Du sense of wonder à la SF métaphysique

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bormandg
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Message par bormandg » sam. déc. 19, 2009 11:32 pm

Lem a écrit : Et on ne peut pas non plus la définir comme "ce qui paraît sous l'étiquette SF" pour des raisons évidentes (il y a de la Sf au dehors, et il y a de la non-SF sous le label).
Comme je l'ai déjà écrit en parlant des "deux SF", ce qui parait hors étiquette est différent, pas seulement par l'absence d'étiquette, de ce qui parait avec l'étiquette.
Quant à ce qui parait avec l'étiquette sans être de la SF, cela pose un problème de qualité de sélection.
Je sais que, dans l'oeuvre de Doris Lessing, il y a des oeuvres totalement non-SF sous l'étiquette (les deux premiers Canopus in Argo, Shikasta et Mariages entre les zones trois, quatre et cinq), alors que d'autres livres parus en littgen auraient pu être publiés comme SF (Le Cinquième Enfant, ou Mara et Dann, par exemple); le fait que Doris Lessing ait voulu publier certains livres comme SF et d'autres comme non-SF n'est pas sans importance dans leur classement, à la rigueur, dans ce que je serais prêt à appeler "para-SF".
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

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Lensman
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Message par Lensman » sam. déc. 19, 2009 11:32 pm

Christopher a écrit :
Cette taille de police m'est très agréable à l'œil, ça change de la taille ridiculement minuscule qui me force habituellement à plisser les yeux sur ActuSF.
J'ai mis un temps fou à m'apercevoir qu'en faisant "pomme plus" sur le clavier de mon vieux Mac, ça augmentait agréablement la taille des caractères à l'écran!
Oncle Joe

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Sand
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Message par Sand » sam. déc. 19, 2009 11:36 pm

Lensman a écrit :
Sand a écrit :je n'éprouve pas le sense of wonder en lisant tout texte de SF (que pourtant j'identifie comme tel), et j'éprouve le sens of wonder en lisant des textes non SF (mais alors vraiment non SF)

bip biiiip

melon melon melon

erreur manque de fromage

***reprise du début***
Tu tombes bien! Tu vas pouvoir nous définir le sense of wonder!
Oncle Joe
C'est comme l'amour, l'amitié, toussa toussa : un sentiment, quelque chose de complètement subjectif qui a une définition par personne.

(t'es bien avancé ! :P )

Lem

Message par Lem » sam. déc. 19, 2009 11:36 pm

Lensman a écrit :Sauf que ça revient à peu près à dire que la science-fiction, c'est la littérature de la science-fiction, vu le flou qui entoure la notion de sense of wonder, que l'on peine à définir,
Je suis désolé, Oncle. C'est dans la postface de ton encyclopédie, assez précisément défini. Tu me prends en traître comme ça, maintenant, en faisant comme si toute cette partie de mon discours t'avait échappé alors que ça fait dix ans que je le tiens. Je ne dis pas que cette définition est juste ou définitive. Je dis que c'est la mienne, celle qui m'a paru la plus satisfaisante. C'est ma base théorique. Je l'ai choisie soigneusement, après trente ans d'intimité avec le genre. Elle n'est pas originale (il y a un courant critique classique US qui considère que c'est une bonne définition). Elle n'est pas moins digne que "la SF, c'est ce qui parle de science et du futur" qui doit laisser dehors deux ou trois mille textes de SF que tu aimes. Mais je sais très précisément ce que tu n'aimes pas :

C'est une définition esthétique. Elle ne dit pas ce dont la science-fiction parle. Elle dit l'effet qu'elle produit sur le lecteur.

La définition de Gérard sur l'impact des technoscience sur la société (si c'est bien une définition) me paraît de nature sociologique. Elle n'est pas du tout antinomique, d'ailleurs.

