Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » jeu. nov. 19, 2009 9:19 pm

Lensman a écrit :
Pascal a écrit :"On discute beaucoup, dans la communauté cybernétique et parmi les amateurs de science-fiction, de ce qu'on appelle 'le test de Turing'... en gros, de l'idée qu'une machine capable, dans un test à l'aveugle, de se faire passer pour un être humain mériterait d'être traitée comme tel.
Je ne discuterai pas de ce point, mais je me demande si nous n'évitons pas des questions métaphysiques plus profondes et plus intéressantes." - RCW, introduction à "Le théâtre cartésien" in Mysterium (c'est moi qui souligne).
Justement, c'est un des (je dis: un des, il y en a d'autres, sans grand rapport, mais que l'on peut préférer) intérêts de la SF. Le problème de la conscience, ça a longtemps été un problème métaphysique (ou philosophique... vous savez comme je suis nul, là aussi, je sens mal la distinction, dans certaines de nos discussions..): on en parlait, et on pouvait toujours en parler, tout le monde s'en fichait. Avec les progrès de l'informatique, on se dit: "Tiens ! il se peut qu'il y ait des décisions à prendre. Supposons qu'une machine réussisse le teste de Turing. Que se passe-t-il ensuite? On se contente de trouver ça pittoresque, ou on se dit qu'il faut lui accorder un statut social?" en SF, on voit mis en scène, sous forme fictive, non pas une réflexion sur la notion de la conscience, mais une réflexion sur ce qui pourrait se passer selon le type de réponse (ou d'absence de réponse) que la société va donner au problème. C'est très différent.
Et je reviens sur mon obsession de la "grande" raison (s'il y en a une) du "rejet" de la SF. La discussion sur la notion de conscience, comme ça, dans l'absolu, tout va bien. Par contre, mettre en scène (dans une fiction "réaliste") les éventuelles conséquence de décision qui seront bien prises un jour (ou pas prises, l'absence de décision étant une décision, une fois le problème exposé concrètement, avec le test de Turing), ça, ça met mal à l'aise beaucoup de gens.
Oncle Joe
Prière de relire Turing. Le test ne prouve pas qu'une machine ou plutôt un programme est intelligent ou conscient, mais il prouve seulement que le programme semble intelligent ou conscient et que ses interlocuteurs humains ne sont pas capables de le percer à jour.
Un escroc qui parvient à se faire passer pour un banquier est-il un banquier pour qui d'autre que ses victimes?

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Lensman
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Message par Lensman » jeu. nov. 19, 2009 9:25 pm

Lem a écrit :Sans t'offenser aucunement, j'ai plutôt l'impression inverse. Peux-tu prouver ce que tu dis, Oncle ?
La double nature de la lumière, corpusculaire et ondulatoire, qui n'est pas une découverte récente. Où est la matière, au vieux sens du terme, là dedans? Ce n'est déjà pas assez déstabilisant? Il faut arrêter avec cette idée que la physique a été "simple" et "compréhensible". Le monde de la physique voit son vocabulaire changer au fil du temps, , n'entend plus les mêmes concepts derrière les mêmes mots, en invente de nouveaux, et de plus est devenu complètement inaccessible au commun des mortels (ce monde n'a d'ailleurs jamais été d'un accès facile). Que veux-tu que cela change, à la conception des gens? Ils ne comprennent déjà pas, dans leur écrasante majorité, la théorie de la relativité (paraît-il plus simple)? Ni même la simple (?) mécanique newtonienne. Un peu de sérieux. Et tu voudrait que ce monde s'intéresse à la métaphysique? ils ne comprennent déjà rien à la physique. Que des margoulins leurs fassent avaler des balivernes, ça, je n'en doute pas. Je parie qu'ils s'en lasseront bien vite...
En SF, les écrivains essaient d'utiliser, tant que faire se peut, ce qu'ils arrivent à comprendre des résultats de la science, pour en imaginer les éventuelles conséquences. Heureusement pour eux, il n'y a pas que la physique, comme science, et heureusement pour eux, on leur demande juste d'en savoir un peu plus que leur public, de manière à ne pas sortir trop d'énormité.
Oncle Joe
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Shalmaneser
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Message par Shalmaneser » jeu. nov. 19, 2009 9:34 pm

