Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lem

Message par Lem » mar. janv. 19, 2010 6:56 pm

Roland C. Wagner a écrit :Je reviens là-dessus parce que l'idée vient de me frapper.
Assez pertinent, en fait. Je ne pense pas que ça épuise le sujet mais on peut certainement décrire la chose comme ça. Faire ensuite l'analyse esthétique de ce phénomène consiste (par exemple) à étudier comment l'écrivain procède pour poser des questions déguisées en phrases affirmatives.
Dans le cas de Padgett, la question naît du comportement impossible d'un objet connu. Plusieurs inteprétations sont possibles : puisqu'il y a un sujet conscient impliqué par "le regarda", c'est que le bouton de porte est vu par lui. Le sujet peut être en proie à une hallucination, ça pourrait être l'histoire d'un fou. Ça pourrait aussi être une simple métaphore ; le sujet est un animiste naturel, comme Homère ("l'aurore aux doigts de rose") et dans sa maison, tous les boutons de porte sont bleus, c'est comme ça. Quand il s'éveille le matin, "le réveil lui sourit jaune", la douche "le purifie comme un long baiser sorti d'une bouche humide" et la cafetière "l'attend avec la patience d'un animal domestique". Si on sait que le texte est de la science-fiction, peut-être se situe-t-il à une époque où la technologie des boutons de porte a évolué, où ils ouvrent "un œil" quand on approche pour identifier le visiteur ; ce serait très dickien. On peut faire bien des interprétations de cette phrase et in fine, admettre qu'il en existe potentiellement d'autres auxquelles on n'a pas pensé. Par ailleurs, il y aurait beaucoup à dire sur le choix de "bleu". Je ne sais pas vraiment pourquoi mais ce mot ici me donne l'impression de renvoyer du côté d'Alice au pays des merveilles (peut-être la juxtaposition avec le bouton de porte). Etc.
Chez Priest, ce n'est pas le comportement impossible d'un objet mais l'usage délibérément inapproprié d'une catégorie pour une autre (compter l'âge en kilomètres). Comme chez Klein où le soleil se regarde avec "des lunettes de temps".
Dans tous les cas, il y a un usage incongru du langage, un rapprochement paradoxal, éventuellement monstrueux qui peut-être interprété de toutes sortes de manières. Je crois que la SF est l'une d'elles. En ce sens (puisqu'il y a un usage délibéré du langage et que cet usage possède une empreinte caractéristique, pour ne pas dire poétique), cela justifie de la considérer sous l'angle esthétique.

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Transhumain
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Message par Transhumain » mar. janv. 19, 2010 6:59 pm

Roland C. Wagner a écrit :
Transhumain a écrit :
Erion a écrit :Et donc.... ? Qu'est-ce qui fait du roman un roman SF, si ce n'est son sujet/objet ?.
L'approche thématique est utile si l'on veut définir la science-fiction comme corpus. En revanche, elle ne permet pas de comprendre l'effet produit par les meilleurs romans de SF. J'ai avancé une hypothèse (la "fonction W") sur mon blog, qui est sans doute discutable (à condition d'être discutée :-). Pour le comprendre, il faudrait tenter une approche phénoménologique rigoureuse, c'est-à-dire, commencer par considérer la SF comme un phénomène.
Doit-on en conclure que tu ne considères pas Tous à Zanzibar comme l'un des "meilleurs romans de SF" ?
Ben si. Doit-on conclure que tu ne considères pas Tous à Zanzibar comme autre chose qu'un thésaurus ?

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mar. janv. 19, 2010 7:00 pm

Erion a écrit :
Lem a écrit : Et comment s'appelle le roman ? Par quel mot prend-on contact avec lui en premier ? Ce mot ne comporte-t-il aucun indice sur ce qui nous attend dans le livre (sans même parler de la quatrième de couverture) ? Ne constitue-t-il pas en lui-même un effet esthétique soigneusement calculé ? Cet effet n'a-t-il rien à nous apprendre sur ce qu'est la SF ?
on parlait des incipits, hein.

Si tu veux jouer sur les titres, je vais t'en citer trois :

The left Hand of Darkness
Consider Phebas
Looking to Windward

Ce sont dons des ouvrages de poésie ?
Oh, un jeu. J'adore.

Allez, une trilogie :

F.A.U.S.T.
Les Défenseurs
Tonnerre lointain

Trois derniers titres qui n'auraient pas déparé aux éditions du Gerfaut.
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Message par Lem » mar. janv. 19, 2010 7:05 pm

Erion a écrit :on parlait des incipits, hein.
On parle de la SF comme phénomène esthétique ; de l'intérêt qu'il peut y avoir à l'analyser comme telle ; et du jeu avec le langage comment exemple de ce phénomène. Ce jeu peut avoir lieu dès le titre, ou dans l'incipit, ou dans la dernière phrase, ou un peu partout. Il peut aussi affecter l'architecture du texte (l'ordre des séquences narratives, par exemple). C'est aussi une question d'esthétique. Que veux-tu dire, Erion ? Qu'il ne faut pas s'intéresser à tout ça ? Au nom de quoi ?

