Du sense of wonder à la SF métaphysique

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silramil
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Message par silramil » lun. janv. 11, 2010 2:50 pm

Le_navire a écrit :
silramil a écrit :
MF a écrit :
silramil a écrit :
Ce n'est pas la métaphysique qui est l'inhumain, c'est le rejet de l'inhumain qui est métaphysique. La métphysique n'est-elle pas, fondamentalement, née du besoin de l'homme à se reconnaitre comme seul maître de la création après dieu ?
La métaphysique (en tant que discipline intellectuelle) est née du désir de remonter aux principes premiers de toutes choses, c'est à dire à l'Etre. Et comme on ne peut accéder à ces principes premiers qu'en pensée, elle repose sur l'équation Etre = pensée. Plus tard, le christianisme a enveloppé l'équation dans un troisième terme : Etre suprême = pensée la plus haute = Dieu mais sa naissance se détache sur fond de polythéisme grec.
Il me semble que ce que MF veut dire...
ça y est, je suis passé de l'autre coté du miroir...
Désolé si je n'ai pas pris assez de gants : une interprétation (subjective) du texte de MF pourrait être divergente et, en toute humilité, j'oserais en proposer une autre, qui indique que vous ne parlez pas de la même chose. Mais bien sûr, MF me corrigera si je me trompe, ou déforme sa pensée, que je ne peux comprendre qu'en observant les signes qu'il a écrit sur cette portion de page.
Silramil chou, Mf te taquinait simplement parce que tu lui a attribué mes propos. Et que en plus, il a toujours secrètement rêvé d'être une femme... :twisted:

En l'occurrence et bien au contraire, je te remercie, tu as parfaitement saisi mon propos et tu l'as éclairé. Une ange, tu es.
Merci.
Encore désolé, MF.

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Le_navire
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Message par Le_navire » lun. janv. 11, 2010 2:52 pm

MF a écrit :
Le_navire a écrit :Silramil chou, Mf te taquinait simplement parce que tu lui a attribué mes propos. Et que en plus, il a toujours secrètement rêvé d'être une femme...
:shock: Secrètement ?
Moi qui, flaubertien dans l'âme, me suis un jour écrié : "Madame Atomos, c'est moi !"
Pardon c'est vrai, j'avais misérablement oublié cet épisode glorieux ! :lol:

(et corrige ma faute, s'il te plait j'ai les yeux qui piquent)
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Hoêl
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Message par Hoêl » lun. janv. 11, 2010 2:52 pm

MF a écrit :
Le_navire a écrit :Silramil chou, Mf te taquinait simplement parce que tu lui a attribué mes propos. Et que en plus, il a toujours secrètement rêvé d'être une femme...
:shock: Secrètement ?
Moi qui, flaubertien dans l'âme, me suis un jour écrié : "Madame Atomos, c'est moi !"
Toi , il va falloir te brider !
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silramil
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Message par silramil » lun. janv. 11, 2010 2:53 pm

Lem a écrit :
silramil a écrit :Nietszche est donc un esprit fondateur de la science-fiction
A son palmarès : le thème du surhomme et la modernisation du thème du temps cyclique (l'éternel retour). Sans compter ses étranges recherches sur "l'atome temporel" (uniquement dans ses carnets ; ils ne sont pas passés à la postérité alors qu'ils anticipent un peu le fameux "temps orthogonal" de Dick). Pas si mal.
Oui, ce n'était pas ironique. N. est passé dans l'esprit du temps, capté par la SF, entre autres.
Mais je m'intéresse personnellement plutôt à la nature de la réalité (monde unique ou redoublé par une transcendance) qu'aux manifestations individuelles.

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MF
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Message par MF » lun. janv. 11, 2010 2:56 pm

