Vampyres - Sable Noir

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Goldeneyes
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Vampyres - Sable Noir

Message par Goldeneyes » jeu. sept. 30, 2010 5:53 pm

Succédant au projet Sable Noir qui avait regroupé, autour d'une même table, une jolie brochette d'écrivains - Andréa H. Jappe, Maud Tabachnik, Jean-Bernard Pouy, François Rivière, Xavier Mauméjean, Denis Bretin - et de réalisateurs - Olivier Mégaton, Doug Headline, Xavier Gens, Eric Valette, Harry Cleven, Samuel Le Bihan - mettant en commun leurs efforts, plumes et caméras, sueurs et idées, pour adapter en courts métrages des nouvelles écrites autour d'une même thématique fantastique, et fort du succès de cette première mouture, l'alliance insolite est reconduite en 2009 pour un nouveau projet sur la base d'une nouvelle équipe et d'une thématique plus inscrite dans l'ère du temps : les vampires. Six écrivains font donc du coude à coude pour livrer six nouvelles prenant pour cadre la mystérieuse ville de Sable Noir et tourner leur imaginaire vers le vampirisme. Ces six nouvelles, publiées en livre de poche, sont ensuite portées à l'écran, format courts métrages, et, c'est là la nouveauté, adaptées en bande-dessinées. La formule paraît donc prometteuse, et le lecteur enclin au plic ploc purpurin de l'hémoglobine, de se pourlécher les babines :
Six nouvelles.
Six courts métrages.
Six BD.
Cacher-moi donc ce sang, que je ne saurais voir...


Premier texte à ouvrir le bal, Dans la peau, de Caryl Ferey, où l'on suit deux jeunes playmates, Sarah et Sherryl, bimbos aux formes généreuses et au cerveau étroit, prétendument actrices, tout du moins actrices en devenir qui tardent à l'être, cherchant à passer du bon temps pour pas cher durant leurs vacances sur la côte. Prises en autostop par Marco, un bellâtre mystérieux au regard cristallin et à la chevelure gominée, elles finissent par échouer dans une méga-party organisée dans un club privé. La musique pulse à fond sous les voûtes de ce caveau criblé de lumières stroboscopiques, du Drum and Bass qui ronronne en faisant vibrer les corps élastiques déjà fortement avinés. Ça snif et ça se biture à tout va. Ça s'enfourche à toutes les encoignures. Et le propriétaire des lieux, un certain Coleman, à la beauté irréelle, lustrale, trop pure pour être vraie, au sourire Colgate bi-fluor actif, ne tarde pas à faire tomber dans ses filets l'innocente et pulpeuse Sherryl, blonde pétulante du duo déluré. Mais rapidement, la fête tourne à l'étrange. A l'inquiétant. Au ça sent mauvais. Les convives liquéfiés dans des postures lascives, vautrés dans une luxure à peine tamisée, portent d'étranges masques, leurs regards perçant convergent vers Marco et Sarah avec une insistance fâcheuse, et la lueur qui papille dans le fond de leurs yeux translucides n'est pas franchement rassurante. Marco et Sarah, déguerpissent donc fissa, mais se perdent dans les back-room labyrinthiques de ce club sans sortie. Vision d'horreur lorsqu'ils découvrent Sherryl, affalée sur le lit du prince des lieux. Pas au mieux de sa forme. Fuir. Il faut fuir. Et ce n'est plus une foule de fêtards en furie qui se lance à leurs trousses, mais une armée de créatures aux canines effilées...
Ouverture trash, dévergondée, au ton clairement relâché. Glissé dans la peau de Sarah, la narratrice, tête froide de ce duo en chaleur, Caryl Ferey croque les vampires sur le mode méga-party. C'est fun. Ça ne se prend à aucun moment au sérieux. Les dialogues se bousculent en enchérissant dans une pétulance joyeuse. Ça se dévore en une bouchée, comme un pavé de steak tartare, en nous laissant un sourire goguenard sur le visage.


