Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Christopher

Message par Christopher » sam. déc. 19, 2009 5:21 pm

Aldaran a écrit :
JDB a écrit :MODESTE PROPOSITION :
En plus des rubriques "Vos dernières lectures", etc, pourquoi ne pas en créer une nouvelle genre "Pour une histoire de la SF" où on pourrait développer tout ça ?
Excellent, ça.
Mais faudra structurer un minimum avant. Et créer un fil jumeau pour déverser les trolls et autres coups de gueules parasites.
Totalement d'accord. Ce fil va beaucoup trop vite pour les esprits simples (le mien en l'occurrence), la discussion tire dans tous les sens, impossible de s'accrocher. Créons une rubrique, transférons-y ce topic pour la discussion principale et créons d'autres topics pour les sous-idées qui méritent un développement en parallèle. Qu'il y ait un minimum d'ordre dans le laboratoire de Lem.

Et quand la rubrique sera pleine, nous créerons un sous-forum. Et quand celui-ci ne pourra plus nous contenir, nous bâtirons notre propre forum et ferons sécession d'ActuSF. Plus tard nous dominerons le web et ensuite envahirons le monde réel.

Lem

Message par Lem » sam. déc. 19, 2009 5:52 pm

Pour revenir à M, je voudrais partager une énième intuition.
Si, dans l'émergence de la SF archaïque, puis moderne, est impliquée comme je le crois la réification d'un certain nombre de thèmes, d'images, de concepts métaphysiques et religieux à partir du début du XIXème siècle, il pourrait être intéressant de chercher à savoir si le même phénomène ne s'est pas produit dans d'autres arts que la littérature.
Ce pourrait être le cas dans la peinture. Si on prend le cas de Goya, par exemple, une partie de son œuvre est immédiatement familière à tout amateur de SF pour qui l'illustration fait partie intégrante du sense of wonder. Dans des tableaux comme Le colosse, Le géant, n'assiste-t-on pas à un transfert de ce type : une migration de sujets typiquement symboliques ou allégoriques vers un traitement "naturaliste" où toutes les significations induites sont refoulées à l'arrière-plan, rendues muettes, parce que l'intensité de l'œuvre, c'est le sujet lui-même considéré comme fait matériel ? Dans sa définition de 1909, Renard parle "d'une science poussée jusqu'à la merveille ou d'une merveille envisagée scientifiquement". En peinture, ce serait "le réalisme poussé jusqu'au prodige ou le prodige envisagé comme réel". Et d'un point de vue chronologique, ça colle assez bien : Goya peint ou grave ces images vers 1810 je crois, c'est à dire à peu près au moment où la SF archaïque prend son essort avec Le dernier Homme et Frankenstein, le Prométhée moderne.
Et il y a ça évidemment :

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Erion
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Message par Erion » sam. déc. 19, 2009 5:58 pm

Hm, et l'Académisme ? Parce que bon, dans l'art pompier, on en a du mythologique à foison.

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Message par Lem » sam. déc. 19, 2009 6:09 pm

Erion a écrit :Hm, et l'Académisme ? Parce que bon, dans l'art pompier, on en a du mythologique à foison.
Peux-tu préciser ? Académisme de qui et à quelle période ?
Et je trouve très intéressant que "pompier" soit mentionné. Effectivement, il y a quelque chose de cet ordre, très souvent, dans l'imagerie SF (et dans les textes, aussi). Or, de "pompier" à "kitsch" et de là à "ridicule"… il y a un cheminement à mon avis très naturel.

Oui, les sujets mythologiques réifiés composent à mon avis une part du fond graphique de la SF. C'est ce que fait Gustave Doré, par exemple. Quand il illustre L'Enfer de Dante en prenant les scènes au pied de la lettre, comme pure descriptions physiques, il crée des paysages et des situations qui ressemblent beaucoup à de la SF. Je me souviens d'une gravure de lu qui représente un lac de glace où les damnés sont pétrifiés avec juste leurs visages ou leurs mains qui émergent : on dirait déjà du Bilal. Et puis, tiens, pour Oncle spécialement, je trouve ça, un montage trafiqué d'une autre gravure de l'Enfer (la "comète des damnés") pour inclure une image de triplan. Je en sais pas d'où ça vient mais est-ce qu'on n'est pas en plein dans le sujet ?
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Et tant qu'à faire, allez jeter un coup d'œil au Cyclope, qui est d'Odilon Redon et date de 1914 mais ferait une merveilleuse couverture pour Unknown aussi bien que pour une édition moderne de Jack Vance ou Stefan Wul : on est toujours dans la même esthétique.
Modifié en dernier par Lem le sam. déc. 19, 2009 6:27 pm, modifié 1 fois.