Lem a écrit :
MF a écrit :Essaye aussi avec tout ce qui est radicalement intérieur. (pas matériel, pas vérifiable, pas constatable)
C'est la même chose, comme tu t'en souviens, naturellement :
Nicolas de Cues, dans [i]De la docte ignorance[/i] (1440) a écrit :Le centre du monde n'est pas davantage à l'intérieur de la Terre qu'en dehors d'elle ; et ni la Terre, ni aucune autre sphère ne possède de centre ; car puisque le centre est un point équidistant de la circonférence, et qu'il n'est pas possible qu'il y ait une vraie sphère, ou circonférence, telle qu'il ne puisse y en avoir une plus vraie, il est clair qu'il ne peut y avoir de centre, dont il ne puisse y avoir de plus vrai et de plus précis. Une équidistance précise à divers objets ne peut être trouvée en dehors de Dieu parce que Lui seul est l'égalité infinie. Celui donc qui est le centre du monde est le centre e la Terre et de toutes les sphères ainsi que de tout ce qui est au monde ; et en même temps, il est de toutes choses la circonférence infinie. (…) Les pôles des sphères coïncident avec le centre de telle façon qu'il n'est pas d'autre centre que le pôle, qui est Dieu très saint.
(Tiré de Du monde clos à l'univers infini de Koyre, où est dit tout ce qu'il faut savoir sur la divinisation de l'espace, notamment.)
Jamais lu, donc merci de la référence, je vais en faire mon déjeuner :)
Mais vu comme ça, rapidement, ça me semble être à mi-chemin de Pantagruel et du Docteur Faustroll calculant la surface de Dieu ?

Dans tous les cas, je ne parlais pas de ça mais de la différence (toute personnelle) entre inhumain et in-humain. Entre l'extérieur et l'intérieur. Entre l'extra-terrestre et le fantôme.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Message par MF » lun. janv. 11, 2010 2:59 pm

silramil a écrit :Encore désolé, MF.
tu n'as aucune raison de l'être, j'avais détecté le malentendu...
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Message par MF » lun. janv. 11, 2010 3:05 pm

Le_navire a écrit :(et corrige ma faute, s'il te plait j'ai les yeux qui piquent)
Hors de question.

Ce fil est historique. Chacun se doit d'assumer ses propos, mais aussi ses fautes de grammaire, ou d'orthographe, comme de goût.

Tu verras comme ce sera délicieusement frustrant, dans quelques mois ou années, de boire le calice empli de cette honte...
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
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Message par silramil » lun. janv. 11, 2010 3:07 pm

MF a écrit :
silramil a écrit :Encore désolé, MF.
tu n'as aucune raison de l'être, j'avais détecté le malentendu...
N'empêche. ça va mieux en le disant.

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Message par Le_navire » lun. janv. 11, 2010 3:35 pm

MF a écrit :
Le_navire a écrit :(et corrige ma faute, s'il te plait j'ai les yeux qui piquent)
Hors de question.

Ce fil est historique. Chacun se doit d'assumer ses propos, mais aussi ses fautes de grammaire, ou d'orthographe, comme de goût.

Tu verras comme ce sera délicieusement frustrant, dans quelques mois ou années, de boire le calice empli de cette honte...
Sagouin. Ce que je vais te faire boire, toi... :twisted:
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Shalmaneser
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Message par Shalmaneser » lun. janv. 11, 2010 3:41 pm

silramil a écrit :
Shalmaneser a écrit : On pourrait alors supposer que la SF, tout en recourant aux procédés langagiers de la fiction, parmi lesquels la négociation figure en bonne place, y ajouterait une dimension métaphysique qui bousculerait une tradition littéraire très ancienne, cantonnée à l'humain...
Hum.
Ce point précis me semble intenable. La littérature ne s'est jamais cantonnée à l'humain, au sens où elle s'interdirait de faire intervenir des choses qui sortent de la réalité quotidienne...
C'est ce qu'on appelle actuellement "littérature générale" (mainstream) qui a tendance à se replier sur un fonctionnement réalisto-centriste, en oubliant volontairement toutes les possibilités de la littérature.
La SF, de ce point de vue, n'est qu'un des lieux où se manifestent actuellement certains potentiels de la fiction. Et comme une des lignes directrices de la SF consiste à matérialiser ses objets et à prétendre fabriquer des mondes concrets, elle ne réalise pas non plus toutes les possibilités de la littérature (elle échange la liberté du langage contre des effets de matérialité).
Sur le fond, j'ai l'impression que nous sommes plutôt d'accord ("La SF n'est qu'un des lieux où se manifestent actuellement les potentiels de la fiction"). Je ne faisais que tenter de prolonger, ou de reformuler à ma sauce, l'idée émise par GK.
Il me semble tout de même que l'idée (je ne parlerais pas encore de concept, même si c'est tentant : la notion est encore trop floue ici) d'inhumain peut très bien être appréhendée par la SF comme un objet métaphysique, dénué de toute axiologie. Quand je parlais de l'"humain", je ne pensais pas uniquement au quotidien, loin de là - nous savons tous à quel point il est dommageable de réduire l'art à la représentation du quotidien. J'avais plutôt en tête l'idée selon laquelle l'homme et ses représentations sont traditionnellement au coeur de la fiction ; la SF le confronte non plus, comme chez Homère, à un panthéon transcendant dont le monde humain serait le terrain de jeux, mais à l'immensité d'un univers dont l'humain ne serait plus le centre, mais une composante dérisoire au regard du reste. L'inhumain, ce n'est donc pas seulement la machine, qui est de fabrication humaine (encore qu'on pourrait aussi causer des "Moravecs" autofabriqués de Dan Simmons), mais tout ce qui est, comme l'a écrit Lem, "radicalement extérieur" à l'homme, au point d'en ignorer l'existence, ou de le considérer comme insignifiant - ou de n'être pas même accessible à la compréhension et aux perceptions humaines. Je ne sais pas si je suis clair...
Modifié en dernier par Shalmaneser le lun. janv. 11, 2010 6:14 pm, modifié 1 fois.

