Du sense of wonder à la SF métaphysique

Modérateurs : Eric, jerome, Jean, Travis, Charlotte, tom, marie.m

Avatar du membre
sandrine.f
Messages : 315
Enregistré le : mer. juil. 05, 2006 6:04 pm

Message par sandrine.f » sam. févr. 13, 2010 4:13 pm

JDB a écrit :L'illustration en couleur, provenant visiblement des pulps, montrait deux astronautes skieurs.
sur des chenillettes ? (si oui c'est un Astounding)

Avatar du membre
jeandive
Messages : 504
Enregistré le : ven. oct. 12, 2007 2:01 pm
Contact :

Message par jeandive » sam. févr. 13, 2010 4:46 pm

dans ce style ? si tu retrouve un scan un jour ....

Image

Lem

Message par Lem » sam. févr. 13, 2010 5:39 pm

Esprit de l'escalier.
Suite à l'article d'Alliage sur Renard mis en lien plus haut, j'ai récupéré un pdf d'une thèse soutenue en 1915 par Hubert Matthey (chercheur suisse) intitulée ESSAI SUR LE MERVEILLEUX DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE DEPUIS 1800.
En voici le plan (les parties en gras sont celles qui nous intéressent a priori) :
INTRODUCTION

1. Point de vue critique
2. Le merveilleux
3. Plan

PREMIÈRE PARTIE. — Les Faits

Chapitre I. — Chateaubriand ; le merveilleux chrétien et le merveilleux mythologique
1. Les théories
2. L'application pratique
3. Défaut essentiel : merveilleux rhétorique
4. Persistance du merveilleux symbolique

Chapitre II — Le fantastique
1. Le romantisme et l'éclosion du fantastique
2. Le merveilleux expliqué
3. Le merveilleux naïf. Charles Nodier

Chapitre III. — Le merveilleux comme élément secondaire de l'œuvre d'art
1. Dans le poème épique moderne
2. Dans le roman historique
3. Dans le roman rustique (exotique, etc.)

Chapitre IV. — Le merveilleux et l'état psychologique
1. Etats normaux : le rêve, la peur, le remords.
2. Etats pathologiques
3. Mysticisme; spiritisme; hypnotisme

Chapitre V. — Le merveilleux- scientifique
1. La forme embryonnaire avant 1880
2. Apport des diverses sciences
3. Les créateurs d'êtres inédits

DEUXIÈME PARTIE. — Les Causes et les Lois

Chapitre I. — Les causes.
1 . Le facteur subjectif
2. Les nécessités internes. Mérimée
3. La pression du milieu
4. L'imitation étrangère
A. Les modèles: Milton; Hoffmann; Poe; Wells
B. L'originalité française

Chapitre II. — Les lois
1. Le problème
2. La constitution du genre
3. La forme narrative
4. La nouvelle et le conte
5. La technique du genre
6. Le style