Lensman a écrit :
Shalmaneser a écrit :Un fait culturel n'est pas un fait au sens propre, me semble-t-il : mais précisément, si quelqu'un me trouve un fait authentique dans un récit de science-fiction, je suis prêt à lui offrir mon poids en cacahuètes. Le fait est de l'ordre de la vérité objective, celle que nous utilisons au quotidien pour désigner des objets réels, concrets. Mais peut-être Lem voulait-il dire ceci (je m'avance peut-être un peu, mais ce n'est jamais qu'un "peut-être") : la fiction ne relève pas de cette vérité factuelle ; mais son objet n'est pas pour autant dépourvu de vérité. "Dieu" étant un concept, il correspond à une vérité qui n'est pas celle du monde au sens matériel et concret du terme. C'est une vérité abstraite, proprement humaine il est vrai et en ce sens métaphysique, mais elle n'en est pas moins valide dans l'absolu. Et "dans l'absolu", ça pourrait signifier notamment : en littérature, et plus particulièrement en SF...

EDIT : Lem m'a devancé, je m'en doutais un peu... :D
Tu veux dire par là que, par exemple, un auteur de SF catholique romain peut écrire une histoire de SF se passant dans le futur, un futur dans lequel le dieu des chrétiens (son dieu) existe (pour lui), et conditionne le futur en question (tout comme le passé et le présent, d'ailleurs) ?
Non : là, tu réduis mon propos. Je veux dire par là que la vérité n'est pas uniquement factuelle. J'espère au moins que tout le monde est d'accord sur le fait qu'un concept ne relève pas de l'opinion ou de la foi, et qu'on puisse l'explorer par la fiction ou la spéculation philosophique sans pour autant le considérer comme objectivement vrai (sans croire à son existence concrète). Je ne crois pas qu'une oeuvre littéraire digne de ce nom puisse se réduire au relativisme d'une opinion.

Quant à la matière, c'est également un concept, et comme tel il a une signification bien précise qui le relie au monde dans son acception la plus concrète et à son mécanisme. Je ne crois pas que le sens de ce concept ait tellement changé depuis les grecs, même si la science a évolué - et précisément, elle ne s'intéresse plus uniquement à la matière. (EDIT : ça, c'est trop rapide, trop schématique, évidemment ; j'y reviendrai quand j'aurai davantage de temps)
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Message par Lensman » jeu. nov. 19, 2009 9:35 pm

Gérard Klein a écrit :
Prière de relire Turing. Le test ne prouve pas qu'une machine ou plutôt un programme est intelligent ou conscient, mais il prouve seulement que le programme semble intelligent ou conscient et que ses interlocuteurs humains ne sont pas capables de le percer à jour.
Un escroc qui parvient à se faire passer pour un banquier est-il un banquier pour qui d'autre que ses victimes?
Tu pars de l'idée que "banquier" et "escroc" sont deux concepts bien distincts, de même que "clients" et "victimes". il faudra préciser...
Cela dit, Gérard, j'aimerais savoir si tu as un test pour distinguer "être intelligent ET se comporter de manière intelligente", de "Ne pas être intelligent ET se comporter de manière intelligente"...
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » jeu. nov. 19, 2009 9:56 pm

Lensman a écrit :La double nature de la lumière, corpusculaire et ondulatoire, qui n'est pas une découverte récente. Où est la matière, au vieux sens du terme, là dedans? Ce n'est déjà pas asssez déstabilisant? Il faut arrêter avec cette idée qui la physique a été "simple" et "compréhensible". Le monde de la physique voit son vocabulaire changer au fil du temps, , n'entend plus les mêmes concepts derrière les mêmes mots, en invente de nouveaux, et de plus est devenu complètement inaccessible au commun des mortels (ce monde n'a d'ailleurs jamais été d'un accès facile).
Certes. Mais je ne vois rien là-dedans qui te permette d'affirmer que ma conception de la matière est "vieille". J'ai au contraire plusieurs fois rappelé que "matière" n'était pas le terme le plus approprié pour parler de la réalité depuis Copenhague – c'est à dire la fin des années 20. Et j'ai cité les définitions usuelles de matérialisme qui ne signifie pas "réalisme physique" comme tu le suggères mais qui est le nom d'une idéologie. Le reste du post ne me concerne pas vraiment.

