Du sense of wonder à la SF métaphysique

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MF
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Message par MF » ven. janv. 08, 2010 6:43 pm

And Now for Something Completely Different

On a dans ce thread, cité à plusieurs reprise Flammarion. J'ai pris le temps de remonter à son père spirituel pour essayer de comprendre comment ce débat qui nous agite pouvait bien être traité au moment où science et philosophie était encore joyeusement mêlées.

La réponse est naturellement chez Fontenelle, membre de l'académie française et secrétaire perpétuel de l'académie des sciences, il a écrit en 1686 son Entretien sur la pluralité des Mondes, parfois appelé Entretien avec la Comtesse sur la pluralité des Mondes (je soupçonne toutefois que l'origine de cette deuxième appellation soit à chercher du coté des lecteurs d'un certain palmipède)

Je vous mets ci-dessous la préface de cet ouvrage. J'ai laissé l'orthographe dans l'état où je l'ai trouvé & en plus je suis nul en ortograf).

On y découvre trois choses à mon avis intéressantes :
- la SF pour les Nuls ou la Philosophie pour les Nuls ou la Métaphysique pour les Nuls existaient au XVIIe
- pourquoi les filles ne lisent pas de SF ou, plus exactement, pourquoi elles sont obligées de s'y reprendre à deux fois
- pourquoi notre bon président ne pouvait pas aimer La Princesse de Clèves.

Plus sérieusement, on voit comment la spéculation scientifique commençait à s'éloigner de la réflexion philosophique, sur la base de sujet probablement métaphysique par un texte qui est, amha, de la proto-SF.
Fontenelle explique d'ailleurs comment en écrire de la bonne. En divertissant !
Enfin à mon avis, hein...
ENTRETIENS SUR LA PLURALITÉ DES MONDES
Par Monsieur de Fontenelle, de l'Académie Française (édition 1724)

Préface
Je suis à peu près dans le même cas où se trouva Ciceron, lors qu'il entreprit de mettre en Langue des matières de Philosophie, qui jusque là n'avaient été traitées qu'en Grec. Il nous apprend qu'on disait que ces Ouvrages seraient fort inutiles, parce que ceux qui aimaient la Philosophie s'étant bien donné de la peine de la chercher dans les Livres Grecs, négligeraient après cela de la voir dans les Livres Latins, qui ne seraient pas Originaux, &que ceux qui n'avaient pas de goût pour la Philosophie ne se souciaient de la voir ni en Latin ni en Grec.
A cela il répond qu'il arriverait tout le contraire, que ceux qui n'étaient pas Philosophes seraient tentez de le devenir par la facilité de lire les Livres Latins ; & que ceux qui l'étaient déjà, par la Lecture des Livres Grecs seraient bien-aises de voir comment ces choses-là avaient été maniées en Latin.

Ciceron avait raison de parler ainsi. L'excellence de son génie, & la grande réputation qu'il avait déjà acquise, lui garantissaient le succès de cette nouvelle sorte d'ouvrages qu'il donnait au Public ; mais moi, je suis bien éloigné d'avoir les mêmes sujets de confiance dans une entreprise pareille à la sienne. J'ai voulu traiter la Philosophie d'une manière qui ne fût point philosophique ; j'ai tâché de l'amener à un point, où elle ne fût ni trop sèche pour les Gens du monde,ni trop badine pour les Sçavans. Mais si on me dit à peu prés comme à Ciceron, qu'un pareil Ouvrage n'est propre ni aux Scanvans, qui n'y peuvent rien apprendre, ni aux gens du monde qui n'auront point d'envie d'y rien apprendre, je n'ai garde de répondre ce qu'il répondit. Il se peut bien faire qu'en cherchant un milieu où la Philosophie convînt à tout le Monde, j'en aye trouvé un où elle ne convienne à personne ; les milieux sont trop difficiles à tenir, & je ne crois pas qu'il me prenne envie de me mettre une seconde fois dans la même peine.

