LA JUSTICE DE L'ANCILLAIRE de Ann Leckie
Posté : lun. nov. 02, 2015 9:26 pm
Bonsoir
Aux États-Unis, en 2013, 11 208 personnes ont été tuées par des arme à feu (cf. : https://en.wikipedia.org/wiki/Gun_viole ... ed_to_guns ). Cette violence se retrouve dans l’ouvrage d’Ann Leckie où la vie est (très) peu de chose et où les frontières entre l’amour et la mort (Eros et Thanatos) sont inexistantes. Dans un lointain futur, la destinée humaine s’incarne dans l’expansion de l’empire radchaaï. Cet empire galactique (a minima !) est dirigé par un gestalt, l’impératrice ou l’empereur Mianaai. Par gestalt, il faut entendre que la personnalité de Mianaai est présente dans de très nombreux corps (les ancillaires), chacun étant en quelque sorte la « main » d’un « cerveau unique ». Le concept n’est pas totalement nouveau car déjà exploré par Théodore Sturgeon dans Les plus qu’humains. Le genre de l’empereur n’est d’ailleurs pas évident car Ann Leckie joue sur ce registre en féminisant tous les personnages. On va dire en étant gentil que l’auteure rend hommage à Ursula Le Guin et sa Main gauche de la nuit. Mais Leckie n’est pas Le Guin et j’avoue n’y voir qu’un féminisme creux, sans réel justification ni exploration des conséquences de cette asexualité. La même « gestaltisation » permet aux intelligences artificielles des vaisseaux spatiaux d’animer des armées de « cadavres » en les transformant en ancillaires. Mais Mianaai est schizophrène et certaines de ses composantes luttent contre d’autres, dans les prémisses de ce qui sera une guerre civile, et dont on comprend qu’elle sera au cœur des autres opus de la saga. Durant ce conflit, l’impératrice/empereur détruit un vaisseau, le Justice de Toren, dont, par miracle, une des composantes, Un-Esk, réussit à s’enfuir. L'ancillaire décide alors de se venger. L’ouvrage est centré sur la vie passée et présente d’Un-Esk.
Les références à la SF classique sont, on le voit, très présentes. Les IA des vaisseaux ne peuvent que nous rappeler Le cycle de la Culture de Ian M.Banks ; et la vengeance de Un-Esk fait écho à celle de Foyle dans Terminus, les étoiles d’Alfred Bester. Leckie brasse donc énormément de concepts, un peu à la manière d’un Simmons avec Hypérion. Mais la ressemblance s’arrête là. Les personnages de Leckie sonnent malheureusement creux. On pourrait ainsi trouver habile qu’Un-Esk oscille entre la froideur d’une IA et la chaleur d’un être humain. Sauf que ses motivations manquent de réalisme. Ainsi, Un-Esk chaperonne un autre personnage, Seivarden, et lui sauve plusieurs fois la vie sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. De même, au début du récit, on pourrait voir dans l’ordre impérial de tuer un « gentil » lieutenant le germe de la rébellion ou plutôt de l’humanisation d’Un-Esk, sauf que ce n’est pas crédible, vu que l’IA était alors totalement inféodée à l’impératrice/empereur Mianaai. Et que dire de cette dirigeante/dirigeant d’un immense empire galactique et qui donne le coup de main, ici ou là. Certes, la multiplication des corps par le biais du gestalt multiplie ses capacités d’intervention mais on frise le ridicule avec l’absence de tout gouvernement ou relais de pouvoir. Louis XIV avait quand même Colbert ! La schizophrénie de Mianaai est par ailleurs explorée très superficiellement, à coup d’armes, alors qu’on aurait pu imaginer un dialogue ou une souffrance. De même, la solitude d’Un-Esk est totalement passée sous silence. Et l’ultime rebondissement, lorsque l’IA d’un nouveau vaisseau choisit, la larme à l’œil, Un-Est comme capitaine, est risible voire même mièvre.
