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par Lem » sam. déc. 19, 2009 4:54 pm
Sur l'idée d'un fil historique : je vous laisse juges. Pas mal de choses ont été postées ici, déjà. Si ça continue sur un topic spécifique, j'y puiserai et contribuerai. Sinon, ça peut rester ici.
Pour revenir, peut-être une dernière fois, sur l'action éventuelle de l'Histoire envisagée, cette remarque : tout le monde sait que la SF en France, depuis 1950, a souffert d'un problème récurrent qu'on pourrait appeler "la malédiction des vingt ans", et qui a entravé son développement. Une génération découvre la SF à l'âge approprié (entre neuf et treize ans, disons). Un lectorat passionné se crée, suit le genre pendant une dizaine d'années, puis se rétracte peu à peu et quand cette génération atteint la trentaine, elle élimine la SF de ses lectures (du champ légitime, en considérant que c'était "un truc d'ado") à l'exception d'une poignée de fans purs et durs qui restent actifs. Puis, une nouvelle génération arrive et il faut presque tout reprendre à zéro car dans le creux, beaucoup d'instruments éditoriaux (et d'auteurs) ont disparu
Il y a eu la vague 1950-70, avec le pic en 60 : Présence du Futur, Le Rayon, Fiction, Galaxies, Satellite, et le premier Fleuve.
Il y a eu la vague 1970-90, avec le pic en 80 : Ailleurs & Demain, J'ai Lu, Pocket, Univers, Les années de la SF, Métal, etc.
Il y a eu la vague 1990-aujourd'hui (?) avec le pic en 2000 : Mnémos, Lunes d'Encre, Bifrost, Galaxies, les anthos du Fleuve, etc.
Il est évident que la crise périodique a découragé beaucoup de vocations d'auteurs. Du point de vue éditorial, le lectorat de la SF n'est pas cumulatif : il se développe jusqu'à un certain point (en n'embarquant qu'une toute petite partie du lectorat de la génération précédente), puis reflue (en ne laissant qu'une toute petite partie de lui-même à la génération suivante). Pour les auteurs, ça implique pratiquement l'impossibilité de faire carrière dans le domaine et nombreux sont ceux qui ont arrêté après dix ou quinze ans d'efforts, ou changé de genre, parce que financièrement, ça n'était jamais mieux que "difficile" et sans espoir tangible d'amélioration, sans reconnaissance critique qui puisse rendre la pilule moins amère à avaler, sans accès médiatique qui soit susceptible d'inverser la tendance.
– perdus après la première vague (en tant qu'auteurs de ficion) : Wul, Carsac, Demuth, Drode, Klein (partiellement, ok), etc.
– après la deuxième vague : Jeury, Brussolo, Andrevon, Houssin, Pelot, Douay, Jouanne etc.
– après la troisième vague : hem, on verra bien. Eventuellement moi, déjà.
Imaginez que tous ces auteurs aient simplement continué d'écrire un roman par an, une ou deux nouvelles, et que leur lectorat ait crû régulièrement. La SFF aurait un tout autre visage aujourd'hui. Il suffit de regarder ce qui s'est passé en BD où la légitimation des années 80 a permis aux lecteurs des 70ies de continuer à lire, et aux auteurs de continuer à créer. Regardez ce qu'est devenu le marché de la BD, l'œuvre et l'envergure de créateurs comme Mœbius, Bilal, Christin, les frères Schuiten, Andréas…
Naturellement, rien n'est aussi clair, aussi tranché. Des auteurs partent, puis reviennent, ou continuent d'écrire de la SF en pointillé. Des outils éditoriaux meurent mais transmigrent et font retour sous une autre forme. Le lectorat subsistant n'est pas nul. Mais tout de même, la barrière des vingt ans a cassé deux fois le développement du genre ici. Et c'est un phénomène sur lequel l'Histoire hypothétique pourrait agir. A partir du moment où la SF n'est plus perçue comme uniquement "pour ado", à partir du moment où il est légitime de continuer à en lire sans considération d'âge, où l'intérêt culturel n'est plus discuté, le lectorat s'accumule (ou subit des pertes considérablement moindres) et tout le reste du circuit en profite. Et dans l'autre sens – vers le passé cette fois – le repérage d'une tradition et la mise à disposition d'une liste de classiques, du dernier tiers du XIXème siècle jusqu'à nos jours, devrait à la fois neutraliser l'impression périodique de repartir à zéro tous les vingt ans et permettre d'entrer dans le genre à n'importe quel moment.
Comme le disait Borgès, "ma solitude se console à cet élégant espoir".
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De quoi parle-t-on en attendant la suite du feuilleton K ? Du futur ? Du sense of wonder ? De ce que la métaphysique a à voir dans ces deux concepts ?