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Lensman
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Message par Lensman » dim. déc. 20, 2009 12:01 am

Lem a écrit :
Lensman a écrit :Sauf que ça revient à peu près à dire que la science-fiction, c'est la littérature de la science-fiction, vu le flou qui entoure la notion de sense of wonder, que l'on peine à définir,
Je suis désolé, Oncle. C'est dans la postface de ton encyclopédie, assez précisément défini. Tu me prends en traître comme ça, maintenant, en faisant comme si toute cette partie de mon discours t'avait échappé alors que ça fait dix ans que je le tiens. Je ne dis pas que cette définition est juste ou définitive. Je dis que c'est la mienne, celle qui m'a paru la plus satisfaisante. C'est ma base théorique. Je l'ai choisie soigneusement, après trente ans d'intimité avec le genre. Elle n'est pas originale (il y a un courant critique classique US qui considère que c'est une bonne définition). Elle n'est pas moins digne que "la SF, c'est ce qui parle de science et du futur" qui doit laisser dehors deux ou trois mille textes de SF que tu aimes. Mais je sais très précisément ce que tu n'aimes pas :

C'est une définition esthétique. Elle ne dit pas ce dont la science-fiction parle. Elle dit l'effet qu'elle produit sur le lecteur.

La définition de Gérard sur l'impact des technoscience sur la société (si c'est bien une définition) me paraît de nature sociologique. Elle n'est pas du tout antinomique, d'ailleurs.
Elle m'échappe largement, la théorie esthétique, mais ça ne m'empêche de lire avec intérêt ce que tu en dis, ce que tu tentes de préciser.
La remarque que tu fais sur Gérard montre sans doute un des grands problèmes, qui est qu'une définition de la SF d'une seule nature (par exemple, esthétique, par exemple, sociologique, par exemple, éditoriale, etc) ne peut pas fonctionner. Le malheureux qui se lance dans l'entreprise de la définition est obligé de combiner tout cela et d'autres choses.
Oui, il y a évidemment dans Maurice Renard des considérations qui décrivent une partie de la SF, ou une partie de son fonctionnement, je pense que là, tout le monde sur le fil est d'accord. Oui, c'est un pionnier de la théorie à ce niveau.
Mais mon point de vue est que ce n'est qu'un rouage de l'ensemble du phénomène.
Il ne s'agit pas de décourager le chercheur pour le simple plaisir pervers de le contredire, même si forcément, c'est une vilaine tentation dans les discussions. Mais je trouve que, finalement, ton système aboutit d'une certaine manière à quelque chose de restrictif, même s'il a d'évidentes qualités.
En fin de compte, dans le "sense of wonder", qu'est-ce qui compterait: ce qui le produit, ou l'effet qu'il produit? Si quelqu'un écrit la nième histoire d'invasion extraterrestre, et qu'en plus le texte est vraiment mauvais, ne provoque aucun "sense of wonder" chez le lecteur, on va tout de même dire que c'est de la science-fiction. De la science-fiction ratée, mais de la science-fiction. A ce compte, il vaut mieux dire que c'est de la SF, parce que c'est une histoire d'extraterrestres envahisseurs. Là, tout le monde est d'accord sur le fait que c'est de la SF, sans discussion, à moins d'être d'une mauvaise fois extrême ou têtus comme des mules (pas le genre des amis de ce fil, bien sûr...)
OK, il faut aller plus loin, sinon, c'est tristounet, je suis d'accord. On se dit alors: c'est que le thème en lui-même est reconnaissable: les extraterrestres, on n'en connaît pas, mais ça pourrait exister (spéculation scientifique), ils pourraient nous envahir. Le thème en lui-même nous intéresse, Va-t-on dire qu'il y a là "sense of wonder"? Je ne dis pas non, mais je dis qu'on n'est plus dans l'émotion de la lecture, qui me semble être ce que beaucoup de gens entendent par "sense of wonder".
Bref, cette théorie esthétique est extrêmement complexe (tu en sais quelque chose), et prise seule, extrêmement périlleuse.
Elle n'a pas cette espèce de clarté que tu a l'air de percevoir, en tout cas pas pour moi.
Oncle Joe

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Le_navire
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Message par Le_navire » dim. déc. 20, 2009 12:08 am

Juste une bricole : à propos de Goya, perso, j'ai du mal à l'interpréter comme tu le fais, Lem. Est-ce l'historienne qui parle en moi, je n'en sais rien, mais ma réaction devant les toiles du maître est complètement politique et très éloignée de ton ressenti...
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Lensman
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Message par Lensman » dim. déc. 20, 2009 12:17 am

