Jérôme NOIREZ - Le Diapason des Mots et des Misères
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- Goldeneyes
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Jérôme NOIREZ - Le Diapason des Mots et des Misères
Hello tous. J’espère que vous passez de bonnes vacances. A griller sous le soleil. Comme des cafards que vous êtes, prisonniers de l’asphalte en ébullition sous un soleil de plomb. Lectures estivales obliges, je tenais à poser mon petit mot sur un recueil que j’ai pris un grand plaisir à lire (le contraire aurait été étonnant). Il s’agit du Diapason des mots et des misères de Jérôme NOIREZ publié en mai chez Griffes d’Encre. Pour ceux d’entre vous qui auraient loupé le train, vous en trouverez la chronique très complète sur le CC, ici. Pas grand-chose à ajouter à ce que souligne TuC. Les quinze nouvelles qui forment ce recueil brillent par leurs univers intrinsèques et leur musicalité assassine. Chaque écrivain, en tout cas les bons, déploie sous sa plume une petite musique personnelle. Si le lecteur se trouve sur la même longueur d’onde, il se laisse porter par cette mélopée intime avec laquelle il entre en résonance. Catherine DUFOUR, dans sa postface, évoque une maladie contagieuse et partagée. L’image est sans doute plus adéquate et moins malhabile. La musique intérieure de Jérôme NOIREZ, tocsin lumineux qui sonne le glas mortuaire, s’accorde au diapason d’étranges et déstabilisantes imbrications : l’interpénétration, ou plutôt la contamination du réel par le surnaturel ; la défoliation de la féerie par l’horreur. Que mâtinent des obsessions personnelles le plus souvent liées à l’enfance.
La démonstration de ces obsessions nous est ici donnée au travers de plusieurs textes : Shirley’s Doll, incontestable réussite du recueil dont je ne dévoilerai rien me contentant de crier en tapant du poing sur la table qu’il faut l’avoir lu ; La Leçon de Piano, où l’on comprend que Jérôme NOIREZ, comme la plupart des jeunes enfants, n’est pas forcément sorti indemne de sa fréquentation des classes de musique ; L’Enfer des enfants pas Sages, tout poisseux et tout gluant de cauchemars, où l’on se demande, avec un mélange de répulsion et de fascination macabre comment un esprit peut imaginer infliger de tels sévices à un môme. Mais aussi Nos Aïeuls, inspiré très certainement de faits on ne peut plus réels (cela m’a évoqué la façon dont on traitait en Roumanie, sous Ceausescu, les enfants malades et surnuméraires, produits d’une politique nataliste outrancière niant l’existence du SIDA ; bambins toussants et délirants sous la fièvre, qui étaient parqués dans des orphelinats, grands baraquements miteux, grabats alignés en rangés de cimetière, et qui crevaient sans le moindre suivi ou assistance médicale, abandonnés dans l’insalubrité la plus totale à leur lente agonie). Le surnaturel qui contamine le réel : la nouvelle d’ouverture, 7 impasse des Mirages, en est la parfaite illustration. L’auteur pose un cadre on ne peut plus réaliste (une ville saharienne du Moyen-Orient) évoqué par des « souvenances » enfantines, mais lentement, sûrement, le surnaturel s’insinue comme un rêve qui se coulerait dans la réalité. Pour la consommer. Même chose pour La ville Somnanbule. A l’instar de Catherine DUFOUR (cf. : postface), je serais très curieux de savoir où Jérôme NOIREZ a été pêché l’idée des scarifications et automutilations atroces que s’infligent les protagonistes. Oui. Parce que la scène d’émasculation d’ouverture… Quand même… L’horreur hurle des lignes. Et cogne. Cependant, le procédé demeure le même : la pose d’un cadre « réaliste » qui glisse progressivement, inéluctablement vers une poétique de l’aliénation.
