Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lensman
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Message par Lensman » sam. janv. 30, 2010 7:52 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :Mais la SF n'est pas structurée, au temps de Renard. A son époque, la discussion n'a pas leu d'être. Une fois la SF structurée, il est évident que le choix de ce qui est publié dans les collections devient un vrai sujet.
Si je comprends bien ton argument :
– Renard donne la bonne définition de la SF
– mais comme il le fait à une époque où la SF n'éprouve pas le besoin de trier ce qui se publie sous son étiquette, cette définition n'a aucune importance et on ne peut donc pas dire que Renard est le définisseur ?
Je trouve ce raisonnement… je ne sais pas. Etonnant.
Toi qui aimes l'intuition, je pense avoir l'intuition que Duits ne relève pas de la SF. Et je crois que tout le monde l'a, cette intuition (sauf toi?…) Ce qui n'empêche en rien d'apprécier Charles Duits, ni n'empêche un écrivain de SF de subir son influence, etc.
Mais le sujet, c'était la SF, pas TOUT ce qui peut influencer ou attirer un auteur (ou un amateur) de SF ET qui recoupe le champ d'autres sensibilités: fort heureusement pour nous tous, nos sensibilités sont multiples, et interagissent.
Moi non plus, je ne pense pas que le roman de Duits soit de la SF "au sens strict". Mais il est paru sous l'étiquette comme des centaines d'autres textes non-stricts. Et de ce fait, il a élargi et enrichi (on peut aussi dire : rendu diffuse) la perception de la SF en tant que phénomène éditorial, en tant que somme intuitive de tout ce qui est publié sous l'étiquette. Quand Elisabeth Vonarburg publie Chroniques du pays des mères, il y a quand même un petit parfum de fantasy qui plane (ne serait-ce qu'au niveau de l'esthétique générale). Quand Brussolo fait Portrait du Diable au chapeau melon, ça n'a rien de scandaleux parce que dans cette même collection, cinquante ans plus tôt, on publiait Malpertuis de Jean Ray. Individuellement, Duits et les autres peuvent ne pas être de la SF. Mais leur présence dans les multiples catalogues a contribué à la perception générale du genre : il est licite d'y lire(et d'y écrire) des textes non-stricts. De toute façon, cette partie de la discussion est close. Le genre élargi, c'est la fiction spéculative. (Pour la première fois, hier, je me suis surpris à me dire qu'effectivement, le terme convenait mieux. Je repensais à Un jour sans fin, film que j'adore, que j'ai toujours intuitivement classé SF (large) et j'y ai pensé comme ça : fiction spéculative. Je suis en train de métaboliser.)
Où vois-tu que je dis que Renard donne LA bonne définition de la SF? Pour moi, on ne peut pas en donner. Par contre, il fait ressortir des caractéristiques de beaucoup de textes de science-fiction. Visiblement, Versins est très proche de Renard, en parlant de "conjecture romanesque rationnelle".
Comment te faire comprendre ce que je veux dire? Dans nos discussions, on a parlé de "Faire voile", de Farmer. Peut-on dire que la définition de Versins, "conjecture romanesque rationnelle", va coller? Pas évident, car le terme "rationnel" va poser des problèmes (bien que je peux m'en tirer, mais il s'agit aussi d'être bien convaincant pour les autres, et ce n'est pas si simple; ma meilleure démonstration reste mon article sur la science-fiction-fiction; c'est discutable). Pas évident d'appliquer la définition Versins à Charles Duits, non plus. Pourtant, il n'y a pas d'hésitation pour moi; Farmer se situe dans un courant de la SF où on s'intéresse au sens même des lois de la physique, de l'histoire, etc. (relire sa petite explication de texte). Il y a, au centre, une démarche SF. Duits, lui, est dans un tout autre courant, où le fait de spéculer "rationnellement" (même dans un sens peu précis) importe peu. On le mettra dans la "fiction spéculative" évidemment sans problème. Comme on peut y mettre la SF. Comme on peut y mettre la Fantasy.
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jeandive
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Message par jeandive » sam. janv. 30, 2010 7:59 pm

silramil a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :
silramil a écrit :Gernsback n'est à mes yeux qu'un épiphénomène sans grande importance.…)Ce qui me paraît crucial dans la science-fiction (…) est la dimension collective, participative, favorisée par la présence de structures éditoriales adaptées, et par une plus grande audace conceptuelle.
Voyons… qui a créé les premières structures éditoriales adaptées, déjà ?
Tu as raison...
mais Gernsback lui-même a moins d'importance que les structures - c'est pour ça que je le traite assez cavalièrement d'épiphénomène.
c'est pas un peu la poule et l'oeuf ?