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Erion
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Message par Erion » sam. déc. 19, 2009 6:25 pm

Hm, moui, mais t'en déduis quoi ? Parce que si l'art pompier, c'est de la métaphysique, ben c'est de la métaphysique bien respectée par les institutions et les instances légitimatrices.

Et quand tu lis la découverte de l'art abstrait par Kandinsky, ca tient de la révélation mystique. Je parle même pas du système qu'il a développé après, ou Mondrian.

J'ai un peu de mal à voir ce que tu peux en déduire à partir de là.
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bormandg
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Message par bormandg » sam. déc. 19, 2009 6:37 pm

Comme souvent je reviens après une journée d'absence et me trouve très en retard sur la discussion. Il n'empêche que, cette fois-ci, je souscris à certaines remarques e Lem.
Lem a écrit :[
Sur la question du genre, je colle ci-dessous les extraits du papier de Renard qui me semblent significatifs. Tu remarqueras que Renard utilise "genre" à propos du merveilleux-scientifique comme du roman policier, c'est à dire qu'il inaugure l'acception générale dont on se sert encore aujourd'hui quand on parle de la SF ou du polar comme genres (ce qui est peut-être erronné mais c'est un autre problème) :
S’il n’est pas prématuré de discuter des choses à la minute où elles achèvent seulement d’affirmer leur existence », écrit Renard au début de son article, « le roman merveilleux-scientifique est mûr pour l’étude critique. Produit fatal d’une époque où la science prédomine sans que s’éteigne pourtant notre éternel besoin de fantaisie c’est bien un genre nouveau qui vient de s’épanouir et dont L’île du docteur Moreau de Wells et Le peuple du pôle de Derennes peuvent nous fournir deux exemples assez typiques.
(…)
Je dis bien que c’est un genre nouveau. Jusqu’à Wells, on en pouvait douter. En effet, avant l’auteur de La guerre des mondes, les rares ouvriers de ce qu’on devait nommer plus tard le merveilleux-scientifique ne se sont livrés à son œuvre que de loin en loin, occasionnellement et, semble-t-il, par jeu. Tous l’ont traité comme une fantaisie sans lendemain ; aucun ne s’y est spécialisé ; la plupart l’ont combiné avec d’autres éléments : Cyrano de Bergerac en fait un support d’utopies ; Swift l’utilise comme armature à dresser des satires ; de nos jours, Flammarion lui demande de concrétiser un peu certaines métaphysiques trop abstraites pour le lecteur moyen ; quant à Edmond About, il le prend à l’envers, le tourne au comique et fait ainsi, avant la lettre, la parodie d’un genre à venir. (…) La série de ces productions bâtardes, mixtes, est d’ailleurs loin d’être close ; les utopistes qui ont “besoin d’un monde” possèdent là un moyen de dépaysement trop précieux pour l’abandonner, et les satiriques ne sauraient se priver des ressources que leur offre un tel procédé d’allégorie et d’allusion.
(…)
Edgar Poe, avec deux contes seulement, La vérité sur le cas de M. Valdemar et Les souvenirs de M. Auguste Bedloe, fonda le roman merveilleux-scientifique pur, comme il instaura le roman policier avec trois autres nouvelles prototypes, mais celles-là si complètes et synthétiques, si absolument définitives, qu’en cette matière, il ne pouvait susciter que des imitateurs et pas un seul disciple. Par contre, dans le monde merveilleux-scientifique, il eut des apôtres célèbres puisque Villiers de l’Isle-Adam écrivit L’Eve moderne, Stevenson Le docteur Jeckyll et Mr Hyde et puisqu’enfin, voici H. G. Wells. Avec ce dernier, le genre qui nous occupe se déploie dans toute son ampleur intégrale, et ce mot composé, dont les hommes se prennent à le désigner, consacre sa vie et certifie son être à la manière d’un baptème. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Si la maîtrise de Wells à imaginer et à mettre en valeur des thèmes de merveilleux-scientifique a fait la gloire du romancier anglais, tous ses livres sont loin d’en être autant de types. Je ne retiens comme tels que cinq romans et quelques nouvelles. (…) Il y a aussi d’autres ouvrages – fort curieux du reste, et qui font de Wells un véritable novateur – où ce n’est plus la science, mais la seule logique (considérée non comme science mais comme habitude de l’esprit) qui vient se mêler au merveilleux. Je les écarte aussi et propose d’appliquer à ces fables l’épithète de merveilleux-logique, réservant celle de merveilleux-scientifique pour celles qui nous présentent l’aventure d’une science poussée jusqu’à la merveille ou d’une merveille envisagée scientifiquement.
Sur le problème plus général de la différence entre roman scientifique et sf, une remarque :