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bormandg
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Message par bormandg » lun. janv. 11, 2010 4:03 pm

Gérard Klein a écrit :SILENCE

Il subsiste une lourde question et une sérieuse énigme après qu’on a invoqué les trois principaux facteurs du déni ou du rejet de la science-fiction, à savoir la Dissidence (la sf n’est pas de la littérature), la Science et l’Avenir.
Cette énigme, c’est celle de la persistance du déni dans le temps long, pratiquement depuis un siècle et demi, peut-être plus, persistance que rien ne semble devoir entraver sauf peut-être la fin de la chose qui pourra être enfin embaumée par les instances médiatiques, universitaires et académiques, entre autres.
On a vu que d’autres genres littéraires, comme le fantastique classique et le roman policier avaient fini par être admis dans l’Empyrée. Mais la science-fiction demeure à la porte.

J’en entends déjà qui vont persifler mon temps long et la longueur du déni. Mais il suffit de se pencher sur l’histoire du genre pour en trouver des traces et même des confirmations. Bizarrement, Mercier et son An 2440 (mais aussi le reste de son œuvre) furent rayés de la mémoire littéraire jusqu’à il y a très peu d’années alors que c’est un très remarquable écrivain. Rétif, moindre auteur, bénéficia de sa réputation sulfureuse, comme Casanova. Bodin n’est pas entendu. Avec Verne, la science-fiction archaïque est reléguée dans le domaine de la littérature pour la jeunesse, ce qui n'était pas son ambition initiale. Rosny et Renard ne feront pas école comme ils l’avaient manifestement souhaité (et peu importent ici leurs divergences et disputes, aussi dérisoires avec le recul que celles qui émaillent ce fil). Lorsque Rosny obtient sans le moindre doute que le premier prix Goncourt soit décerné à La Force ennemie, il espère sans doute ouvrir une voie au roman. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne sera guère exaucé. Robida est presque oublié, n’était la robuste association qui le défend, et il faut aujourd’hui le lire en anglais. Wells lui-même finit par abandonner la science-fiction dont il a créé l’expression moderne, pour écrire des romans réalistes sans doute dans l’espoir d’être pris au sérieux. Cas curieux, il veut bien être un prophète de l’avenir, mais il espère que la postérité s’en souviendra comme d’un romancier ordinaire, pourtant devenu assez insipide. Pour la suite, vous savez.
Au demeurant, ce déni, ce rejet, ne sont pas strictement hexagonaux. Contrairement à bien des légendes, il n’en va pas fondamentalement autrement dans le monde anglo-saxon. Et depuis aussi longtemps.