Conclusion
Tableau chronologique des œuvres
Bibliographie
… et les premières lignes du chapitre V consacré au m-s :
Le merveilleux-scientifique... Cette expression consacrée semble formée à l'encontre du bon sens. Elle réunit, en effet, deux termes, deux notions en apparence contradictoires. La science n'est-elle pas l'antinomie du merveilleux, la grande destructrice du surnaturel ? En formulant les lois de phénomènes, en en déterminant les causes immédiates, ne disperse-t-elle pas les miracles comme les superstitions, sous le grand fouet d'éclairs que brandit la raison ?
Et sa froide clarté n'efface-t-elle pas en nous tout vestige, toute ombre des sensations, des émotions ressenties devant le prodige, désormais évanoui ?
Sans doute. Mais en tuant le mystère, elle le fait renaître ; en déterminant le connu, elle fait surgir des inconnus nouveaux, car chaque problème qu'elle
résout en suggère d'autres, et, à mesure que s'étend le cercle où elle projette sa lumière, à mesure aussi s'accroît la périphérie obscure où elle n'atteint pas. D'ailleurs, les résultats pratiques où elle aboutit en permettant à l'homme de disposer des forces naturelles et d'en appliquer les lois, tiennent eux-mêmes du prodige, et seule l'accoutumance émousse en nous l'émoi que leur première réalisation nous a causé. Enfin, dans le jeu même de la pensée humaine en travail, dans la méthode qui conduit l'intelligence de conquête en conquête, il y a un phénomène plus impressionnant que tous ceux de l'univers physique. Le fait à expliquer peut, par sa fréquence et sa régularité, nous paraître le plus naturel du monde, et son explication scientifique révéler à notre esprit des abîmes inconnus : le merveilleux, ce n'est pas la pomme qui tombe, c'est Newton s'en étonnant, l'étudiant, et découvrant que la loi de sa chute est celle de la gravitation céleste.
On comprend dès lors l'union possible des deux termes, et le but que poursuivent les auteurs du roman merveilleux-scientifique. En s'étayant sur des prémisses et des raisonnements scientifiques (ou prétendus tels), ils veulent nous amener à croire à des événements merveilleux, à des êtres surnaturels, et l'impression étrange que nous cause la quasi-certitude de leur existence se double de l'admiration provoquée par la force, la subtilité, l'ingéniosité de l'argumentation. Le merveilleux-scientifique est ainsi, dans son essence même, un merveilleux logique.
La suite du texte cite abondamment Renard, comme la bibliographie .
Je signale par ailleurs l'existence, dans Le Mercure de France. N° 667 d'avril 1926 (création d'Amazing !) d'un article de Jean Morel intitulé "J-H. Rosny et le merveilleux-scientifique".
Tout ceci s'ajoute au reste déjà amplement posté pour prouver que la SF était ici, dès avant la Grande Guerre, un genre littéraire (certes pas une subculture) parfaitement identifié.

Avatar du membre
sandrine.f
Messages : 315
Enregistré le : mer. juil. 05, 2006 6:04 pm

Message par sandrine.f » sam. févr. 13, 2010 6:14 pm

je pensais à celui-là :

Image

(Brown, 1938)

Avatar du membre
jeandive
Messages : 504
Enregistré le : ven. oct. 12, 2007 2:01 pm
Contact :

Message par jeandive » sam. févr. 13, 2010 8:41 pm

quel délice ces couvs :)

on peut encore citer pas mal d'articles de cette époque , plus ceux plus tardifs des varlet , messac and co , mais on a deja parlé de tout cela dans les 500 pages de ce topic , et chacun campe sur ses positions donc inutile d'essayer de convaincre :)
perso , sans votre bagage intello et votre connaissance du sujet , je trouve moi aussi qu'il y a bien un genre , déterminé , et ce avant gernsback, qui a , lui , sans doute , "institutionnalisé " une vision plus " moderne " du genre , avec une tres large diffusion du concept , alors que sans doute les articles de renard , morel and co , et plus tard ceux des messac and co etaient tres ciblés ,furent peu diffusé et n'eurent sans doute pas d'impact sur le developpement de la bête :)

Avatar du membre
jeandive
Messages : 504
Enregistré le : ven. oct. 12, 2007 2:01 pm
Contact :

Message par jeandive » sam. févr. 13, 2010 10:24 pm

pour info , le tres sympa no542 de juin74 de la revue" europe" sur le roman feuilleton , avec un court article de daniel compere sur l'anticipation populaire ( et une bibilographie ou ils citent entre autre hubert matthey suscité)

Avatar du membre
Erion
Messages : 5025
Enregistré le : sam. oct. 21, 2006 10:46 am

Message par Erion » sam. févr. 13, 2010 10:55 pm

Heureusement que certains intellectuels travaillent pour préserver la civilisation :
http://www.lemonde.fr/culture/article/2 ... _3246.html

"Le film qu'on a découvert accroît l'importance de Metropolis dans l'histoire du cinéma. "On en aura fini avec la réputation de film de science-fiction qui collait à Metropolis", dit Martin Körber, de la Fondation Friedrich Murnau, qui a codirigé la restauration."

