Speculative Japan 2 (Kurodahan Press) 2011
Posté : mar. avr. 26, 2011 4:13 pm
Venant enfin de finir de lire le recueil, paru en anglais cette année, je me permets de l'évoquer ici.
"Speculative Japan 2 : The Man Who Watched the Sea" and Other tales of Japanese Science Fiction and Fantasy", Fukuoka, Kurodahan Press, 2011.
Quelques mots sur l'éditeur. Ce sont des américains expatriés qui ont décidé de monter une maison d'édition traduisant majoritairement des textes japonais de genre, mais aussi d'autres choses. Un premier recueil "Speculative Japan" était sorti en 2007, véritablement science-fiction, de facture assez classique. Le recueil de 2011, par son titre, a une tonalité "fiction spéculative" plus prononcée.
Quelques mots sur le recueil en lui-même. L'introduction de Darrell Schweitzer est très moyenne (les indications sur certains textes ne vont guère au-delà de l'anecdote) et si l'on peut saluer les indications biographiques sur les traducteurs des textes, on peut se lamenter en revanche quant à l'absence totale d'informations sur les auteurs des textes. Heureusement qu'on a les dates de parutions (même si certaines ne renvoient pas à la première parution...), mais sinon, on ne sait rien. Pas facile de faire connaître les auteurs par la suite.
Il faudra donc se contenter des textes. Ils proviennent en partie d'un sondage fait auprès d'un magazine de SF japonais, d'une anthologie "meilleur de l'année" intitulée Imaginary Engines, et de choix personnels d'Edward Lipsett.
Il y a au moins trois textes de grande qualité, et au moins un absolument remarquable qui vaut, à lui seul, l'achat du recueil. Je vais donc d'abord me contenter d'évoquer les autres textes, assez rapidement.
"A Gift from the Sea" d'Awa Naoko. L'atmosphère d'un festival folklorique en bord de mer. Si on aime l'exotique, ce texte peut plaire, mais n'importe quel texte de Lafcadio Hearn ferait l'affaire.
"Freud" Enjoe Toh. Sorte de pochade où en démontant une maison, on découvre des Freud cachés dans les murs.
"The Whale that Sang on the Milky Way Network" Ohara Mariko. Le texte est joli, le début plutôt pas mal, mais finit "à la japonaise", de manière totalement évanescente.
"The Big Drawer" Onda Riku. Les enfants doivent découvrir ce qu'il y a dans leur "tiroir", ce qui est dans leur cerveau. L'idée générale est pas mal, mais au service d'une histoire très classique et trop cliché.
"Emanon : A Reminiscence" Kajio Shinji. Ici, lors d'un voyage en ferry, un jeune homme rencontre une femme immortelle. Dommage que l'on devine assez facilement la fin, le texte est plutôt pas mal, assez tendre.
"Midst the Mist" Kitakuni Koji, Remake de l'invasion des profanateurs. Vraiment.
"Melk's Golden Acres" Takagi Nobuko. Dans un monastère, le personnage d'une décoration prend vie. Le texte prend très longtemps à démarrer, et s'arrête assez vite. Disons que je suis perplexe à la lecture.
"Q-Cruiser Basilisk" Tani Koshu Long texte, mais vraiment long, sur un vaisseau spatial fantôme.
"Open Up" Hori Akira. Imaginez que vous êtes dans les toilettes d'un vaisseau dont vous êtes le seul passager et quelqu'un dehors demande s'il y a quelqu'un. Amusant et court
"Perspective" Yamao Yuko. Texte-monde. Une sorte d'univers tube, dont les habitants vivent sur des galeries au bord, pendant que le soleil et la lune passent de haut en bas. Dommage que l'ensemble veuille trop être un hommage à Borgès, pour en faire un texte inachevé d'un auteur qui... enfin bon, cela complique inutilement.
Les trois textes majeurs oscillent entre SF et fiction purement spéculative.
"Old Vohl's Planet" Ogawa Issui. C'est une description d'une planète dont les habitants sont des sortes de grandes baleines ou dauphins. Vient le jour où ils comprennent que leur planète va disparaître et certains de se demander s'il faut accepter la mort ou chercher à partir. L'une des belles idées du texte, c'est que les différents protagonistes meurent physiquement mais arrivent à distribuer leur mémoire aux membres de leur espèce. La fin n'est pas totalement convaincante, mais il y a de belles pages sur le destin et la curiosité.