L'intertextualité, l'usage de références communes, de variations sur des thèmes ou des objets inventés par d'autres est observable dès Verne (Le Sphinx des glaces est une "suite" de Pym, comme plus tard Les montagnes hallucinées de Lovecraft). Ignis de Chousy est une parodie explicite de Verne, comme le Fanradoul de Robida. Le passé merveilleux, nouvelle d'Octave Béliard de 1909, est la première histoire de voyage temporel vers le passé avec circuit fermé et la machine de Wells est citée en tant que telle dans le corps du texte (comme si Wells avait entendu parler d'une machine authentique) de même que les martiens de La guerre des mondes apparaissent dans Le mystère des XV de La Hire. Renard en personne remarquera que Wells a fait une erreur dans l'extrapolation logique de L'homme invisible (si un tel homme existait, il serait forcément aveugle car etc) et écrira pour donner corps à son objection L'homme qui voulut être invisible. Théo Varlet, dans La grande panne, confronte son héros à des entités extraterrestres en forme de globules rougeâtres, comme enflammés, et quand il les voit pour la première fois, dit quelque chose comme "on eût dit les fameux Xipéhuz de M. Rosny").Tout ceci est déjà typique du fonctionnement de la science-fiction et je crois qu'on observe la même chose dès les années 1900 aux Etats-Unis : Oncle, n'y a-t-il pas là-bas un roman intitulé Edison conquers Mars où l'inventeur construit un vaisseau capable d'aller sur la planète rouge rendre la monnaie de leur pièce aux envahisseurs wellsiens ?

Intuitivement, je dirais ceci. La différence entre le roman scientifique (ou la scientific romance) et la sf n'est pas de nature mais de degré. L'apport de Gernsback, c'est la structure éditoriale dont il dote le nouveau genre et qui multiplie par mille les interactions entre auteurs et engage la SF dans son fonctionnement "quasi scientifique" (toutes les innovations thématiques sont comme déposées dans le domaine public, chacun part du principe qu'elles sont connues et n'ont plus besoin d'être ré-expliquées, quand une innovation est réfutée sur le plan logique, elle n'est plus considérée comme valide, etc.) C'est précisément en référence à ce système particulier que Campbell, plus tard, transformera Astounding en Analog : parce que la SF, de ce point de vue fontionnel, est "un analogue" de la science si je me souviens bien de la citation. Et cette idée est également dans les articles de Renard.

Mais par ailleurs, il est évident que la SF américaine a ses caractéristiques propres et que sa diffusion massive à partir de 1950 a instantanément ringardisé le roman scientifique qui n'avait pas su a) transformer son fond culturel commun en subculture, b) élargir son champ spéculatif à la "plus grande échelle" (espace et futurs lointains) à quelques exceptions près, c) s'affranchir des tropismes bien franchouilles de la belle écriture. Quant à savoir si c'était une limite intrinsèque du roman scientifique ou un effet des accidents de l'Histoire (deux guerres mondiales, à chaque fois survenues au moment où la mayonnaise était en train de prendre), c'est une autre affaire.

Enfin, il faut garder en tête qu'un certain nombre des caractéristiques de la SF US qui ont tant séduit et émerveillé le public français à partir de 1950 ne sont pas tant liées à la SF qu'à la fiction américaine, au sens le plus large : rapidité et nervosité du récit (opposition quasi caricaturale entre deux formats éditoriaux : la nouvelle là-bas, le roman-feuilleton ici) ; absence de fioritures littéraires (la sociologie des auteurs joue un rôle, leur indifférence à tout acaémisme et leur professionnaisme aussi) ; simplicité naturaliste des descriptions, de l'action, des dialogues (alors qu'ici, les histoires sont souvent racontées ad post par un narrateur qui les a vécues ce qui "coince" l'intrigue) ; innovation sociologique dans le casting des personnages (bien des héros du roman scientifique français sont des nobles, des grands bourgeois ou des scienifiques fonctionnaires, avec tout ce que ça suppose de dialogues guindés), etc. Pour le dire en une phrase : dans la SF américaine, une part de la nouveauté relève d'une tradition fictionnelle différente de la nôtre, une tradition qui n'est pas spécifiquement SF mais le produit d'une littérature dont les deux sources sont le journalisme et le cinéma alors que la nôtre s'appuie sur la poésie et le théâtre (et est donc souvent théatrâle et poétique). Le saisissement devant la nouveauté du roman noir prend d'ailleurs sa source au même endroit. C'est pourquoi faire la part des choses objectives entre roman scientifique et sf est si difficile.
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Message par MF » sam. déc. 19, 2009 6:41 pm