Quelques nouvelles tempèrent tout de même la noirceur noirezienne : L’apocalypse selon Huxley, road-movie déjanté sur fond de trip à la kétamine (Las Vegas Parano n’est pas bien loin) où il est impossible de ne pas hurler…de rire (le coup de la banquette arrière rabattable, j’en souri encore), Stati d’Animo, cinglant hommage au mouvement futuriste italien du début du XXème siècle porté par l’iconoclaste, le virulent, le tonitruant, le provocateur et radicaliste Marinetti, mais aussi Feverish Train, hallucination fiévreuse, enquête policière sur les bords de l’onirisme que la cervelle croisée de Lewis Carroll et d’Agatha Christie aurait tout à fait pu enfanter. Quant à Kesu, le gouffre sourd, on pourrait se demander légitimement si Catherine DUFOUR n’en est pas l’auteur…
Je ne vais pas tout passer en revue. Pour les lecteurs qui ne connaissent pas encore l’œuvre de Jérôme NOIREZ, ce recueil de nouvelles paraît une bonne introduction. On y retrouve l’une des obsessions qui façonne son œuvre : cette vision dérangée de l’enfance, généralement synonyme d’innocence, de découverte, de joie, de naïveté, de bisounours, et ici, fissurée par les scories de l’horreur et de l’aliénation. Chez NOIREZ, les bisounours bouffent l’estomac des jeunes filles mortes à la petite cuillère. En conservant leur sourire taquin. Et en aspergeant leur belle robe rose et pelucheuse de franches giclures incarnates ensanglantées.
Juste deux trucs à ajouter : la nouvelle éponyme du recueil est sans doute la plus surréaliste, et, paradoxalement, la plus délicieuse. L’hypertrophie sonore, ce goitre impossible, physiquement et logiquement inconcevable, qui unit les deux protagonistes pourrait signifier tant de choses qu’il est plus sage de laisser à chaque lecteur le plaisir de l’interprétation. Ici, pour ce qui est des références éventuelles, c’est peut-être du côté de l’hermétique littérature d’un Witold GOMBROWICS (Cf. : Cosmos), qu’il faudrait aller piocher. Je vois dans la chute de la nouvelle, en tous les cas, l’image de l’écrivain qui porte en lui mille voix dissonantes, entrelacs d’une lointaine mémoire ou conscience résiduelle collective, champs morphiques diffus que sa plume accomplie permet de capturer et d’incarner. Mais dehors il fait chaud, et je suis probablement déshydraté. Dernier truc, totalement inhérent au plaisir de lecture : la plume noirezienne (ça fait un peu indien, ça… Ouh Ouh Ouh. Désolé). Un style riche, tout empreint de poésie, qui force quelque fois le lecteur à compulser un dictionnaire condamné autrement, sous la fréquentation de la majorité des auteurs actuels, à l’exil de la poussière. Car si Jérôme NOIREZ est un grand créateur, il est aussi, et avant tout, un très très grand poète.
Ah si. Un dernier commentaire. Une critique négative. Pour une fois. Content je suis. La Berceuse pour Myriam, composition pour piano et voix : elle est pas bien. Pas bien du tout. LIGETI aurait pu la composer s’il n’avait jamais suivi de cours d’écriture musicale. Et si, de surcroît, il avait été sourd de naissance. J’aurais pu le dire avec plus de délicatesse. Mais non. La chaleur, sans doute…
La démonstration de ces obsessions nous est ici donnée au travers de plusieurs textes : Shirley’s Doll, incontestable réussite du recueil dont je ne dévoilerai rien me contentant de crier en tapant du poing sur la table qu’il faut l’avoir lu ; La Leçon de Piano, où l’on comprend que Jérôme NOIREZ, comme la plupart des jeunes enfants, n’est pas forcément sorti indemne de sa fréquentation des classes de musique ; L’Enfer des enfants pas Sages, tout poisseux et tout gluant de cauchemars, où l’on se demande, avec un mélange de répulsion et de fascination macabre comment un esprit peut imaginer infliger de tels sévices à un môme. Mais aussi Nos Aïeuls, inspiré très certainement de faits on ne peut plus réels (cela m’a évoqué la façon dont on traitait en Roumanie, sous Ceausescu, les enfants malades et surnuméraires, produits d’une politique nataliste outrancière niant l’existence du SIDA ; bambins toussants et délirants sous la fièvre, qui étaient parqués dans des orphelinats, grands baraquements miteux, grabats alignés en rangés de cimetière, et qui crevaient sans le moindre suivi ou assistance médicale, abandonnés dans l’insalubrité la plus totale à leur lente agonie). Le surnaturel qui contamine le réel : la nouvelle d’ouverture, 7 impasse des Mirages, en est la parfaite illustration. L’auteur pose un cadre on ne peut plus réaliste (une ville saharienne du Moyen-Orient) évoqué par des « souvenances » enfantines, mais lentement, sûrement, le surnaturel s’insinue comme un rêve qui se coulerait dans la réalité. Pour la consommer. Même chose pour La ville Somnanbule. A l’instar de Catherine DUFOUR (cf. : postface), je serais très curieux de savoir où Jérôme NOIREZ a été pêché l’idée des scarifications et automutilations atroces que s’infligent les protagonistes. Oui. Parce que la scène d’émasculation d’ouverture… Quand même… L’horreur hurle des lignes. Et cogne. Cependant, le procédé demeure le même : la pose d’un cadre « réaliste » qui glisse progressivement, inéluctablement vers une poétique de l’aliénation.