Une si longue et si générale malédiction peut-elle être ramenée aux trois facteurs précités?
J’en doute fort. La Dissidence n’est pas suffisante puisque d’autres espèces littéraires ont fini par y échapper. Même Sade a rejoint le giron académique, certes au bout de près de deux siècles encore que discrètement, bien avant, Bataille et d’autres lui avaient ménagé une place à l’ombre.
La Science est un bon candidat mais elle n’est pas toujours un péché capital. Elle ne l’était pas au dix-huitième siècle avec les cabinets de curiosités. Au dix-neuvième, les tenants du progrès lui font bonne figure. Mais ils n’encouragent pas pour autant la littérature qui la chante. Par ailleurs, la science-fiction archaïque est souvent anti-scientifique: ça n’augmente pas ses chances, n’est-ce pas pauvre Villiers.
Reste l’Avenir. Mais l’anticipation explicite n’intervient que tardivement, sauf exceptions, dans le développement de la science-fiction. Si, au vingtième siècle, nous avons eu et avons toujours au suivant, l’impression que l’anticipation a absorbé pratiquement toute la science-fiction, il n’en était pas de même au moins jusque vers 1930 sans que là comme ailleurs on puisse poser une limite nette. J’ai eu la curiosité de consulter les sommaires des premiers Amazing pour ce feuilleton. Ils ne contiennent longtemps aucune anticipation explicite, c’est-à dire située dans un avenir certain même s’il n’est pas daté. Donc, aux dire de certains, Amazing, ce ne serait pas de la science-fiction. Bigre.
Je n’attache guère d’importance à l’idée scholastique de l’anticipation implicite. C’est Versins qui l’a inventée, sans du reste en tirer grand chose, pour ses propres besoins impérialistes: il décrète que Lysistrata est une anticipation puisque les femmes ne se sont pas encore révoltées (ce en quoi il est optimiste). À persévérer dans cette voie, on va établir Balzac et Hugo comme auteurs d’uchronies ce qui ne va pas arranger les affaires du camarade Henriet. Je ne récuse pas l’idée d’anticipation implicite qui a un grand intérêt, considérée de l’intérieur du genre et d’un point de vue interne. Mais on peut douter qu’un lecteur, critique ou autre, se prenne la tête et se dise; voyons, Le Péril bleu, ça pourrait être de l’anticipation masquée, donc évitons.

Alors, y-a-t-il un autre facteur qui ne réduise pas à néant l’influence des trois autres (et de tels autres qu’il vous plaira d’imaginer)?
Il y en a un, c’est l’inhumain.
La science-fiction, proto, archaïque et moderne, est la seule littérature que je connaisse qui fasse continûment une large place à l’inhumain, ce qui relativement à la Littérature la pose comme dissidente, et l’amène à considérer la science et l’avenir comme d’inépuisables ressources.
L’inhumain peut s’entendre de deux façons au moins, le non-humain, et ce qui est insupportable parce que contraire à l’humanité au sens des mœurs. Le microbe et Mengele. L’atome et Hiroshima. J’aurais pu employer aussi le terme d’abhumain, introduit je crois par Jacques Audiberti (qui a écrit, après tout, La Fin du monde et La Poupée et semble avoir fleureté avec des thèmes de science-fiction) sans doute pertinent puisqu’il voulait rompre avec l’humanisme.
Mais je préfère ici conserver celui d’inhumain parce que c’est bien ainsi que beaucoup perçoivent ce qui est extérieur à l’humain, confondant les deux acceptions.

On connaît la chanson de Térence: rien de ce qui est humain ne m’est étranger. On pourrait presque la retourner pour remplir une impossible définition de la science-fiction: rien de ce qui est inhumain, robots, extraterrestres, machines temporelles, etc. ne me laisse indifférent. La liste est longue des thèmes et objets, proprement inhumains, qui alimentent la science-fiction et notre fascination pour elle. Et qui sont précisément autant de raisons de rejet par ceux qui ne tolèrent pas, ou mal, le non-humain et le tiennent pour inhumain. Pas nécessaire d’en donner de définition que ceux-là pourraient arborer comme un bouclier: subodorer l’étranger radical, la machine étrange, l’intelligence artificielle, deux mots leur suffisent, je ne comprends pas, ça fait peur.
On daube souvent, et même chez les amateurs, sur la propension des auteurs de science-fiction à décrire le fonctionnement de machines plus ou moins improbables. Nuts and bolts. Mais c’est à tort car cela procède précisément d’une interrogation très particulière et très ancienne chez certains, assez peu nombreux au final, comment ça fonctionne, sur quels boutons faut-il appuyer? Bien entendu, l’auteur de science-fiction ne décrit pas réellement sa machine. Mais il vise à placer le lecteur (et lui-même pour commencer) dans l’état d’esprit où le curieux se trouve en face d’une machine qu’il n’a pas encore démontée et dont il ignore, ne comprend pas le mécanisme. J’ai été de ceux qui ont détruit de merveilleux postes de radio antiques dans l’espoir inabouti de percer leurs secrets (Je plaide coupable, il y a prescription). De ceux aussi qui démontaient avec plus ou moins de bonheur le moteur de leur mobylette. C’est ce que j’ai retrouvé et retrouve encore chez un Van Vogt par exemple. L’avant du démontage. Des préliminaires, en somme.