Le_navire a écrit : Est-ce l'historienne qui parle en moi.
Tiens, moi qui ai juste un cerveau second, je me demande ce que ça fait d'avoir une historienne en soi... ça chatouille? elle gigote, en plus de parler?
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MF
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Message par MF » dim. déc. 20, 2009 12:22 am

Lem a écrit :Apparemment, il est licite de poster ici des couvertures de pulps, des images de drapeaux français et de fromage qui coulent, mais pas des gravures de Goya, Doré et Redon.
Tout est licite, tu le sais bien.
Tu peux mettre ce que tu veux, mais si tu poses une question du type "est-ce que ça a voir avec le sujet ?" ne soit pas surpris :
- d'avoir des réponses ;
- qu'elles n'aillent pas forcément dans ton sens ;
- que quelqu'un essaye d'obtenir une définition du sujet.
Tu as toi-même convenu qu'une mise à l'épreuve correcte pourrait être d'analyser les œuvres légitimées bien que parues sous le label au regard de M. J'ai noté que pour l'instant, on n'avait comme cas que Les chroniques martiennes et personne n'a jugé bon d'allonger la liste, donc on en est là pour l'instant.
J'ai du voir passer le nom de Dick à plusieurs reprises.
Voilà un cas curieux.
Il me semble, mais je peux me tromper, que la M traverse son oeuvre en diagonale. Cité comme écrivain de référence, reconnu par la litt gen, et pourtant je suis persuadé que les référents de litt gén ne l'ont pas (ou peu) lu.
Pourquoi Dick fait-il référence ?
Quant à
ton souhait de ne pas passer pour un Besancenot, pardon un nain posteur, et de voire légitimée La Brigade comme appartenant au corpus ?
je crois bien que je ne vais pas répondre.
Je crois bien que j'ai un humour pourri. (relis toi 5 ou 6 pages avant)
Ce n'est pas parce que Gustave Doré en illustrant l'Enfer crée des paysages et des situations qui ressemblent beaucoup à de la SF (selon ta vision) que ça a à voir avec la SF. Poser la question c'est, quelque part, comme si tu exposais que tu ne sais pas faire la différence. La phrase précédente est sérieuse.
Tu te poses peut-être trop de questions à mon sujet. Essayer de savoir si des œuvres qui semblent proches de l'esthétique SF ont quelque chose à voir avec la SF paraît assez naturel. C'est bien avec ce genre de démarche qu'on peut établir des généalogies qui passent par Chousy, Shelley ou Grainville. Que faut-il faire, selon toi ? Scruter des œuvres qui n'ont rien de commun ? Pour en déduire quoi ? Ne s'intéresser qu'à ce qui est strictement labellisé ?
J'avais, il y a bien des années, un prof de chimie qui avait pour habitude de dire : "Vous n'avez rien rangé lors des derniers TP. Tout était dans tout. Les opérateurs dans les éprouvettes..." Nous rajoutions bien sûr "... et les éprouvettes dans les opérateurs".
Je ne me pose pas de question à ton sujet, j'essaye de comprendre ta démarche.
Tu sors des lapins multicolores de ton chapeau et tu demandes, alors que la lumière est éteinte et qu'il fait plus noir que dans un four, si ils sont de la bonne couleur.
Dis plus simplement, comment penses tu établir une généalogie un tant soit peu "objective" de la SF en partant d'une esthétique de la SF ? Déjà que, manifestement, le concept même de SF pose question, qu'en est-il de son esthétique ? Y'a-t-il un minimum de consensus sur cet aspect ?
sentiment de grand n'importe quoi auquel manque le minimum de méthode et où plus personne ne sait à quelle entité, qu'elle soit cosmologique ou cosmogonique, se vouer.
C'est un fil sur internet, pas un colloque avec des actes à publier à la fin. La discussion passe par des phases. Ce n'est pas très grave, franchement.
Zut, moi qui espérai voir mon nom dans les remerciements...
MF a écrit :
Lem a écrit :
Erion a écrit : Hm, et l'Académisme ? Parce que bon, dans l'art pompier, on en a du mythologique à foison.
Peux-tu préciser ? Académisme de qui et à quelle période ?
Le fait même que tu poses la question me laisse rêveur...
Il y a la Peinture Académique comme école picturale et "l'académisme" comme qualificatif général, éventuellement péjoratif, attribué à des œuvres conformes et sans originalité. Je voulais savoir de quoi parlait Erion. Rassuré ?
Fluchtre, j'avais pris le post d'Erion au second degré.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Sylvaner
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Message par Sylvaner » dim. déc. 20, 2009 12:26 am