Je dois avertir ceux qui liront ce Livre, &qui ont quelque connaissance de là Physique, que je n'ai point du tout prétendu les instruire mais seulement les divertir, en leur présentant d'une manière un peu plus agréable & un peu plus égayée ce qu'ils sçavcnt déjà plus solidement ; & j'avertis ceux à qui ces Matières sont nouvelles, que j'ai crû pouvoir les instruire & les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s'ils cherchent ici de l'utilité ; & les seconds, s'ils n'y cherchent que de l'agrément.
Je ne m'amuserai point à dire que j'ai choisi dans toute la Philosophie la matière
la plus capable de piquer là curiosité. Il semble que rien ne devrait nous intéresser davantage, que de sçavoir comment est faite ce Monde que nous habitons, s'il y a d'autres Mondes semblables, & qui soient habitez aussi ; mais après tout, s inquiète de tout cela qui veut. Ceux qui ont des pensées à perdre, les peuvent perdre sur ces sortes de sujets ; mais tout le monde n'est pas en état défaire cette dépense inutile.

J'ai mis dans ces Entretiens une Femme que l'on instruit, & qui n'a jamais oui parler de ces choses-là. J'ai cru que cette fiction ne servirait & à rendre l'Ouvrage plus susceptible d'agrément, & à encourager les Dames par l'exemple d'une Femme qui ne sortant jamais des bornes d'une personne qui n'a nulle teinture de Science, ne laisse pas d'entendre ce qu'on lui dit &de ranger dans sa tête sans confusion les Tourbillons & les Mondes. Pourquoi des Femmes céderaient-elles à cette Marquise imaginaire, qui ne conçoit que ce qu'elle ne peut se dispenser de concevoir.
A la vérité elle, s'applique an peu, mais qu'est-ce ici que s'appliquer ? Ce n'est pas pénétrer à force de méditation une chose obscure d'elle-même ou expliquée obscurément, c'est seulement ne point lire sans se représenter nettement ce qu'on lit. Je ne demande aux Dames, pour tout ce Système de Philosophie, que la même application qu'il faut donner à la Princesse de Clèves, si on veut en suivre bien l'intrigue, & en connaître toute la beauté.. Il est vrai que les idées de ce Livre-ci sont moins familières à la plupart des Femmes que celles de la Princesse de Cléves, mais elles n'en sont pas plut obscures, & je suis seur qu'à une seconde lecture tout au plus, il ne leu en sera rien achapé.
Comme je n'ai pas prétendu faire un Système en l'air, & qui n'eût aucun fondement, j'ai employé de vrais raisonnemens de Physique, & j'en ai employé autant qu'il a été nécessaire. Mais il se trouve heureusement da ns ce sujet que les idées de Physique y sont riantes d'elles-mêmes, & que dans le même temps qu'elles contentent la raison, elles donnent à l'imagination un spectacle qui lui plaît autant que s'il était fait exprès pour elle,
Quand j'ai trouvé quelques morceaux qui n' étaient pas tout-à-fait de cette espèce, je leur ai donné des ornemens étrangers. Virgile en a usé ainsi dans ses Georgiques, où il sauve le fond de fa matière qui est tout-à-fait sèche par des digressions fréquentes &
souvent fort agréables. Ovide même en a fait autant dans l'Art d 'aimer, quoique le fond de fa matière fût infiniment plus agréable que tout ce qu'il y pouvait mêler. Apparemment il a cru qu'il était ennuyeux de parler toûjours d'une même chose, fût-ce de préceptes de galanterie. Pour moi qui avais plus de besoin que lui du secours des digressions, je ne m'en suis pourtant servi qu'avec assez de ménagement. Je les ai autorisées par la liberté naturelle de la Conversation ; je ne les ai placées que dans des endroits où j'ai crû qu'on serait bien-aise de les trouver ; j'en ai mis la plus grande partie dans les commencemens de l'Ouvrage, parce qu'alors l'esprit n'est pas encore assez accoutumé aux idées principales que je lui offre : Enfin je les ai prises dans mon sujet même ou assez proche de mon sujet.

