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Ted Chiang, La Tour de Babylone

Posté : ven. mai 12, 2006 12:02 am
par DuncanI
C’est Gilles Dumay qui m’a mis le nom de Ted Chiang en tête. De mon passage sur son bout de stand au Salon du Livre, je garde le souvenir d’un gars plutôt désagréable, une caricature de libraire déplaisant, mais qui fugitivement s’était réchauffé à la mention de sa prochaine parution, La Tour de Babylone. Comme ça m’avait interpellé, quand le recueil est sorti, j’ai décidé de lui faire un sort.

Je ne connaissais rien de Ted Chiang quand j’ai débuté son recueil, je le soupçonnais juste d’être américain. Je fuis les quatrièmes de couv’, je ne lis quasiment aucunes des nouvelles dans Bifrost. J’ignorais donc tout de sa réputation de noveliste génial, de tous les prix reçus. Je ne m’attendais pas à un choc esthétique ou intellectuel particulier.

La Tour de Babylone, le premier texte, ne m’a pas fait une impression mémorable. Il parvient pourtant à donner à sa tour une présence écrasante, des dimensions littéralement divines, mais j’ai trouvé la fin un peu plate, un défaut majeur quand on évoque la tour de Babylone, non ? J’ai donc laissé Ted Chiang de côté quelques jours.
Puis j’ai commencé Comprends, et là j’ai pris mon pied et une grosse claque. Ca commence comme Des Fleurs pour Algernon et ça se termine sur l’affrontement très cérébral entre deux post-humains dont le vainqueur dirigera la destinée de l’Humanité.
Comme pour me laisser dans l’expectative à propos de la valeur du monsieur, Division par zéro m’a laissé frustré ; certainement parce que mon ignorance des mathématiques m’a empêché d’apprécier ce paso-doble entre théorèmes et itinéraire sentimental d’un couple.

N’empêche que c’est une nouvelle intéressante parce que très révélatrice du " système Chiang " : Si ses extrapolations étaient des diamants, ses nouvelles seraient le moyen de les exposer sous toutes leurs facettes (c’est particulièrement le cas dans Aimer ce que l’on voit : un documentaire) ; il semble vouloir aller au bout de chacune de ses idées, en envisager toutes les conséquences, quitte à les pousser à bout. Et pas question de sacrifier cet impératif sur l’autel des conventions littéraires : très peu de scènes dialoguées, pas beaucoup plus d’action, d’effets pyrotechniques (narratifs ou stylistiques), de suspens, de climax, de personnages très caractérisés. Tout cela est présent chez Chiang, mais avec une parcimonie qui finalement renforce leurs effets sur le lecteur. Dans ce projet, je trouve qu’il parvient à être plus radical que Greg Egan. Et malgré tout, il parvient à insuffler à ses textes une dimension humaine souvent très réussie, très sensible (avec Louise Banks dans le parfait L’Histoire de ta vie, notamment ou avec Neil Fisk dans L’Enfer, quand Dieu n’est pas présent – ah, ce titre !) tout simplement parce que chacune de ses extrapolations comporte un aspect, central ou périphérique, dans lequel il se demande et raconte « pour cette personne, pour ce couple, qu’est-ce que cela implique, comment est-ce qu’ils en sont modifiés, affectés ? ».
Peut-être cela vient-il du fait que, en dehors des mathématiques, les sciences prisées par Ted Chiang sont humaines. Mythologie (La Tour de Babylone, Soixante-douze lettres), théologie (L’Enfer, quand dieu n’est pas présent) linguistique (extraterrestre dans L’Histoire de ta vie, à travers le mythe du Golem dans Soixante-douze lettres), neurobiologie (Comprends, Aimer ce que l’on voit : un documentaire), herméneutique (L’Evolution de la science humaine).

Lire Chiang a donc été un grand plaisir. J’y ai retrouvé la même excitation qu’en lisant mon premier Egan. Du sense of wonder, je crois bien, même si les bases intellectuelles et les outils pour les exploiter n’ont plus rien à voir avec ceux de l’Age d’Or. Pour tenter de convaincre les derniers hésitants, j’avancerai la diversités des ambiances et des contextes (du récit mythologique d’ouverture au faux article publié (réellement) dans Nature) et l’excellente idée d’avoir ajouté en fin de recueil une présentation de chaque nouvelle par l’auteur himself.

Ted Chiang, La Tour de Babylone, Denoël, collection Lunes d’encre, 20 euros (et ça les vaut bien).

Posté : ven. mai 12, 2006 10:18 am
par Olivier
Tout à fait, ce recueil est un vrai bonheur de lecture, bien qu'assez cérébral.
Histoire de ta vie justifie à lui seul, par sa finesse et son intelligence, l'achat du recueil.
A noter dans le dernier Bifrost, une analyse de l'oeuvre par le doc' et une itw de l'auteur par Thomas Day himself.
Puis j’ai commencé Comprends, et là j’ai pris mon pied et une grosse claque. Ca commence comme Des Fleurs pour Algernon et ça se termine sur l’affrontement très cérébral entre deux post-humains dont le vainqueur dirigera la destinée de l’Humanité.
On peut dire que ça finit comme Scanners de Cronenberg.