OUF ! Metropolis devient enfin un chef d'oeuvre du cinéma.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
http://melkine.wordpress.com/

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » dim. févr. 14, 2010 5:35 am

Lem a écrit :
Lensman a écrit :Les étiquettes des boîtes de conserve [sont de la littérature] aussi, et d'ailleurs, je suis d'accord. Et ça va nous mener où?
Nulle part.
J'ai bien compris, Oncle.
Tu sais mieux que personne que la SF est une forme de la littérature et qu'elle a une histoire spécifiquement française.
Mais il ne faut surtout pas le dire !
Si les gens sont trop cons pour ne pas l'avoir découvert par eux-mêmes, tant pis pour eux.
C'est bien ta position ?
Où ai-je dis qu'il ne faut pas d'intéresser à la partie française de la science-fiction???
Oncle Joe

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » dim. févr. 14, 2010 5:47 am

Lem a écrit : Je signale par ailleurs l'existence, dans Le Mercure de France. N° 667 d'avril 1926 (création d'Amazing !) d'un article de Jean Morel intitulé "J-H. Rosny et le merveilleux-scientifique".
Tout ceci s'ajoute au reste déjà amplement posté pour prouver que la SF était ici, dès avant la Grande Guerre, un genre littéraire (certes pas une subculture) parfaitement identifié.
Le merveilleux scientifique? un genre littéraire? peut-être. Il faudrait regarder tes fameuses histoires de la littérature, qui semblent être le critère dont il faut tenir compte, à te lire. J'avoue que je ne sais plus trop à quoi m'en tenir sur la notion de "genre", compte tenu des discussions…
Pour la science-fiction, c'est plus compliqué (les couverture de pulps, c'est difficile de les qualifier de "genre littéraire", et j'ai cru comprendre, mais je me suis peut-être trompé, qu'elles jouaient un rôle important dans le fameux "sense of wonder".) Cela me semble un phénomène plus vaste, plus complexe qu'un "genre littéraire", se manifestant diversement. Un peu comme une sorte de subculture, quelque part.
Mais où veux-tu en venir, puisque tout le monde est d'accord (à moins de ne pas savoir lire) sur les fait que les textes de science-fiction sont de la littérature?
Oncle Joe

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » dim. févr. 14, 2010 6:44 am

Erion a écrit :Heureusement que certains intellectuels travaillent pour préserver la civilisation :
http://www.lemonde.fr/culture/article/2 ... _3246.html

"Le film qu'on a découvert accroît l'importance de Metropolis dans l'histoire du cinéma. "On en aura fini avec la réputation de film de science-fiction qui collait à Metropolis", dit Martin Körber, de la Fondation Friedrich Murnau, qui a codirigé la restauration."

OUF ! Metropolis devient enfin un chef d'oeuvre du cinéma.

La précision finale de l'auteur de l'article est assez drôle aussi:

"Reste, comme le dit Martin Körber, que l'on peut voir "le film que Fritz Lang voulait". Metropolis n'est plus seulement la matrice de films de science-fiction (de La Fiancée de Frankenstein à La Guerre des étoiles) ou un élément du débat sur la lutte des classes en Europe. C'est une oeuvre à part entière, dont les faiblesses (l'interprétation de certains rôles, la naïveté roublarde du leitmotiv politique) font encore mieux ressortir la richesse."

Remarquez que si Martin Körber avait dit:"On en aura fini avec la réputation de film de merveilleux scientifique qui collait à Metropolis", on se serait marré aussi…

Fort heureusement, la fin du déni de la métaphysique va dissiper tous ces malentendus…

Oncle Joe

JDB
Messages : 1541
Enregistré le : mer. mai 03, 2006 1:37 pm
Contact :

Message par JDB » dim. févr. 14, 2010 8:03 am

sandrine.f a écrit :je pensais à celui-là :

Image

(Brown, 1938)
Non.
Je viens de faire une petite recherche, et j'ai bien l'impression qu'ils ont pris une couverture de Thrilling Wonder Stories, celle reproduite sur ce blog et qu'ils ont redessiné la femme au premier plan pour en faire un homme.
JDB

Lem

Message par Lem » dim. févr. 14, 2010 1:25 pm

Lensman a écrit :Mais où veux-tu en venir ?
Tu le sais bien, Oncle.
Je veux corriger la perception basique "genre créé aux USA qui parle des sciences futures".
Pas parce qu'elle est source de déni.
Parce qu'elle est tellement partielle qu'elle peut être considérée comme fausse.
Encore une fois : personne ne le fera à notre place.