Je n'ai rien voulu imaginer sur les Habitans des Mondes, qui fût entièrement impossible &chimérique. J'ai tâché de dire, tout ce qu'on en pouvait penser raisonnablement, &les visions même que j'ai ajoûtées à cela, ont quelque fondement réel. Le vrai & le faux sont mêlez ici, mais ils y sont toujours aisez à distinguer. Je n'entreprens point de justifier un composé si bizarre ; c'est-là le point le plus important de cet Ouvrage, & c'eft cela justement dont je ne puis rendre raison.

Il ne me reste plus dans cette Préface qu'à parler à une sorte de personnes, mais ce seront peut-être les plus difficiles à contenter, non que l'on n'ait à leur donner de fort bonnes raisons, mais parce qu'ils ont le privilege de ne se payer pas, s'ils ne veulent, de toutes les raisons qui sont bonnes. Ce sont les Gens scrupuleux, qui pourront s'imaginer qu'il y a du danger par rapport à la Religion, à mettre des Habitans ailleurs que sur la Terre. Je respecte jusqu'aux délicatesses excessives que l'on a sur le fait de la Religion, & celle-là même je l'aurais respectée au point de ne la vouloir pas choquer dans cet Ouvrage, si elle était contraire à mon sentiment : mais ce qui va peut-être vous paraître surprenant, elle ne regarde pas seulement ce Système où je remplis d'Habitans une infinité de Mondes. Il ne faut que démêler une petite erreur d'imagination. Quand on vous dit que la Lune est habitée, vous vous y representez aussî-tôt des Hommes faits comme nous; & puis, si vous êtes un peu Théologien, vous voilà plein de difficultez. La postérité d'Adam n'a pas pû s'étendre jusques dans la Lune, ni envoyer des Colonies en ce pays-là. Les Hommes qui sont dans Lune ne sont donc pas Fils d'Adam. Or il serait embarassant dans la Théologie, qu'il y e^t des hommes qui de descendissent pas de lui. Il n'est pas besoin d'en dire d'avantage, toutes les difficultés imaginables se réduisent à cela, &les termes qu'il faudrait employer dans une plus longue explication sont trop dignes de respect pour être mis dans un Livre aussi peu grave que celui-ci. L'objection roule donc toute entière sur les Hommes de la Lune, mais ce sont ceux qui la font, à qui il plaît de mettre les Hommes dans la Lune ; moi, je n'y en mets point. J'y mets des Habitans quine sont point du tout des Hommes ; Que sont-ils donc ? Je ne les ai point vûs, ce n'est pas pour les avoir vûs que j'en parle. Et ne soupçonnez pas que ce soit une
défaite dont je me serve pour éluder vôtre objection, que de dire, qu'il n'y a point d'Hommes dans la Lune, vous verrez qu'il est impossible qu'il y en ait selon l'idée que j'aide la diversité infinie que la Nature doit avoir mise dans ses Ouvrages. Cette idée règne dans tout le Livre & elle ne peut-être contestée d'aucun Philosophe. Ainsi je crois que je n'entendrai faire cette objection qu'à ceux qui parleront de ces Entretiens sans les avoir lus. Mais est-ce un sujet de me rassurer ? Non, c'en est un au contraire très légitime de craindre que l'objection ne me soit faite de bien des endroits.
Modifié en dernier par MF le ven. janv. 08, 2010 6:55 pm, modifié 3 fois.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

Shalmaneser
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Message par Shalmaneser » ven. janv. 08, 2010 6:44 pm

Erion a écrit : Ayant réalisé ma thèse sur le concept de minorités ethniques et leur définition, je peux t'assurer que les minorités savent très bien "gérer" les canards boîteux : en les éliminant, en les rejetant, jamais en faisant de ces canards boîteux le symbole de leur redéfinition.
ça dépend, tu as eu combien à ta thèse ?