Lem a écrit : Je en sais pas d'où ça vient mais est-ce qu'on n'est pas en plein dans le sujet ?
Personnellement, je pense que, depuis un moment, on est complètement en dehors du sujet, pour peu que le sujet soit encore en lien avec le titre du thread ou avec la SF.

Tu rapportes n'importe quoi dans tes filets et tu le poses à l'étal du forum avec la question : est-ce que ça a à voir avec le sujet ?

A mon tour de te poser une question : quel sujet ?
- ta préface ?
- la critique de ladite par Roland ?
- le sense of wonder ?
- la métaphysique ?
- ton intuition, où comment la transformer en quelque chose qui ressemblerait, même vaguement, à une hypothèse structurée ?
- le déni de la SF par les "prescripteurs" et son éventuel achèvement ? prescripteurs dont au passage nous ne savons toujours pas qu'ils ils ont été, qui ils sont ni qui ils seront. Toujours ce retrait viscéral et collectif devant ce sujet.
- l'histoire de la belle et bonne SF bien de chez nous ou comment l'écrire ?
- ton souhait de ne pas passer pour un Besancenot, pardon un nain posteur, et de voire légitimée La Brigade comme appartenant au corpus ?

Ce n'est pas parce que Gustave Dorée en illustrant l'Enfer crée des paysages et des situations qui ressemblent beaucoup à de la SF (selon ta vision) que ça a à voir avec la SF. Poser la question c'est, quelque part, comme si tu exposais que tu ne sais pas faire la différence. La phrase précédente est sérieuse.

Que plusieurs intervenants trouvent ça très intéressant mais demande à ce que l'on créée des thread spécifiques, me conforte dans ce sentiment de grand n'importe quoi auquel manque le minimum de méthode et où plus personne ne sait à quelle entité, qu'elle soit cosmologique ou cosmogonique, se vouer.

Comme
Lem a écrit :
Erion a écrit : Hm, et l'Académisme ? Parce que bon, dans l'art pompier, on en a du mythologique à foison.
Peux-tu préciser ? Académisme de qui et à quelle période ?
Le fait même que tu poses la question me laisse rêveur...
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Message par Lem » sam. déc. 19, 2009 6:43 pm

Erion a écrit :Hm, moui, mais t'en déduis quoi ?
Pour l'instant, rien. Je remarque juste un parallélisme possible entre l'amorce du processus de réification en littérature et en peinture, au début du XIXème siècle. Sur ce qu'on pourrait en déduire concernant le déni, c'est sans doute prématuré mais pourquoi ne pas lancer en hypothèse, sous toute réserve ? Au XXème siècle, en peinture, le chantier de la modernité s'est quand même largement défini contre la figuration – ou plutôt en dehors de toute considération relative à la figuration. C'est l'équivalent de ce qui s'est passé dans le domaine des lettres, où le problème de la fiction a été éclipsé par celui de la forme pure – du texte. ("Figuration" et "fiction" proviennent étymologiquement du même mot, je crois.) Or, la SF est une littérature réaliste, intensément fictionnelle, et dont l'imagerie tend naturellement à l'hyperréalisme ("plus il y a de boulons, mieux est le vaisseau ; plus il y a de plumes, mieux est la fille ailée"). Dans les deux cas, ça rendait sa prétention à se situer à l'avant-garde, ou en tout cas sur le front de la modernité presque impossible à recevoir par ceux aux yeux de qui ces deux notions excluaient la représentation par principe.