Mais la plupart des gens n’aiment pas le non-humain, l’inhumain, et cela depuis des millénaires, pour une raison assez simple: on ne négocie pas avec l’inhumain. Vous pouvez toujours essayer de cajoler ou d’effrayer un poste en panne ou un ordinateur bloqué, ça ne marche pas. Donc, pour beaucoup, vaut mieux l’oublier. Je ne comprends pas. Ça fait peur.
Or la Littérature, hors science-fiction, c’est fondamentalement de la parole, un espace de négociation. Ça exclut cela avec quoi on ne peut pas négocier.

Cette distance au technique, et à ce qui va bien au delà du simple technique, a peut-être reculé mais j’en doute. Quand je faisais sciences po, je passais pour un drôle d’oiseau pour des tas de raisons mais la principale était probablement que je savais changer un plomb sauté, réparer un vélo et parfois dépanner une voiture alors que mes condisciples, pour la plupart non seulement ne savaient pas mais se faisaient une sorte de gloire honteuse de leur impuissance. Ces activités subalternes relevaient d’une autre classe, en plusieurs sens. Je ne crois pas que ça ait tellement changé et cela a même évidemment été aggravé par l’évolution des techniques: je suis incapable de réparer un circuit intégré ou même l’alimentation d’un ordinateur.

Il y a dans la science-fiction une jubilation, une jouissance quasiment permanente, de l’évocation de l’inhumain. La question qui se pose ici est de savoir pourquoi elle en enchante certains et en détourne d’autres. Les psychologues et psychanalystes ont des tas de théories sur la fascination du comment ça fonctionne et qu’est-ce qu’il y a à l’intérieur qui conduit à l’éventration de poupées et au massacre d’horloges. Je vous les épargnerai. Mais il vaut de relever que certains d’entre eux ont établi la relation entre la science-fiction et certains aspects du psychisme humain, ainsi Harold Searles dans L'Environnement non humain (1960, Gallimard, 1986) qui cite Van Vogt et Bradbury à propos de l'angoisse du schizophrène: il a peine à trouver ses limites (sa définition?). Tobie Nathan, ethno-psychanalyste, et Marcel Thaon y reviennent aussi dans leurs articles publiés dans Science-Fiction et psychanalyse (Dunod, 1986).
La confrontation jubilatoire avec l’inhumain est aussi celle du scientifique évidemment, mais elle est aussi parfois et même souvent, celle du philosophe, tout spécialement dans le champ de la métaphysique. Personne, je crois, n’a ici contesté que la science-fiction aborde beaucoup de thèmes et de questions proprement métaphysiques.
Et c’est ici que je rejoindrai, en partie et prudemment, Serge Lehmann.
Je crois et je le lui dis en toute amitié qu’il a eu le tort de mal s’exprimer. Si, après tout, il avait parlé de questions métaphysiques et même été jusqu’à dire “beaucoup de gens ne supportent pas ces questions soit parce qu’ils les jugent oiseuses soit parce qu’elles leur font peur”, et donc ils rejettent la science-fiction parce qu’ils les y retrouvent sans avoir besoin d’un détecteur fondé sur des définitions aussi rigoureuses qu’introuvables, je pense qu’il aurait été mieux entendu. C’est à peu près ce que je dis JDB en substantivant le métaphysique.
(Quant à ceux qui prétendent obstinément ne pas savoir ce qu’est la métaphysique ou ce que sont des questions métaphysiques, j’hésite à les doter soit d’une ignorance entretenue soit d’une mauvaise foi à toute épreuve. Il n’est jamais interdit de s’informer, et la réclamation répétitive d’une définition procède d’une paresse: s’il y avait une telle définition, à supposer qu’elle soit intelligible en toute ignorance par ailleurs, elle éviterait d’avoir besoin d’aller y voir plus avant. En cinq lignes, faites moi l’histoire de l’humanité. Et de la pensée.)
Les dénieurs rejetant n’ont absolument pas besoin de détecter de la métaphysique dans la science-fiction. Ils ne se posent même pas la question. Mais ils ne supportent pas dans cette littérature l’intervention de thèmes immédiatement détectables, l’ET ou le robot, qui relèvent de questions métaphysiques quant à leur possibilité.
En cinq minutes, ils ont perçu la mauvaise odeur.