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Message par Lensman » jeu. nov. 19, 2009 9:56 pm

Shalmaneser a écrit :
Non : là, tu réduis mon propos. Je veux dire par là que la vérité n'est pas uniquement factuelle. J'espère au moins que tout le monde est d'accord sur le fait qu'un concept ne relève pas de l'opinion ou de la foi, et qu'on puisse l'explorer par la fiction ou la spéculation philosophique sans pour autant le considérer comme objectivement vrai (sans croire à son existence concrète). Je ne crois pas qu'une oeuvre littéraire digne de ce nom puisse se réduire au relativisme d'une opinion.

Quant à la matière, c'est également un concept, et comme tel il a une signification bien précise qui le relie au monde dans son acception la plus concrète et à son mécanisme. Je ne crois pas que le sens de ce concept ait tellement changé depuis les grecs, même si la science a évolué - et précisément, elle ne s'intéresse plus uniquement à la matière.
Il y a heureusement d'autres sciences que la physique, et c'est une chance pour les auteurs de SF (et leurs infortunés lecteurs...) Mais encore une fois, les auteurs de SF ne font PAS de la science, ils font de la (vaste) mise en scène autour de la science.

Bon, j'avais fait exprès de réduire ton propos, et je suis d'accord avec toi...
je voulais cependant en venir à l'idée que, pour qu'un genre comme la SF fonctionne, il faut tout de même un soubassement commun, une conception du monde relativement partagée. Je pense que pour la SF, un des soubassements est que la conception religieuse du monde n'est pas à tellement prendre en compte. Je veux dire que la plupart des lecteurs de SF, s'ils trouvent quelque chose qui va contre leurs convictions religieuses dans un récit de SF, ne vont pas tellement s'en formaliser. Ce n'est pas une confirmation de leurs convictions qu'ils y recherchent, ni non plus une remise en cause. Ils se placent dans un univers relativement consensuel, et ce consensus, c'est la vision scientifique du monde (au sens large).
(En général... Après, dans le détail, c'est autre chose, et c'est la que se cache le diable...)
Oncle Joe
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Message par Lensman » jeu. nov. 19, 2009 10:00 pm

Lem a écrit : Le reste du post ne me concerne pas vraiment.
Tu m'en vois heureux!
Oncle Joe

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Message par Lensman » jeu. nov. 19, 2009 10:07 pm

Lem a écrit : Et j'ai cité les définitions usuelles de matérialisme qui ne signifie pas "réalisme physique" comme tu le suggères mais qui est le nom d'une idéologie. .
Tu as raison, "Réalisme physique", c'est ce que je veux dire, ça me va très bien! Je vais essayer l'employer à la place de "matérialisme", dorénavant. C'est juste un peu gênant pour l'adjectif...
Oncle Joe

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Le_navire
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Message par Le_navire » jeu. nov. 19, 2009 10:45 pm

Lensman a écrit :
Lem a écrit :Navire > La venue à l'existence (culturelle) du Dieu des chrétiens, pour ne prendre que cet exemple, le basculement de l'idéologie impériale romaine en sa faveur, les milliiers d'édifices qui lui sont consacrés, les millions de livres écrits à son sujet, les guerres de religion livrées en son nom, l'aventure intellectuelle violente qu'a représenté sa répudiation, ne forment pas un fait ?
Qu'appelles-tu un fait ? Glisser sur le parquet le matin ?