Lem

Message par Lem » dim. févr. 14, 2010 6:14 pm

A des fins de documentation générale, voici un morceau intéressant du texte de Matthey. Me frappe en particulier le fait qu'en dépit de sa reprise des éléments théoriques dégagés par Renard, il n'en est pas prisonnier puisqu'il pose la question de Verne alors que MR l'avait exclu du champ :
Il va sans dire que ces formes embryonnaires subsisteront, et qu'à toute époque les auteurs continueront à employer le cadre, le décor de la fantaisie scientifique, comme celui de la légende ou du conte de fées, pour y mettre en scène leurs idées ou leurs utopies : témoin Sur la pierre blanche (1905), d'Anatole France. Mais, sans nous arrêter à ces œuvres, nous passerons à celles où le merveilleux-scientifique occupe une place prépondérante.

2. Apport des diverses sciences.

Ces ouvrages surgissent par groupes en trois époques assez distinctes : de 1863-1889 se développe la série des Voyages extraordinaires de Jules Verne,
et des ouvrages similaires suscités par son succès ; entre 1885 et 1890 paraissent les ouvrages déjà cités plus haut de Claretie : Jean Morras; de Maupassant : le Horla; de Hennique : Un Caractère, auxquels il faut ajouter certains romans et contes de Villers de l'Isle Adam : LEve future (1887), Claire Lenoir (1887), et les Histoires insolites (1888), et le volume de J.-H. Rosny : les Xipéhuz et le Cataclysme (1887) ; enfin dans ces dix dernières années, depuis 1905, se produit une dernière floraison, comprenant les œuvres récentes de Rosny et celles d'une pléiade de jeunes : Maurice Renard, Jules Hoche, Derennes, Gaston Banville.
On s'étonnera peut-être de voir figurer ici Jules Verne, objectant que son œuvre n'est guère littéraire, et ne rentre pas proprement dans le merveilleux- scientifique. Certes, je reconnais que l'auteur des Voyages extraordinaires ne fut ni un styliste original, ni un psychologue profond; je reconnais encore que son merveilleux est aujourd'hui presque réalsé par les progrès de la science, et qu'ainsi, comme dit M. Maurice Renard, « il a à peine anticipé sur des découvertes en germination, en se bornant à prolonger des lignes déjà tracées, à supposer acquis quelques perfectionnements d'ordre technique, sans poser de principe nouveau». Toujours est-il qu'il faut reconnaître qu'entre les théories opposées (par exemple pour l'aviation), il avait bien choisi, et que c'est justement pour cela qu'à l'heure actuelle, ce qui paraissait merveilleux à nos esprits adolescents a quelque peu perdu de son prestige. D'ailleurs, en restant dans le domaine du possible prochain et en se mettant à la portée de la jeunesse, Jules Verne a exercé une influence indéniable : sur les savants et les ingénieurs auxquels il a parfois révélé leur vocation et dont il a stimulé l'imagination et l'énergie ; sur les littérateurs aussi, qui se sont inspirés de son œuvre en cherchant à la dépasser. Il a été pour beaucoup un révélateur, un incitateur, et méritait à ce titre de figurer, à sa place et en son rang, dans cette revue historique du merveilleux-scientifique.
Le merveilleux de Jules Verne relève surtout de la mécanique, à laquelle le développement des sciences physiques et chimiques ouvrait à son époque un champ d'activité infini. Son hypothèse favorite, c'est l'accumulateur léger, encore à trouver à l'heure actuelle, et que la science a provisoirement remplacé par le moteur à explosion. C'est grâce à la possibilité d'emporter beaucoup de force sous un volume et un poids minimes que les héros de Jules Verne accomplissent leurs exploits, sillonnent les profondeurs de l'océan (Vingt mille lieues sous les mers, L’ile mystérieuse), ou conquièrent le royaume des airs (Robur le Conquérant). Souvent ses successeurs modernes n'iront guère plus loin que lui. Le Monsieur d'Outre-Mort (1912), de Maurice Renard, est une application de la commande électrique à distance, inspirée des progrès de la télégraphie sans fil. C'est aussi sur la possession du secret de la force radio-active que Jules Hoche fonde l'affabulation de son Secret des Paterson (vers 1910), qui ont par là trouvé le