Second office, De Sang frais, saignée Brigitte Aubert. Franck Marvel vient d'atterrir, avec sa petite famille, dans un patelin paumé sur la côte bretonne : Sable Noir. Ancien paparazzi tentant de rompre avec une vie de bobo parisien où la coke et l'alcool constituaient le pain quotidien, Franck se refait une santé à la fraicheur des embruns. Journaliste dans le bulletin local, il couvre des évènements d'une platitude ectoplasmique. Jusqu'au jour où il découvre un cadavre échoué sur la grève. La mort est pour le moins violente : on a arraché le caeur de la jeune victime. Il ne reste de sa poitrine qu'un gros trou béant où l'eau s'engouffre. Les policiers enquêtent et, pas franchement besogneux, laissent l'affaire sans suite. Jusqu'à ce que survienne un second crime. Le mode opératoire se révèle le même. Franck se frotte les mains. Il tient là le sujet qui promet de le parachuter en tête de la pyramide médiatique, et sa queue de journaliste en mal de scoop en frétille d'allégresse. Les indices parlent d'eux-mêmes et orientent clairement l'enquête sur la piste d'un tueur en série. Un troisième crime, encore : un gamin à la poitrine perforée, laissant apparaître une cavité d'où l'on a extrait le caeur. Les soupçons de Marc se tournent vers Norman, vieux médecin de la petite communauté autarcique, collectionneur de croix christiques. Est-il vraiment le coupable ? Quel serait son mobil ? Marc ne tardera pas à le découvrir, peut-être à ses dépends.
Nouvelle du recueil qui prend la tournure d'une enquête policière. L'ambiance est marine, humide. Il fait froid, il vente, il pleut constamment à Sable Noir, bout de cailloux accroché au-dessus de l'océan, exposé aux bourrasques de la marée, et les villageois, cloitrés dans une impavidité inquiétante, forment une populace qui ne laisse rien présager de bon. Nouvelle à chute, De sang frais se lit bien et se lit vite, notamment pour son cadre bien campé, à l'aura mystérieuse, et son personnage central de Marc, ancien chasseur de scoop reconverti qui tiendra là, peut-être, matière à relancer sa carrière, ou à y mettre un terme définitif...


Troisième donation, Le Vrai du Faux, de Thierry Jonquet. Incontestablement la nouvelle la mieux écrite du recueil. Dans le petit village excentré de Sable Noir, un propriétaire anglais, Lord Stocker, loue son manoir à des couples de riches excentriques qui laissent libre cours à leur imagination érotique sans limite. Au grand bonheur de Cristoferli, vieux retraité lubrique, dont la maison, sise précisément en face du manoir, ouvre une vue plongeante et imprenable sur la baie vitrée du grand salon où se jouent les ébats sulfureux. Là encore, des crimes sanglants viennent perturber la quiétude du petit village. Les locataires masculins du manoir - Renfield, Tepes, et Harker - sont retrouvés morts aux petites lueurs de l'aube. Quant à leurs demoiselles, Sarah, Lucy, et Mina : envolées, disparues sans laisser la moindre trace. Et les hypothèses, au sein des villageois, ne manquent pas de circuler... On sait pourtant que la nuit du trois décembre, à Sables Noir, il faut rester calfeutré chez-soi, et ne sortir sous aucun prétexte. Consignes élémentaires que les couples d'étrangers insouciants n'ont de toute évidence pas respecté. Imprudence préjudiciable s'il en est...
Le ton est résolument drôle, cocasse, mordant, les dialogues brillent d'une intelligence sournoise, les situations et les personnages sont croqués d'une plume alerte et malicieuse. On se fend d'un large sourire à plus d'une reprise, et les interventions de la figure du curé du village, ancien aumônier de la légion étrangère, qu'on imagine comme une sorte de Rambo en soutane, au verbe grossier, au franc parlé grivois, qui résume les choses et le monde en mots très simples sans s'encombrer de la réserve que lui impose son sacerdoce, ne manquent pas de venir pimenter cette agréable histoire de faux vampires. Un petit régal dont on se délecte sans modération.