Posté : dim. mai 14, 2006 10:12 pm
par DuncanI
Olivier a écrit :Histoire de ta vie justifie à lui seul, par sa finesse et son intelligence, l'achat du recueil.
A noter dans le dernier Bifrost, une analyse de l'oeuvre par le doc' et une itw de l'auteur par Thomas Day himself.
Toutafé, pour L'Histoire de ta vie. J'ai aussi très apprécié Aimer ce que l'on voit : un documentaire, justement pour sa forme de documentaire, peu courante, sa critique des médias et des groupes de pression et pour la calliagnosie, bien sûr.

Posté : lun. mai 15, 2006 1:47 pm
par Olivier
L'enfer quand dieu n'est pas présent est aussi un très bon texte, et une gageure : aucun dialogue !

Posté : mar. mai 16, 2006 9:24 pm
par Olivier
La Tour de Babylone, le premier texte, ne m’a pas fait une impression mémorable. Il parvient pourtant à donner à sa tour une présence écrasante, des dimensions littéralement divines, mais j’ai trouvé la fin un peu plate, un défaut majeur quand on évoque la tour de Babylone, non ?
C'est vrai que l'écriture n'est pas encore pleinement maîtrisée, loin de là même !
Mais j'ai vraiment apprécié l'immersion dans cette civilisation qui a inventé l'écriture. Le mot de Disch à propos de cette histoire est vraiment parfaitement exact.

Posté : mer. mai 17, 2006 7:23 pm
par Hervé
N'avez-vous pas trouvé que les fins étaient presque systématiquement trop abruptes ?

Posté : mer. mai 17, 2006 9:43 pm
par DuncanI
Hervé a écrit :N'avez-vous pas trouvé que les fins étaient presque systématiquement trop abruptes ?
Ted Chiang a une formule à ce propos : " Un des éléments les plus admirés dans la fiction, c'est une fin surprenante et pourtant inévitable ". Je ne sais pas si c'est une constatation ou un credo. Il me semble que tout attaché qu'il est à donner à ses idées tous les développements possibles, la fin d'une nouvelle doit représenter le moment où tout est dit et rien d'autre, une conséquence de son processus d'écriture et pas une fin.
Tant que j'y pense, et ça n'a rien à voir avec ci-dessus, la seule chose que je regrette, c'est de ne pas avoir trouvé les titres originaux des nouvelles, leurs années de publication, et les supports.

Re: Ted Chiang, La Tour de Babylone

Posté : mar. juin 13, 2006 12:17 pm
par Nick_Holmes
DuncanI a écrit :C’est Gilles Dumay qui m’a mis le nom de Ted Chiang en tête. De mon passage sur son bout de stand au Salon du Livre, je garde le souvenir d’un gars plutôt désagréable, une caricature de libraire déplaisant, mais qui fugitivement s’était réchauffé à la mention de sa prochaine parution, La Tour de Babylone. Comme ça m’avait interpellé, quand le recueil est sorti, j’ai décidé de lui faire un sort.
Il fallait lui proposer un whisky... :lol:
Je n'ai pas vu Gilles lors de mon passage au SdL cette année... Bizarre.

Ted Chiang, j'ai son recueil sur ma pile de lecture. Je verrai ce que cela donne bientôt.

@+,
NicK.

Re: Ted Chiang, La Tour de Babylone

Posté : mar. juin 13, 2006 12:28 pm
par DuncanI
Nick_Holmes a écrit : Il fallait lui proposer un whisky... :lol:
OK, je prends note pour l'année prochaine. Une suggestion pour la marque ? :D

Re: Ted Chiang, La Tour de Babylone

Posté : mer. juin 14, 2006 7:07 am
par jerome
DuncanI a écrit : OK, je prends note pour l'année prochaine. Une suggestion pour la marque ? :D
Glenlivet...

Re: Ted Chiang, La Tour de Babylone

Posté : mer. juin 14, 2006 8:34 am
par Eric
Nick_Holmes a écrit : Je n'ai pas vu Gilles lors de mon passage au SdL cette année... Bizarre.
C'était difficile de le rater pourtant...

Posté : jeu. juin 15, 2006 3:02 pm
par gutboy
Très bon moment, le Ted Chiang.
L'Histoire de ta vie est la plus belle nouvelle que j'ai lue depuis longtemps.

Re: Ted Chiang, La Tour de Babylone

Posté : mar. juin 20, 2006 9:56 pm
par Nick_Holmes
Eric a écrit :
Nick_Holmes a écrit : Je n'ai pas vu Gilles lors de mon passage au SdL cette année... Bizarre.
C'était difficile de le rater pourtant...
J'ai fait un SdL express marathon sans escale ou presque. Décevant pour moi. Trop de monde de toute façon le samedi. Je pense arrêter complètement le SdL : trop commercial, peu de contacts avec les auteurs/éditeurs/... Bref, décevant.

@+,
NicK.

Posté : mer. juin 21, 2006 12:28 am
par Sneed
Tiens, la critique à l'acide du recueil par AK a disparu de la page d'accueil du site !!!

Sneed

Posté : ven. juin 08, 2007 8:42 am
par Nébal
Je suis en plein dedans... Enfin, plus exactement, je viens de lire "L'Histoire de ta vie"...

... Et je me demande si je me suis déjà pris une baffe aussi monumentale avec une nouvelle de SF...

C'est très bien, quoi... :D