Garry KILWORTH - Roche-Nuée
Modérateurs : Eric, jerome, Jean, Travis, Charlotte, tom, marie.m
Garry KILWORTH - Roche-Nuée
Hop !
Roche-Nuée est un ancien atoll qui se dresse comme un champignon au milieu de l’énorme désert de sel des Terres Mortes. On dit qu’autrefois il y avait de l’eau à la place du désert… mais sans doute n’est-ce qu’une légende. Pour les membres des Familles, de toute façon, le monde se limite à Roche-Nuée. Il y a deux Familles : la Famille Jour, qui vit dans des yourtes, et la Famille Nuit, qui vit dans des grottes. Les deux Familles sont endogames, incestueuses même, et pratiquent le culte des ancêtres et d’une même divinité solaire, Dieurouge ; elles sont également cannibales, dans la mesure où les femmes mangent les parents décédés. Dernière tradition commune : celle consistant à jeter du haut de la falaise les indésirés, difformes ou débiles… qui ne manquent pas, on s’en doute.
Le narrateur, pourtant, est un indésiré. Ce nabot de sexe indéterminé ne doit la vie qu’à un caprice de son frère, Argile, de la Famille Jour. Il survit donc en se faisant passer pour l’ombre de son frère, et Argile de jouer le jeu, n’envisageant jamais l’indésiré que comme une ombre ; or, une ombre, on ne la regarde pas, et on lui parle encore moins…
Mais Ombre a survécu des années ainsi, dans l’ombre d’Argile, chassant avec lui. Pour le reste, dans le village, il lui fallait se faire discret : la menace du précipice était toujours présente… Ombre, à tout prendre, est resté ainsi pendant des années un non-être.
Mais les choses vont changer en l’espace de quelques mois. Lors d’une chasse, Argile, bien évidemment accompagné d’Ombre, fait la connaissance de Tilana, de la Famille Nuit, et en tombe éperdument amoureux. Un amour impossible, bien sûr : l’exogamie est le pire des tabous à Roche-Nuée, et Argile doit bientôt épouser sa propre mère, Chatcourant…
Mais les événements vont se précipiter, et Ombre, de simple témoin qu’il sera dans un premier temps, va jouer un rôle de plus en plus important au fil des pages, notamment du fait de son étrange affinité avec l’eau, le vent, le feu, et surtout la roche. Et il va ainsi découvrir que le monde ne s’arrête pas à Roche-Nuée…
Avec Roche-Nuée, Gary Kilworth livre un roman largement initiatique basé sur un solide fond anthropologique. Le cadre, pour énigmatique qu’il soit, est fascinant, et décrit avec une grande méticulosité. Les mœurs, rites et pratiques des Familles sont rapportés avec un sens du détail qui vaut bien un Jack Vance ou – plus encore – une Ursula K. Le Guin (ainsi en ce qui concerne les systèmes matrimoniaux, le culte des ancêtres ou le cannibalisme rituel). Sans surprise, cette thématique débouche sur les questions de l’ethnocentrisme, de la normalité et de sa relativité, très bien posées.
Mais il s’y ajoute un profond questionnement sur l’identité à travers le non-être Ombre, lequel accède à la personnalité au fil des pages. Individu attachant, tout d’abord enfant martyr mais sans excès de pathos – on trouve plutôt dans ces pages une sorte de naturalisme cru à la Narayama, très bien vu –, puis, progressivement, adulte et responsable, Ombre est un superbe personnage, merveilleusement travaillé et d’une grande complexité. Sans doute les autres personnages, Argile excepté – lui aussi est très ambigu, et donc fascinant –, sont-ils plus stéréotypés ; mais peu importe : le charisme du narrateur, ce nain hermaphrodite, l’emporte de toute façon.
La plume de Garry Kilworth, enfin, si elle est plus ou moins bien servie par la traduction de Monique Lebailly, est dans l’ensemble très juste et précise, et l’on peut effectivement comprendre, sous cet angle également, la filiation ballardienne (avec moins d’éclat, cependant).
En conclusion, Roche-Nuée est un très bon roman « d’anthropologie-fiction », assez unique en son genre, intelligent, émouvant et prenant, qui mérite qu’on s’y attarde au-delà de son côté déconcertant au premier abord.
Roche-Nuée est un ancien atoll qui se dresse comme un champignon au milieu de l’énorme désert de sel des Terres Mortes. On dit qu’autrefois il y avait de l’eau à la place du désert… mais sans doute n’est-ce qu’une légende. Pour les membres des Familles, de toute façon, le monde se limite à Roche-Nuée. Il y a deux Familles : la Famille Jour, qui vit dans des yourtes, et la Famille Nuit, qui vit dans des grottes. Les deux Familles sont endogames, incestueuses même, et pratiquent le culte des ancêtres et d’une même divinité solaire, Dieurouge ; elles sont également cannibales, dans la mesure où les femmes mangent les parents décédés. Dernière tradition commune : celle consistant à jeter du haut de la falaise les indésirés, difformes ou débiles… qui ne manquent pas, on s’en doute.