Je voudrais revenir sur les (pertinentes) catégories 1, 2 et 3 de JDB (la flemme de revenir en arrière pour citer... je paraphrase en substance, quitte à me faire corriger vertement :
1) pour les auteurs généralistes qui pratiquent la prospective au service d'une oeuvre de littérature générale
2) pour les auteurs de SF qui mettent la prospective scientifique au coeur de leur oeuvre, sans prétendre à une réalité
et 3) pour les prosélytes qui donnent à leur prospective valeur de vérité révélée.)

Passons sur la catégorie 1, incursions demi-SF (comme on dit demi-mondaine ?) d'écrivains généralistes, qui ne vont généralement pas bien loin dans leur prospective, simple support à leur propos sur la nature humaine - je suis en plein Cormac McCarthy, je crois qu'on est dans le sujet.

Je trouve qu'on élimine un peu vite le flou entre les catégories 2 et 3, même si je suis conscient de l'aspect "glissant" de ce terrain.

Quand j'ai lu Ron Hubbard, au début des années 90, j'étais un jeune homme un peu naïf, ignorant de toute l'affaire "scientologie"... j'ai donc lu "Terre, champ de bataille" sans a priori, et j'ai trouvé ça vachement marrant, entre le ridicule et le kitch... et pas si différent de certains "classiques" ! N'allez donc pas me dire que ce n'est pas de la SF ! même si, paraît-il, Hubbard y a mis de son baratin scientologique... que je sache, il ne prétend pas sérieusement que des extraterrestres bardés d'un exosquelette considérable et commandés par la caste des psychiatres vont venir coloniser la terre pendant mille ans, si ?
(Mission Terre, en revanche, lu à la même époque, m'a laissé perplexe : c'est toujours de la SF mais on voit bien qu'il y a un obscur propos derrière, parce que le récit en lui-même n'a pas vraiment d'intérêt...)
Donc, Hubbard en tant qu'auteur de romans se situera entre le 2) et le 3). Il ne prétend pas raconter une histoire vraie, c'est de la SF, mais il y a derrière une forme de prosélytisme pour un mouvement sectaire.

A contrario, je vais reparler de Tim Powers. Comme je l'ai dit dans le fil consacré à ma récente lecture de "à deux pas du néant", une bonne partie du plaisir tiré de ses livre tient au fait qu'on n'a pas à se forcer beaucoup pour croire que "ça pourrait être vrai". La relecture de l'histoire récente ou de la biographie de personnages célèbres est tellement convaincante que, le temps d'une lecture, on arrive presque à se persuader qu'il existe bien des services spéciaux bardés de gadgets invraisemblables leur permettant de dialoguer avec des forces occultes. Comme je n'ai pas entendu dire que Powers ait monté un lobby dénonçant l'exploitation des esprits des morts par la CIA, j'en déduis que c'est bien de la SF. Pourtant, le fait d'y croire, même l'espace d'une heure, est indissociable du plaisir de lecture ! à nouveau, on est donc dans l'ambiguité entre le 2) et le 3) : l'ambiguité ésotérique est dans ce cas un artifice littéraire, et non une dérive - comment dites-vous - hétéroclite.

Et que dira-t-on de Charles Duits, qui prétendait écrire Ptah Hotep sous la dictée d'une inspiration mystique venue d'un autre monde ? ... je sais, on dira que c'est de la fantasy...