moyen de condenser l'atmosphère et de réaliser une locomotion aérienne perfectionnée : le mystère le plus profond entoure du reste jusqu'au bout cette invention, sur le principe de laquelle le lecteur ne reçoit aucune indication ; les résultats sont extraordinaires, mais la possibilité scientifique reste tout aussi aléatoire. On pourrait faire le même reproche au Voyage immobile, de Maurice Renard : son ingénieur américain a réussi à capter la force d'inertie, et, en adjoignant à son appareil des gyroscopes perfectionnés, parvient à rester immobile dans l'espace tandis que le globe terrestre, qui n'a plus d'influence sur lui, tourne sous ses pieds en vingt- quatre heures. Ici encore le fondement scientifique et logique manque trop pour créer l'illusion, et malgré toute la logique des déductions que l'auteur tire de sa prémisse, l'effet total espéré ne se produit pas.
A côté des moyens de locomotion, l'imagination des auteurs a été souvent séduite par les progrès réalisés dans la balistique au moyen d'explosifs. C'est au canon monstre et, si je me souviens bien, à une poudre perfectionnéeque Jules Verne recourt pour permettre à ses voyageurs de quitter l'atmosphère terrestre. {De la Terre à la lune, Autour de la Lune.) Les Histoires insolites (1888) de Villiers de l'Isle Adam contiennent une nouvelle intitulée l'Etna chez soi, qui nous peint l'anarchie triomphant par l'emploi de flèches-bombes d'une puissance irrésistible. Enfin, dans un ordre d'idées semblables, J.-H. Rosny fonde sa tragique Bataille^ (1912), sur la dissociation à distance des poudres au moyen de radiations nouvelles. Le récit est très dramatique, surtout la scène où l'état-major d'une armée s'aperçoit, au moment de livrer bataille, que les troupes sont absolument
désarmées, et n'ont le choix qu'entre la fuite et la reddition.
Toutes ces œuvres, qui reposent sur la mise en jeu de forces naturelles existantes, mais incomplètement connues, et surtout incomplètement maîtrisées, ne nous entraînent pas bien loin de la sphère du réel. Le « merveilleux » y est réduit à sa plus simple expression. Pour franchir un degré dans l'échelle du surnaturel, il faut envisager les contes qui se fondent sur des conceptions nouvelles de la constitution même de la matière, et qui les appliquent à nous
peindre des transformations physiques essentielles dans le corps humain. Il s’agit ici de persuader au lecteur que la matière peut perdre l'un de ses attributs considérés jusqu'ici comme primordiaux, et d'en tirer les conséquences pratiques. Dans ses deux contes intimement liés : La singulière destinée de Bouvancourt (1909) et l'Homme au corps subtil (1913), Maurice Renard s'attaque à l'impénétrabilité de la matière. Cette propriété des corps a été singulièrement ébranlée par les découvertes modernes, qui prouvent que les corps dits opaques sont traversés par les rayons Rœntgen, les ondes hertziennes, les multiples émanations du radium et de ses dérivés. L'auteur imagine d'attribuer à la matière même les atttributs de ces formes d'énergie spéciales : le corps du savant Bouvancourt, suffisamment imprégné d'effluves de l'ultra-violet, devient tout entier parfaitement pénétrable et, traversant
une glace, va se promener dans l'espace illusoire où paraissent exister les images ; tandis que le corps d'un bandit qui s'est fait « subtiliser » pour accomplir plus facilement ses méfaits, mais qui reste soumis aux lois de la pesanteur, s'effondre à travers les couches de la terre, pour osciller autour de son centre jusqu'à épuisement de la vitesse acquise. Le sophisme initial de cette histoire est un peu trop cousu de fil blanc, mais l'auteur tire de son hypothèse des effets nouveaux et puissants.
A l'échelon supérieur des phénomènes naturels, les lois biologiques régissent les organismes vivants. Plus complexes, ces forces nous sont moins connues et moins soumises que celles des êtres inanimés; mais le mystère même qui les entoure offre un champ séduisant à l'activité inlassable de l'imagination. Et tandis que, pas à pas, par l'analyse minutieuse de la chimie organique et par la synthèse hardie qui reconstitue les corps naturels et en crée d'inconnus, la science cherche le mot de l'énigme de la vie, la fantaisie ailée s'empare de ce domaine pour en disposer les éléments au gré de ses utopies.