Le narrateur, pourtant, est un indésiré. Ce nabot de sexe indéterminé ne doit la vie qu’à un caprice de son frère, Argile, de la Famille Jour. Il survit donc en se faisant passer pour l’ombre de son frère, et Argile de jouer le jeu, n’envisageant jamais l’indésiré que comme une ombre ; or, une ombre, on ne la regarde pas, et on lui parle encore moins…
Mais Ombre a survécu des années ainsi, dans l’ombre d’Argile, chassant avec lui. Pour le reste, dans le village, il lui fallait se faire discret : la menace du précipice était toujours présente… Ombre, à tout prendre, est resté ainsi pendant des années un non-être.
Mais les choses vont changer en l’espace de quelques mois. Lors d’une chasse, Argile, bien évidemment accompagné d’Ombre, fait la connaissance de Tilana, de la Famille Nuit, et en tombe éperdument amoureux. Un amour impossible, bien sûr : l’exogamie est le pire des tabous à Roche-Nuée, et Argile doit bientôt épouser sa propre mère, Chatcourant…
Mais les événements vont se précipiter, et Ombre, de simple témoin qu’il sera dans un premier temps, va jouer un rôle de plus en plus important au fil des pages, notamment du fait de son étrange affinité avec l’eau, le vent, le feu, et surtout la roche. Et il va ainsi découvrir que le monde ne s’arrête pas à Roche-Nuée…
Avec Roche-Nuée, Gary Kilworth livre un roman largement initiatique basé sur un solide fond anthropologique. Le cadre, pour énigmatique qu’il soit, est fascinant, et décrit avec une grande méticulosité. Les mœurs, rites et pratiques des Familles sont rapportés avec un sens du détail qui vaut bien un Jack Vance ou – plus encore – une Ursula K. Le Guin (ainsi en ce qui concerne les systèmes matrimoniaux, le culte des ancêtres ou le cannibalisme rituel). Sans surprise, cette thématique débouche sur les questions de l’ethnocentrisme, de la normalité et de sa relativité, très bien posées.
Mais il s’y ajoute un profond questionnement sur l’identité à travers le non-être Ombre, lequel accède à la personnalité au fil des pages. Individu attachant, tout d’abord enfant martyr mais sans excès de pathos – on trouve plutôt dans ces pages une sorte de naturalisme cru à la Narayama, très bien vu –, puis, progressivement, adulte et responsable, Ombre est un superbe personnage, merveilleusement travaillé et d’une grande complexité. Sans doute les autres personnages, Argile excepté – lui aussi est très ambigu, et donc fascinant –, sont-ils plus stéréotypés ; mais peu importe : le charisme du narrateur, ce nain hermaphrodite, l’emporte de toute façon.
La plume de Garry Kilworth, enfin, si elle est plus ou moins bien servie par la traduction de Monique Lebailly, est dans l’ensemble très juste et précise, et l’on peut effectivement comprendre, sous cet angle également, la filiation ballardienne (avec moins d’éclat, cependant).
En conclusion, Roche-Nuée est un très bon roman « d’anthropologie-fiction », assez unique en son genre, intelligent, émouvant et prenant, qui mérite qu’on s’y attarde au-delà de son côté déconcertant au premier abord.
Hop : Cédric FERRAND, Wastburg
- Charlotte
- Administrateur - Site Admin
- Messages : 1518
- Enregistré le : lun. janv. 23, 2006 2:28 pm
- Localisation : Paris
- Contact :
Eh bien si ça peut te décider à les lire : j'avais trouvé Les Rois Navigateurs vraiment très bien. J'avais particulièrement aimé la bouffée d'air frais qu'apportait cette trilogie dans laquelle les héros ne sont pas les Celtes (dont un couple a été fait prisonnier et nous "guide" dans les traditions océaniennes) mais le peuple polynésien avec ses mythes et ses légendes. Le tout servi, par une très belle langue et avec un ton épique à souhait.arsenie a écrit :Voila qui est intéressant! surtout en 1 volume![]()
Je ne connais le nom de Gary Kilworth que par la série "les rois navigateurs"
que je n'ai pas commencé, faute d'avoir trouvé des renseignements (ni en bien, ni en mal, d'ailleurs)
Et cerise sur le gâteau, ils sont dispo en poche.
