Infabula - Emmanuel Werner
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Infabula - Emmanuel Werner
Lu ça avec un énorme plaisir, et beaucoup d'interrogations rêveuses. C'est élégant, désespéré, poétique, sans doute pas tout à fait SF, mais pas vraiment litt'gén non plus, et ça relève de cette manière de faire de la littérature qui secoue les neurones: tout fait sens, tous les détails sont susceptibles de suggérer de nouveaux niveaux de réalité, un peu comme chez Fabrice Colin ("métaphysique pansémiotique", Fabrice, si le sujet t'intéresse et que tu veux creuser).
En substance: Emmanuel Werner est déprimé, sa femme (il n'est pas marié, mais c'est tout comme) est partie. Lui vit obsédé par l'écriture d'un roman qu'il n'arrive pas à mener à bien. Il part aux US chez Clayton Burckhart, un pote à lui qui réussit dans l'univers de la photo et du cinéma. Voilà pour un début.
En fait c'est très compliqué à résumer: ça commence par une très belle scène où Emmanuel, doté de pouvoirs de guérisseurs, guérit la cécité d'une gamine qui lui révèle avoir plusieurs noms, parmi lesquels Kolberg, le nom d'un film de propagande nazie qui obsède Emmanuel.
En visionnant ce film dans une version augmentée, réalité et image cinéma, et intériorité d'Emmanuel s'interpénètrent. Vous verrez des courses poursuite entre des nazis et une femme qui engendre sur son passage une efflorescence de végétation, vous verrez s'affronter dans le monde et courir dans la Rome antique des lions et des chats, incarnant les deux puissances primordiales de la force et de l'intelligence, vous verrez comment tout ça mène finalement Emmanuel à, peut-être, vouloir à nouveau vivre.
Je suis en train de relire le livre pour écrire quelque chose de pertinent... ça puise chez Apulée, explicitement, chez Korzybski (le mec de Science and Sanity, tout ça), chez les Aristochats, etc.
Bref, c'est beau, c'est une méditation sur les mondes fictifs qu'une âme désespérée peut receler, sur les forces primordiales qui traversent le monde et qui croisent un jour nos existences, c'est enfin une belle réflexion sur l'écriture elle-même.
Quelqu'un l'a lu? A aimé?
En substance: Emmanuel Werner est déprimé, sa femme (il n'est pas marié, mais c'est tout comme) est partie. Lui vit obsédé par l'écriture d'un roman qu'il n'arrive pas à mener à bien. Il part aux US chez Clayton Burckhart, un pote à lui qui réussit dans l'univers de la photo et du cinéma. Voilà pour un début.
En fait c'est très compliqué à résumer: ça commence par une très belle scène où Emmanuel, doté de pouvoirs de guérisseurs, guérit la cécité d'une gamine qui lui révèle avoir plusieurs noms, parmi lesquels Kolberg, le nom d'un film de propagande nazie qui obsède Emmanuel.
En visionnant ce film dans une version augmentée, réalité et image cinéma, et intériorité d'Emmanuel s'interpénètrent. Vous verrez des courses poursuite entre des nazis et une femme qui engendre sur son passage une efflorescence de végétation, vous verrez s'affronter dans le monde et courir dans la Rome antique des lions et des chats, incarnant les deux puissances primordiales de la force et de l'intelligence, vous verrez comment tout ça mène finalement Emmanuel à, peut-être, vouloir à nouveau vivre.
Je suis en train de relire le livre pour écrire quelque chose de pertinent... ça puise chez Apulée, explicitement, chez Korzybski (le mec de Science and Sanity, tout ça), chez les Aristochats, etc.
Bref, c'est beau, c'est une méditation sur les mondes fictifs qu'une âme désespérée peut receler, sur les forces primordiales qui traversent le monde et qui croisent un jour nos existences, c'est enfin une belle réflexion sur l'écriture elle-même.
Quelqu'un l'a lu? A aimé?