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mar. janv. 19, 2010 7:07 pm

Transhumain a écrit :Doit-on conclure que tu ne considères pas Tous à Zanzibar comme autre chose qu'un thésaurus ?
:shock:

Décidément, nous n'avons pas les mêmes valeurs.

:P
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Message par Transhumain » mar. janv. 19, 2010 7:11 pm

Roland C. Wagner a écrit :
Transhumain a écrit :Doit-on conclure que tu ne considères pas Tous à Zanzibar comme autre chose qu'un thésaurus ?
:shock:

Décidément, nous n'avons pas les mêmes valeurs.

:P
Je crois que tu as mal lu ma phrase, Roland !

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Message par Roland C. Wagner » mar. janv. 19, 2010 7:11 pm

Lem a écrit :Dans tous les cas, il y a un usage incongru du langage, un rapprochement paradoxal, éventuellement monstrueux qui peut-être interprété de toutes sortes de manières. Je crois que la SF est l'une d'elles. En ce sens (puisqu'il y a un usage délibéré du langage et que cet usage possède une empreinte caractéristique, pour ne pas dire poétique), cela justifie de la considérer sous l'angle esthétique.
Oui, mais là, ça devient un simple truisme : la science-fiction emploie des techniques d'écriture et on peut aussi l'étudier sous cet angle.

Tout le monde est assurément d'accord là-dessus.

Mais n'est-ce pas la nature de l'interprétation qui fait la différence ?
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Message par Transhumain » mar. janv. 19, 2010 7:13 pm

Roland C. Wagner a écrit :Mais n'est-ce pas la nature de l'interprétation qui fait la différence ?
Que veux-tu dire par là ? Sa nature ? Ou l'interprétation elle-même ?

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Message par Roland C. Wagner » mar. janv. 19, 2010 7:13 pm

Transhumain a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :
Transhumain a écrit :Doit-on conclure que tu ne considères pas Tous à Zanzibar comme autre chose qu'un thésaurus ?
:shock:

Décidément, nous n'avons pas les mêmes valeurs.

:P
Je crois que tu as mal lu ma phrase, Roland !
Anéfé. Mille excuses.

Du coup, je ne comprends plus ce que tu veux dire.
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Message par Roland C. Wagner » mar. janv. 19, 2010 7:14 pm

Transhumain a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :Mais n'est-ce pas la nature de l'interprétation qui fait la différence ?
Que veux-tu dire par là ? Sa nature ? Ou l'interprétation elle-même ?
Pour être plus clair : la nature de l'explication de la première ^hrase en question.

'tain, j'suis fatigué, moi. Heureusement que j'ai terminé ma journée de boulot.
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Message par Erion » mar. janv. 19, 2010 7:16 pm

Lem a écrit :Que veux-tu dire, Erion ? Qu'il ne faut pas s'intéresser à tout ça ? Au nom de quoi ?
Tu parles d'émotion de lecture pour établir ta définition de la SF. Pas de définition esthétique de la SF. Quand Suvin fait sa définition esthétique de la SF, il parle de l'objet/sujet, pas de son émotion de lecteur.

Tout ce que tu vas arriver à démontrer, c'est, que les écrivains de SF savent utiliser les mots.

Tezuka disait qu'il n'était pas dessinateur de BD, mais qu'il utilisait des points et des courbes pour... créer du sens. En fait, c'était un excellent dessinateur, l'un des tous meilleurs au monde, et il n'a jamais cessé d'expérimenter dans toutes ses oeuvres de nouvelles manières de créer du sens. Parfois, c'était dans des oeuvres de SF, parfois dans des histoires dramatiques.

Avancer ton émotion dans le débat, c'est interdire le débat. Il faudrait être dans ta tête pour te comprendre. Donc, désolé, faudra trouver une autre approche. Vu qu'apparemment, tu es le seul à ressentir la SF comme tu la ressens, c'est pas évident pour définir la SF par ce moyen.

Que tu aies une émotion en lisant de la SF, ca n'implique PAS que cette émotion définisse la SF. Je peux exposer précisément les émotions que je ressens en lisant du Kawabata, en lisant du Ursula LeGuin, je sais que j'ai failli aussi bien rater un arrêt de bus en lisant "le pauvre coeur des hommes" de Soseki et "Déchiffrer la trame" de Jean-Claude. Même effet sur moi de sidération. Mais ca n'implique PAS que ces deux oeuvres soient de la SF.