J’irai même un peu plus loin. Là où Lem voit de la métaphysique dans la science-fiction, je vois de la méta-métaphysique dans la science-fiction. Je m’explique. Un métaphysicien va se poser la question d’une intelligence autre, extraterrestre ou artificielle et ne va probablement pas lui donner de solution mais explorer ses contours et arborescences. Un écrivain de science-fiction va supposer le problème résolu et se demander ce qui se passe s’il y a bien un extraterrestre et une intelligence artificielle sans beaucoup s’interroger sur les conditions d’apparition de l’un et de l’autre. Asimov pose la positronique et les trois lois. C’est après que ça commence.

Mais alors revient la question: l’inhumain est-il impopulaire, pourquoi et depuis combien de temps?
J’ai au moins partiellement répondu au pourquoi en disant qu’on ne négocie pas avec l’inhumain. Bien souvent avec des humains non plus, mais c’est une autre histoire. Et là précisément, on les tient, à tort ou à raison pour inhumains.
Mais depuis quand? La réponse est: depuis très longtemps.

(
D'une certaine façon tu rejoins ce qui a été écrit avant toi sur le problème de l'altérité. En remplaçant dans ton texte "inhumain" par "autre", j'y souscrirais entièrement.
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

Lem

Message par Lem » lun. janv. 11, 2010 4:07 pm

Avant que l'effet pacificateur du post de GK ne s'efface, et aussi parce que je vais devoir me faire plus rare ici pendant un moment, je voudrais tenter une synthèse.

1)
Un acte est en cours.
Il relève de l'enquête culturelle et de la théorie littéraire.
Il est sincère en ce qui me concerne. J'ai un espoir concernant la façon dont il pourrait être mis à profit pour renverser la barrière de la légitimité mais cet espoir n'est au fond que celui de la raison : si on parvenait à créer une représentation plus juste de Notre Art, à forger une définition qui rende compte correctement du corpus, je pense (je crois, j'espère) que la plupart des malentendus qui brouillent sa réception finiraient par se dissiper.
Mais cette perspective idéale ne conditionne pas la théorie, qui est une fin en soi, une énigme à résoudre, un jeu intellectuel comme l'a dit Oncle. Et aussi un travail. Si la théorie débouche sur une représentation complexe, dérangeante, inexploitable pour les prescripteurs et le public mainstream, ça n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est d'avancer sur ce que nous faisons. De créer une représentation qui nous satisfasse. Le reste – les retombées publiques – suivront s'il y a lieu.

2)
Quand GK dit : "la science, la dissidence littéraire, le futur, ne sont pas des facteurs de rejet suffisants, il y a autre chose", il me semble qu'il distingue soigneusement la nature profonde de la SF des thèmes qui lui servent de matrice, de réservoir d'images ou de lieu de déploiement, mais dont elle est indépendante.
Je ne dis rien d'autre.
GK voit dans "l'inhumain" et sa mise en scène cette nature profonde. Et il l'associe à une émotion, une jubilation, autrement dit un plaisir esthétique ce qui est tout à fait normal : la SF est une forme d'art.
Je ne dis rien d'autre non plus même si j'ai choisi de parler de métaphysique.
Peut-être au final faudra-t-il renoncer à ce terme ? Ou bien, après examen, GK décidera-t-il d'abandonner le sien ? A moins qu'on n'en trouve un autre qui mette tout le monde d'accord ? Décrire de façon unitaire un champ littéraire qui s'étend de La grande rivière du ciel à L'enfer quand Dieu n'est pas présent, est peut-être voué à l'échec mais ce n'est pas une raison pour ne pas essayer et si on le fait sérieusement, on ne peut pas ne pas sentir que le point d'accord se trouve là, quelque part, dans ce registre : le métaphysique, le non-humain ou l'inhumain, le Grand Autre, l'extériorité radicale, etc.