A contrario, la narration est ingénieusement construite. Deux trames, une située « aujourd’hui » et l’autre 20 ans avant, progressent en parallèle. Et le présent et le passé d’Un-Esk convergent dans les dernières pages du roman lorsque l’auteure nous dévoile les clés de son intrigue.
Le style est peu rugueux sans que je sache si cela est dû à la traduction de Patrick Marcel ou au style de Leckie. Le lecteur doit clairement surmonter l’obstacle de la féminisation de tous les noms mais, on s’y habitue vite. Mais surtout, de nombreuses phrases sonnent étrangement, comme, par exemple, en page 23 : « Pour l’heure, l’air du temple bruissait faiblement dans un coin des prières susurrées par une douzaine de fidèles ». Le titre lui-même pose souci. En français (cf. dictionnaire de l’académie française : http://atilf.atilf.fr/academie9.htm (1)ANCILLAIRE (les deux l se prononcent sans mouillure) adj. XIXe siècle. Emprunté du latin ancillaris, dérivé de ancilla, « servante ». Relatif aux servantes. Soucis ancillaires. Souvent iron. Amours ancillaires, liaisons avec des servantes), ancillaire est un adjectif faisant référence aux servantes alors qu’en anglais (dictionnaire Oxford http://www.oxforddictionaries.com/defin ... /ancillary), ancillary est un adjectif ou un substantif faisant référence à des assistants.
Au final, je suis extrêmement déçue par ce roman, brillant mais par trop glacial. Les personnages sont peu attachants et leur comportement étrange. Au final, l'émotion n'y est pas. Le NSA (Nouveau Space Opera) a livré du bon (par exemple le très noir Cycle des Inhibiteurs d’Alastair Reynolds) et du moins bon (le très baroque Algébriste de Ian M.Banks). Il me semble qu’on peut classer La justice de l’ancillaire dans cette dernière catégorie. Cet avis n’est cependant pas partagé car l’ouvrage a rassemblé les suffrages d’une quantité impressionnante de jurys : Hugo du meilleur roman 2014, Arthur C. Clarke 2014, Locus du meilleur premier roman 2014, Nebula 2013 et British Science Fiction 2013 !
Cordialement
Eléanore-clo
Aux États-Unis, en 2013, 11 208 personnes ont été tuées par des arme à feu (cf. : https://en.wikipedia.org/wiki/Gun_viole ... ed_to_guns ). Cette violence se retrouve dans l’ouvrage d’Ann Leckie où la vie est (très) peu de chose et où les frontières entre l’amour et la mort (Eros et Thanatos) sont inexistantes. Dans un lointain futur, la destinée humaine s’incarne dans l’expansion de l’empire radchaaï. Cet empire galactique (a minima !) est dirigé par un gestalt, l’impératrice ou l’empereur Mianaai. Par gestalt, il faut entendre que la personnalité de Mianaai est présente dans de très nombreux corps (les ancillaires), chacun étant en quelque sorte la « main » d’un « cerveau unique ». Le concept n’est pas totalement nouveau car déjà exploré par Théodore Sturgeon dans Les plus qu’humains. Le genre de l’empereur n’est d’ailleurs pas évident car Ann Leckie joue sur ce registre en féminisant tous les personnages. On va dire en étant gentil que l’auteure rend hommage à Ursula Le Guin et sa Main gauche de la nuit. Mais Leckie n’est pas Le Guin et j’avoue n’y voir qu’un féminisme creux, sans réel justification ni exploration des conséquences de cette asexualité. La même « gestaltisation » permet aux intelligences artificielles des vaisseaux spatiaux d’animer des armées de « cadavres » en les transformant en ancillaires. Mais Mianaai est schizophrène et certaines de ses composantes luttent contre d’autres, dans les prémisses de ce qui sera une guerre civile, et dont on comprend qu’elle sera au cœur des autres opus de la saga. Durant ce conflit, l’impératrice/empereur détruit un vaisseau, le Justice de Toren, dont, par miracle, une des composantes, Un-Esk, réussit à s’enfuir. L'ancillaire décide alors de se venger. L’ouvrage est centré sur la vie passée et présente d’Un-Esk.