Bruno - http://systar.hautetfort.com
Tu oublies de préciser que c'est chez l'Atalante, et que c'est pas évident à trouver, entre polar, sf, litt. gén., etc. Le truc rigolo/intéressant, ai-je appris, c'est que le personnage du photographe, Clayton Burkhart, existe réellement et qu'il a réalisé la couverture du roman (on trouvera quelques détails concernant celui-ci sur le site de l'Atalante).
Par ailleurs, le narrateur porte le même nom que l'auteur. Mais la teneur ouvertement fantastique de certains passages exclut à mon sens Infabula du champ de l'auto-fiction.
Par ailleurs, le narrateur porte le même nom que l'auteur. Mais la teneur ouvertement fantastique de certains passages exclut à mon sens Infabula du champ de l'auto-fiction.
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Pour peu qu'on sorte, à un moment au moins du livre, de l'esprit d'Emmanuel, ce qui n'est pas si certain...fabrice a écrit : Mais la teneur ouvertement fantastique de certains passages exclut à mon sens Infabula du champ de l'auto-fiction.

Tu vois, encore un livre qui fonctionne sur des présupposés "idéalistes": la puissance de l'esprit humain informe le monde perçu.
Thanks pour les précisions que j'avais oubliées d'expliciter.
Bruno - http://systar.hautetfort.com
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On le trouve chez Xavier, à Scylla, je crois que je l'y ai vu. ça fait au moins un endroit où on peut se le procurer sans souci.fabrice a écrit :Tu oublies de préciser que c'est chez l'Atalante, et que c'est pas évident à trouver, entre polar, sf, litt. gén., etc.
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J'ai lu. Et aimé. Beau livre sur la disparition de l'être aimé, et sur la mort comme matrice d'histoires. L'onirisme et le symbolisme de certains passages m'ont un peu ennuyé, mais c'est très riche, et très bien écrit. J'ai des pages et des pages de notes... J'attends ton article, Systar.
Imaginez un mélange de Colin (pour les tèmes, pour la forme), d'Alain Zannini de Nabe (pour l'autofiction mystique, et pour les orgies kubrikiennes) et de La ville au fond de l'oeil de Berthelot (pour l'onirisme)... Infabula est assez proche, thématiquement, de La Mémoire du vautour (mort, écriture, métamorphoses...). Seulement, là où La Mémoire élargit les perspectives, Infabula reste enfermé dans sa tristesse, un peu autiste.
Mais que cette réserve pas argumentée - je vais écrire un truc sur le livre moi aussi - ne vous arrête surtout pas : Infabula est un excellent roman.
Ah, dernière chose : ne vous fiez pas au premier court chapitre. Son style très artificiel, un peu pédant, un peu opaque, n'est pas représentatif du reste.
Imaginez un mélange de Colin (pour les tèmes, pour la forme), d'Alain Zannini de Nabe (pour l'autofiction mystique, et pour les orgies kubrikiennes) et de La ville au fond de l'oeil de Berthelot (pour l'onirisme)... Infabula est assez proche, thématiquement, de La Mémoire du vautour (mort, écriture, métamorphoses...). Seulement, là où La Mémoire élargit les perspectives, Infabula reste enfermé dans sa tristesse, un peu autiste.
Mais que cette réserve pas argumentée - je vais écrire un truc sur le livre moi aussi - ne vous arrête surtout pas : Infabula est un excellent roman.
Ah, dernière chose : ne vous fiez pas au premier court chapitre. Son style très artificiel, un peu pédant, un peu opaque, n'est pas représentatif du reste.
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Mmh... Pas d'accord avec toi sur le premier chapitre. Je le trouve excellent. Et il est essentiel pour la structure du livre, avec cette petite fille qui annonce Kolberg, etc, les premières mentions, mystérieuses, d'un chat qui lappe du sang, et des lions...
Ce qui te gêne, c'est peut-être plutôt l'ambiance glauque des premières scènes en Alsace, alors qu'ensuite on est aux USA sous un beau soleil...
Le livre est-il autiste? oui et non, en fait. Werner dit clairement qu'on peut tenter de parler du monde en parlant de soi. Il y a une extériorité. Mais le talent de Werner est de mettre cette idée d'une extériorité à la conscience en doute.