Ainsi, Jules Hoche, dans son Faiseur d'hommes (1905), nous présente la création artificielle d'un démiurge humain. De ses manipulations compHquées, où se combinent les résultats de la chimie organique, du radium et de l'électricité atmosphérique, sont sorties des séries d'êtres monstrueux, qui ont pullulé sur l'île où il s'est installé : d'une part des formes tératologiques, combinant des parties humaines avec des parties de mollusques,, ayant une intelligence développée, mais le mode de reproduction des cellules primitives ; de l'autre, une espèce humaine artificielle, asexuée, intelligente, mais vouée à une prompte décrépitude. A cette débauche d'imagination se joint une idée philosophique ; le savant qui a créé ces êtres nouveaux croit leur avoir donné le bonheur en leur enlevant le désir et, en quelque sorte, la personnalité ; mais ils souffrent de ce qui manque à leur
nature ; ils voudraient aimer et souffrir avant de sombrer dans la mort ; et cette race artificielle se révolte contre les lois auxquelles elle est soumise, et conduit la foule grouillante des monstres chaotiques à l'assaut de la résidence où trône le démiurge, indifférent aux produits qu'il a créés. Le carnage final, où périssent créateurs et créatures, épargne heureusement un jeune couple en voyage de noce, qui sauve de l'oubli la grande découverte biologique et la mémoire du savant.
Tandis que Jules Hoche suppose résolu le problème de la création de la vie, non seulement sous la forme élémentaire de la cellule protoplasmatique, mais
sous la forme compliquée d'organismes supérieurs, Maurice Renard, dans le Docteur Lerne (1908), nous expose les merveilles de la greffe poussée à sa perfection. On sait quels progrès ont été réalisés dans ce domaine spécial par les expérimentateurs modernes : en 1912, le prix Nobel a mis en vedette le nom et les travaux du docteur Alexis Carrel, parvenu à transporter et à faire vivre d'un organisme sur l'autre les tissus les plus différents ; il a entre autres réussi la greffe de l'artère aorte et est arrivé à prolonger pendant plusieurs heures la vie de tout le système respiratoire, circulatoire et digestif, après son ablation. En s'inspirant d'un sujet de ce genre, l'auteur restait bien dans la ligne des recherches et des préoccupations contemporaines. Mais il va sans dire que son imagination a décuplé les étapes. Le docteur Lerne a trouvé le moyen de greffer les cerveaux, et ainsi de
substituer l'une à l'autre les personnalités. Son assistant, Klotz, profite de cette découverte pour s'emparer du corps, du nom et de la fortune du docteur Lerne, et se venge des amants de sa belle en greffant le cerveau de l'un sur le corps d'une chienne, et celui de l'autre sur le corps d'un jeune taureau. De là les situations les plus étranges, et des scènes d'un érotisme bestial, qui mêlent l'horreur à l'extraordinaire.
De plus, tandis que la thèse centrale est matérialliste, le transport du cerveau comportant celui de l'âme, il en surgit une toute contraire vers la fin du roman. Klotz-Lerne ne trouvant pas de clients pour appliquer sa découverte, imagine un moyen de substituer les esprits sans toucher aux cerveaux — thèse spiritualiste — et finit par s'incarner lui-même dans une automobile perfectionnée, organisme parfait qui n'a pas encore servi. H y a là, évidemment, accumulation d'éléments hétérogènes qui se nuisent l'un à l'autre à la moindre réflexion.
Quant à l'exploitation des forces psychiques dans le roman merveilleux scientifique, nous avons déjà mentionné au chapitre précédent les principaux auteurs qui les ont mises en œuvre. J'y ajouterai encore LEve future (1887), de Villiers de l'Isle Adam, qui, pour arriver au surnaturel, mêle aux merveilles de la mécanique et de l'électricité, celles du spiri-
tisme et de l'hypnotisme, et que nous retrouverons quelques pages plus loin.