quel fut l'impact de gernsback en tant qu'homme de sf aux usa ds les années 26 et suivantes ? ( avant d'etre dézingué par certains critiques plus tard , damon knight entre autre je crois )

marrant cette perseverance a vouloir mettre Renard en " prem's" alors que comme l'a dit entre autre silramil : << S'il s'agit de rappeler que Renard a eu des intuitions intéressantes, et compatibles avec la réflexion sur la science-fiction, je suis d'accord.
Cela dit, le point le plus important est de signaler que les intuitions de Renard n'ont eu à peu près aucun effet sur ses contemporains, qu'il s'agisse des lecteurs ou des écrivains, même quand ils les connaissaient, et que la réédition de cet article dans les années 80 n'a rien provoqué chez ses lecteurs.
Cela permet de supposer que ce qui a manqué à Renard, ce n'est ni le talent ni l'intuition, mais bien la structure éditoriale, et que sans cette structure, pas de science-fiction (sens restreint) <<<

c'est simplifier les choses que de dire " la sf est arrivé en france dans les années 50 , thanks les amerloks " , mais mettre Renard a cette place dans l'histoire du genre parait bien artificiel car sa place est purement sur la theorie , unique, et n'a effectivement apparement pas fait grand chose en terme d'impact , ce qui est qd meme le plus important

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Lensman
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Message par Lensman » sam. janv. 30, 2010 8:04 pm

Lem a écrit : Il n'y a pas l'ombre d'une anticipation chez Renard. Tout se passe au présent et il y a même ici et là un peu de name-dropping impliquant des contemporains.
En fait, Renard reste très … vernien, quelque part: l'invention extraordinaire est généralement détruite à la fin ("Le voyage immobile", si je me souviens bien, mais il faut que je le relise), et en fin de compte, "Le péril bleu" pourrait être une parenthèse qui se referme.
Il est intéressant de comparer ce texte avec "La guerre des mondes" de Wells. Au fond, ça ne se passe pas "vraiment" dans le futur, sauf à dire, évidemment, que l'événement n'est pas survenu (ça saurait…). Mais l'ampleur de l'événement, justement, fait que la vision du monde en est changée pour toute l'humanité, dans le récit. Pas juste pour un personnage, mais tout le monde. J'ai l'impression que Renard reculait devant ce type de récit. Ce n'est pas un reproche que je fait à ce remarquable écrivain, mais cela montre pour moi qu'il est encore dans cet archaïsme dont parle Gérard.
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Modifié en dernier par Lensman le sam. janv. 30, 2010 8:27 pm, modifié 1 fois.

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » sam. janv. 30, 2010 8:20 pm

jeandive a écrit :quel fut l'impact de gernsback en tant qu'homme de sf aux usa ds les années 26 et suivantes ?
Tout est là :

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Et aussi là :

Image

Désolé de me répéter, mais c'est apparemment une constante de cette enfilade.
« Regarde vers Lorient / Là tu trouveras la sagesse. » (Les Cravates à Pois)

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Erion
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Message par Erion » sam. janv. 30, 2010 8:39 pm