Quatrième offrande, La Maison sur la Colline, d'Ann Scott. Seule nouvelle véritablement hors-sujet du recueil. Où l'on suit les pérégrinations d'une jeune femme dont la mère, célèbre et riche actrice, mariée à un banquier, récemment divorcée, a fait l'acquisition d'une imposante propriété perdue à la périphérie d'un village coupé du monde : Sable Noir. Ayant durant des années délaissé sa fille au profit de sa carrière, la mère compte bien rattraper le temps perdu en invitant cette dernière à venir vivre dans la demeure nouvellement acquise. La complicité s'installe rapidement. La jeune narratrice apprend à connaître cette mère qui ne l'a jamais été. Jusqu'au jour où un accident met fin à cette douce relation. Résolue à préserver la propriété de la vente, la jeune femme combat la volonté de son père uniquement sensible aux sirènes de l'argent, et, abandonnant définitivement ses études sur Paris, s'établit dans la propriété. Mais les nuits deviennent agitées. Des formes évanescentes semblent rôder dans les couloirs. Des bruits incongrus ponctuent le quotidien... Tout porte à croire que la maison est hantée. Par qui ? Par quoi ?
Point de vampire dans cette nouvelle qui exploite les ficelles fantastiques des vieux classiques du genre pour servir au lecteur un récit plutôt léger sur le thème, on l'aura compris, de la maison hantée, sur fond de drame familiale. Réussi, mais hors-sujet !


Cinquième saignée, Alizarine, de Colin Thibert. Gégé, énorme baraque, a chu de son piédestal de grande frappe du quartier depuis qu'un bout-de-choux a débarqué dans son existence : Garance, sa petite fille âgée de dix mois. Depuis la naissance du bébé, Gégé est un véritable papa-poule. Finis les franches tranches de rigolades, les soirées arrosées entre potes, les rodéos nocturnes en voitures, les délits mineurs pour arrondir les fins de mois. Gégé a remisé sa casquette de voyou aux gros muscles pour endosser le costume de papa au grand caeur. Ce que Kader, ami de longue date avec lequel il s'est livré aux quatre cent coups, déplore. Dans le couple, c'est Anaïs qui porte la culotte, comme on dit : tandis que Gégé, au chômage, passe ses journées à s'occuper de son adorable fille, Anaïs, sa compagne, travaille au supermarché du coin en tant que caissière. Mais Gégé, en dépit de l'amour qu'il voue à sa petite, s'ennuie copieusement. Il nourrit des plans pour l'avenir : il caresse l'idée de devenir marchand forain. Indépendance, revenus fixes : la perspective a son charme. Oui mais voilà. Pour réaliser un tel projet, il faut de l'argent. Et les banques sont prêtes à le soutenir mais seulement s'il dispose d'un pécule de départ... Aussi, lorsque Kader lui propose de participer à un coup dont l'issu est assurément juteuse, il n'en faut guère plus pour convaincre Gégé. La cible de leur méfait : une demeure un peu excentrée, opulente propriété d'une vieille et riche grabataire qui ne sort jamais de chez elle. Gégé et son compère planifient leur cambriolage. Mais lorsqu'ils investissent les lieux, une surprise de taille les attend...
Nouvelle exploitant le registre comique, où l'on suit donc un duo de véritables bras-cassés dans un cambriolage claudiquant. Le cadre, une cité d'un quartier populaire, apporte au thème un éclairage original. Gégé, en grande frappe à l'abyssale crédulité, et son pote Kader, en petit voyou qui démarre au quart de tour, forment un tandem de choc, bigarré et complémentaire, dont les péripéties autant que les maladresses poussent souvent au sourire. Le ton reste léger, la prose agréable, les personnages décrits avec tendresse, et cette excursion du vampirisme dans l'univers du cambriolage convainc par la justesse de ses protagonistes résolument antiaristocratiques.