Quelques nouvelles tempèrent tout de même la noirceur noirezienne : L’apocalypse selon Huxley, road-movie déjanté sur fond de trip à la kétamine (Las Vegas Parano n’est pas bien loin) où il est impossible de ne pas hurler…de rire (le coup de la banquette arrière rabattable, j’en souri encore), Stati d’Animo, cinglant hommage au mouvement futuriste italien du début du XXème siècle porté par l’iconoclaste, le virulent, le tonitruant, le provocateur et radicaliste Marinetti, mais aussi Feverish Train, hallucination fiévreuse, enquête policière sur les bords de l’onirisme que la cervelle croisée de Lewis Carroll et d’Agatha Christie aurait tout à fait pu enfanter. Quant à Kesu, le gouffre sourd, on pourrait se demander légitimement si Catherine DUFOUR n’en est pas l’auteur…
Je ne vais pas tout passer en revue. Pour les lecteurs qui ne connaissent pas encore l’œuvre de Jérôme NOIREZ, ce recueil de nouvelles paraît une bonne introduction. On y retrouve l’une des obsessions qui façonne son œuvre : cette vision dérangée de l’enfance, généralement synonyme d’innocence, de découverte, de joie, de naïveté, de bisounours, et ici, fissurée par les scories de l’horreur et de l’aliénation. Chez NOIREZ, les bisounours bouffent l’estomac des jeunes filles mortes à la petite cuillère. En conservant leur sourire taquin. Et en aspergeant leur belle robe rose et pelucheuse de franches giclures incarnates ensanglantées.
Juste deux trucs à ajouter : la nouvelle éponyme du recueil est sans doute la plus surréaliste, et, paradoxalement, la plus délicieuse. L’hypertrophie sonore, ce goitre impossible, physiquement et logiquement inconcevable, qui unit les deux protagonistes pourrait signifier tant de choses qu’il est plus sage de laisser à chaque lecteur le plaisir de l’interprétation. Ici, pour ce qui est des références éventuelles, c’est peut-être du côté de l’hermétique littérature d’un Witold GOMBROWICS (Cf. : Cosmos), qu’il faudrait aller piocher. Je vois dans la chute de la nouvelle, en tous les cas, l’image de l’écrivain qui porte en lui mille voix dissonantes, entrelacs d’une lointaine mémoire ou conscience résiduelle collective, champs morphiques diffus que sa plume accomplie permet de capturer et d’incarner. Mais dehors il fait chaud, et je suis probablement déshydraté. Dernier truc, totalement inhérent au plaisir de lecture : la plume noirezienne (ça fait un peu indien, ça… Ouh Ouh Ouh. Désolé). Un style riche, tout empreint de poésie, qui force quelque fois le lecteur à compulser un dictionnaire condamné autrement, sous la fréquentation de la majorité des auteurs actuels, à l’exil de la poussière. Car si Jérôme NOIREZ est un grand créateur, il est aussi, et avant tout, un très très grand poète.
Ah si. Un dernier commentaire. Une critique négative. Pour une fois. Content je suis. La Berceuse pour Myriam, composition pour piano et voix : elle est pas bien. Pas bien du tout. LIGETI aurait pu la composer s’il n’avait jamais suivi de cours d’écriture musicale. Et si, de surcroît, il avait été sourd de naissance. J’aurais pu le dire avec plus de délicatesse. Mais non. La chaleur, sans doute…
- Virprudens
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Re: Jérôme NOIREZ - Le Diapason des Mots et des Misères
Tu sors.Goldeneyes a écrit :Comme des cafards que vous êtes
- Goldeneyes
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