Eric a écrit :C'est bien, c'est vrai. Noirez a une plume intelligente, et parfaitement maîtrisée. EN fait, bien que la comparaison soit un peu galvaudée, pour une fois, il la soutient sans rougir. Leçons du monde fluctuant évoque immanquablement Neil Gaiman.
Dans tout ce que ça a de bon, et de moins bon, comme notamment une certaine inconsistance. On pense par exemple à Anansi Boys. C'est brillant, mais il manque une histoire qui tiennent la route.
Donc pour moi c'est léger, mais carrément à suivre...
Parfaitement maîtrisée: au point de paraître parfois lisse. Jérôme N. a d'énormes possibilités stylistiques, il a volontairement fait quelque chose de soft de ce point de vue, justement sans doute pour être accessible et faire accéder les gens à ce fameux "rêve" qui est la clé du roman et sans doute ce qui serait une possible solution éthique aux problèmes que pointe Jérôme (phallocratie, théocratie, scientisme idéologique, etc.)
Tiens, pendant qu'on y est, je me demande tout de même pourquoi vous avez trouvé l'histoire un peu faiblarde: je lui ai trouvé beaucoup de richesse, pour ma part; ça pète de partout, il y a une guerre à la fin, il y a une immense auberge/château qui se transforme en corps-forêt-continent, il y a une petite fille qui mène une guerre, etc. Disons qu'il raconte vite, parfois, trop vite peut-être (c'est plus ou moins ce que je dis dans la chronique) par rapport à tout ce qu'il a à montrer et à mettre en place.
En tout cas, il y a une démarche qui est passionnante, c'est ce primat du corps. Chez Noirez, on est d'abord un corps. Sachant qu'un corps, c'est pas seulement de la matière, c'est plein de choses, c'est du sens, de l'efflorescence de lumière, c'est une liberté à faire exister. Voir le personnage de Renwick: sa nature est déterminée par sa naissance: il est né de l'accouplement d'un cachot et d'un prisonnier. C'est ce qui, d'emblée, pose le personnage comme noir et drôle à la fois. Et en même temps, en poussant à fond ses potentialités corporelles, ça devient un dandy, un être élégant et cruel. Jusqu'à, éventuellement, après une dernière chute, trouver une forme de salut, ou de transformation...
J'en discutais avec Jérôme N., justement, et c'est bien Rabelais qu'il faut ici convoquer, et avec lui toute la perspective humaniste de libération du corps, pour bien entrer dans ce roman. Il y a une histoire dans l'histoire, qui pour une fois avec ces phénomènes d'enchâssement/mises en abîme, ne raconte pas la naissance de toute littérature (*), mais l'histoire d'un corps entravé (celui de Kematia, bien sûr, mais aussi celui du révérend nigaud Dodgson, qui justement, bégaie) qui apprend peu à peu toutes les formes de libération possible : la rencontre avec la lumière, la fusion avec le monde (voir le personnage de Lulunruntu, qui devient un paysage/pays), le voyage à la surface de la matière (1ère scène avec Kematia, où elle flotte sur l'herbe avant de rencontrer son chien de chiffon), etc.
Pas de thèses, pas de doctrines, mais l'exploration de possibilités pour le corps humain, donc. Un truc vachement spinoziste, au fond: que peut un corps?