Parfois, au lieu de mettre en action un groupe spécial des forces naturelles, les écrivains nous tranportent dans un milieu anormal où les conditions d'existence sont partiellement ou totalement différentes de celles où nous vivons. Jules Verne déjà, dans son Hector Servadac, peignait l'influence et les conséquences d'un séjour sur un astre où la pesanteur et la pression atmosphérique seraient moindres que sur la terre. J.-H. Rosny, dans son Cataclysme (1887), nous décrit les effets physiques et mentaux produits par une haute tension magnétique, et crée aussi un milieu spécial pour les derniers survivants de l'humanité, dont la Mort de la Terre (1912) nous retrace l'émouvante agonie. Dans le Parfum de Volupté, un soulèvement volcanique fait émerger l'ancien continent, et les passagers d'un vaisseau, prisonnier dans une de ses mers intérieures, subissent l'influence irrésistible d'émanations étranges, qui développent chez eux les penchants erotiques, jusqu'au jour où une nouvelle convulsion de la planète fait sombrer à nouveau la terre mystérieuse. Maurice Renard crée aussi des milieux artificiels, pour faire reparaître aux yeux de ses héros les faunes disparues de l'époque antidéluvienne : dans les Vacances de M. Dupont (1905),l'iguanodon et le mégalosaure ; dans le Brouillard du 26 octobre (1912), l'elephas primigenius, le dinotherium, le pithécantrope et la flore du miocène. Enfin, le Peuple du Pôle, de Derennes, pourrait se rattacher à la même catégorie.
Ces données succinctes permettront de se rendre compte des sources diverses où a puisé l'imagination en quête de matières et sujets nouveaux. Au courant du mouvement scientifique contemporain, documen- tés sur les théories naissantes, sur les faits acquis, sur les conquêtes rêvées, les auteurs ont laissé leur fantaisie s'envoler sur les voies amorcées par l'esprit des savants. Ce que les indications qui précèdent ne peuvent par contre rendre en aucune façon, c'est l'effet obtenu par cette combinaison de bases scientifiques et de conséquences imaginaires : la brièveté d'un résumé enlève nécessairement à ces
récits ce qui fait leur caractère et leur valeur : la révélation progressive du mystère qui soutient l'intérêt, le développement, progressif aussi, des conséquences imprévues, mais logiques, d'une thèse ou d'une hypothèse admise. En m'excusant ici de ce défaut inévitable dans une analyse qui repose sur la mise en évidence du squelette de l'œuvre, j'ajoute que, trop souvent, les auteurs du roman merveilleux-scientifique joignent aux éléments rationnels qui constituent l'essence du genre, des éléments émotionnels dont la présence ne se justifie pas toujours : les scènes horribles s'accumulent sans nécessité,et l'outrance des couleurs jointe à la débauche de l'imagination produit parfois moins la terreur que le dégoût.
Malgré l'atmosphère hallucinatoire où ces œuvres nous plongent, le surnaturel qu'elles évoquent reste confiné dans des limites en somme assez étroites. Nous ne sortons guère de l'ambiance humaine. Ces forces qu'elles mettent en jeu, physiques ou chimiques, biologiques ou psychiques, c'est toujours l'intelligence humaine qui les découvre et en fixe les lois, qui les maîtrise et en détermine les résultats. Et même dans le domaine du spiritisme et de l'hypnotisme, les êtres ultra-humains qui apparaissent et se mêlent à la trame du récit, nous sont encore apparentés psychiquement ; leur nature spirituelle est construite comme la nôtre, et c'est cette ressemblance de nature, cette « homoousie », qui nous permet le contact avec eux. Ils restent dans le plan général de la création que nous révèlent nos perceptions externes et internes, ils sont membres d'un même univers: en un mot, tout surnaturels qu'ils nous apparaissent, ils sont encore rationnels. Partout et toujours, nous retrouvons notre image, parfois déformée, caricaturale et monstrueuse, parfois subli-
mée et idéalisée, mais comportant toujours dans ses traits essentiels les éléments constitutifs dont nous sommes formés. Est-il donc interdit à l'imagination d'aller au-delà ? N'est-il pas possible de faire reculer et monter encore la limite du surnaturel ?