Lem a écrit :
Il a étudié 68 numéros de la NRF de 1909 à 1914, et il montre que les Ghéon, Arnauld, Copeau et Larbaud tiennent en grande estime H.G. Wells (Ghéon l'appelle le "prophète cosmique"), et l'utilisent même pour assassiner Verne, Rosny (dans une très moindre mesure) et Renard.
Quand Henri Ghéon dit de Verne qu'il est le "H.G. Wells anglais", Michel Arnauld répond qu'il commet là une "involontaire injustice". Le même Arnauld qui associait Rosny à Wells en disant qu'ils ont tous deux "le sens des possibilités cosmiques", "Ils sentent, et nous font sentir le caractère relatifs de nos lois, de nos croyances, de nos moeurs"
Oncle n'insistera jamais assez sur le prestige de Wells à cette époque. On l'observe ici. C'est intéressant. Ça prouve qu'il y avait bien perception (problématique, éventuellement conflictuelle) de quelque chose de spécifique.
Oui, mais tu as noté qu'on parle de "prophète cosmique", ce qui n'est pas un terme anodin, et même, il est présenté comme valorisant et à l'honneur de Wells. Pour ces gens de la NRF, le fait d'être étranger, et la tonalité métaphysique, c'est positif.
Dans la même NRF Copeau s'attaque au Docteur Lerne et au Péril bleu : "Une anticipation qui n'est point géniale
Il n'y a pas l'ombre d'une anticipation chez Renard. Tout se passe au présent et il y a même ici et là un peu de name-dropping impliquant des contemporains.
On est dans l'ordre des perceptions. Pour un critique comme Copeau, l'anticipation est un point important pour le "merveilleux scientifique" et il juge en partie sur ce critère.
Beaucoup de jugements de valeur. Mais c'est très intéressant. La conclusion, en particulier, laisse entendre que le projet merveilleux-scientifique n'était pas illégitime en lui-même.
Oui. C'est pour ça que j'ai attiré l'attention sur l'étude de Gouanvic, parce qu'elle nous donne l'autre versant des propos de Maurice Renard. Elément que je cherche dans ce thread désespérément, et sur lequel je suis tombé un peu par hasard (merci google). On a là, l'avis des prescripteurs eux-mêmes et leurs arguments (j'ai pas lu entièrement le livre non plus, il doit y avoir d'autres données), ce qui permet de mettre, à mon avis, mieux en perspectives les propos de Renard.
Et pour ma part, je reste persuadé qu'il y a là, une question de compétition entre champs littéraires, plus qu'un affrontement épique entre Weltanschauungs.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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MF
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Message par MF » sam. janv. 30, 2010 9:09 pm

Lem a écrit :
Je ne crois pas que la position de Renard soit "la fiction des sciences". Ou alors, je l'ai mal lu.
"La fiction des sciences", c'est comme quand je dis "science et futur" : c'est une expression-symbole qui désigne ce qui est considéré ici comme le cœur du genre. Oncle, par exemple, récuse Renard comme définisseur parce qu'il n'a pas parlé du futur.
Cela dit, dans le texte fondateur on trouve ceci qui correspond :
Nous voilà donc forcé de chercher nos thèmes soit dans l'inconnu, soit dans l'incertain. Mais, puisqu'il s'agit de merveilleux-scientifique, comment pourrons-nous concilier ces exigences, d'apparence contradictoire, qui veulent que nous prenions nos sujets à la fois dans la science et dans ce qui n'est pas la science ? Nous agirons exactement comme fait le savant qui s'attaque aux problèmes de l'inconnu ; nous appliquerons à l'inconnu ou au douteux les méthodes de l'investigations scientifique. En d'autres termes (puisque nous savons pertinemment ne pas faire de vraies découvertes)…
Oui, mais on trouve, toujours dans ce que je crois être la phrase clé
Nous pouvons aussi appliquer des méthodes d’exploration scientifique à des objets, des êtres ou des phénomènes créés dans l’inconnu par des moyens rationnels d’analogie et de calcul, avec des présomptions logiques.
L'exploration de l'inconnue et de l'incertain par des méthodes d'exploration scientifique...

Je ne suis pas sûr (et même de moins en moins) que nous mettions la même chose derrière le mot "science". Est-ce, pour toi, la notion de "domaine/discipline scientifique" ou celle de "méthode scientifique" ?

Et n'oublions pas que nous parlons ici de "méthode d'exploration scientifique" en 1909. Et éventuellement que Renard utilise, peut-être, cette périphrase pour simplement l'opposer à l'empirisme ?

Ce que pourrait confirmer
En utilisant les données nouvelles, en prolongeant à travers l'avenir la suite présumée des études en court, des écrivains doués d'une imagination méthodique se complurent dès lors à résoudre fictivement certains problèmes qui se posaient depuis des siècles et certains autres que le progrès venait seulement de nous soumettre,.
Alors, de quelle "science" parlait Renard et de quelle "science" parlons nous ?
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Lensman
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Message par Lensman » sam. janv. 30, 2010 9:47 pm