.
Je crois que par fait, elle voulait parler de l'existence du dieu des chrétiens en temps que dieu ayant vraiment les attributs d'un dieu, intervenant vraiment dans la vie de tous les hommes, et pas seulement par l'intervention de ceux qui y croient. (Tu me corriges si je déforme ta pensée, Le Navire).
Oncle Joe
PS: d'ailleurs, glisser sur le parquet (enfin, mon Linoleum pourri...) le matin me paraît souvent un fait plus flagrant que l'existence de dieu. Mais bon, c'est une opinion personnelle (mais je fais attention, pour le parquet, et pas assez, ou bien pas de la bonne manière, pour Dieu, ça doit être ça...)

C'est surtout que le fait culturel n'est pas définissable de façon stricte : son analyse change en fonction des cultures, des points de vue philosophiques etc...

Le fait appartient aux universaux : quel que soit ta culture, ton point de vue sur le monde, tu retombes sur la même définition, même si les mots sont différents, leur sens est toujours le même.

Tiens, je rajoute un exemple : le soleil se lève et se couche avec la rotation de la terre, c'est un fait. La manière dont on comprend le phénomène est un fait culturel.
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Lensman
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Message par Lensman » jeu. nov. 19, 2009 11:17 pm

Le_navire a écrit : Tiens, je rajoute un exemple : le soleil se lève et se couche avec la rotation de la terre, c'est un fait. La manière dont on comprend le phénomène est un fait culturel.
Attends... tu veux dire que ce n'est pas le jour et la nuit qui se succèdent avec la rotation du soleil autour de la terre???
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Message par systar » jeu. nov. 19, 2009 11:25 pm

Lensman a écrit :
Déjà, merci pour tes réponses assez développées et très claires (tu ne l'est pas TOUJOURS autant...) (les copains et copines qui ne suivent pas ce fil ne savent pas ce qu'ils perdent...).
Je t'en prie. J'avais une insomnie à occuper ;-)
En revanche, je ne suis pas très convaincu par les problèmes "métaphysiques nouveaux" que tu cites. Je les perçois, pour ma part, comme des problème très concrets et très matériels, avec des composantes philosophiques, c'est certain (des choix sont à faire). Mais justement, des choix, des décisions sont à faire, au sens concret du terme.
Parce que j'ai expliqué trop vite.
Mais des énoncés comme "l'essence et l'origine de la technique n'est rien de technique, et relève de l'arraisonnement du monde", énoncé qu'on pourrait trouver chez Heidegger, c'est de la métaphysique, à mon sens. Rien que le mot "essence": moi, j'ai jamais vu des essences se promener dans la nature, parler d'elles relèvera donc soit d'une technique particulière d'accès à elles (Husserl), soit d'un pari quant à leur existence (dire que les choses ont une "essence", invariante, stable, universelle), qui est le pari que fait la métaphysique (qui a d'ailleurs inventé le mot et la notion).
Ce n'est sans doute pas le lieu d'en parler, mais j'avoue ne pas du tout comprendre ceux qui veulent plaquer ces histoires de "mal" absolu sur la Shoah. Là, ils sont dans une vision surnaturelle du monde (c'est leur droit, mais que peuvent faire leurs interlocuteurs comme moi de leur discours?), avec le Bien, le Mal, posés comme ça, "à l'ancienne". Je ne vois pas ce que ça vient faire avec la métaphysique, au sens où nous l'entendons dans la présente discussion, évidemment.
On garde le mot de "mal", mais on n'en fait pas un être, ou une force, ou même un principe invisible et immatériel, qui aurait un vrai pouvoir sur le monde. ça, c'est la gnose, qui pose le mal comme entité existante (et capable de lutter pied à pied avec Dieu).
On questionne plutôt le "mal" comme échec de la pensée à penser l'horreur, à en dire quelque chose de pertinent, on s'interroge sur la "nature" de la souffrance (indépendamment de ses explications biochimio-électriques, de plus en plus satisfaisantes).
Bien sûr, tu trouveras des hallucinés à qui la simple pensée de la Shoah tourne la tête, et qui sont pathologiquement obsédés par ça.
Mais il y a aussi un discours rationnel, qui essaie de ne rien présupposer de trop ("ne pas rajouter d'entités inutiles pour expliquer un processus"), et qui s'interroge sur la possibilité que la Shoah ait été une forme de violence totalement inédite, quant à sa nature, dans l'histoire de l'humanité. On répondra comme on voudra, mais la façon de poser la question (un événement peut-il transformer la nature d'un universel humain? (ici: la violence)) relève d'une méthode "métaphysique".
Je pense que ton tempérament te poussera à trouver ce type de questions sur la Shoah un peu vaseux; mais bon, la discussion existe, elle a lieu.