Lem

Message par Lem » ven. janv. 08, 2010 6:45 pm

Lensman a écrit :Et tu ne demandes pas pourquoi cette association avec le futur paraissait si prégnante à l'époque d'Heinlein, pour qu'il soit amené à préciser que des textes peuvent être de la SF SANS avoir à se passer dans le futur?
Je ne me le demande pas parce que je sais pourquoi : à son époque, la grande majorité des textes étaient situés dans le futur. Mais pas tous. Et c'est encore moins le cas aujourd'hui. On ne peut donc pas utiliser le futur comme élément de définition.
Cela ne te donne pas l'impression que la SF, c'est quelque chose qui bouge, et qui peut ne pas avoir de définition fixée? un corpus qui se construit, et dont les frontières sont mouvantes, selon les préoccupation du temps?
Si je comprends, ce au fond à quoi tu es fondamentalement hostile, c'est au projet même de chercher une définition de la sf. Très bien. Mais pourquoi me demander de renoncer à en chercher une ?
C'est effectivement ce que j'attendrais d'une définition de la SF: que le futur y apparaisse spontanément sans que cela exclue quoi que ce soit d'autre. Mais tu refuses toujours de me lire.
Pas du tout mais je suis de plus en plus convaincu qu'on a un problème de communication. Le futur à lui seul ne suffit pas. Il faut donc que la définition comprenne d'autres termes. L'espace ne suffit pas. La science ne suffit pas. La technologie ne suffit pas. Au final, la définition que tu souhaites aura la forme d'une liste de thèmes et d'objets : "est de la SF la fiction qui s'intéresse au futur et/ou à la science et/ou à l'espace et/ou à la technologie et/ou etc. (je simplifie).
Cela dit, toute intéressante que soit la définition de Heinlein, elle aussi est très restrictive. La machine à voyager dans le temps, je ne la sent pas trop dans sa définition... "Ptah Hotep" non plus. Je ne te dis pas Brussolo...
On se comprend au moins là-dessus, je suis d'accord.
Tu ne sens pas le danger de chercher de toute force à donner une définition?
"Le danger" ?

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Lensman
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Message par Lensman » ven. janv. 08, 2010 6:47 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :Et une fois que tu as demandé leur avis à d'autres personnes (on va partir de l'idée que leur manière de voir la SF t'intéresse), et que tu constates que ça ne fonctionne pas de la même manière chez eux, qu'est-ce que tu en déduis?
Comme répondu précédemment à Erion qui me posait la même question :" Que vous n'êtes pas clients. Que vous n'avez pas besoin de la théorie. Que vous êtes parfaitement à l'aise avec les définitions existantes. Tant mieux pour vous. Moi, j'essaie de comprendre pourquoi, quand Banks démontre dans L'état de l'art que la civilisation de la Culture n'est pas future, cela ne change rien à ma perception de l'œuvre. J'essaie de comprendre pourquoi, quand je lis La bibliothèque de Babel de Borgès, j'ai l'impression de lire de la science-fiction. Vous avez le droit de ne pas être intéressés par ces questions, pas de dire qu'elles sont inintéressantes et que je perds mon temps à y réfléchir.
Donc, j'en déduis que tu n'est pas en train de chercher une théorie de la SF, ou une définition de la SF, mais de cerner certains aspects d'une partie de la SF (et peut-être d'ailleurs d'autres oeuvres qui ne sont pas forcément de la SF).
Pourquoi ne pas l'avoir présenté ainsi dès le départ?
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » ven. janv. 08, 2010 6:49 pm

Erion a écrit :les minorités savent très bien "gérer" les canards boîteux : en les éliminant, en les rejetant, jamais en faisant de ces canards boîteux le symbole de leur redéfinition.
C'est dommage parce que la première définition de la SF (selon vous) est née comme ça, chez Gernsback. En regardant en arrière une poignée d'auteurs qui semblaient faire plus ou moins la même chose et en disant : "voilà, la scientifiction, ce sont les histoires qu'écrivaient Poe, Verne, Wells". Et quatre vingts ans plus tard, les trois canards boîteux ont créé une culture mondiale.