"Mountaintop Symphony" Nakai Norio. Un texte pour Lensman, assurément. Il y a longtemps, un homme fut pris d'une frénésie de musique et écrivit une symphonie absolument gigantesque, si gigantesque qu'il faudrait 10 000 ans pour arriver à la jouer en entier, en continu, 24h/24. L'intelligence de l'auteur, c'est de s'attacher à l'organisation d'un tel concert, au moment où il faut mettre en place le mouvement qui exige 800 interprètes. Entre les instruments totalement absurdes (comme une sorte de xylophone en pierre, dont les notes basses sont des blocs de 30m de long), et les caprices de chacun (la vieille joueuse de triangle qui désespère de ne pas avoir de partie, ou le chef d'orchestre qui estime qu'il faut ouvrir le toit de la salle, contre l'avis des musiciens), on a le temps de se demander pourquoi jouer une telle pièce, ce qu'elle signifie. Le final est d'une limpidité totalement japonaise, comme une illumination bouddhiste.
"The Man Who Watched the Sea" Kobayashi Yasumi, à mon avis, le chef d'oeuvre du recueil. Le texte parle d'un monde avec une ville de montagne, une ville de la côte et la mer. Si un habitant de la montagne regarde vers l'horizon, il se rend compte que le temps s'y déroule plus lentement. On a un décalage temporel plus on va vers la mer. L'histoire raconte donc l'amour d'un garçon de la montagne, et d'une fille de la ville, qui subissent ce décalage. On y évoque Schwarzschild, et sa géométrie, mais pas la peine de savoir résoudre les équations d'Einstein pour apprécier ce texte. Sans dévoiler la fin, la résolution du conflit entre ces familles qui vivent selon des temporalités différentes repose autant sur la pression familiale typique que sur les contraintes physiques de ce monde. Et si le final est poétique, il le doit essentiellement à la capacité de l'auteur à rendre ce monde attachant. Ce texte est d'une densité rare, rien n'est inutile et les relations entre les personnages sont exposées avec subtilité. Pour résumer, c'est un grand texte, totalement accessible et qui mériterait sans attendre une traduction en France.
En conclusion, ce recueil m'apparaît plus réussi que le premier, même les textes faibles ont des choses intéressantes à dire, et la tonalité japonaise est bien présente. Ces textes ne sont pas des copies de SF anglo-saxonnes, sans être hermétiquement japonais. Ils sont parus entre 1977 et 2007, ce qui ne permet pas de dire si le recueil est bien représentatif de la production contemporaine, mais au moins, il y a des textes marquants (enfin, qui m'ont marqué) et pas du tout anecdotiques. C'est déjà pas mal.
"Speculative Japan 2 : The Man Who Watched the Sea" and Other tales of Japanese Science Fiction and Fantasy", Fukuoka, Kurodahan Press, 2011.
Quelques mots sur l'éditeur. Ce sont des américains expatriés qui ont décidé de monter une maison d'édition traduisant majoritairement des textes japonais de genre, mais aussi d'autres choses. Un premier recueil "Speculative Japan" était sorti en 2007, véritablement science-fiction, de facture assez classique. Le recueil de 2011, par son titre, a une tonalité "fiction spéculative" plus prononcée.
Quelques mots sur le recueil en lui-même. L'introduction de Darrell Schweitzer est très moyenne (les indications sur certains textes ne vont guère au-delà de l'anecdote) et si l'on peut saluer les indications biographiques sur les traducteurs des textes, on peut se lamenter en revanche quant à l'absence totale d'informations sur les auteurs des textes. Heureusement qu'on a les dates de parutions (même si certaines ne renvoient pas à la première parution...), mais sinon, on ne sait rien. Pas facile de faire connaître les auteurs par la suite.
Il faudra donc se contenter des textes. Ils proviennent en partie d'un sondage fait auprès d'un magazine de SF japonais, d'une anthologie "meilleur de l'année" intitulée Imaginary Engines, et de choix personnels d'Edward Lipsett.
Il y a au moins trois textes de grande qualité, et au moins un absolument remarquable qui vaut, à lui seul, l'achat du recueil. Je vais donc d'abord me contenter d'évoquer les autres textes, assez rapidement.
"A Gift from the Sea" d'Awa Naoko. L'atmosphère d'un festival folklorique en bord de mer. Si on aime l'exotique, ce texte peut plaire, mais n'importe quel texte de Lafcadio Hearn ferait l'affaire.
"Freud" Enjoe Toh. Sorte de pochade où en démontant une maison, on découvre des Freud cachés dans les murs.
"The Whale that Sang on the Milky Way Network" Ohara Mariko. Le texte est joli, le début plutôt pas mal, mais finit "à la japonaise", de manière totalement évanescente.