Si tu veux un peu de "métaphysique du mal pour les nuls", tu peux regarder 2 livres d'Eliette Abécassis: son roman "L'or et la cendre", qui justement met en scène les différentes théories du mal dont je viens de parler, et son petit essai "Petite métaphysique du meurtre".
Et si tu en veux un peu plus, en qualité esthétique et en profondeur: Le dernier des Justes, de Schwarz-Bart, et le poème de Celan: "Lait noir de l'aube".

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Message par systar » jeu. nov. 19, 2009 11:27 pm

Lensman a écrit :
Le_navire a écrit : Tiens, je rajoute un exemple : le soleil se lève et se couche avec la rotation de la terre, c'est un fait. La manière dont on comprend le phénomène est un fait culturel.
Attends... tu veux dire que ce n'est pas le jour et la nuit qui se succèdent avec la rotation du soleil autour de la terre???
Oncle Joe
Prépare les bûches, Tonton.
On a détecté une hérétique copernicienne.

Bon, à part ça, au lieu de flooder, il faut que je me coltine les 3 pages de discussions que j'ai loupées aujourd'hui...

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Message par Le_navire » jeu. nov. 19, 2009 11:40 pm

Lensman a écrit :
Le_navire a écrit : Tiens, je rajoute un exemple : le soleil se lève et se couche avec la rotation de la terre, c'est un fait. La manière dont on comprend le phénomène est un fait culturel.
Attends... tu veux dire que ce n'est pas le jour et la nuit qui se succèdent avec la rotation du soleil autour de la terre???
Oncle Joe
:D ça c'est ta réponse culturelle au fait observé... (je sais je suis garce...)

J'ai fait exprès de présenter l'exemple comme ça : ce qu'on voit, à savoir le lever et le coucher du soleil est le fait observé de manière universelle. Tu n'as pas besoin de comprendre comment ni pourquoi, le fait est le même pour tout le monde, depuis le papou qui n'a jamais vu un blanc, à l'européen qui lui, aura eu accès à des faits supplémentaires (calculs, instruments d'observation, etc...) : la réponse au pourquoi et au comment découle de ta culture.

C'est une définition très ethologique des choses, certes...

Un autre exemple, pour être plus claire ? Partons encore d'un des universaux : lorsqu'on apprécie quelqu'un, nos pupilles se dilatent lorsqu'on le regarde. C'est un fait. La belladone dilate les pupilles, c'est un autre fait.

Au XVIe les femmes se mettaient de la belladone dans les yeux pour se donner l'air séduisantes (d'où le nom de Bella Dona parce que les femmes italiennes furent les premières à utiliser le procédé) : C'est un fait culturel : sans connaitre les universaux et leur mode de fonctionnement, leur procédé interprète la réalité, puisqu'en dilatant leur pupilles, elles paraissent plus intéressantes aux hommes simplement parce que inconsciemment, ils ont le sentiment d'un intérêt pour leur propre personne.

C'est plus clair ou je m'enfonce ?

