On a dans ce thread, cité à plusieurs reprise Flammarion. J'ai pris le temps de remonter à son père spirituel pour essayer de comprendre comment ce débat qui nous agite pouvait bien être traité au moment où science et philosophie était encore joyeusement mêlées.
La réponse est naturellement chez Fontenelle, membre de l'académie française et secrétaire perpétuel de l'académie des sciences, il a écrit en 1686 son Entretien sur la pluralité des Mondes, parfois appelé Entretien avec la Comtesse sur la pluralité des Mondes (je soupçonne toutefois que l'origine de cette deuxième appellation soit à chercher du coté des lecteurs d'un certain palmipède)
Je vous mets ci-dessous la préface de cet ouvrage. J'ai laissé l'orthographe dans l'état où je l'ai trouvé & en plus je suis nul en ortograf).
On y découvre trois choses à mon avis intéressantes :
- la SF pour les Nuls ou la Philosophie pour les Nuls ou la Métaphysique pour les Nuls existaient au XVIIe
- pourquoi les filles ne lisent pas de SF ou, plus exactement, pourquoi elles sont obligées de s'y reprendre à deux fois
- pourquoi notre bon président ne pouvait pas aimer La Princesse de Clèves.
Plus sérieusement, on voit comment la spéculation scientifique commençait à s'éloigner de la réflexion philosophique, sur la base de sujet probablement métaphysique par un texte qui est, amha, de la proto-SF.
Fontenelle explique d'ailleurs comment en écrire de la bonne. En divertissant !
Enfin à mon avis, hein...
ENTRETIENS SUR LA PLURALITÉ DES MONDES
Par Monsieur de Fontenelle, de l'Académie Française (édition 1724)
Préface
Je suis à peu près dans le même cas où se trouva Ciceron, lors qu'il entreprit de mettre en Langue des matières de Philosophie, qui jusque là n'avaient été traitées qu'en Grec. Il nous apprend qu'on disait que ces Ouvrages seraient fort inutiles, parce que ceux qui aimaient la Philosophie s'étant bien donné de la peine de la chercher dans les Livres Grecs, négligeraient après cela de la voir dans les Livres Latins, qui ne seraient pas Originaux, &que ceux qui n'avaient pas de goût pour la Philosophie ne se souciaient de la voir ni en Latin ni en Grec.
A cela il répond qu'il arriverait tout le contraire, que ceux qui n'étaient pas Philosophes seraient tentez de le devenir par la facilité de lire les Livres Latins ; & que ceux qui l'étaient déjà, par la Lecture des Livres Grecs seraient bien-aises de voir comment ces choses-là avaient été maniées en Latin.
Ciceron avait raison de parler ainsi. L'excellence de son génie, & la grande réputation qu'il avait déjà acquise, lui garantissaient le succès de cette nouvelle sorte d'ouvrages qu'il donnait au Public ; mais moi, je suis bien éloigné d'avoir les mêmes sujets de confiance dans une entreprise pareille à la sienne. J'ai voulu traiter la Philosophie d'une manière qui ne fût point philosophique ; j'ai tâché de l'amener à un point, où elle ne fût ni trop sèche pour les Gens du monde,ni trop badine pour les Sçavans. Mais si on me dit à peu prés comme à Ciceron, qu'un pareil Ouvrage n'est propre ni aux Scanvans, qui n'y peuvent rien apprendre, ni aux gens du monde qui n'auront point d'envie d'y rien apprendre, je n'ai garde de répondre ce qu'il répondit. Il se peut bien faire qu'en cherchant un milieu où la Philosophie convînt à tout le Monde, j'en aye trouvé un où elle ne convienne à personne ; les milieux sont trop difficiles à tenir, & je ne crois pas qu'il me prenne envie de me mettre une seconde fois dans la même peine.
Je dois avertir ceux qui liront ce Livre, &qui ont quelque connaissance de là Physique, que je n'ai point du tout prétendu les instruire mais seulement les divertir, en leur présentant d'une manière un peu plus agréable & un peu plus égayée ce qu'ils sçavcnt déjà plus solidement ; & j'avertis ceux à qui ces Matières sont nouvelles, que j'ai crû pouvoir les instruire & les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s'ils cherchent ici de l'utilité ; & les seconds, s'ils n'y cherchent que de l'agrément.
Je ne m'amuserai point à dire que j'ai choisi dans toute la Philosophie la matière
la plus capable de piquer là curiosité. Il semble que rien ne devrait nous intéresser davantage, que de sçavoir comment est faite ce Monde que nous habitons, s'il y a d'autres Mondes semblables, & qui soient habitez aussi ; mais après tout, s inquiète de tout cela qui veut. Ceux qui ont des pensées à perdre, les peuvent perdre sur ces sortes de sujets ; mais tout le monde n'est pas en état défaire cette dépense inutile.
J'ai mis dans ces Entretiens une Femme que l'on instruit, & qui n'a jamais oui parler de ces choses-là. J'ai cru que cette fiction ne servirait & à rendre l'Ouvrage plus susceptible d'agrément, & à encourager les Dames par l'exemple d'une Femme qui ne sortant jamais des bornes d'une personne qui n'a nulle teinture de Science, ne laisse pas d'entendre ce qu'on lui dit &de ranger dans sa tête sans confusion les Tourbillons & les Mondes. Pourquoi des Femmes céderaient-elles à cette Marquise imaginaire, qui ne conçoit que ce qu'elle ne peut se dispenser de concevoir.