Du coup, on flotte: démiurgie absolue? hallucinations d'un pauvre diable largué par sa nana? complication de l'opposition fiction/réalité, intériorité/extériorité? Tout ça à la fois...
Ce qui te gêne, c'est peut-être plutôt l'ambiance glauque des premières scènes en Alsace, alors qu'ensuite on est aux USA sous un beau soleil...
Le livre est-il autiste? oui et non, en fait. Werner dit clairement qu'on peut tenter de parler du monde en parlant de soi. Il y a une extériorité. Mais le talent de Werner est de mettre cette idée d'une extériorité à la conscience en doute.
Du coup, on flotte: démiurgie absolue? hallucinations d'un pauvre diable largué par sa nana? complication de l'opposition fiction/réalité, intériorité/extériorité? Tout ça à la fois...
Bruno - http://systar.hautetfort.com
Quoi qu'il en soit, il est *logique* que le style de ce premier chapitre soit différent, dans la mesure où c'est un livre dans le livre - le roman que Werner a renoncé (provisoirement ?) à écrire...systar a écrit :Mmh... Pas d'accord avec toi sur le premier chapitre. Je le trouve excellent. Et il est essentiel pour la structure du livre, avec cette petite fille qui annonce Kolberg, etc, les premières mentions, mystérieuses, d'un chat qui lappe du sang, et des lions...
Globalement d'accord avec vous, un bien beau livre. J'ai eu l'impression qu'il s'agissait de chutes de "la mémoire du vautour", je me suis même demandé si "emmanuel werner" n'était pas un pseudo collectif de colin+calvo 

Après des années de cérémonie du Thé, il n’y a rien de meilleur que de vomir de la Bière.
Zut, démasqué.rmd a écrit :Globalement d'accord avec vous, un bien beau livre. J'ai eu l'impression qu'il s'agissait de chutes de "la mémoire du vautour", je me suis même demandé si "emmanuel werner" n'était pas un pseudo collectif de colin+calvo
Et quand j'ai le temps, j'écris aussi un peu de Damasio.
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Tu ne m'as pas bien lu, Systar. Je tenais seulement à prévenir les lecteurs que ce premier chapitre n'est pas semblable aux autres. D'ailleurs, dès le deuxième chapitre ou "livre"), le narrateur qualifie ce qui précède de prose "obscure, souffreteuse, stérile". Ce premier chapitre est essentiel, et réussi, mais volontairement différent, volontairement obscur. Quelqu'un qui s'en tiendrait là dans les rayons d'une librairie, se méprendrait. D'où mon avertissement.systar a écrit :Mmh... Pas d'accord avec toi sur le premier chapitre. Je le trouve excellent. Et il est essentiel pour la structure du livre, avec cette petite fille qui annonce Kolberg, etc, les premières mentions, mystérieuses, d'un chat qui lappe du sang, et des lions...
Ce qui te gêne, c'est peut-être plutôt l'ambiance glauque des premières scènes en Alsace, alors qu'ensuite on est aux USA sous un beau soleil...
Le livre est-il autiste? oui et non, en fait. Werner dit clairement qu'on peut tenter de parler du monde en parlant de soi. Il y a une extériorité. Mais le talent de Werner est de mettre cette idée d'une extériorité à la conscience en doute.
Du coup, on flotte: démiurgie absolue? hallucinations d'un pauvre diable largué par sa nana? complication de l'opposition fiction/réalité, intériorité/extériorité? Tout ça à la fois...
Autiste : le terme est impropre. Comment dire ? J'ai eu l'impression, à la lecture, d'être peu à peu enfermé dans la tête de Werner, et si les premiers chapitres s'ouvraient au monde, ensuite le disque d'accrétion s'étend, et tout est englouti. Démiurgie absolue ? Non, ou alors seulement du point de vue de l'auteur. Infabula n'est qu'un jeu, une mise en abyme de sa propre genèse. Il n'y a pas d'hallucinations : seulement des récits littéralement écrits par le narrateur. C'est d'ailleurs passionnant à étudier, je crois : qui désigne le "Je" ? Parfois l'auteur, parfois son double de fiction qui n'est qu'un personnage, comme en atteste le "Tu" du premier chapitre.
