The City & The City - China Mieville
Posté : mar. févr. 15, 2011 1:13 pm
J'inaugure mon blog avec un billet sur ce livre.
China Mieville est un auteur que j'apprécie beaucoup. A la fois pour son oeuvre (je n'ai pour l'instant lu que The Scar mais je compte bien corriger ça au plus vite), mais aussi pour ses efforts visant à "désenclaver" la fantasy de l'héritage tolkienien dans lequel elle s'est enfermée depuis plus de 50 ans. Ne vous méprenez pas, je n'ai rien contre Tolkien (même si j'avoue volontiers que LSdA n'est pas mon livre préféré), et je lui reconnais tout à fait le rôle de pionnier qu'il a pu exercer en son temps. Seulement j'ai parfois un peu l'impression que la fantasy est le parent pauvre des "littératures de l'imaginaire" du point de vue de l'exploration des possibilités et des limites du genre (parce que commercialement évidemment c'est une autre histoire, et on a là un début d'explication). Bref. Je ne vais pas m'étendre là-dessus, j'y reviendrai peut-être à l'occasion d'un autre billet.
Surtout que The City & The City, ça n'est pas vraiment de la fantasy (ou alors de la fantasy urbaine). Mieville s'essaie ici à un nouveau genre, le policier fantastique. Pour autant, on retrouve de nombreux éléments chers à l'auteur, avec évidemment en premier lieu sa fascination pour la ville, qui est le véritable personnage principal de cette histoire. Ou plutôt, qui sont. Parce que la ville en question est double. Ou les deux sont une, on ne sait pas très bien. Besźel et Ul Qoma, puisque c'est leur noms, se situent géographiquement au même endroit (quelque part en Europe de l'Est, on n'aura pas droit à plus de précisions), mais pour leurs habitants, il s'agit bien de villes différentes. Plus qu'une simple hallucination collective, elles semblent co-exister sur différents plans de réalité. L'astuce est que ceux-ci sont perméables, autrement dit il est possible pour un habitant d'une de deux villes d'observer, voire d’interagir avec des éléments de l'autre cité. Sauf qu'un tel comportement ("brêcher", to breach en VO) est interdit par la loi et contrôlé sans merci par une mystérieuse organisation nommée Breach, sans trop que l'on sache pourquoi. On peut supposer que l'existence même de ces deux villes repose sur les perceptions différenciées de leurs habitants respectifs, sans quoi elles rejoindraient le même plan de réalité et s'écraseraient l'une sur l'autre.
Ca vous semble confus? Ca l'est au début, surprit et fasciné que l'on est par la myriade d'implications et de possibilités ouvertes par ce prémisse. D'autant que la chose n'est pas clairement expliquée au début, mais révélée petit à petit, par touches subtiles. Le talent de Mieville est s'exprime ici pleinement, puisque là où un autre auteur se serait embrouillé les pinceaux, Mieville parvient à développer un univers cohérent et crédible, en parallèle au déroulement de l'histoire. Celle-ci débute à Besźel, où l'inspecteur de la brigade criminelle Tyador Borlú, le parfait private du roman policier, découvre le cadavre d'une jeune femme. On va suivre ce personnage tout au long de son enquête, qui commence à Besźel (première partie du livre) pour se poursuivre à Ul Qoma (deuxième partie du livre) à mesure que Borlú se rend compte de l'ampleur et des ramifications de l'affaire, et se termine... quelque part. Notons simplement sans trop en révéler que celle-ci l'amène à enquêter autour de la mystérieuse Breach, et de la légende d'Orciny, qui voudrait qu'une troisième ville éponyme existe secrètement entre les deux autres.
Ce que j'ai préféré dans ce roman, c'est la construction imaginaire et intellectuelle de l'existence superposée des deux villes, extrêmement convaincante et fascinante. Les habitants de chaque ville ont par exemple été entraînés à "dévoir" ("unsee" en VO) les habitants, bâtiments et évènements de l'autre ville, c'est à dire de les effacer consciemment de leur esprit. Petit écho dérangeant au comportement de tout bon citadin, qui s'habitue à la pauvreté qui l'entoure et qu'il finit par ne plus voir, par simple construction de l'esprit. Cette séparation est permise par les fortes différences architecturales, d'habillement, et simplement d'allure entre les deux villes et leurs habitants. Ca donne d'ailleurs lieu à un passage délicieux où l'un des personnages, maîtrisant parfaitement les codes de chaque ville, passe pour un véritable fantôme, aucun des habitants des deux villes ne pouvant déterminer avec certitude s'il se trouve dans l'une ou l'autre et craignant de "brêcher" en le voyant.
Un autre élément que j'ai beaucoup aimé dans le bouquin : les constructions de langage. On a droit à un mélange entre termes techniques policiers, argot slavisant ("policzai", "militsya"), et mots liés à la nature même des deux villes ("unsee", "topolganger", "grosstopically", "crosshatch"). Le tout sonne juste et renforce l'immersion. Par contre, c'est le traducteur qui va s'amuser. Traduction en français qui, d'ailleurs, est prévue pour la fin d'année. Encore un peu de patience pour les anglophobes...
Seul (petit) bémol, l'enquête en elle-même ne m'a qu'à moitié convaincue, ne saisissant pas toujours les liens logiques entre les évènements et les conclusions de Borlú (qui pour le coup passe pour un véritable génie du crime), d'où une certaine impression d'artificialité. Après, c'est peut-être moi qui suis tout simplement mou du bulbe...