A la vérité elle, s'applique an peu, mais qu'est-ce ici que s'appliquer ? Ce n'est pas pénétrer à force de méditation une chose obscure d'elle-même ou expliquée obscurément, c'est seulement ne point lire sans se représenter nettement ce qu'on lit. Je ne demande aux Dames, pour tout ce Système de Philosophie, que la même application qu'il faut donner à la Princesse de Clèves, si on veut en suivre bien l'intrigue, & en connaître toute la beauté.. Il est vrai que les idées de ce Livre-ci sont moins familières à la plupart des Femmes que celles de la Princesse de Cléves, mais elles n'en sont pas plut obscures, & je suis seur qu'à une seconde lecture tout au plus, il ne leu en sera rien achapé.
Comme je n'ai pas prétendu faire un Système en l'air, & qui n'eût aucun fondement, j'ai employé de vrais raisonnemens de Physique, & j'en ai employé autant qu'il a été nécessaire. Mais il se trouve heureusement da ns ce sujet que les idées de Physique y sont riantes d'elles-mêmes, & que dans le même temps qu'elles contentent la raison, elles donnent à l'imagination un spectacle qui lui plaît autant que s'il était fait exprès pour elle,
Quand j'ai trouvé quelques morceaux qui n' étaient pas tout-à-fait de cette espèce, je leur ai donné des ornemens étrangers. Virgile en a usé ainsi dans ses Georgiques, où il sauve le fond de fa matière qui est tout-à-fait sèche par des digressions fréquentes &
souvent fort agréables. Ovide même en a fait autant dans l'Art d 'aimer, quoique le fond de fa matière fût infiniment plus agréable que tout ce qu'il y pouvait mêler. Apparemment il a cru qu'il était ennuyeux de parler toûjours d'une même chose, fût-ce de préceptes de galanterie. Pour moi qui avais plus de besoin que lui du secours des digressions, je ne m'en suis pourtant servi qu'avec assez de ménagement. Je les ai autorisées par la liberté naturelle de la Conversation ; je ne les ai placées que dans des endroits où j'ai crû qu'on serait bien-aise de les trouver ; j'en ai mis la plus grande partie dans les commencemens de l'Ouvrage, parce qu'alors l'esprit n'est pas encore assez accoutumé aux idées principales que je lui offre : Enfin je les ai prises dans mon sujet même ou assez proche de mon sujet.
Je n'ai rien voulu imaginer sur les Habitans des Mondes, qui fût entièrement impossible &chimérique. J'ai tâché de dire, tout ce qu'on en pouvait penser raisonnablement, &les visions même que j'ai ajoûtées à cela, ont quelque fondement réel. Le vrai & le faux sont mêlez ici, mais ils y sont toujours aisez à distinguer. Je n'entreprens point de justifier un composé si bizarre ; c'est-là le point le plus important de cet Ouvrage, & c'eft cela justement dont je ne puis rendre raison.
Il ne me reste plus dans cette Préface qu'à parler à une sorte de personnes, mais ce seront peut-être les plus difficiles à contenter, non que l'on n'ait à leur donner de fort bonnes raisons, mais parce qu'ils ont le privilege de ne se payer pas, s'ils ne veulent, de toutes les raisons qui sont bonnes. Ce sont les Gens scrupuleux, qui pourront s'imaginer qu'il y a du danger par rapport à la Religion, à mettre des Habitans ailleurs que sur la Terre. Je respecte jusqu'aux délicatesses excessives que l'on a sur le fait de la Religion, & celle-là même je l'aurais respectée au point de ne la vouloir pas choquer dans cet Ouvrage, si elle était contraire à mon sentiment : mais ce qui va peut-être vous paraître surprenant, elle ne regarde pas seulement ce Système où je remplis d'Habitans une infinité de Mondes. Il ne faut que démêler une petite erreur d'imagination. Quand on vous dit que la Lune est habitée, vous vous y representez aussî-tôt des Hommes faits comme nous; & puis, si vous êtes un peu Théologien, vous voilà plein de difficultez. La postérité d'Adam n'a pas pû s'étendre jusques dans la Lune, ni envoyer des Colonies en ce pays-là. Les Hommes qui sont dans Lune ne sont donc pas Fils d'Adam. Or il serait embarassant dans la Théologie, qu'il y e^t des hommes qui de descendissent pas de lui. Il n'est pas besoin d'en dire d'avantage, toutes les difficultés imaginables se réduisent à cela, &les termes qu'il faudrait employer dans une plus longue explication sont trop dignes de respect pour être mis dans un Livre aussi peu grave que celui-ci. L'objection roule donc toute entière sur les Hommes de la Lune, mais ce sont ceux qui la font, à qui il plaît de mettre les Hommes dans la Lune ; moi, je n'y en mets point. J'y mets des Habitans quine sont point du tout des Hommes ; Que sont-ils donc ? Je ne les ai point vûs, ce n'est pas pour les avoir vûs que j'en parle. Et ne soupçonnez pas que ce soit une
défaite dont je me serve pour éluder vôtre objection, que de dire, qu'il n'y a point d'Hommes dans la Lune, vous verrez qu'il est impossible qu'il y en ait selon l'idée que j'aide la diversité infinie que la Nature doit avoir mise dans ses Ouvrages. Cette idée règne dans tout le Livre & elle ne peut-être contestée d'aucun Philosophe. Ainsi je crois que je n'entendrai faire cette objection qu'à ceux qui parleront de ces Entretiens sans les avoir lus. Mais est-ce un sujet de me rassurer ? Non, c'en est un au contraire très légitime de craindre que l'objection ne me soit faite de bien des endroits.