Lem a écrit :silramil a écrit :L'exemple de la "transparence" me paraît effectivement un bon point de départ
Je passe sur ton raisonnement. Certaines choses m'y paraissent justes, d'autre non.
'Le nom ne surgit donc qu'une fois la chose délimitée" me semble en particulier beaucoup trop catégorique. Je ne crois pas du tout à un scénario du genre : a) réfléchir sur un concept ; b) choisir le nom le plus approprié pour celui-ci parmi x possibles. Même comme idéalisation, je ne suis pas sûr qu'on puisse le retenir. Je crois qu'à la racine du processus créatif, il y a un bouillonnement chaotique où les mots, les concepts, les images s'échangent et s'enchevêtrent de façon indémélable et pas du tout la table d'opération cristalline que tu décris. Mais peu importe.
Je suis d'accord avec toi sur la représentation "chaotique", mais ce que je voulais souligner, c'est que le processus créatif lui-même n'est pas d'ordre métaphorique (il ne se passe pas dans le langage seul, mais dans le dialogue entre image et idée, entre forme et fond pour simplifier) : c'est éventuellement le résultat qui l'est, envisagé après-coup par un regard critique.
edit : mais même si c'est chaotique, il me semble qu'il y a une supériorité du concept, qui est la véritable source de force d'un texte - une belle formule, si elle ne désigne pas une réalité fascinante, reste creuse.
C'est agréable d'être lu correctement.
Et c'est agréable de lire correctement.
Néanmoins, je suis d'accord avec Erion, Lensman et Roland pour contester la portée explicative de cette méthode. Une fois qu'on a identifié qu'un des éléments centraux des Futurs Mystères de Paris peut être formulé comme une métaphore, et qu'en un certain sens il s'agit d'une métaphore réifiée (càd une idée qui serait métaphorique dans la réalité mais qui est concrète dans la fiction), qu'est-ce qu'un tel constat apporte à la compréhension du texte?[/i]
Deux choses.
1) La nature de la "science" dans la SF. Dans de nombreux textes, le concept central n'a rien de scientifique. C'est une image linguisitique qui est prise de manière littérale et autour de laquelle un monde est construit qui la justifie et la rend logique. Et c'est la rigueur avec laquelle ce processus se déroule qui fait que le texte n'est pas une allégorie ou une fable mais bien de la SF. Dans
Le monde inverti, par exemple, la cité mobile poursuit un objet qui s'éloigne devant elle et qu'elle ne peut jamais rattraper, "l'optimum". C'est la réification d'une métaphore classique du discours économique et tout le reste en découle logiquement, y compris le fait de compter l'âge des personnages en kilomètres. Je ne dis pas que c'est comme ça que Priest a créé son roman mais qu'on peut le décrire de cette manière. Et comme on peut aussi décrire ainsi
La bibliothèque de Babel, on a peut-être là une des clés unitaires de… disons la fiction spéculative pour ne fâcher personne.
Mmm... il y a quelque chose qui cloche, mais je ne suis pas très sûr.
L'idée d'une image linguistique comme source d'un récit de SF, ça je suis parfaitement d'accord. D'ailleurs, j'ai eu beau décomposer le processus de création en plaçant d'abord le concept, j'ai ensuite mentionné le fait que le mot choisi pèse sur le développement du sens. Il faut que les choses soient cohérentes et évocatrices. Je ne développe pas plus, mais il y aurait à causer. En tout cas, d'accord là-dessus.
C'est quand on en vient aux exemples que c'est plus délicat. Là, nos postures de recherche se heurtent, donc il y a une part de préjugé, mais je ne désire pas simplement formuler une objection de principe.
Je commence par un rappel/une explicitation de mes présupposés : je fais, pour ma part, une différence cruciale entre la BB et le MI. D'après mes catégories, la BB est essentiellement un trompe-l'oeil, un piège verbal qui pousse le lecteur à envisager des situations presque inconcevables, à toucher du cerveau l'infini. C'est bien et ça fait du sense of wonder, je ne le conteste pas. Seulement, être un trompe-l(oeil est en quelque sorte la finalité exclusive du dispositif textuel. Il ne s'agit pas vraiment de raconter quelque chose, mais de donner une forme à l'infini (quel infini, au juste, je ne sais trop).
Le fait que le Monde inverti fonctionne comme un trompe-l'oeil également (= donne le sentiment au lecteur que cette quête de l'optimum est une activité concrète, plausible, se déroulant dans un monde "réel") lui fait un point commun avec la BB. Mais le centre de gravité du Monde Inverti n'est pas l'impulsion qui donne une forme à une métaphore (la poussée en avant vers un optimum), c'est tout le réseau d'objets mineurs et majeurs qui fourmille dans le récit et lui donne effectivement sa charge concrète.
Pour simplifier, je dirai que la réification vient du haut dans la BB (= c'est une réification globale, qui trouve à s'exprimer dans des descriptions détaillées) et du bas dans le Monde inverti (= c'est la conjugaison des objets qui forme peu à peu un monde cohérent).
Pour en venir à mon objection, que j'espère constructive et placée à l'intérieur de ton propre système, le fait d'indiquer la métaphore mettons "primitive" à la source de la Bibliothèque de Babel rend compte de la nouvelle. On peut sentir quelle est la construction verbale établie par Borges simplement en disant que son monde, littéralement, est une bibliothèque.
Par contre, quand on propose une métaphore séminale pour le Monde Inverti, on n'a qu'une vague idée d'un arrière-plan. Il nous manque toute la chair du texte, et surtout tout ce qui, dans le récit est hétérogène à la métaphore. Chercher l'optimum, OK, mais en quoi cela conditionne-t-il la forme de la cité roulante? ses castes? ses coutumes? ses représentations?
En somme, la portée explicative de cette partie de ta réflexion me paraît fort limitée, pour l'instant.
edit : je précise, sans préjudice de justification ultérieure, que je mettrais les textes d'imagination scientifique, comme Le Péril bleu, dans la même catégorie que Le monde Inverti en ce qui concerne ces questions.
2) Le caractère déconcertant de la SF pour les lecteurs du mainstream aux yeux de qui une image linguistique inhabituelle apparaît toujours comme pur discours, jamais comme monde (cf Card).
Rien contre ça : la langue peut faire obstacle à la lecture et l'emploi de certaines images peut rester incompréhensible.
Et j'analyse en tant que chercheur les textes de SF d'abord comme des machines textuelles. (mais je les lis personnellement comme des fenêtres sur des mondes nouveaux...)