3. Les créateurs d'êtres inédits.

Quelques auteurs ont franchi ce seuil redoutable, et nous ont suggéré des horizons insoupçonnés. L'étude de leurs œuvres clora ce chapitre.
La hardiesse de leur tentative indique des esprits d'élite : ils ont nom Maupassant, Villiers de l'Isle Adam et J.-H. Rosny, et il faut leur adjoindre un disciple de ce dernier, Maurice Renard, pour quelques pages de son Péril bleu publié en 1910. Encore, pour être strict, faut-il reconnaître que seul J.-H. Rosny a posé et abordé de front et en pleine conscience du but proposé le problème que Maupassant et Villiers de risle-Adam n'ont fait qu'effleurer.
C'est certainement dans le Horla (1886) que se résume le mieux l'effort que tenta Maupassant pour étreindre le merveilleux. L'œuvre est trop connue pour que je la résume, et l'on sait aussi l'émotion considérable qu'elle suscita dans le public. Preuve en soient les nombreuses imitations qu'elle suggéra,ainsi que le nom de Horla donné à un ballon, à bord duquel Maupassant atteignit la Belgique (cf. Le Voyage du Horla). Notons-en ici les caractères essentiels…

Lem

Message par Lem » dim. févr. 14, 2010 7:24 pm

Un entretien intéressant avec Michel Cazenave dans la revue Nouvelles Clés à propos du "Cinéma comme lieu philosophique décisif".
On y trouve entre autres la déclaration suivante :
N. C. : Tous les jours se déroulent donc selon vous, dans des milliers de salles, des milliers de rituels que l’intelligence des sciences humaines ne sait pas penser ?

M. C. : Je ne sais pas s’il s’agit de rituel, mais c’est de la communion. La première fois que j’ai vu Rencontre du troisième type, le silence du public m’avait frappé, et quand les lumières se sont rallumées, la salle unanime s’est spontanément levée et a applaudi. Applaudir dans un cinéma n’a en principe aucun sens, mais là, on sentait que quelque chose de profond était passé. Dans une communion, les gens se sentent tout à coup plus humains, parce qu’ils se sont ouverts à autre chose, là le cinéma les avait sortis de leur enfermement. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui, dans nos sociétés, tout ce qui est, en gros, “marquage symbolique” s’est quasiment effondré. Pratiquement, il ne reste plus que le cinéma pour le transmettre. Reprenons Le Cinquième Élément (mais c’est vrai d’une grande part de la science-fiction), les vraies questions philosophiques, métaphysiques, spirituelles, religieuses, c’est là qu’elles sont posées. Vous pouvez ouvrir le dernier prix Goncourt, la métaphysique ne s’y trouve pas ; prenez un roman de science-fiction, elle y est. Prenez un film de Besson, elle s’y trouve ; dans un film de Depléchin, certainement pas.
Le reste est à lire ici.

Fabien Lyraud
Messages : 2278
Enregistré le : mer. oct. 24, 2007 10:35 am
Localisation : St Léonard
Contact :

Message par Fabien Lyraud » dim. févr. 14, 2010 8:21 pm

Cazenave a d'ailleurs écrit un roman de SF "la légende d'Aragor" qui lui a valu d'être invité à Apostrophe (comme quoi).
Besson c'est quand même de la métaphysique de bazar. Mais le 5éme élément péche énormément sur le plan de la spéculation et de l'imaginaire. Soit au niveau des idées et des images. Ces deux niveaux sont complétement baclés. Ce qui veut dire que la métaphysique seule ne fait pas une grande oeuvre de SF. Les idées sont importantes mais les images aussi. Quand ces deux niveaux (le thématique et le figuratif pour parler comme les sémioticien) sont aussi pauvre que chez Besson, la métaphysique même si elle est présente, elle ne vaut pas tripette. Il n'y a pratiquement aucun univers chez Besson, que de la superficialité et pourtant dieu sait s'il avait un matériau de premier choix.
Bienvenu chez Pulp Factory :
http://pulp-factory.ovh


Le blog impertinent des littératures de l'imaginaire :
http://propos-iconoclastes.blogspot.com

Répondre

Retourner vers « Vos dernières lectures »