Temps et récit, de Ricœur, est sur la métaphore une référence. J'en avais extrait une phrase frappante dans Le processeur d'histoire :Lensman a écrit :Tiens, un article intéressant, amusant (et ardu),, qui montre la difficulté à caractériser clairement la science-fiction. Le philosophe Paul Ricœur (je vous rassure: je ne connais rien de son œuvre, sauf, en consultant Wiki, le fait qu'il s'est furieusement intéressé à la… métaphore) a sa manière à lui de comprendre le concept…
Le papier de Sylvie est très intéressant mais je me demande si elle ne passe pas à côté de deux hypothèses qui lui auraient simplifié la vie.Selon Paul Ricœur, la métaphore est « le processus rhétorique par lequel le discours libère le pouvoir que certaines fictions possèdent de redécrire la réalité ». Mais que devient ce pouvoir lorsque tout un pan de la culture moderne le détourne de son usage classique (aristorélicien) qui est la poétisation du monde, pour l’affecter à la matérialisation d’objets et d’univers imaginaires, opération qu’on pourrait qualifier de “mondisation” de la poésie ?
1) Dans la première partie, elle reproche à Ricœur de résumer abusivement l'expérience de pensée de Parfit à une manipulation sur "le cerveau" et cite, pour appuyer ce reproche, le texte anglais original où il est question "du cerveau et du corps". Elle conclut provisoirement :
Peut-être Sylvie manque-t-elle ici le point essentiel ? Ce que Ricœur réfute, je crois, c'est l'assimilation de "la personne" au matériel. (Je suis loin de connaître son œuvre en profondeur mais il a tant écrit sur la subjectivité et ce qu'elle doit au langage que ça semble assez logique.) Bref, il me semble surtout réfuter une conception purement matérielle de la personne comme le suggère plus bas dans le texte sa citation sur "une conception narrative de l’identité personnelle". Si c'est le cas, lui répondre que "la personne" selon Parfit, c'est "cerveau+corps" n'est pas réellement une objection.l n’y a pas de doute, c’est bien l’ensemble de la personne, avec tout son corps qui a été télétransporté (…) et pas seulement son cerveau.
(…)
On peut alors se demander si le fait que certaines expériences de pensée, ou au moins l’une d’entre elles, intègrent l’ensemble du corps ne remet pas en cause une partie de l’argumentation de Ricœur lequel fonde sa critique sur la prétendue focalisation de la philosophie analytique sur le cerveau, indépendamment du reste du corps.
2) L'usage bizarre de "science-fiction" chez Ricœur :
Là aussi, je me demande si Sylvie ne saute pas un peu trop vite aux conclusions – s'il n'y a pas un malentendu.« À cet égard, l’invention de puzzling cases avec le secours de la science-fiction (…) exerce une fonction stratégique si décisive [etc.] »
Parfit s’inspire donc, cela semble effectivement évident, de la science-fiction pour élaborer ses puzzling cases et Ricœur paraît avoir conscience du fait que ces expériences trouvent leur origine dans un genre littéraire autonome qui existe indépendamment d’elles.
Si on considère que Ricœur emploie l'expression "science-fiction" non par référence au genre mais pour qualifier l'expérience de pensée elle-même en tant qu'elle s'appuie sur une technologie fictive, sa phrase est beaucoup plus claire et la plupart des obscurités relevées dans la suite du texte disparaissent. Ricœur emploie le terme comme il l'est très souvent à propos de technologies spéculatives (ou de situations hypothétiques reposant sur elles) : "c'est de la science-fiction". Je l'ai encore entendu il y a deux ou trois jours dans un doc sur l'astronomie d'observation. Un scientifique parlait de l'hypothétique téléscope lunaire qui est dans les cartons de la nasa et disait en gros "c'est encore de la science-fiction mais…". Il ne voulait pas dire que le téléscope était un roman…
Tout ce qu'on peut conclure de la phrase de Ricœur à mon avis, c'est qu'il connaît le nom science-fiction.
Quant au genre, c'est une autre affaire. Et c'est sans doute pourquoi, dans la suite, la "science-fiction" (en tant qu'expérience de pensée, conceptuelle et non-narrative, à l'image de celle de Parfit) est opposée par Ricœur aux "fictions littéraires d'ordre narratif" (qui sont selon lui une source de construction de la personne).