(Incidente : et je crois qu'on ne peut pas non plus, si on est d'accord là-dessus, dénier à Maurice Renard le titre de premier théoricien / premier définisseur quand il écrit, outre tout ce que j'ai déjà posté ici : "Le merveilleux-scientifique nous découvre l’espace incommensurable à explorer en dehors de notre bien-être immédiat ; il dégage sans pitié de l’idée de science toute arrière-pensée d’usage domestique et tout sentiment d’anthropocentrisme. Il brise notre habitude et nous transporte sur d’autres points de vue, hors de nous-mêmes.")

3)
Une remarque enfin sur l'épistémologie.
Je crois qu'on se trompe, ou plutôt qu'on se berce d'illusions en espérant trouver un terme qui rende compte "naturellement" de ce qu'est la science-fiction.
Le langage n'est pas transparent. Métaphysique est connoté. Inhumain aussi. On trouvera toujours des significations secondes qui paraîtront contradictoires avec ce qu'on essaie de décrire. Le seul terme "naturel" pour décrire la science-fiction c'est la science-fiction – avec toute la tension requise entre l'un et l'autre terme, et le trait d'union problématique, et le moment où l'assemblage cesse de signifier simplement "fiction scientifique" pour désigner un tout plus grand que la somme de ses parties.
Mais à moins d'admettre une aporie à la Norman Spinrad ou Damon Knight (ce qui est tout à fait possible ; tout comme il est possible de ne pas être intéressé par cette conversation), il faut bien chercher un qualificatif qui soit susceptible de servir de base à la définition.
Il me semble qu'on fait face à une double contrainte : d'un côté, il faut que le mot soit parlant en lui-même et désigne quelque chose qui ressemble à ce dont on parle. Dire de la machine temporelle que c'est "une machine métaphysique", par exemple, ne me paraît pas scandaleux. De l'autre, il est évident qu'un tel terme sera forcément polysémique et ne pourra être reçu de manière univoque par tout le monde sans coordination (ça ne fait que quelques heures qu'inhumain est en lice et l'examen révèle déjà des contradictions).
L'acte en cours consiste donc, non en l'exploration du dictionnaire à la recherche du terme parfait mais dans le choix d'un terme aussi satisfaisant que possible et dans la maîtrise, éventuellement l'élimination, des significations jugées indésirables ou inappropriées – ceci étant la coordination intersubjective elle-même.
Il me paraît enfin prudent de garder en tête que nous échouerons sans doute à éliminer toutes les ambiguités et que le terme finalement retenu gardera, comme un iceberg, une partie engloutie dans la subjectivité de chacun, une partie sur laquelle il projettera une signification personnelle qui ne pourra être perçue par personne d'autre. Ça ne me paraît absolument pas rhédibitoire. L'important est d'en être conscient et de le signaler dans la définition.

4)
Le programme semble donc être :
– coordination sur un terme.
– mise à l'épreuve de ce terme (rend-il compte correctement de la nature spécifique des "objets SF", de l'émotion esthétique éprouvée quand on est confronté à eux, du déni qu'ils ont suscité ?)
– à partir de là, inscription de la SF dans l'histoire culturelle au sens le plus large et, dans notre cas spécifique, ici, en France.

Ça vous semble plausible ?

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » lun. janv. 11, 2010 4:07 pm

Extrait d'une interview de Jack Williamson où il parle de ses machines les plus fameuses :