- Thomas Geha
- Messages : 692
- Enregistré le : ven. févr. 10, 2006 10:15 am
- Localisation : Rennes
- Contact :
+1, un cycle hors-norme, et complètement différent de ce qu'on lit habituellement. J'avais adoré. Mais j'aime beaucoup Kilworth, auteur sans doute trop sous-estimé. Si vous mettez la main sur Captifs de la cité de glace (opta) sautez sur l'occasion, c'est un excellent roman aussi.Charlotte a écrit :Eh bien si ça peut te décider à les lire : j'avais trouvé Les Rois Navigateurs vraiment très bien. J'avais particulièrement aimé la bouffée d'air frais qu'apportait cette trilogie dans laquelle les héros ne sont pas les Celtes (dont un couple a été fait prisonnier et nous "guide" dans les traditions océaniennes) mais le peuple polynésien avec ses mythes et ses légendes. Le tout servi, par une très belle langue et avec un ton épique à souhait.arsenie a écrit :Voila qui est intéressant! surtout en 1 volume![]()
Je ne connais le nom de Gary Kilworth que par la série "les rois navigateurs"
que je n'ai pas commencé, faute d'avoir trouvé des renseignements (ni en bien, ni en mal, d'ailleurs)
Et cerise sur le gâteau, ils sont dispo en poche.
- Soslan
- Messages : 3051
- Enregistré le : sam. juin 13, 2009 1:22 pm
- Localisation : Lille (ou presque)
- Contact :
J'ai les Rois Navigateutrs dans ma PAL depuis un long moment déjà, mais il n'est pas encore redescendu. Il va falloir que j'y songe, moi qui suis particuliérement fasciné par les mythes polynésiens depuis belle lurette.
Je me demande d'où Kilworth aitré son idée de polynésiens voyageant jusqu'aux iles britanniques, ça m'a immédiatement fait penser au mytrhe d'Amaiterai, un roi de l'île de Rurutu auquel la légende a prêté un voyage sur les mers en réussissant à le faire passer par le Pays de l'homme blanc, représenté par Piritania, la Grande-Bretagne quoi (en plein XIVème siècle, date du régne d'Amaiterai si l'on en croit l'histoire orale, l'image est amusante)
Bien sûr il n'est pas question de colonisation à l'envers comme chez Kilworth, puisque cette interpolation chrétienne tardive dans le mythe du voyage n'a de sens que si Amaiterai raméne, mais bien sûr, la Vrai Dieu. La légende tourne donc à l'avantage de la culture européenne, mais n'a rien pour autant de trés dévalorisant pour celle des indigénes, puisqu'il s'agit de la légitimer en faisant du Dieu A'a une déformation du "Vrai" (A'a est d'ailleurs la seule idole qui a été sauvée de la destruction, les textes mythiques de Rurutu prétextant habilement le souvenir d'Amaiterai).
Lisez toujours "Eteroa" (l'autre nom de Rurutu) dans l'excellente collection A l'aube des peuples, c'est plus édulcoré à l'occidentale (faute à une épidémie meurtière pour la population au XIXème siècle) mais plus agréable à lire que les Mythes tahitiens de Teuria Henry dans la même collec'.
Je me demande d'où Kilworth aitré son idée de polynésiens voyageant jusqu'aux iles britanniques, ça m'a immédiatement fait penser au mytrhe d'Amaiterai, un roi de l'île de Rurutu auquel la légende a prêté un voyage sur les mers en réussissant à le faire passer par le Pays de l'homme blanc, représenté par Piritania, la Grande-Bretagne quoi (en plein XIVème siècle, date du régne d'Amaiterai si l'on en croit l'histoire orale, l'image est amusante)
Bien sûr il n'est pas question de colonisation à l'envers comme chez Kilworth, puisque cette interpolation chrétienne tardive dans le mythe du voyage n'a de sens que si Amaiterai raméne, mais bien sûr, la Vrai Dieu. La légende tourne donc à l'avantage de la culture européenne, mais n'a rien pour autant de trés dévalorisant pour celle des indigénes, puisqu'il s'agit de la légitimer en faisant du Dieu A'a une déformation du "Vrai" (A'a est d'ailleurs la seule idole qui a été sauvée de la destruction, les textes mythiques de Rurutu prétextant habilement le souvenir d'Amaiterai).
Lisez toujours "Eteroa" (l'autre nom de Rurutu) dans l'excellente collection A l'aube des peuples, c'est plus édulcoré à l'occidentale (faute à une épidémie meurtière pour la population au XIXème siècle) mais plus agréable à lire que les Mythes tahitiens de Teuria Henry dans la même collec'.
"La Lune commence où avec le citron finit la cerise" (André Breton)
http://karelia.over-blog.com/
Et pour ne pas faire que ma propre promo :
http://musardises.moonfruit.fr/
http://karelia.over-blog.com/
Et pour ne pas faire que ma propre promo :
http://musardises.moonfruit.fr/