Salut,
Voilà un petit moment que je n'ai rien mis ici. Il est temps que je rattrape mon retard, sinon je ne m'en sortirai plus. Alors donc:
Ilf et Petrov,
Kolokolamsk et autres nouvelles fantastiques, 2003, Paris, Parangon
Qui a dit que sous Staline on ne pouvait pas rire ? Certes, c’était difficile et les deux compères auteurs du recueil que je viens de lire ont du arrêter au bout de quelques années (et sont d’ailleurs morts avant la Guerre). Ilf et Petrov sont très connus dans l’ex-URSS comme satiristes extrêmement féroces, critiquant tout et tout le monde, le plus souvent de bon droit. C’est ainsi que dans une des nouvelles de ce recueil on apprend qu’un des critiques littéraires les plus éminents n’est en fait qu’un apprenti écrivain dont l’école de formation a été fermée avant qu’il puisse apprendre qu’on doit mettre un point à la fin des phrases ! Dans la première nouvelle, un homme devient accidentellement invisible. Il voudrait bien pouvoir continuer à mener sa petite vie tranquille, mais son nouvel état l’en empêche : le voilà propulsé justicier sans le vouloir. Car s’il est invisible, il peut donc être partout, là, à vous surveiller. Et tout le monde de révéler spontanément tous ses petits crimes, délits, vols, détournements, dénigrements, etc. Je vous le donne en mille, ça s’appelle comment ? La période de la « Transparence ». Si si, la Glastnosk ! En 1928 ! Sinon, les autres contes sont tout aussi drôles, très parodiques, notamment ces Mille et Unes Nuits où la lampe magique d’Aladin est remplacée par une carte du Parti.
Dans le même registre, quoi qu’un peu plus sérieux et intemporel, Alexandre Beliaev,
Le Pain éternel, 2006, Paris, L’Asiathèque.
Je ne m’attarderais pas sur ce recueil de nouvelles d’un grand ancien de la SF soviétique (mort en 1942) : notre ami le Transhumain en a très bien parlé sur son blog, et j’approuve tout :
http://findepartie.hautetfort.com/archi ... ernel.html
Là aussi c’est souvent drôle, quoi que moins caustique que Ilf et Petrov et plus porté sur la réflexion au long terme.
Ilf et Petrov ont eu une immense influence malgré l’embarras de la critique à leur égard, et cela ce ressent sur le roman d’Arkadi et Boris Strougatski,
Le Lundi commence le Samedi, 1973, Paris, Denoël (PdF).
Un informaticien est amené à travailler pour un institut de recherche sur le surnaturel. Et dans cet institut, tout est possible : c’est un vampire qui est chargé de garder la ménagerie, laquelle recèle entre autres, les Hécatonchires, ces géants grecs à 50 têtes et 100 bras (quand on leur parle en russe, 49 têtes parlant grec recherchent la 50e qui seule parle russe). On y croise aussi de prestigieux chercheurs : d’un inquisiteur portugais du XIIIe siècle à... Dieu, qui n’est pas nommé mais ce présente comme « Sabaoth Baalovitch » ! Il faut une solide connaissance de la mythologie et du folklore européen pour comprendre toutes les subtilités de ce roman, qui n’est donc pas à la portée de tout le monde et aurait mérité une traduction un peu plus annotée. Il reste qu’on peut y lire lors d’un chapitre un étrange comparatif entre la SF soviétique et la SF occidentale. Un chercheur invente une machine à explorer les futurs potentiels, c’est-à-dire ceux créés par les écrivains. Notre héros la teste tout de suite et se retrouve dans le futur des romans soviétiques : idyllique, parfait, et franchement ennuyeux (encore une pique pour la critique officielle)... Mais de l’autre côté d’un « mur de fer », se trouve le futur des romans occidentaux. Lorsque le héros parvient à franchir le mur, il trouve un soldat dans une tranchée, qui lui explique qu’ici c’est le pays de ceux qui se sont fait envahir par les extraterrestres, que là bas se trouve le pays de ceux qui se sont fait asservir par les robots, et ailleurs, ceux exterminés par les maladies, etc... Bref, beaucoup de second degré, d’attaques plus ou moins directes contres les défauts du système de recherche soviétique et sa hiérarchie. N’en déplaise à ceux qui, dans les années 50, écrivaient que la SF soviétique manquait d’humour, moi j’ai beaucoup rigolé ces derniers temps.
Alors pour changé, j’ai lu le CLA consacré à Keith Robert,
Les Furies / Pavane, 1971, Paris, Opta.
Une chose est sûre, Robert écrit très bien, et je ne me suis jamais ennuyé à la lecture de ces deux romans.
Les Furies tient très bien le lecteur en haleine, malgré le coté invraisemblable de l’histoire (des guêpes géantes venues de l’espace), et, comme pour les
Triffides de Wyndham ou
Génocides de Thomas Disch (roman avec lequel celui de Robert partage le fait que le héros veut se taper une mineure : impossible à écrire de nos jours), c’est la description psychologique des personnages qui importe. Et ils sont très bien, ces personnages, ni bons, ni mauvais, avec un passé qu’on ressent dès qu’ils entrent en scène. Pavane m’a beaucoup plus laissé sur ma faim. Les nouvelles qui le composent sont souvent très belles, avec un élan épique remarquable, mais le tout manque cruellement d’unité et le texte final vient tout gâcher par une explication générale ridicule. Bref, dans le genre de l’uchronie,
Pavane est plutôt décevant en fait. Peut-être ce texte tient-il son statut de « classique » au fait qu’il est l’un des premiers du genre ?
Et pur changer de la SF, j’ai aussi lu Alain Moreau,
Le Mythe de Jason et Médée. Le va-nu-pied et la sorcière, 1994, Paris, Les Belles Lettres, mais comme ça n’est pas de la SF, je n’en parlerai pas.
A+
Patrice