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Message par bormandg » sam. déc. 19, 2009 6:48 pm

Atv' a écrit :[Disclaimer : possibilité de candeur et d'effraction par porte ouverte]

Une autre caractéristique propre de la SF, qui me semble à lier au domaine du fandom, des conventions, etc., est que l'écrivain de SF est un démiurge, un créateur de mondes (comme peuvent l'être les rôlistes qu'on croise aux mêmes conventions). Il me semble être le seul dans ce cas-là. Le romancier "classique", le poète, sont des peintres, lors que l'auteur de SF est un constructeur. Que trouve-t-on à ces conventions SF ? Des gens qui dessinent des mondes, qui créent des jeux, des films, qui se fabriquent des accessoires, qui souvent ont des métiers intellectuels ou techniques qui font d'eux des créateurs à un certain degré. Ce ne sont peut-être pas eux les écrivains de SF mais ils sont dans le même bouillonnement. C'est un monde d'acteurs, de faiseurs.

Dès lors, et je m'adresse là aux auteurs de SF, la motivation initiale, ce qui fait que quelqu'un va commencer à écrire de la SF, n'est-ce pas l'ivresse de pouvoir créer rien qu'avec des mots ce qu'on n'a pas le temps, l'argent, la patience, la science, la possibilité de réaliser avec ses propr
es mains, alors que cette promesse de la création nous passionne ? J'en reviens au démiurge : la raison de la SF, serait-ce l'ivresse de créer une planète, une technologie, une civilisation avec des mots, pour court-circuiter la frustration naturelle que l'on a face au décalage absolument décourageant entre les possibilités presque infinies de la science et le dépit que l'on peut ressentir vis-à-vis de l'impossibilité que l'on a, personnellement, humain, rêveur, mortel, aux moyens limités, à voir ces promesses réalisées ? Dès lors, l'écriture de SF consisterait à rapprocher de soi le bouleversement que la science met trop de temps à réaliser.
D'accord avec ce point de vue; je rappelle que, hors discussion SF, je dis de plus en plus souvent que notre monde a connu ce que j'appelle une apocalypse mentale, la disparition de la volonté de construire, de créer, et son remplaceùent par une volonté d'exploiter (exclusivement) ce qui existe, et comme cela est limité, de s'emparer de tout ce qu'on peut parce que sinon ce sont les autres qui... Je parle de paradigme du créateur pour le mode de pensée quasiment disparu, de paradigme du prédateur (mais j'ai envie de parler plutôt de paradigme du charognard, qui exploite les restes de ce qui a été créé autrefois, et dont l'archétype est plus encore Mad Max que Conan ou Napoléon) pour le mode de pensée actuelleent généralisé dans la population.
Dois-je rappeler que, pour moi aussi, le refus de la SF est lié à ce rejet de l'idée même de construction, de création?
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Message par Erion » sam. déc. 19, 2009 6:50 pm

Lem a écrit :Dans les deux cas, ça rendait sa prétention à se situer à l'avant-garde, ou en tout cas sur le front de la modernité presque impossible à recevoir par ceux aux yeux de qui ces deux notions excluaient la représentation par principe.
Moui, mais l'art abstrait avait une composante métaphysique.

Et, bon, tu vas avoir du mal avec le futurisme qui nait au début du XXe siècle. Le "réalisme" de l'académisme c'est en référence aux anciens, à la tradition. Alors, si tu essaie de relier la modernité de la SF avec la tradition de l'Académisme, c'est du boulot d'équilibriste, mais pas d'historien.
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Message par MF » sam. déc. 19, 2009 6:52 pm

Lem a écrit :Or, la SF est une littérature réaliste, intensément fictionnelle, et dont l'imagerie tend naturellement à l'hyperréalisme ("plus il y a de boulons, mieux est le vaisseau ; plus il y a de plumes, mieux est la fille ailée").
Des boulons ?
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et de l'hyperréalisme ?
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Message par bormandg » sam. déc. 19, 2009 7:03 pm

MF a écrit :
Lem a écrit :Ce que je propose ici, au-delà de la réflexion sur la métaphysique, c'est une histoire culturelle au sens le plus large. Mais veux-tu un pronostic ? Ceux qui se prononceront (très éventuellement) sur son intérêt et sa validité, ce ne seront pas les scientifiques (bien qu'il y ait de la science dedans), les philosophes, les cinéastes ou les auteurs de BD (idem). Ce sera le milieu littéraire.
Et de quoi (ou en quoi) penses tu que le "milieu littéraire" (ça me semble d'ailleurs être aussi facilement définissable que la M ou la Q cet engin là) serait prescripteur ?
Il a disparu des media.
Quand a-t-on vu un auteur de SF à la télé? Chez Pivot, PPDA, et je ne sais plus qui leur a succédé?
:twisted: :twisted: :twisted:
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Message par bormandg » sam. déc. 19, 2009 7:11 pm