MF a écrit :
Ce que pourrait confirmer
En utilisant les données nouvelles, en prolongeant à travers l'avenir la suite présumée des études en court, des écrivains doués d'une imagination méthodique se complurent dès lors à résoudre fictivement certains problèmes qui se posaient depuis des siècles et certains autres que le progrès venait seulement de nous soumettre,.
Alors, de quelle "science" parlait Renard et de quelle "science" parlons nous ?
Renard se réclame de Wells.
Regarde la manière dont Wells a construit ses Marsiens. Il ne s'est pas contenté de peupler Mars d'habitants "fantaisistes" bizarres, juste pour faire bizarre, ou merveilleux, rien que pour faire merveilleux (merveilleux, oui, mais scientifique…). Il les a imaginés, mais de manière à ce qu'ils soient cohérents avec ses idées de biologiste (il en avait la formation) et les données dont il disposait, plus poussées que celles que possédait Fontenelle, par exemple. Les Marsiens de Wells ont une certaine plausibilité et c'est un de leur grand intérêt. Wells n'est d'ailleurs pas avare en explications dans son roman. Il met même en scène des erreurs d'interprétation, qui sont ensuite corrigées par de nouvelles observations, processus qui se rapproche de celui la démarche scientifique. Cette démarche se trouve ainsi, en quelque sorte, intégrée dans le roman.
C'est peut-être à ce genre de méthode que fait allusion Maurice Renard.
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Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » dim. janv. 31, 2010 1:05 am

Roland C. Wagner a écrit :
Lem a écrit :Ce qui différencie donc une spéculation SF d'une hypothèse scientifique… :
(…) Telle est donc la structure élémentaire de toute œuvre de merveilleux-scientifique, (…)
De la "paraphrase en action" à la "réification", il y a moins qu'un pas.
Il me semble qu'il y a confusion ci-dessus entre "science-fiction" et "merveilleux-scientifique", qui ne sont pas superposables comme cette enfilade l'a montré.
Je ne vois pas du tout en quoi. Toi qui le prétends (je ne comprends du reste pas pourquoi sauf pour montrer que les Américains ont tout inventé ce qu'eux ne prétendent pas), tu l'as peut-être tenté.
Ce fil a au contraire montré que le merveilleux scientifique, le scientific romance et la scientifiction devenue plus tard science-fiction sont des moments d'une continuité remarquable et du reste bien plus ancienne comme y ont insisté Hugo Gernsback soi-même, Pierre Versins, Van Herp, Brian Aldiss et les cent dix ou quelques numéros de Science Fiction Studies où figurent les travaux de mon ami Darko Suvin et plus récemment ceux de mon autre ami Arthur B. Evans (De Pauw University) qui a publié aux États-Unis Émile Souvestre et Albert Robida (qu'il faut désormais lire en anglais) précisément pour établir cette continuité. Arthur s'intéresse en ce moment à Jacques Spitz. Après avoir beaucoup étudié Jules Verne et fait retraduire certaines de ses œuvres.

Superposables, ça ne veut rien dire.
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Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » dim. janv. 31, 2010 1:27 am

Fabien Lyraud a écrit :
Je ne crois pas non plus. La trilogie chronoloytique de Jeury est une pure déconstruction.
Et les années 70 ont été les années de reconnaissance du genre par excellence. Parce qu'il y avait des auteurs qui innovaient sur le plan littéraire : Jeury bien sûr mais aussi Dominique Douay (qui me semble-t-il a aussi porté le genre sur les planches), et Daniel Walther. Que penser aussi du succès d'un Brussolo ? Auteur on ne peu plus narratif mais qui utilise ses obsessions et réussit à les réifier dans des oeuvres délirantes. Là aussi il y a un style qui est personnel. Bref ce qui fonctionne ce n'est pas le genre mais un ensemble d'individualités qui plaisent parce qu'elles ont un feeling plus littéraire. Qu'elles construisent un style.
Je ne connais pas assez Limite pour savoir se cela a été un échec ou une réussite.
Mais dans ce cas, pourquoi parler de psychologisation ?
Parce que la psychologie (le plus souvent pathologique) est le sujet de la littérature française de la fin du 20éme début du 21éme. Les auteurs parlent de leur petite personne ou d'individus pathologiques. C'est la littérature des états d'âmes pas celle de l'action. En sémiotique on oppose le passionnel au narratif. Ce mode passionnel du récit a été créé par Jacques Fontanille pour rendre compte de la construction du sens chez Proust. Le passionnel se caractérise par des tensions entre des personnages. Tandis que le narratifs s'exprime dans un enchaînement de programmes qui forme une progression. Une narration c'est une transformation, un passage d'un état à un autre. Quand Jean Claude parle de littérature de la métamorphose il rend compte de ce premier niveau de transformation auquel il rajoute la transformation du lecteur. La SF est donc un genre narratif pas un genre passionnel (même si certains textes de Dick mettent en avant le mode passionnel).
La SF en tant que littérature de la narration est étrangère au monde de la littérature dominé par le récit passionnel.
Bon, tout ça n'est pas sérieux ni du point de vue de l'histoire de la littérature, ni de celui de la science-fiction française auquel je me bornerai.