"The Big Drawer" Onda Riku. Les enfants doivent découvrir ce qu'il y a dans leur "tiroir", ce qui est dans leur cerveau. L'idée générale est pas mal, mais au service d'une histoire très classique et trop cliché.
"Emanon : A Reminiscence" Kajio Shinji. Ici, lors d'un voyage en ferry, un jeune homme rencontre une femme immortelle. Dommage que l'on devine assez facilement la fin, le texte est plutôt pas mal, assez tendre.
"Midst the Mist" Kitakuni Koji, Remake de l'invasion des profanateurs. Vraiment.
"Melk's Golden Acres" Takagi Nobuko. Dans un monastère, le personnage d'une décoration prend vie. Le texte prend très longtemps à démarrer, et s'arrête assez vite. Disons que je suis perplexe à la lecture.
"Q-Cruiser Basilisk" Tani Koshu Long texte, mais vraiment long, sur un vaisseau spatial fantôme.
"Open Up" Hori Akira. Imaginez que vous êtes dans les toilettes d'un vaisseau dont vous êtes le seul passager et quelqu'un dehors demande s'il y a quelqu'un. Amusant et court
"Perspective" Yamao Yuko. Texte-monde. Une sorte d'univers tube, dont les habitants vivent sur des galeries au bord, pendant que le soleil et la lune passent de haut en bas. Dommage que l'ensemble veuille trop être un hommage à Borgès, pour en faire un texte inachevé d'un auteur qui... enfin bon, cela complique inutilement.
Les trois textes majeurs oscillent entre SF et fiction purement spéculative.
"Old Vohl's Planet" Ogawa Issui. C'est une description d'une planète dont les habitants sont des sortes de grandes baleines ou dauphins. Vient le jour où ils comprennent que leur planète va disparaître et certains de se demander s'il faut accepter la mort ou chercher à partir. L'une des belles idées du texte, c'est que les différents protagonistes meurent physiquement mais arrivent à distribuer leur mémoire aux membres de leur espèce. La fin n'est pas totalement convaincante, mais il y a de belles pages sur le destin et la curiosité.
"Mountaintop Symphony" Nakai Norio. Un texte pour Lensman, assurément. Il y a longtemps, un homme fut pris d'une frénésie de musique et écrivit une symphonie absolument gigantesque, si gigantesque qu'il faudrait 10 000 ans pour arriver à la jouer en entier, en continu, 24h/24. L'intelligence de l'auteur, c'est de s'attacher à l'organisation d'un tel concert, au moment où il faut mettre en place le mouvement qui exige 800 interprètes. Entre les instruments totalement absurdes (comme une sorte de xylophone en pierre, dont les notes basses sont des blocs de 30m de long), et les caprices de chacun (la vieille joueuse de triangle qui désespère de ne pas avoir de partie, ou le chef d'orchestre qui estime qu'il faut ouvrir le toit de la salle, contre l'avis des musiciens), on a le temps de se demander pourquoi jouer une telle pièce, ce qu'elle signifie. Le final est d'une limpidité totalement japonaise, comme une illumination bouddhiste.
"The Man Who Watched the Sea" Kobayashi Yasumi, à mon avis, le chef d'oeuvre du recueil. Le texte parle d'un monde avec une ville de montagne, une ville de la côte et la mer. Si un habitant de la montagne regarde vers l'horizon, il se rend compte que le temps s'y déroule plus lentement. On a un décalage temporel plus on va vers la mer. L'histoire raconte donc l'amour d'un garçon de la montagne, et d'une fille de la ville, qui subissent ce décalage. On y évoque Schwarzschild, et sa géométrie, mais pas la peine de savoir résoudre les équations d'Einstein pour apprécier ce texte. Sans dévoiler la fin, la résolution du conflit entre ces familles qui vivent selon des temporalités différentes repose autant sur la pression familiale typique que sur les contraintes physiques de ce monde. Et si le final est poétique, il le doit essentiellement à la capacité de l'auteur à rendre ce monde attachant. Ce texte est d'une densité rare, rien n'est inutile et les relations entre les personnages sont exposées avec subtilité. Pour résumer, c'est un grand texte, totalement accessible et qui mériterait sans attendre une traduction en France.
En conclusion, ce recueil m'apparaît plus réussi que le premier, même les textes faibles ont des choses intéressantes à dire, et la tonalité japonaise est bien présente. Ces textes ne sont pas des copies de SF anglo-saxonnes, sans être hermétiquement japonais. Ils sont parus entre 1977 et 2007, ce qui ne permet pas de dire si le recueil est bien représentatif de la production contemporaine, mais au moins, il y a des textes marquants (enfin, qui m'ont marqué) et pas du tout anecdotiques. C'est déjà pas mal.