Erion a écrit :Par conséquent, même si on trouve des dieux et des immortels dans la SF, prétendre qu'elle a le monopole sur ces thèmes me paraît hautement abusif, eu égard à la fantasy et au fantastique (et pas la peine de me sortir le coup des collections, on peut pas se réfugier derrière les arguments éditoriaux quand ça chante et les refuser plus tard quand ça remet en cause les théories esthétiques).
Le déni s'est noué dans les dix premières années d'existence du label, entre 1950 et 1960. A ce moment-là, il n'y avait aucune collection de fantasy et le fantastique était réputé clos, justement "tué" par la SF (je pense que la seule collection dédiée était Angoisse).
Le déni a donc porté sur l'image du genre telle que perçue à travers trois collections principales : le Rayon Fantastique, Présence du Futur et Anticipation. C'est d'ailleurs amusant de noter à quel point chacune de ces collections porte un nom mal adapté à sa ligne éditoriale. Le Rayon est "Fantastique" alors qu'il est le plus SF des trois. Présence est "du Futur" alors que c'est là qu'il y a le plus de fantastique. Et "Anticipation", dans ses premières années, transpose pour l'essentiel les schémas du vieux roman scientifique d'avant-guerre avec une prédilection pour les trucs hétéroclites, sans ambition prospective.
Le noyau dur du déni est bien connu et je ne vois aucune raison de le remettre en cause. Je ne le fais pas dans la préface, je ne l'ai pas fait ici, je ne le fais toujours pas. Une littérature intégrant la science était inadmissible pour la critique mainstream. Elle aurait pu susciter l'intérêt des curieux, voire de l'avant-garde (c'est d'ailleurs le sens de l'investissement de Queneau, Le Lionnais et Vian, ainsi que de l'affaire du Nouveau Roman) mais hormis quelques auteurs, Drode en particulier, la SF ne travaillait pas consciemment sur sa propre esthétique à l'époque ; elle se contentait de la produire. Beaucoup de textes (français et traductions) ont été jugés approximatifs : mauvaise réputation littéraire. Les lieux communs sur le système de valeurs impliqué (goût du futur, de la science et de la technique, optimisme et esprit pionnier "typiquement américains") ont également joué.
Tous ces facteurs de déni sont la source des clichés habituels : la SF, ce n'est pas de la littérature. La SF, c'est mal écrit. La SF, c'est les Américains.
Le parfum MR émis par le genre tel qu'il était représenté alors continue de me sembler un facteur de déni non encore repéré avant ce fil. Il heurtait de plein fouet le rationalisme et l'esprit anti-métaphysique de l'époque. Je pense qu'il est la source du cliché déniant "SF = un truc impossible, qui ne peut pas arriver = fumeux = n'importe quoi (au point que le sigle a finalement été utilisé comme un synonyme de cette acception). Là où mon analyse s'est enrichie grâce au fil, c'est dans la possibilité de mettre cette perception en parallèle avec "la SF n'est pas sérieuse sur le plan scientifique". Source vraisemblable : les textes réifiant effectivement des images MR, les textes à base de "super-science", les textes hétéroclites, les textes non-strictement-SF (fantasy au sens large et fantastiques) pourtant publiés sous le label donc brouillant sa perception.
L'Affaire Planète, qui commence au début des années 60, a sans doute contribué à renforcer une partie de cette perception biaisée.