Limite a été un échec total. Daniel Walther aussi. Dominique Douay à peine moindre. Emmanuel Jouanne, qui méritait mieux, a renoncé. Michel Jeury en science-fiction n'a jamais été un succès (malgré de grands efforts de moi-même et de Jacques Goimard), ce qui l'a amené au roman paysan où il a pleinement réussi. Brussolo, je ne sais pas vraiment, mais sans doute pas en science-fiction, même en ayant les idées larges, ce qui l'a conduit à aller voir ailleurs. Mais même là ça ne pas été loin, ni du point de vue de la critique qui l'a ignoré ni de celui du public, hélas. Trop bizarre. Oserai-je dire trop inhumain.

Le succès des années 1970, ça a été la GASF et, avec le temps, quelques titres d'Ailleurs et demain, dont Dune, au bout de dix ans. Van Vogt en J'ai lu, sans doute. Tous à Zanzibar, de John Brunner a tout juste passé les vingt mille exemplaires en A&D, de quoi survivre mais pas de quoi pavoiser.
Opta a disparu, à quelques années près, et Fiction commence à végéter avant la chute finale.
Et ce qui s'est maintenu, s'est maintenu au prix d'un combat intense et permanent d'une poignée de gens dont je fus parait-il, Sadoul et Goimard aussi. Élisabeth Gille. Curval. Et autant qu'ils ont pu Daniel Riche et Robert Louit. Qui sont tous passés ailleurs. Sauf votre serviteur, indécrottable utopiste. Et même lui a gagné sa vie autrement.
Ne me faites pas rire. Ou pleurer.
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Message par Gérard Klein » dim. janv. 31, 2010 1:38 am

silramil a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :
Lem a écrit :Ce qui différencie donc une spéculation SF d'une hypothèse scientifique… :
(…) Telle est donc la structure élémentaire de toute œuvre de merveilleux-scientifique, (…)
De la "paraphrase en action" à la "réification", il y a moins qu'un pas.
Il me semble qu'il y a confusion ci-dessus entre "science-fiction" et "merveilleux-scientifique", qui ne sont pas superposables comme cette enfilade l'a montré.
et la "réification" n'est pas l'apanage de la science-fiction.

S'il s'agit de rappeler que Renard a eu des intuitions intéressantes, et compatibles avec la réflexion sur la science-fiction, je suis d'accord.
Cela dit, le point le plus important est de signaler que les intuitions de Renard n'ont eu à peu près aucun effet sur ses contemporains, qu'il s'agisse des lecteurs ou des écrivains, même quand ils les connaissaient, et que la réédition de cet article dans les années 80 n'a rien provoqué chez ses lecteurs.
Cela permet de supposer que ce qui a manqué à Renard, ce n'est ni le talent ni l'intuition, mais bien la structure éditoriale, et que sans cette structure, pas de science-fiction (sens restreint), même s'il y a des doses de spéculation et de réification.
C'est tout à fait vrai.
Mais que Renard n'ait pas eu de suite ou d'influence, ce qui reste à démontrer, outre l'effet de la Grande Guerre, n'a pas beaucoup d'importance.
Dans le domaine scientifique, les travaux du moine Mendel ont été totalement ignorés, quoique contemporains de Darwin, jusqu'à ce que Hugo de Vries les redécouvre parce qu'il était curieux et cultivé, lui, et qu'il a trouvé chez Mendel ce qui fondait ses propres réflexions sur les mutations et la transmission de caractères qu'on n'appelait pas encore génétiques. Les scientifiques sont beaucoup plus attentifs que la plupart d'entre vous aux travaux de leurs prédécesseurs.
Modifié en dernier par Gérard Klein le dim. janv. 31, 2010 2:16 am, modifié 1 fois.
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Message par Gérard Klein » dim. janv. 31, 2010 1:51 am