Les références à la SF classique sont, on le voit, très présentes. Les IA des vaisseaux ne peuvent que nous rappeler Le cycle de la Culture de Ian M.Banks ; et la vengeance de Un-Esk fait écho à celle de Foyle dans Terminus, les étoiles d’Alfred Bester. Leckie brasse donc énormément de concepts, un peu à la manière d’un Simmons avec Hypérion. Mais la ressemblance s’arrête là. Les personnages de Leckie sonnent malheureusement creux. On pourrait ainsi trouver habile qu’Un-Esk oscille entre la froideur d’une IA et la chaleur d’un être humain. Sauf que ses motivations manquent de réalisme. Ainsi, Un-Esk chaperonne un autre personnage, Seivarden, et lui sauve plusieurs fois la vie sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. De même, au début du récit, on pourrait voir dans l’ordre impérial de tuer un « gentil » lieutenant le germe de la rébellion ou plutôt de l’humanisation d’Un-Esk, sauf que ce n’est pas crédible, vu que l’IA était alors totalement inféodée à l’impératrice/empereur Mianaai. Et que dire de cette dirigeante/dirigeant d’un immense empire galactique et qui donne le coup de main, ici ou là. Certes, la multiplication des corps par le biais du gestalt multiplie ses capacités d’intervention mais on frise le ridicule avec l’absence de tout gouvernement ou relais de pouvoir. Louis XIV avait quand même Colbert ! La schizophrénie de Mianaai est par ailleurs explorée très superficiellement, à coup d’armes, alors qu’on aurait pu imaginer un dialogue ou une souffrance. De même, la solitude d’Un-Esk est totalement passée sous silence. Et l’ultime rebondissement, lorsque l’IA d’un nouveau vaisseau choisit, la larme à l’œil, Un-Est comme capitaine, est risible voire même mièvre.
A contrario, la narration est ingénieusement construite. Deux trames, une située « aujourd’hui » et l’autre 20 ans avant, progressent en parallèle. Et le présent et le passé d’Un-Esk convergent dans les dernières pages du roman lorsque l’auteure nous dévoile les clés de son intrigue.
Le style est peu rugueux sans que je sache si cela est dû à la traduction de Patrick Marcel ou au style de Leckie. Le lecteur doit clairement surmonter l’obstacle de la féminisation de tous les noms mais, on s’y habitue vite. Mais surtout, de nombreuses phrases sonnent étrangement, comme, par exemple, en page 23 : « Pour l’heure, l’air du temple bruissait faiblement dans un coin des prières susurrées par une douzaine de fidèles ». Le titre lui-même pose souci. En français (cf. dictionnaire de l’académie française : http://atilf.atilf.fr/academie9.htm (1)ANCILLAIRE (les deux l se prononcent sans mouillure) adj. XIXe siècle. Emprunté du latin ancillaris, dérivé de ancilla, « servante ». Relatif aux servantes. Soucis ancillaires. Souvent iron. Amours ancillaires, liaisons avec des servantes), ancillaire est un adjectif faisant référence aux servantes alors qu’en anglais (dictionnaire Oxford http://www.oxforddictionaries.com/defin ... /ancillary), ancillary est un adjectif ou un substantif faisant référence à des assistants.
Au final, je suis extrêmement déçue par ce roman, brillant mais par trop glacial. Les personnages sont peu attachants et leur comportement étrange. Au final, l'émotion n'y est pas. Le NSA (Nouveau Space Opera) a livré du bon (par exemple le très noir Cycle des Inhibiteurs d’Alastair Reynolds) et du moins bon (le très baroque Algébriste de Ian M.Banks). Il me semble qu’on peut classer La justice de l’ancillaire dans cette dernière catégorie. Cet avis n’est cependant pas partagé car l’ouvrage a rassemblé les suffrages d’une quantité impressionnante de jurys : Hugo du meilleur roman 2014, Arthur C. Clarke 2014, Locus du meilleur premier roman 2014, Nebula 2013 et British Science Fiction 2013 !
Cordialement
Eléanore-clo