I wrote "With Folded Hands" immediately after World War II, when the shadow of the atomic bomb had just fallen over SF and was just beginning to haunt the imaginations of people in the US. The story grows out of that general feeling that some of the technological creations we had developed with the best intentions might have disastrous consequences in the long run (that idea, of course, still seems relevant today). The notion I was consciously working on specifically came out of a fragment of a story I had worked on for a while about an astronaut in space who is accompanied by a robot obviously superior to him physically—i.e., the robot wasn't hurt by gravity, extremes of temperature, radiation, or whatever. Just looking at the fragment gave me the sense of how inferior humanity is in many ways to mechanical creations. That basic recognition was the essence of the story, and as I wrote it up in my notes the theme was that the perfect machine would prove to be perfectly destructive... It was only when I looked back at the story much later on that I was able to realize that the emotional reach of the story undoubtedly derived from my own early childhood, when people were attempting to protect me from all those hazardous things a kid is going to encounter in the isolated frontier setting I grew up in. As a result, I felt frustrated and over protected by people whom I couldn't hate because I loved them. A sort of psychological trap. Specifically, the first three years of my life were spent on a ranch at the top of the Sierra Madre Mountains on the headwaters of the Yaqui River in Sonora, Mexico. There were no neighbors close, and my mother was afraid of all sorts of things: that I might be kidnapped or get lost, that I would be bitten by a scorpion and die (something she'd heard of happening to Mexican kids), or that I might be caught by a mountain lion or a bear. The house we were living in was primitive, with no door, only curtains, and when she'd see bulls fighting outside, she couldn't see why invaders wouldn't just charge into the house. She was terrified by this environment. My father built a crib that became a psychological prison for me, particularly because my mother apparently kept me in it too long, when I needed to get out and crawl on the floor. I understand my mother's good intentions—the floor was mud and there were scorpions crawling around, so she was afraid of what might happen to me—but this experience produced in me a deep seated distrust of benevolent protection. In retrospect, I'm certain I projected my fears and suspicions of this kind of conditioning, and these projections became the governing emotional principle of "With Folded Hands" and The Humanoids.

Je rappelle que Les Humanoïdes est paru en France en 1950.
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Message par bormandg » lun. janv. 11, 2010 4:10 pm

MF a écrit :[
Hors SF, l'inhumain me semble souvent être un faire-valoir de l'humain.
Je n'ai pas le sentiment qu'il en aille de même en SF.
En SF, l'inhumain est un révélateur de l'humain, de la recherche de ce que l'humain a en propre et de ce qu'il a en commun avec l'autre. En fantastique, il n'est qu'un repoussoir, alors qu'en SF il peut même prendre le statut de modèle à imiter. 8)
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

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Message par bormandg » lun. janv. 11, 2010 4:11 pm

Roland C. Wagner a écrit :Extrait d'une interview de Jack Williamson où il parle de ses machines les plus fameuses :


I wrote "With Folded Hands" immediately after World War II, when the shadow of the atomic bomb had just fallen over SF and was just beginning to haunt the imaginations of people in the US. The story grows out of that general feeling that some of the technological creations we had developed with the best intentions might have disastrous consequences in the long run (that idea, of course, still seems relevant today). The notion I was consciously working on specifically came out of a fragment of a story I had worked on for a while about an astronaut in space who is accompanied by a robot obviously superior to him physically—i.e., the robot wasn't hurt by gravity, extremes of temperature, radiation, or whatever. Just looking at the fragment gave me the sense of how inferior humanity is in many ways to mechanical creations. That basic recognition was the essence of the story, and as I wrote it up in my notes the theme was that the perfect machine would prove to be perfectly destructive... It was only when I looked back at the story much later on that I was able to realize that the emotional reach of the story undoubtedly derived from my own early childhood, when people were attempting to protect me from all those hazardous things a kid is going to encounter in the isolated frontier setting I grew up in. As a result, I felt frustrated and over protected by people whom I couldn't hate because I loved them. A sort of psychological trap. Specifically, the first three years of my life were spent on a ranch at the top of the Sierra Madre Mountains on the headwaters of the Yaqui River in Sonora, Mexico. There were no neighbors close, and my mother was afraid of all sorts of things: that I might be kidnapped or get lost, that I would be bitten by a scorpion and die (something she'd heard of happening to Mexican kids), or that I might be caught by a mountain lion or a bear. The house we were living in was primitive, with no door, only curtains, and when she'd see bulls fighting outside, she couldn't see why invaders wouldn't just charge into the house. She was terrified by this environment. My father built a crib that became a psychological prison for me, particularly because my mother apparently kept me in it too long, when I needed to get out and crawl on the floor. I understand my mother's good intentions—the floor was mud and there were scorpions crawling around, so she was afraid of what might happen to me—but this experience produced in me a deep seated distrust of benevolent protection. In retrospect, I'm certain I projected my fears and suspicions of this kind of conditioning, and these projections became the governing emotional principle of "With Folded Hands" and The Humanoids.

Je rappelle que Les Humanoïdes est paru en France en 1950.
et qu'il est même le premier livre paru en France avec l'étiquette SCIENCE-FICTION. 8)
Modifié en dernier par bormandg le lun. janv. 11, 2010 4:33 pm, modifié 1 fois.
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

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