silramil a écrit :
Lem a écrit : On regarde les articles théoriques de l'homme rétrospectivement considéré comme l'auteur de science-fiction français le plus important du début du siècle.
considéré par qui ?
(désolé d'être lapidaire)
Il l'a été en son temps. Le Péril bleu et plusieurs de ses recueils de nouvelles, ainsi que d'autres romans ont été de sortes de best-sellers à l'époque. Après 1918, Renard, ruiné et fatigué, comme Rosny, du reste, laisse pratiquement tomber. Mais des dizaines d'auteurs, dont Leblanc, Le Rouge, et même Cendrars qui admirait le précédent, tentent de reprendre le flambeau.
Fréquentez un peu le Versins, que diable. Et lisez.
Modifié en dernier par Gérard Klein le dim. janv. 31, 2010 2:17 am, modifié 1 fois.
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Message par Gérard Klein » dim. janv. 31, 2010 2:06 am

Lensman a écrit :
Fabien Lyraud a écrit :Quitte à me répéter sans l'affaire Moselli il est calir que le développement de l'anticipation française aurait été paralléle à celui de la SF américaine.
Je renvoie à mon article. la première partie explique assez clairement les choses :
http://propos-iconoclastes.blogspot.com ... igion.html
Là, tu fais de l'uchronie... Pour ma part, je constate surtout que le système éditorial américain était très différent du système français (l'existence de revues spécialisées, qui n'existaient pas en France, le fait aussi que la distinction textes " pour la jeunesse" et textes destiné au public "adulte" est beaucoup moins marquée, l'interaction entre une partie du public et les auteurs et éditeurs, par l'intermédiaire du courrier des lecteurs, la création de clubs, de fanzines, etc). On peut trouver des différences nombreuses, qui ont, de toute évidence, fait du phénomène SF aux USA quelque chose de particulier et de très dynamique. Il n'existe pas d'élan comparable en France, et il faudra le choc de l'arrivée de la SF américaine en 1950 pour réveiller ce monde somnolant.
Oncle Joe
Je plussoie. Il faut bien voir en effet que les systèmes éditoriaux sont très différents. Gernsback n'a pas inventé les pulps qui existaient avant lui dans tous les domaines, policier, aventures, western, sentimental, etc.
Il a eu l'intelligence et l'audace d'introduire dans ce système éditorial, en s'appuyant sur la tradition européenne, ce que nous appelons, après lui, science-fiction. Il faut bien voir que la distribution de la presse bon marché est toute puissante alors aux États-Unis ce qui n'est pas le cas du livre, au moins jusqu'à l'apparition des pocket books qui vont révolutionner l'édition et secondairement Notre domaine.
En France, les fascicules existaient, qui ressemblent beaucoup aux pulps mais qui publiaient en général des romans ou des recueils d'un seul auteur, ainsi Maurice Leblanc.

Quant au procès Moselli, il ne me semble avoir eu aucune importance.
La loi scélérate de 1949 n'a pas tué la BD me semble-il.

Ce que j'aime, chez les Français, c'est leur extraordinaire capacité d'auto-dénigrement.
Voire d'auto-destruction.
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Message par Lensman » dim. janv. 31, 2010 9:06 am

Gérard Klein a écrit :
Je plussoie. Il faut bien voir en effet que les systèmes éditoriaux sont très différents. Gernsback n'a pas inventé les pulps qui existaient avant lui dans tous les domaines, policier, aventures, western, sentimental, etc.
Il a eu l'intelligence et l'audace d'introduire dans ce système éditorial, en s'appuyant sur la tradition européenne, ce que nous appelons, après lui, science-fiction. Il faut bien voir que la distribution de la presse bon marché est toute puissante alors aux États-Unis ce qui n'est pas le cas du livre, au moins jusqu'à l'apparition des pocket books qui vont révolutionner l'édition et secondairement Notre domaine.
En France, les fascicules existaient, qui ressemblent beaucoup aux pulps mais qui publiaient en général des romans ou des recueils d'un seul auteur, ainsi Maurice Leblanc.

Quant au procès Moselli, il ne me semble avoir eu aucune importance.
La loi scélérate de 1949 n'a pas tué la BD me semble-il.

