dans l'histoire de la SF ici pourrait avoir un effet. A titre expérimental, c'est ce que j'ai fait avec La Brigade Chimérique. Et les commentaires que je reçois sont de ce type : "c'est bizarre, tous ces personnages, on ne les connaît pas et pourtant, ils nous sont tous familiers". Tu vois ce que je veux dire ? Ce n'est pas forcément une perspective d'avenir dans le sens où tu l'entends mais retrouver une pièce manquante du puzzle qui nous consitute pourrait quand même avoir des vertus inattendues. En tout cas, j'ai envie d'essayer.
Maintenant, je vais te dire, ça ne me gêne pas plus que ça ; ce n'est que la n-ième fois en une double paire de décennies que je vois se dérouler ce genre de film (hypothèse, crise herpétique, guerre des tranchées, trauma général, repli sur le "plus petit dénominateur commun" (*) qu'est une relecture -et dans les cas graves- une nouvelle écriture de l'histoire du genre).
Sur le fond, je n'ai toujours pas compris pourquoi ça suscitait autant de violence.
Mais ça m'ennuie pour l'avenir de M. que je m'étais mis à bien aimer...
L'hypothèse M sera clairement formulée et mise en œuvre un de ces jours. Mais tu as maintenant la grande image pour aller autour.