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » ven. janv. 08, 2010 6:49 pm

Lensman a écrit :Pourquoi ne pas l'avoir présenté ainsi dès le départ?
M'enfin, Onc' Joe, parce que M. Serge Lehman est la SF.
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Shalmaneser
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Message par Shalmaneser » ven. janv. 08, 2010 6:49 pm

Lensman a écrit : La subjectivité, c'est la subjectivité. C'est personnel. Si on arrive à en tirer quelque chose que tout le monde arrive à comprendre, ça passe à un autre stade, on ne peut plus appeler cela de la subjectivité. Je n'ai pas dit que ce serait facile à formuler, mais on ne peut plus parler de subjectivité, puisque c'est partagé.
Non?
Lem essaie d'aller dans cette voie, je pense.
Oncle Joe
Non. Un sujet n'est jamais totalement autarcique (ou alors, c'est pathologique, sans doute). Nous avons un monde commun, une langue, une sensibilité et une logique communes. "Partagé" est loin d'être un antonyme de "subjectif".

Lem

Message par Lem » ven. janv. 08, 2010 6:51 pm

Lensman a écrit :Pourquoi ne pas l'avoir présenté ainsi dès le départ?
Page 3 de ce fil :
Lem a écrit :Beaucoup soulignent la brièveté de la préface de Retour, son côté lacunaire, incomplet voire confus. Pas de problème de mon côté : non seulement ce n'était pas le lieu pour un essai complet (certains l'ont aussi trouvé trop longue, cette préface) mais je ne suis pas un chercheur professionnel qui fait la synthèse de ses travaux, plutôt quelqu'un qui essaie de donner une forme audible à une intuition. J'admets sans difficulté la part de nécessité personnelle dans ce projet ; il y a quelques années, je me suis surpris à me poser la question : "pourquoi moi qui suis, ou qui crois être, le basique athée-de-gauche-service-public-rationnaliste, ai-je consacré l'essentiel de ma vie à lire et écrire et juger culturellement importantes, voire décisives, des histoires pleines d'immortels, d'entités aux pouvoirs quasi-divins, de conflagrations universelles, etc ?" Qu'est-ce que ça veut dire ? Klein encore fait état d'un trouble du même genre dans la préface à une réédition de son Gambit des étoiles : "Le jeune homme [il parle de lui à la troisième personne, évidemment] était surpris – et même inquiété – par les images et les idées qu'il voyait naître sous sa plume ou sur le clavier de sa machine. Car son rationalisme et son scepticisme philosophique s'accommodaient mal du mysticisme gnostique qui imprégnait sa première tentative romanesque."
Je suis allé jeter un coup d'œil à l'Encyclopédie de Clute et Nicholls, et à l'article God, j'ai lu (première phrase du papier) : "The word God, or gods, is one of the commonest of all nouns in sf story and novel titles."
J'ai relu l'essai de Lardreau (auquel, bizarrement, j'avais consacré ma première critique professionnelle en 1990 sans bien en mesurer la portée), Fiction philosophique et science-fiction et j'y ai retrouvé l'argument selon lequel la SF a exercé, au vingtième siècle, un quasi-monopole dans l'usage et la construction de mondes métaphysiques.
J'ai repensé au dernier épigraphe d'Ubik : Je suis Ubik/Avant que l'univers soit, je suis/J'ai fait les soleils/J'ai fait les mondes, etc. J'ai repensé à l'incipit de l'Homme démoli de Bester, le premier prix Hugo de l'histoire du genre en 53 : "Dans l'univers sans fin, il n'est rien de nouveau, rien de différent. Ce qui peut paraître exceptionnel pour l'esprit infime de l'homme peut être inévitable pour l'Œil infini de Dieu…" J'ai revu en pensée le monolithe noir de 2001, la plage de la Perte en Ruaba tout au bout du temps, le monde blanc de Matrix…
Je me suis dit OK, il doit y avoir là quelque chose parce que le frisson génial que j'ai toujours associé à la SF dans ce qu'elle a de plus pur culmine dans ces œuvres-là, ces moments-là. Et quelque chose me dit que je ne suis pas le seul dans ce cas.

La préface essaie simplement de mettre un peu d'ordre dans ce foutoir d'émotions et d'interrogations de manière non-fanique.