Ce que j'aime, chez les Français, c'est leur extraordinaire capacité d'auto-dénigrement.
Voire d'auto-destruction.
Cela a déjà été évoqué dans le discussion, mais j'insiste aussi sur ce phénomène très particulier qu'est le courrier des lecteurs, la création de clubs et de fanzines, le dialogue qui s'établit entre lecteurs, éditeurs et auteurs. Tout ceci initié par Gernsback (il pensait que les clubs de SF serviraient de publicité à ses publications…). Je veux bien qu'on me dise que ce type de mouvement existe ailleurs dans la littérature, à une échelle comparable, sur un domaine aussi pointu (je sais bien qu'il y a des associations et masses de fanzines de poésie, le seul concurrent sérieux que je vois…) et pourtant avec une visibilité commerciale (les pulps sont dans les kiosques et il faut absolument les vendre), mais j'ai comme un doute… Cela donne à la SF américaine une structuration forte, une dynamique intense, un système de recutement pas si inefficace (les tout jeunes gens, autour de vingt ans, qui se réunissent dans le club des Futurians s'appellent Asimov, Pohl; Knight, Kornbluth, Wolllheim, et je ne cite que ce club). Et ce, sans le boulet du snobisme littéraire à la française.
Le mouvement n'est pas seulement littéraire, pas seulement éditorial, il est également social.
Sans cela, et je vais faire aussi de l'uchronie, on aurait de temps à autre un érudit, à la Versins, ou à la Messac, qui ferait une encyclopédie, un thèse sur une catégorie de textes dans lesquels les auteurs s'amusent à spéculer sur les sciences et sur l'avenir. Comme ça, noyés dans la masse gigantesque de tout ce qui est publié. De beaux travaux sur l'utopie, aussi (qui passionnait Messac et Versins). Et ce serait le bon vieux train train des érudits, amuseurs des littéraires qui feuillettent leurs travaux en souriant d'admiration, comme jadis on s'esbaudissait dans les cabinets de curiosité. "Comme tout cela est original!'
Eh bien, ce n'est pas ce qui s'est passé. Et si ça ne s'est pas passé comme ça, c'est aux Etats-Unis et leur dynamique qu'on le doit.
Il n'y a aucun besoin d'auto-dénigrement. Il suffisait de laisser passer le temps, ce qui s'est passé en France. Et après n'avoir rien fait, d'expliquer, d'un air offusqué, que si si, iles Français l'avaient fait, ou, plus beau encore, que s'ils l'avaient fait, ils l'auraient beaucoup mieux fait… et que d'ailleurs, cette étiquette amerloque, "science fiction", ça fait un peu vulgaire…

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Hoêl
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Message par Hoêl » dim. janv. 31, 2010 9:43 am

Le mouvement n'est pas seulement littéraire, pas seulement éditorial, il est également social.
C'est bien vrai , et ce forum (entre autres) en est la preuve , à ce propos , en existe-t-il d'aussi vivaces dans le polar , la B.D. , etc...?
"Tout est relatif donc rien n'est relatif !"

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Lensman
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Message par Lensman » dim. janv. 31, 2010 10:17 am

Gérard Klein a écrit :
Le succès des années 1970, ça a été la GASF et, avec le temps, quelques titres d'Ailleurs et demain, dont Dune, au bout de dix ans. Van Vogt en J'ai lu, sans doute. Tous à Zanzibar, de John Brunner a tout juste passé les vingt mille exemplaires en A&D, de quoi survivre mais pas de quoi pavoiser.
Opta a disparu, à quelques années près, et Fiction commence à végéter avant la chute finale.
Et ce qui s'est maintenu, s'est maintenu au prix d'un combat intense et permanent d'une poignée de gens dont je fus parait-il, Sadoul et Goimard aussi. Élisabeth Gille. Curval. Et autant qu'ils ont pu Daniel Riche et Robert Louit. Qui sont tous passés ailleurs. Sauf votre serviteur, indécrottable utopiste. Et même lui a gagné sa vie autrement.
Ne me faites pas rire. Ou pleurer.
En fin de compte, sans l'acharnement insensé de quelques directeurs de collection, et le fait que les éditeurs de l'époque, par chance, étaient des étourdis qui ne savaient pas compter (ça semble avoir un peu changé…), soyons clairs, il n'y aurait pratiquement pas eu de science-fiction en général en France, et pas de science-fiction française en particulier. On passerait notre temps à feuilleter des bouquins dans les bacs de solde pour voir s'il n'y a pas un peu de conjecture romanesque rationnelle dedans, ou on prendrait des cours d'anglais…
Auto-dénigration, tu disais?
Oncle Joe

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