En tous les cas, déceler les nuances entre ces différentes approches est peut-être au coeur de ce qui définit un lecteur de SF par rapport à un autre lecteur. Et sans faire exprès, je me remets à défendre l'hypothèse M !
Lire de la SF, c'est peut-être se pencher sur le piège métaphysique sans tomber dedans !
---
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Lensman
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Message par Lensman » dim. déc. 20, 2009 12:45 am

Sylvaner a écrit : Et que dira-t-on de Charles Duits, qui prétendait écrire Ptah Hotep sous la dictée d'une inspiration mystique venue d'un autre monde ? ... je sais, on dira que c'est de la fantasy...
Un peu comme la Bible?...
Tu reposes de vieilles questions...
Il y a des kyrielles de textes (films, etc) de SF où il est question de pouvoirs paranormaux, la télépathie par exemple.
Il y a pas mal de gens qui pensent que la télépathie existe. Beaucoup pensent que non.Un certain nombre sont sans opinion, ou se disent que c'est peut-être possible, mais pas prouvé.
Quel sera le ressenti d'un lecteur de chacune de ces catégories en lisant un texte de fiction où est mise en scène la télépathie?
Question bien compliquée, dans laquelle intervient aussi le statut même du texte: que pense l'auteur lui-même? laisse-t-il deviner une conviction, dans un sens ou dans l'autre (je n'y crois pas, bien sûr, mais je vais vous raconter une histoire dans laquelle nous allons faire comme si c'était possible). Etc, avec toutes les variantes...
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » dim. déc. 20, 2009 12:48 am

Lensman a écrit :Elle m'échappe largement, la théorie esthétique, mais ça ne m'empêche de lire avec intérêt ce que tu en dis, ce que tu tentes de préciser.
Ouf.
La remarque que tu fais sur Gérard montre sans doute un des grands problèmes, qui est qu'une définition de la SF d'une seule nature (par exemple, esthétique, par exemple, sociologique, par exemple, éditoriale, etc) ne peut pas fonctionner. Le malheureux qui se lance dans l'entreprise de la définition est obligé de combiner tout cela et d'autres choses.
Il y a bien des théories et des définitions de la SF, de natures différentes, et un examen serré les révélerait probablement toutes de portée équivalente. Mais il faut bien faire des choix, ne serait-ce que pour pouvoir travailler. J'ai choisi une définition esthétique parce que je m'intéresse à la SF comme forme d'art et que cette forme n'est pas limitée à la littérature, qu'elle a aussi quelque chose à voir avec, en particulier, l'image – une clé esthétique permet de chercher un point commun. Je l'ai choisie parce qu'au milieu de toutes les autres, c'est celle qui m'a parue la plus intéressante, la moins utilisée, la plus riche en connexions potentielles avec d'autres domaines, la plus susceptible d'expliquer des énigmes résistantes. Je ne rejette donc pas les autres approches mais je les subordonne à celle-ci. C'est un choix de méthode (et aussi une position éthique, mais c'est un autre débat).
Mais je trouve que, finalement, ton système aboutit d'une certaine manière à quelque chose de restrictif, même s'il a d'évidentes qualités.
Il faut que tu m'expliques en quoi.
En fin de compte, dans le "sense of wonder", qu'est-ce qui compterait: ce qui le produit, ou l'effet qu'il produit? Si quelqu'un écrit la nième histoire d'invasion extraterrestre, et qu'en plus le texte est vraiment mauvais, ne provoque aucun "sense of wonder" chez le lecteur, on va tout de même dire que c'est de la science-fiction. De la science-fiction ratée, mais de la science-fiction. A ce compte, il vaut mieux dire que c'est de la SF, parce que c'est une histoire d'extraterrestres envahisseurs. Là, tout le monde est d'accord sur le fait que c'est de la SF
Non. Je ne conteste pas le fait que tu puisses définir la SF de cette manière – par une étude des contenus – mais alors, tu te retrouves inévitablement avec des choses comme La soupe aux choux qui répondent au cahier des charges mais ne sont pas de la science-fiction à mes yeux. J'imagine que tu répondras : "si, c'en est, c'est juste qu'elle est très mauvaise". Pourquoi pas ? Mais en ce qui me concerne, travailler sur un corpus défini de cette manière ne m'intéresse pas.
Bref, cette théorie esthétique est extrêmement complexe (tu en sais quelque chose), et prise seule, extrêmement périlleuse.
Elle n'a pas cette espèce de clarté que tu a l'air de percevoir, en tout cas pas pour moi.
Discutons-en, si tu veux.