Dernière nouvelle de cette excursion vampirique, Les âmes Bâtées, de Pierre Pelot, incontestable réussite du recueil, qui plafonne bien au-dessus du niveau de ses congénères. Loin des facéties, de la légèreté, et du second degré employés avec quelque constance dans la plupart des autres textes, Pierre Pelot déploie ici un registre fantastique de la plus belle facture qui ne prête aucune place au sourire. Le climat de sa nouvelle est diablement oppressant : un petit village perdu dans la campagne profonde, Sable Noir, enserré dans une brume compacte, presque consistante, et un couple échoué là : Florianne et Toussaint Lantenier, partis à la recherche du père de ce dernier, Norbert, récemment rendu propriétaire d'une petite maison dans les environs. Les quelques habitants que le couple rencontrent sur leur chemin et auprès desquels ils tentent de quérir quelques informations, se montrent d'une étrangeté inquiétante : bourrus, sauvages, patibulaires, la pensée et le langage épais. Réfugiés dans la demeure vide du père, Florianne et Toussaint attendent vainement le retour du disparu promis par deux vieux amis. Mais entre les murs de la bâtisse, d'obscures forces semblent s'éveiller à la nuit tombée. L'angoisse croît à mesure que l'on s'enfonce dans ce récit étouffant : on découvre peu à peu qu'une communauté entière occupant Sable Noir a été décimée dans un lointain passé. Et une malédiction semble s'appesantir sur ses terres malfamées. Malédiction dans laquelle Toussaint et Florianne ont un rôle déterminant à jouer. A leur dépends, bien entendu.
Pierre Pelot, au cours de sa nouvelle, cultive donc un registre fantastique du plus bel acabit : l'angoisse tenaille progressivement le lecteur. Savamment entretenue, elle enfle peu à peu, déployant ses circonvolutions noueuses au gré des pages, semblables aux serpents de brume qui enlacent Sable Noir. Dans la succession des nuits opaques, les formes se perdent, les bruits étouffent, rien ne subsiste. Florianne et Toussaint se retrouvent littéralement happés dans une sorte de No Man's Land, en dehors du monde, coupés de l'extérieur, prisonniers d'un endroit qui se pare d'une aura maléfique. Claustration des êtres dans un cadre où la folie guette. Pierre Pelot conduit sa nouvelle avec une maîtrise qui force le respect, et nous rappelle que le fantastique, le vrai, encore aujourd'hui, ça s'écrit.


Six nouvelles donc. Six textes au registre, à la trame, au ton bien différents, qui se démarquent chacune par leur petite musique intérieure mais se complètent dans le traitement de leur sujet commun. Tour à tour drôles, amusantes, glaçantes, oppressantes, inquiétantes, captivantes, ces nouvelles, à sucer sans modération, n'invitent qu'à une chose : se plonger dans leur portage cinématographique et leur adaptation en bande dessinée. En clair, une initiative à saluer.

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Hoêl
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Message par Hoêl » jeu. sept. 30, 2010 6:03 pm

Sans préjuger des autres , la présence de Pelot me donne envie , on va essayer de le trouver .
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Vladkergan
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Message par Vladkergan » jeu. sept. 30, 2010 6:49 pm

Ca a quand même quelques mois maintenant. Perso j'ai découvert l'ensemble du projet dans l'ordre BD > courts-métrages > romans, et je dois dire que contrairement à ce que j'aurai pu croire, mon avis sur les différents supports n'est pas le même, les auteurs successifs ayant eu le bon goût d'adapter à leur manière plutôt que de suivre à la lettre les nouvelles (qui de mémoire sont le matériau de base).

Chronique du recueil : http://blog.vampirisme.com/vampire/?639 ... sable-noir. Lu en dernier, mais qui arrive en tête niveau qualitatif, un cran devant les films.

Chronique des films : http://blog.vampirisme.com/vampire/?622 ... -noir-2009 Là c'est globalement moyen à mes yeux, sauf "Légendes de sang" de Julien Seri, jouissif au possible, et le surprenant Sodium Babies, ajout qui n'a aucun rapport avec les autres supports du projet

Chronique des albums : un premier tome sympathique, avec de bons dessins, mais globalement trop hétérogène, suivi d'un tome deux un cran en dessous : http://blog.vampirisme.com/vampire/?573 ... oir-tome-2

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