Sinon, la détermination de Roland sur l'existence Dieu se suffit à elle même en fait. Mais il faut toujours que je la ramène... *soupir*
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Message par systar » ven. nov. 20, 2009 1:02 am

Lensman a écrit :
Et là, Systar va peut-être nous annoncer qu'il y a là à la base une nouvelle branche de la métaphysique (à moins que ça n'existe déjà):
imaginer les conséquences de la résolution de problèmes "de savoir" (ça fait plus large que "scientifiques", et ces savoirs ne sont pas forcément à être étiquetés "métaphysiques") sur le monde.
(tu ne me ménages guère, Tonton)

ça ressemble à ce que croyait Hegel: il se pourrait bien qu'on soit arrivé à l'âge où les grands problèmes sont "réglés".
Concrètement, ça serait relié à la pacification politique, je présume (peut-être selon une suite logique du type: omniscience => omnipotence généralisée => la violence ne bénéficiera plus à personne => pacification intégrale), et ça signifierait ce qu'on a appelé "la fin de l'histoire": il n'y aurait plus assez de déséquilibres, d'inégalités, de négatif, d'incertitude, pour qu'il se passe encore d'authentiques événements.
On passerait alors à une époque homogène, stabilisée, indéterminée (les fans de Hegel, comme Fukuyama, ont pensé que la généralisation mondialisée de la démocratie libérale provoquerait cette plongée dans une époque où il ne se passe plus rien de significatif qui puisse "faire l'histoire").
En SF, parfois, on a des situations initiales de romans qui pourraient correspondre à cette hypothèse d'une stase indéfinie, où rien ne peut plus perturber profondément l'ensemble.
Mais évidemment, le jeu, chez l'auteur de SF, c'est de réintroduire un déséquilibre, un événement vraiment décisif, du "négatif"... (John Wright, L'oecumène d'or, si je ne m'abuse, en est un bon exemple. Mais aussi par exemple Les danseurs de la fin des temps de Moorcock, qui font, au final, un peu plus que "danser" ;-) )

L'idée d'une résolution définitive et intégrale des problèmes liés au "savoir" a culminé, et est morte avec Hegel, je pense.
Après Hegel, c'est les auteurs préférés de Lem, et le mien, qui apparaissent, pour dire qu'on n'en finira jamais avec l'ignorance, la mort, le tragique, etc; on renonce à des idéaux de compréhension intégrale du réel, et on restreint les ambitions.

Quand Nef entame une élucidation ordonnée des structures intimes de la réalité (nature de l'objet, nature des propriétés, nature de l'événement), c'est enthousiasmant, et en même temps ça l'est moins que Hegel, parce qu'il n'y a plus l'idée folle d'une compréhension intégrale de tout, et en simultané: le temps, l'éternité, l'homme, le divin, la matière, l'histoire, son sens éventuel, etc.

Donc: non, à ma connaissance, la métaphysique, dans son histoire, pose de moins en moins l'hypothèse d'une résolution définitive de certains problèmes de "savoir".

(même s'il y a de brillants contre-exemples, mais trop confidentiels, comme Alain Juranville, qui a entrepris un formidable système philosophique où il explique comment on peut instituer, politiquement, un "monde juste" en construisant un "savoir de l'existence", c'est-à-dire un savoir total, et parfaitement satisfaisant, sur ce dont on a affirmé (Kierkegaard, Rosenzweig, Heidegger, Nietzsche, Lévinas, et même Lacan) qu'il ne pourrait jamais y avoir de savoir objectif, définitif, et donc "scientifique")

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Message par Gérard Klein » ven. nov. 20, 2009 3:51 am

Sur un des problèmes initiaux, à savoir le pourquoi du rejet de la science-fiction par une grande partie du public soi-disant cultivé depuis au moins un siècle et demi en France (et peut-être bien ailleurs aussi), il convient de relire l'ouvrage des Bogdanoff, L'effet science-fiction (1979), essai sociologique qui (hélas) n'a pas pris une ride.
Sur le succès des livres de Bernard Werber, il me semble qu'il n'y a pas de vrai problème. Ses lecteurs enthousiastes sont très jeunes (plus leurs grand-parents en quête de cadeaux) et ils ne savent pas et n'ont aucune raison de savoir que ces thèmes ont déjà été traités et que Werber écrit comme un cochon. Ils ont le goût de questions profondes, comme les jeunes avant qu'ils ne soient abîmés par l'enseignement et la puberté. On peut espérer - mais je n'y crois pas pour la majeure partie d'entre eux - que cela leur servira d'introduction à autre chose.