Comme je l'avais dit auparavant, si je décris cette émotion, on apprend RIEN sur les oeuvres que j'ai lues, mais on apprend des choses sur moi, sur ma personnalité, sur ma manière de ressentir le monde.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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Message par Roland C. Wagner » mar. janv. 19, 2010 7:19 pm

Lem a écrit :
Erion a écrit :on parlait des incipits, hein.
On parle de la SF comme phénomène esthétique ; de l'intérêt qu'il peut y avoir à l'analyser comme telle ; et du jeu avec le langage comment exemple de ce phénomène.
Du moment que tu ne réduis pas la science-fiction à un simple "phénomène esthétique" et que tu ne prétends pas la définir à partir de cette approche, tout va bien.

Mais, du coup, je ne saisis plus le rapport avec la métaphysique.
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Message par Roland C. Wagner » mar. janv. 19, 2010 7:23 pm

Erion a écrit :Je peux exposer précisément les émotions que je ressens en lisant du Kawabata, en lisant du Ursula LeGuin, je sais que j'ai failli aussi bien rater un arrêt de bus en lisant "le pauvre coeur des hommes" de Soseki et "Déchiffrer la trame" de Jean-Claude.
Je peux exposer tout aussi précisément les émotions que j'ai ressenties en lisant du Brussolo ou du Damasio, mais je crains que ça n'apporte pas grand chose au débat (à moins que le sens of vomit ne soit un critère pour définir ce qui n'est pas de la SF).
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Message par Transhumain » mar. janv. 19, 2010 7:25 pm

Erion a écrit :
Lem a écrit :Que veux-tu dire, Erion ? Qu'il ne faut pas s'intéresser à tout ça ? Au nom de quoi ?
Tu parles d'émotion de lecture pour établir ta définition de la SF. Pas de définition esthétique de la SF. Quand Suvin fait sa définition esthétique de la SF, il parle de l'objet/sujet, pas de son émotion de lecteur.

Tout ce que tu vas arriver à démontrer, c'est, que les écrivains de SF savent utiliser les mots.

Tezuka disait qu'il n'était pas dessinateur de BD, mais qu'il utilisait des points et des courbes pour... créer du sens. En fait, c'était un excellent dessinateur, l'un des tous meilleurs au monde, et il n'a jamais cessé d'expérimenter dans toutes ses oeuvres de nouvelles manières de créer du sens. Parfois, c'était dans des oeuvres de SF, parfois dans des histoires dramatiques.

Avancer ton émotion dans le débat, c'est interdire le débat. Il faudrait être dans ta tête pour te comprendre. Donc, désolé, faudra trouver une autre approche. Vu qu'apparemment, tu es le seul à ressentir la SF comme tu la ressens, c'est pas évident pour définir la SF par ce moyen.

Que tu aies une émotion en lisant de la SF, ca n'implique PAS que cette émotion définisse la SF. Je peux exposer précisément les émotions que je ressens en lisant du Kawabata, en lisant du Ursula LeGuin, je sais que j'ai failli aussi bien rater un arrêt de bus en lisant "le pauvre coeur des hommes" de Soseki et "Déchiffrer la trame" de Jean-Claude. Même effet sur moi de sidération. Mais ca n'implique PAS que ces deux oeuvres soient de la SF.

Comme je l'avais dit auparavant, si je décris cette émotion, on apprend RIEN sur les oeuvres que j'ai lues, mais on apprend des choses sur moi, sur ma personnalité, sur ma manière de ressentir le monde.
N'y a-t-il aucun dénominateur commun dans les émotions ressenties à la vision d'un film d'horreur, d'un film érotique, d'un mélo ? Tu ne peux pas analyser le mélodrame sans t'intéresser aux effets produits sur les spectateurs. Et ces effets sont très manifestement différents des émotions produites par un film burlesque. Le sens lui-même, qui peut surgir d'une courbe ou d'une phrase, n'est pas, n'est jamais, univoque, il relève de l'interprétation, et de sa compréhension / de son expérience par le lecteur.

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Message par Roland C. Wagner » mar. janv. 19, 2010 7:27 pm

Transhumain a écrit :N'y a-t-il aucun dénominateur commun dans les émotions ressenties à la vision d'un film d'horreur, d'un film érotique, d'un mélo ?
Le premier et le troisième me font rigoler.

Pas le deuxième, en général.

Donc, pas de dénominateur commun entre les trois.
Transhumain a écrit :Et ces effets sont très manifestement différents des émotions produites par un film burlesque.
J'ai connu quelqu'un que Laurel et Hardy faisaient pleurer. Et pas de rire.
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