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Je me disais bien... C'est toi, le plus fort.fabrice a écrit :Zut, démasqué.rmd a écrit :Globalement d'accord avec vous, un bien beau livre. J'ai eu l'impression qu'il s'agissait de chutes de "la mémoire du vautour", je me suis même demandé si "emmanuel werner" n'était pas un pseudo collectif de colin+calvo
Et quand j'ai le temps, j'écris aussi un peu de Damasio.
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En fait, ce qui me fait flipper, c'est que quand Transhu écrit: "c'est pédant, artificiel", moi je trouve ça excellent, élégant, technique...
ça doit être parce que je suis un peu dingue...
ça doit être parce que je suis un peu dingue...
Bruno - http://systar.hautetfort.com
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Artificiel, sûr. Mais l'artifice n'est pas condamnable. Pédant ? C'est l'impression que ça donne. Précieux serait peut-être plus juste ? Exagérément torturé. Dépressif. En tout cas, rien d'incompatible avec l'élégance et la technique. Je précise que je n'ai parlé de pédanterie que parce qu'il ne s'agit pour moi que d'un livre dans le livre, abandonné par son narrateur qui ne sait qu'en faire, et qui donc ne saurait être jugé comme s'il s'agissait du livre lui-même...systar a écrit :En fait, ce qui me fait flipper, c'est que quand Transhu écrit: "c'est pédant, artificiel", moi je trouve ça excellent, élégant, technique...
ça doit être parce que je suis un peu dingue...
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Mouais. Si tu le dis.Transhumain a écrit :Artificiel, sûr. Mais l'artifice n'est pas condamnable. Pédant ? C'est l'impression que ça donne. Précieux serait peut-être plus juste ? Exagérément torturé. Dépressif. En tout cas, rien d'incompatible avec l'élégance et la technique. Je précise que je n'ai parlé de pédanterie que parce qu'il ne s'agit pour moi que d'un livre dans le livre, abandonné par son narrateur qui ne sait qu'en faire, et qui donc ne saurait être jugé comme s'il s'agissait du livre lui-même...systar a écrit :En fait, ce qui me fait flipper, c'est que quand Transhu écrit: "c'est pédant, artificiel", moi je trouve ça excellent, élégant, technique...
ça doit être parce que je suis un peu dingue...
Bon, sinon, les gens: achetez et lisez ce truc, c'est du bon. C'est pas de la SF pure et dure, hein, ça plaira pas aux fans de SF space op ou spéculation scientifique, mais on est dans une veine planante, poétique, où l'auteur fait exactement ce qu'un lecteur d'aujourd'hui peut espérer: il surprend, désoriente, perd puis récupère le lecteur, le tout avec une fluidité de plume des plus agréables.
D'autant que si l'on se perd, on saisit pourtant bien que tout a un sens, rien n'est gratuit, on n'est pas dans le pur exercice formel, certaines interrogations trouvent leur réponse, d'autres non. C'est là, dans ce sentiment d'hésitation, d'incertitude, qu'on trouve une bonne part de la joie que peut susciter ce livre.
Sans parler des quelques scènes déjà évoquées, notamment ces lions dans la Rome antique: magnifique!
Bruno - http://systar.hautetfort.com
Eh bien, Emmanuel Werner peut vous dire merci ! Le voilà habillé pour l'hiver. Dommage que les sites de sf ne se fassent pas l'écho de cet enthousiasme - si toutefois le bouquin leur a été envoyé (ce qui, connaissant l'Atalante, n'est pas forcément évident). Parce que je vois mal qui d'autre pourrait en causer, malgré l'habillage résolument non sf du livre, surtout en ces temps de rentrée littéraire.
Ajoutons que Infabula est assez mince. Du coup, il ne coûte pas cher - moins de dix euros il me semble.
Ajoutons que Infabula est assez mince. Du coup, il ne coûte pas cher - moins de dix euros il me semble.