Sur la métaphysique, qui passe pour être une partie de la philosophie, je me trouve pour l'essentiel en accord avec Lem et avec Systar.
Sur la question des réponses universelles que la science apporterait demain ou après, je me trouve, exceptionnellement, en désaccord avec Bull. La science, ou les sciences, peut répondre à une petite partie, au demeurant intéressante, des questions que se posent les humains. Mais pas au reste.
Comme le savent les philosophes, ou comme ils le prétendent, elle ne peut et ne pourra jamais, parce que ce n'est pas son objet, répondre à la question simple: que dois-je faire? Ou encore, j'aime cette femme. Ai-je raison? Ou encore, je vote pour ce candidat à une élection. Est-ce le bon choix?
Curieusement, sur ce dernier point, la science mathématique peut apporter un éclairage sérieux depuis Condorcet sur les meilleures façons de faire prédominer un choix collectif mais elle ne dira rien sur l'orientation de ce choix sauf à se prétendre capable, ce qui fut le cas du "socialisme scientifique", d'en calculer les conséquences jusqu'à la fin des temps.

Le problème des humains, ce qui rejoint la métaphysique et même la question de l'existence de ou d'un Dieu, c'est qu'il doivent faire des choix hors de toute certitude, genre pari de Pascal (le modeste philosophe), pas l'éminent éditeur.

Comme le dit Lem, la question du matérialisme est largement réglée, de façon négative, non pas tellement depuis l'interprétation de Copenhague que depuis ce qui la complète voir la contredit, et surtout que par l'évolution de la physique quantique et des interprétations du réel auxquelles elle conduit. On peut lire là-dessus d'Espagnat (certes catholique mais grand physicien) et plus récemment Bricmont qui peut difficilement passer pour spiritualiste. Sauf à recourir à des contorsions idéologiques extraordinaires, l'absence de toute fondation atomiste (genre Lucrèce), l'indéfinition fondamentale (plutôt que l'indétermination ou l'incertitude, mauvais termes) de toute mesure dans un couple de complémentaires, et la non-localité (ou non-séparabilité, c'est selon arrivage ou au choix) empêchent de penser le réel comme à la fois accessible, donc pensable, consistant et obéissant à des règles déterministes en dehors d'un observateur local qui décide de la mesure et de ses instruments. Le bouleversement intellectuel que porte la PQ est encore mal perçu.

Pour revenir à une des questions initiales, c'est peut-être là que réside le scandale que porte innocemment la science-fiction. Non seulement elle est issue de la science et de ses interrogations (et on voit mal comment elle existerait culturellement sans elles), mais elle n'est pas, au fond, scientiste. Or, au fond, les ennemis les plus résolus du scientisme, spiritualistes vulgaires de tout poil, ont besoin du scientisme pour se définir.
Le succès de certaines œuvres évoquées, Huxley, Barjavel et peut-être Dantec, tiendrait précisément à ce qu'elle se posent, pour une part au moins et pas toujours sans raison (Huxley), comme anti-scientistes alors même que les scientifiques ont abandonné depuis longtemps la position scientiste. Le cas d'Orwell est évidemment différent.
Les anti-scientistes sont en somme les anti-cléricaux du vingtième siècle et peut-être du suivant. Ils ont terriblement besoin de bouffer du curé, en l'occurrence de l'auteur de science-fiction, faute de mieux.

J'ai du reste eu l'impression, en lisant ce fil, que la plupart des participants avaient beaucoup de mal, non seulement à comprendre pourquoi certains vouaient à la science-fiction une ignorance ou une haine aussi stérile qu'irrationnelle, mais aussi à expliquer, voire simplement à dire, pourquoi elle les passionnait, eux.
Modifié en dernier par Gérard Klein le ven. nov. 20, 2009 4:35 pm, modifié 1 fois.

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