Erion a écrit :
Lensman a écrit :Tu n'es pas inquiet de la manière dont les "prescripteurs" peuvent recevoir une histoire de ce type ? ( pas une encyclopédie où on picore, mais une histoire).
Oncle Joe
Je me demande si une histoire de la SF en France, qui réintroduit les ésotériques, ça va vachement motiver les "prescripteurs" (tiens, au passage, nous faisons tous, moi compris, comme si nous savions qui ils étaient, mais pour toi, Serge, c'est qui les prescripteurs ? Parce que, très prosaïquement, actuellement, si on ne prend que la télé, le média le plus prescripteur, alors c'est Laurent Ruquier qu'il faut convaincre, ou Zemmour et Naulleau. C'est pas gagné).
Déjà qu'entre amateurs, on trouve le projet très fildefériste, alors face aux "prescripteurs"...
+1, pour MF
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Message par Lem » sam. déc. 19, 2009 7:21 pm

MF >
J'ai dit que j'étais ok pour sortir l'Histoire du fil.
J'ai dit que je revenais au thème originel – du sense of wonder à la métaphysique – en faisant un détour par l'image, dont chacun admet qu'elle joue un rôle important dans la science-fiction. Je ne ramène pas "n'importe quoi" dans mes filets mais des choses qui me semblent significative. Je ne demande pas "est-ce que ça a à voir ?" mais j'explique pourquoi je pense que ça a à voir. On peut se laisser convaincre ou pas, comme à chaque fois, mais ce n'est pas hors-sujet.
Apparemment, il est licite de poster ici des couvertures de pulps, des images de drapeaux français et de fromage qui coulent, mais pas des gravures de Goya, Doré et Redon.
L'hypothèse M a été formulée et reformulée dans les centaines de pages qui précèdent jusqu'à ce qu'on parvienne à un certain consensus (sur la formulation – pas sur l'hypothèse). Tu as toi-même convenu qu'une mise à l'épreuve correcte pourrait être d'analyser les œuvres légitimées bien que parues sous le label au regard de M. J'ai noté que pour l'instant, on n'avait comme cas que Les chroniques martiennes et personne n'a jugé bon d'allonger la liste, donc on en est là pour l'instant.
On peut essayer de préciser le problème des prescripteurs si tu le souhaites. Je te laisse formuler la chose.
Quant à
ton souhait de ne pas passer pour un Besancenot, pardon un nain posteur, et de voire légitimée La Brigade comme appartenant au corpus ?
je crois bien que je ne vais pas répondre.
Ce n'est pas parce que Gustave Doré en illustrant l'Enfer crée des paysages et des situations qui ressemblent beaucoup à de la SF (selon ta vision) que ça a à voir avec la SF. Poser la question c'est, quelque part, comme si tu exposais que tu ne sais pas faire la différence. La phrase précédente est sérieuse.
Tu te poses peut-être trop de questions à mon sujet. Essayer de savoir si des œuvres qui semblent proches de l'esthétique SF ont quelque chose à voir avec la SF paraît assez naturel. C'est bien avec ce genre de démarche qu'on peut établir des généalogies qui passent par Chousy, Shelley ou Grainville. Que faut-il faire, selon toi ? Scruter des œuvres qui n'ont rien de commun ? Pour en déduire quoi ? Ne s'intéresser qu'à ce qui est strictement labellisé ?
sentiment de grand n'importe quoi auquel manque le minimum de méthode et où plus personne ne sait à quelle entité, qu'elle soit cosmologique ou cosmogonique, se vouer.
C'est un fil sur internet, pas un colloque avec des actes à publier à la fin. La discussion passe par des phases. Ce n'est pas très grave, franchement.
MF a écrit :
Lem a écrit :
Erion a écrit : Hm, et l'Académisme ? Parce que bon, dans l'art pompier, on en a du mythologique à foison.
Peux-tu préciser ? Académisme de qui et à quelle période ?
Le fait même que tu poses la question me laisse rêveur...
Il y a la Peinture Académique comme école picturale et "l'académisme" comme qualificatif général, éventuellement péjoratif, attribué à des œuvres conformes et sans originalité. Je voulais savoir de quoi parlait Erion. Rassuré ?

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Message par Erion » sam. déc. 19, 2009 7:24 pm

Ah mais je parlais de l'Académie, enfin, le vrai terme, pas ce qu'on a dit ensuite. Il y a eu une paire d'années un bouquin qui remettait en perspective la peinture académique et l'art pompier.
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