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Message par bormandg » dim. déc. 20, 2009 12:58 am

Juste une petite remarque au passage: que le sense of wonder soit lié, parfois, à la présence d'une question métaphysique, est une chose. qu'il s'identifie à la métaphysique au point que, selon ton hypothèse M, ce serait la présence de la métaphysique derrière le sense of wonder qui causerait le déni en est une autre. Beaucoup plus contestable. Et je t'ai déjà répondu que les "prescripteurs" savent apprécier l'aspect métaphysique ou merveilleux des textes qu'ils ont décidé de classer "littgen", donc que la métaphysique ne saurait être prise comme cause du déni. Ni le sense of wonder, l'émerveillement, per se.
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

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Message par Lem » dim. déc. 20, 2009 1:02 am

MF a écrit :J'ai du voir passer le nom de Dick à plusieurs reprises.
Voilà un cas curieux.
Il me semble, mais je peux me tromper, que la M traverse son oeuvre en diagonale. Cité comme écrivain de référence, reconnu par la litt gen, et pourtant je suis persuadé que les référents de litt gén ne l'ont pas (ou peu) lu.
Pourquoi Dick fait-il référence ?
Dick est légitimé aujourd'hui. La réédition d'Ubik dans une collection blanche est l'événement qui marque à mes yeux le moment où le déni commence à craquer sur les questions de fond (M) et il s'est produit pendant les années 90. Au même moment, Gibson sortait sans trop d'efforts du label avec des romans sur le statut de la réalité, le statut du moi, la notion d'information… Je me souviens vaguement avoir écrit une lettre de quasi-insultes (je faisais encore ça) à Michelle Gazier de Télérama parce qu'elle avait déclaré, après la parution du livre d'Emmanuel Carrère, que "Dick, ce pauvre écrivaillon minable et camé, a bien de la chance d'avoir un biographe aussi bienveillant pour le tirer de l'oubli" (ou quelque chose comme ça). Et c'était vers 95. Ça commençait à peine. C'est donc très récent. Dick, c'est un vrai marqueur, comme Gibson. Le gros du déni a duré jusqu'à lui.
Dis plus simplement, comment penses tu établir une généalogie un tant soit peu "objective" de la SF en partant d'une esthétique de la SF ? Déjà que, manifestement, le concept même de SF pose question, qu'en est-il de son esthétique ? Y'a-t-il un minimum de consensus sur cet aspect ?
Mes réponses à Oncle sont aussi pour toi, donc.

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Message par MF » dim. déc. 20, 2009 1:03 am

Lensman a écrit :Tiens, un concept qui n'a pas été assez relevé, celui de "science-fiction moderne".

Peux-être faudrait-il penser la science-fiction comme quelque chose de dynamique. Non?
"pas assez relevé" ? T'es pas sport, Joe ! Je passe mon temps à faire des épaulés-jetés avec pour essayer d'en débattre.

Il semble bien délicat de constituer une "histoire" d'un mouvement dynamique.

Quoique... cela nécessite de s'intéresser aux discontinuités et rythmes (mouvements périodiques en particulier).

Comment et pourquoi apparaissent des "spécifiques" (cyber-punk par exemple) ?

Pourquoi des "tendances" reviennent et disparaissent périodiquement ; leurs rythmes sont-ils synchrones aux rythmes sociaux ? (utopie ; steam ; space-op...)
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Message par Lensman » dim. déc. 20, 2009 1:03 am

Lem a écrit : Non. Je ne conteste pas le fait que tu puisses définir la SF de cette manière – par une étude des contenus – mais alors, tu te retrouves inévitablement avec des choses comme La soupe aux choux qui répondent au cahier des charges mais ne sont pas de la science-fiction à mes yeux. J'imagine que tu répondras : "si, c'en est, c'est juste qu'elle est très mauvaise". Pourquoi pas ? Mais en ce qui me concerne, travailler sur un corpus défini de cette manière ne m'intéresse pas.
Mais cet exemple ne marche pas bien. Il est d'ailleurs très frappant. Justement, il faut tenir compte des autres aspects de la SF: "La soupe aux choux" ne sera pas publié dans une collection de SF. Là, l'étiquette sera une sorte de label de garantie.
Je parle d'un texte raté de SF, pas d'un texte où il y a un élément SF qui sert à tout autre chose. Label de garantie SF, hélas pas forcément de qualité.
Là, on voit resurgir l'aspect éditorial, lié au sociologique, etc. Si on s'accroche à un seul aspect, on passe à côté du phénomène.
Oncle Joe

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