China Mieville est un auteur que j'apprécie beaucoup. A la fois pour son oeuvre (je n'ai pour l'instant lu que The Scar mais je compte bien corriger ça au plus vite), mais aussi pour ses efforts visant à "désenclaver" la fantasy de l'héritage tolkienien dans lequel elle s'est enfermée depuis plus de 50 ans. Ne vous méprenez pas, je n'ai rien contre Tolkien (même si j'avoue volontiers que LSdA n'est pas mon livre préféré), et je lui reconnais tout à fait le rôle de pionnier qu'il a pu exercer en son temps. Seulement j'ai parfois un peu l'impression que la fantasy est le parent pauvre des "littératures de l'imaginaire" du point de vue de l'exploration des possibilités et des limites du genre (parce que commercialement évidemment c'est une autre histoire, et on a là un début d'explication). Bref. Je ne vais pas m'étendre là-dessus, j'y reviendrai peut-être à l'occasion d'un autre billet.
Surtout que The City & The City, ça n'est pas vraiment de la fantasy (ou alors de la fantasy urbaine). Mieville s'essaie ici à un nouveau genre, le policier fantastique. Pour autant, on retrouve de nombreux éléments chers à l'auteur, avec évidemment en premier lieu sa fascination pour la ville, qui est le véritable personnage principal de cette histoire. Ou plutôt, qui sont. Parce que la ville en question est double. Ou les deux sont une, on ne sait pas très bien. Besźel et Ul Qoma, puisque c'est leur noms, se situent géographiquement au même endroit (quelque part en Europe de l'Est, on n'aura pas droit à plus de précisions), mais pour leurs habitants, il s'agit bien de villes différentes. Plus qu'une simple hallucination collective, elles semblent co-exister sur différents plans de réalité. L'astuce est que ceux-ci sont perméables, autrement dit il est possible pour un habitant d'une de deux villes d'observer, voire d’interagir avec des éléments de l'autre cité. Sauf qu'un tel comportement ("brêcher", to breach en VO) est interdit par la loi et contrôlé sans merci par une mystérieuse organisation nommée Breach, sans trop que l'on sache pourquoi. On peut supposer que l'existence même de ces deux villes repose sur les perceptions différenciées de leurs habitants respectifs, sans quoi elles rejoindraient le même plan de réalité et s'écraseraient l'une sur l'autre.
Ca vous semble confus? Ca l'est au début, surprit et fasciné que l'on est par la myriade d'implications et de possibilités ouvertes par ce prémisse. D'autant que la chose n'est pas clairement expliquée au début, mais révélée petit à petit, par touches subtiles. Le talent de Mieville est s'exprime ici pleinement, puisque là où un autre auteur se serait embrouillé les pinceaux, Mieville parvient à développer un univers cohérent et crédible, en parallèle au déroulement de l'histoire. Celle-ci débute à Besźel, où l'inspecteur de la brigade criminelle Tyador Borlú, le parfait private du roman policier, découvre le cadavre d'une jeune femme. On va suivre ce personnage tout au long de son enquête, qui commence à Besźel (première partie du livre) pour se poursuivre à Ul Qoma (deuxième partie du livre) à mesure que Borlú se rend compte de l'ampleur et des ramifications de l'affaire, et se termine... quelque part. Notons simplement sans trop en révéler que celle-ci l'amène à enquêter autour de la mystérieuse Breach, et de la légende d'Orciny, qui voudrait qu'une troisième ville éponyme existe secrètement entre les deux autres.
Ce que j'ai préféré dans ce roman, c'est la construction imaginaire et intellectuelle de l'existence superposée des deux villes, extrêmement convaincante et fascinante. Les habitants de chaque ville ont par exemple été entraînés à "dévoir" ("unsee" en VO) les habitants, bâtiments et évènements de l'autre ville, c'est à dire de les effacer consciemment de leur esprit. Petit écho dérangeant au comportement de tout bon citadin, qui s'habitue à la pauvreté qui l'entoure et qu'il finit par ne plus voir, par simple construction de l'esprit. Cette séparation est permise par les fortes différences architecturales, d'habillement, et simplement d'allure entre les deux villes et leurs habitants. Ca donne d'ailleurs lieu à un passage délicieux où l'un des personnages, maîtrisant parfaitement les codes de chaque ville, passe pour un véritable fantôme, aucun des habitants des deux villes ne pouvant déterminer avec certitude s'il se trouve dans l'une ou l'autre et craignant de "brêcher" en le voyant.
Un autre élément que j'ai beaucoup aimé dans le bouquin : les constructions de langage. On a droit à un mélange entre termes techniques policiers, argot slavisant ("policzai", "militsya"), et mots liés à la nature même des deux villes ("unsee", "topolganger", "grosstopically", "crosshatch"). Le tout sonne juste et renforce l'immersion. Par contre, c'est le traducteur qui va s'amuser. Traduction en français qui, d'ailleurs, est prévue pour la fin d'année. Encore un peu de patience pour les anglophobes...
Seul (petit) bémol, l'enquête en elle-même ne m'a qu'à moitié convaincue, ne saisissant pas toujours les liens logiques entre les évènements et les conclusions de Borlú (qui pour le coup passe pour un véritable génie du crime), d'où une certaine impression d'artificialité. Après, c'est peut-être moi qui suis tout simplement mou du bulbe...