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par MF » mer. janv. 30, 2013 12:09 am
J'ai rarement mis un livre dans un tel état. Je n'ai pas un chapitre dont plusieurs pages qui ne soient cornées, et des pattes de mouches ont envahi toutes les espace libres comme je prenais des notes. Sérieusement, ils ne pourraient pas faire de marges plus grandes chez PUPS ? ^^
Rien à dire sur la partie histoire qui ne l'ai déjà été.
Pour la partie théorique, je m'autorise quelques commentaires, réflexions, questions... principalement associées aux objets.
Il me semble qu'il y a deux aspects des objets qui ne sont pas développés par ta théorie et qui gagneraient probablement à l'être, en particulier parce qu'ils peuvent concourir à définir certaines caractéristiques des macro-textes locaux :
1°) l'objet « orienté objet »
Je vais faire une analogie avec l'informatique (attention, c'est une analogie ; ne pas le prendre au pied de la lettre pour sodomiser les diptères).
La science-fiction relève, au plan du langage, d'un paradigme de programmation « orienté objet » alors que le reste du champ littéraire relève d'un paradigme de programmation « impératif ».
Pour donner un exemple concret, je vais prendre (en tout bien tout honneur) Emma Bovary que tu cites par ailleurs.
Lorsque Flaubert invoque la robe d'Emma, il va en décrire la couleur, la tournure, la texture... tous attributs qui sont ceux d'un vêtement.
Mais la robe d'Emma Bovary restera cela : un objet du type vêtement.
Jamais cette robe ne tentera d'étrangler celle qui la porte si elle se met à tromper Charles, jamais elle ne pourra envoyer au même Charles un message par infra-ondes en donnant sa géolocalisation dans le cas où Emma déposerait sa robe dans la journée, jamais elle ne se mettra à émettre des phéromones sexuels en présence de Rodolphe, jamais elle ne sera un alien symbiote tirant sa subsistance du plaisir d'Emma, jamais elle ne permettra à celle qui la porte de passer dans un monde alternatif où Léon est curé...
Un objet, dans les domaines rationnel ou extraordinaire, lorsqu'il est instancié par un auteur, ne peut hériter que des propriétés du type dont il relève.
Alors qu'en science fiction, un objet peut hériter, lors de son instanciation par l'auteur, des attributs et méthodes de n'importe quelle classe d'objet du macro-texte. Un objet, dans le régime spéculatif, est polymorphe : il peut appartenir à plus d'un type.
Un objet de la classe vêtement peut aussi être un alien, une arme de guerre, un moyen de transport (pas seulement amoureux), un monde... selon la capacité spéculative de l'auteur.
« Le bouton de porte ouvrit un oeil bleu et me regarda. » Combien de récit de SF utilise-t-il cette capacité polymorphique des objets « orientés objet » pour créer du SoW ?
Il me semble donc que les objets du régime spéculatif offrent des capacités des gestion de propriétés et méthodes fort différentes des objets des autres régimes ontologiques. Un auteur de SF, à chaque fois qu'il instancie un objet, a la possibilité de le doter de la totalité du polymorphisme offert par l'intertextualité (devrais-je dire le macro-texte?)
Cette analogie expliquerait aussi que les textes basés sur les « merveilles scientifiques » ne relèvent pas du régime spéculatif et que les textes qui en usent ne ressortissent pas de la SF telle que tu la dates.
2°) l'épuisement spéculatif des objets lors de leur progression hiérarchique
La taxinomie des objets de science-fiction que tu exposes me semble figée : 6 catégories dans une matrice 3x2. Comme cela, j'ai le sentiment de quelque chose de rigide alors qu'il m'a toujours semblé que l'histoire de la science-fiction avait montré une évolution des objets dans une hiérarchie basée sur leur capacité spéculative.
Ceci explique, pour moi, les changements de paradigme que tu as noté. Le changement de paradigme s'opère lorsqu'une classe d'objet a vu son potentiel spéculatif épuisé par les auteurs et que collectivement, ils vont se reporter sur une classe plus riche, plus prometteuse, plus productive.
Les objets vont souvent commencer dans un rôle banal, puis devenir exotique ou structurant, et suivre une évolution qui leur permettra d'achever leur carrière comme objet complexe. Lorsqu'apparait un objet essentiel, à la fois « objet isolé » et « phénomène collectif » (je reprends ta taxinomie), alors le potentiel spéculatif de cet objet est épuisé. On en a fait le tour.
L'exemple qui me semble emblématique est celui des « mondes piégés ». De Simulacron 3 à Mais si les papillons trichent, s'écoule une décennie, ce qui correspond à l'échelon temporel que tu as retenu. Mais au milieu de cette décennie est apparu Ubik, qui réussi l'exploit dans le même récit d'être un « objet isolé », un « phénomène collectif », un « objet mineur », un « objet stimulant » et un « objet essentiel ». Un objet englobant de toute la hiérarchie.
Alors, la messe est dite ; les « mondes piégés » ont fait leur temps ; leur potentiel spéculatif a été exploré et les auteurs partent à la recherche d'autres territoires/objets à coloniser. La comète est passée pendant une demi décennie et nous avons continué à en voir la queue pendant encore une demi décennie. Il restera bien sur des traces de cette comète, des textes qui utiliseront des « mondes piégés », mais plus de cette ampleur.
Je pense qu'il y aurait un travail à faire sur chacune de ces décennies que tu as caractérisées afin d'examiner si ce phénomène [évolution dans la hiérarchie taxinomique]/[épuisement spéculatif] est bien à l’œuvre pour expliquer les changements paradigmatiques.
Il y aurait probablement aussi une réflexion à avoir (pour peu que cette hypothèse ne soit pas balayée d'un revers de main) sur la répartition des rôles entre nouvelle et roman : la nouvelle étant le vecteur privilégié de l'exploration spéculative (test de polymorphisme des objets « orientés objet ») et le roman celui de la progression hiérarchique des objets.
Un mot sur le macro-texte et les paradigmes (pour moi, il y a un lien entre les deux, les paradigmes étant des objets attracteurs dans le macro-texte).
Dans ta conclusion, tu indiques (p. 412) « ... la comparaison systématique du domaine français avec d'autres domaines permettra de dégager la part d'influence culturelle que la société de chaque pays exerce. L'état des sciences, des connaissances et des représentations a des conséquences plus importantes sur les œuvres de science-fiction que sur d'autres. La seule étude du domaine français n'a pas permis de mettre en valeur ce type d'influence ».
Je relisais la semaine dernière Univers 14, un numéro qui a donné dans le hautement radioactif suite au paratexte associé à la publication par Gérard Klein de Crises de Lester Del Rey (c.f. introduction de Yves Frémion et article de Bernard Blanc). Qu'est-ce que Blanc identifie (à tort ou à raison, là n'est pas la question) de significatif à cette période en comparant la SF française et la SF anglo-saxonne ? Le nucléaire civil !
Le macro-texte a cristallisé comme attracteur la centrale de production électronucléaires alors que le mega-text l'a presque ignoré.
Et il me semble significatif que le reproche fait à l'époque par Blanc, de l'appel à un éminent scientifique du CEA (institution franco-française qui n'a pas d'équivalent aux USA) pour exposer des données techniques en paratexte trouve quelque part, aujourd'hui, un contre-écho en la personne du président des Utopiales ^^
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