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » ven. janv. 08, 2010 6:53 pm

Lem a écrit :
Erion a écrit :les minorités savent très bien "gérer" les canards boîteux : en les éliminant, en les rejetant, jamais en faisant de ces canards boîteux le symbole de leur redéfinition.
C'est dommage parce que la première définition de la SF (selon vous) est née comme ça, chez Gernsback. En regardant en arrière une poignée d'auteurs qui semblaient faire plus ou moins la même chose et en disant : "voilà, la scientifiction, ce sont les histoires qu'écrivaient Poe, Verne, Wells". Et quatre vingts ans plus tard, les trois canards boîteux ont créé une culture mondiale.
Il me semble bien que M. Serge Lehman confond histoire et définition.

Juste pour mémoire :

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Message par Roland C. Wagner » ven. janv. 08, 2010 6:54 pm

Shalmaneser a écrit :"Partagé" est loin d'être un antonyme de "subjectif".
Toutafé d'accord : "partagé" a pour antonyme "Hadopi".
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Message par Erion » ven. janv. 08, 2010 6:55 pm

Lem a écrit :
Erion a écrit :les minorités savent très bien "gérer" les canards boîteux : en les éliminant, en les rejetant, jamais en faisant de ces canards boîteux le symbole de leur redéfinition.
C'est dommage parce que la première définition de la SF (selon vous) est née comme ça, chez Gernsback. En regardant en arrière une poignée d'auteurs qui semblaient faire plus ou moins la même chose et en disant : "voilà, la scientifiction, ce sont les histoires qu'écrivaient Poe, Verne, Wells". Et quatre vingts ans plus tard, les trois canards boîteux ont créé une culture mondiale.
Oui, donc tu veux la mort de la science fiction. Parce que ce qu'ont créé Gernsback et autre, ce n'est pas une redéfinition de ce qu'était la littérature, mais la CREATION d'un genre nouveau.
Mais l'existence de la SF n'a PAS changé la définition de la littérature générale.
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Message par Roland C. Wagner » ven. janv. 08, 2010 6:56 pm

Shalmaneser a écrit :
Erion a écrit : Ayant réalisé ma thèse sur le concept de minorités ethniques et leur définition, je peux t'assurer que les minorités savent très bien "gérer" les canards boîteux : en les éliminant, en les rejetant, jamais en faisant de ces canards boîteux le symbole de leur redéfinition.
ça dépend, tu as eu combien à ta thèse ?
M'sieur m'sieur, j'ai envie de pisser !
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Message par Lem » ven. janv. 08, 2010 6:56 pm

Shalmaneser a écrit :
Lensman a écrit : La subjectivité, c'est la subjectivité. C'est personnel. Si on arrive à en tirer quelque chose que tout le monde arrive à comprendre, ça passe à un autre stade, on ne peut plus appeler cela de la subjectivité. Je n'ai pas dit que ce serait facile à formuler, mais on ne peut plus parler de subjectivité, puisque c'est partagé.
Non?
Lem essaie d'aller dans cette voie, je pense.
Non. Un sujet n'est jamais totalement autarcique (ou alors, c'est pathologique, sans doute). Nous avons un monde commun, une langue, une sensibilité et une logique communes. "Partagé" est loin d'être un antonyme de "subjectif".
Je pense que le terme épistémologique approprié est "coordination intersubjective".

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Message par Roland C. Wagner » ven. janv. 08, 2010 6:57 pm

Erion a écrit :Oui, donc tu veux la mort de la science fiction.
Et après il y en a qui se demandent pourquoi je me mets en colère en lisant les interventions de M. Serge Lehman.
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Message par Erion » ven. janv. 08, 2010 6:57 pm

Shalmaneser a écrit :
Erion a écrit : Ayant réalisé ma thèse sur le concept de minorités ethniques et leur définition, je peux t'assurer que les minorités savent très bien "gérer" les canards boîteux : en les éliminant, en les rejetant, jamais en faisant de ces canards boîteux le symbole de leur redéfinition.
ça dépend, tu as eu combien à ta thèse ?
Très honorable avec les félicitations du jury, pourquoi ?
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