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par Virprudens » mar. nov. 03, 2009 1:42 am
Ce sera forcément lapidaire, forcément injuste aussi.
Il n’échappera à personne que le sommaire aurait pu être composé il y a de cela plus d’un an et demi, lorsque Serge Lehman lança son fameux appel à textes. Pas entièrement, bien entendu, mais à plus de 60% sans gros risque d’erreur (honnêtement, qui n’aurait pas parié sur Colin, Dufour, Dunyach, Day, Noirez, Calvo et Mauméjean ?). A se demander si le résultat aurait été différent, Lehman eusse-t’il lancé un Appel à textes fermé (j’ai certainement foiré ma concordance des temps, je m’en tape).
On en conclura ce qu’on voudra : que ce sont ses potes (évidemment – dans ce nanocosme, tout le monde est pote avec tout le monde, sauf les deux du fond là-bas, mais eux, ils font des fanzines torche-cul), que les textes des auteurs étaient réellement les meilleurs à l’instant T, ou que ces mêmes auteurs ont su (finement ? vilement ?) toucher (viser ?) la sensibilité de l’anthologiste, par calcul, par intuition, par chance.
Concrètement : on s’en fout. Si ça peut permettre à certains de se la raconter et à d’autres de cracher leur fiel et leur déception, tant mieux, ça fait augmenter l’entropie, c’est cool. Maintenant, on attend que ça pète.
Le contenu, maintenant. Et dans l’ordre.
La préface : elle a fait couler beaucoup d’encre, et, n’ayant pas les armes théoriques pour participer, je n’entrerai pas dans le débat. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir un ressenti quant aux réactions qu’elle a suscité, ces longs échanges passionnés (et non passionnants) qui ont enflammé les pages du forum. Ressenti qui est le suivant : les uns et les autres, de quelque bord que vous soyez, vous nous les gonflez. Mais grave.
Entre les tenants de la SF ‘chimiquement pure’ comme dirait Dumay (id est : celle avec des boulons, la SF d’ingénieur selon certains), et les littéraires/philosophes pur jus qui n’ont jamais vu une seule putain d’équation (ou alors en cauchemar) c’est une guerre idéologique de non-voyants, de non-entendants parfaitement ridicule. (Je schématise volontairement).
Y’a-t-il alors une voie médiane qui pourrait réconcilier les deux clans ? Certainement. Seulement voilà, l’effort à fournir pour aller vers l’autre est trop difficile. Hou-la, oui !
D’un côté, nous avons ceux qui conchient le style, estimant que c’est du chichi de germano-pratins, de la pure branlette. De l’autre, ceux qui sont allergiques au sens physique du monde, à sa constitution intime, et qui détestent viscéralement les sciences dures (surtout les maths, ils se font même une gloire de n’avoir eu que 5 au bac – les cons).
Et les deux clans d’être fiers de demeurer à ce point abrutis.
Pas un (en France, s’entend) qui soit capable de se dire (puis de réaliser, de faire – c’est important : il faut faire quelque chose, il faut produire, sinon ce n’est que du bruit blanc, c’est vain) que putain, merde, mais la théorie des supercordes ou la gravitation quantique à boucles, on peut en faire de la littérature, on peut la rendre attirante pour le profane, poétique même, on peut même s’appuyer dessus pour ouvrir de gigantesques abîmes métaphysique.
Pas un. Nada. Que dalle. Ouallou.
(Je sais, ça n'a rien à voir avec la préface, mais j'avais envie de purger - c'est fait, ça va mieux)
Sinon, les textes ?
Ce qui reste du réel, suivi de Effondrement partiel d’un univers en deux jours (Fabrice Colin / Emmanuel Werner) : en lisant ce(s) texte(s) fort malin(s) (où se cache l’hommage, où se cache le crachat dans la gueule, on se le demande – bien qu’un récent article sur le CC donne quelques éléments de réponse), je me faisais la réflexion suivante : ils auraient tout-à-fait pu figurer dans l’anthologie Dimension Dick publiée chez Rivière Blanche l’année dernière. Pour quelqu’un qui prétend ne pas écrire de SF, qui prétend même l’avoir dépassée (ou tenter de), c’est raté. Premier texte de l’anthologie, premier bon texte.
Tertiaire (Eric Holstein) : première bonne surprise de ce recueil (le texte de Colin, bien que bon, n’était pas une surprise). Un texte qui a la pêche : noir et fun à la fois.
Une fatwa de mousse de tramway (Catherine Dufour) : ou le parfait exemple du ‘le vrai n’est parfois pas vraisemblable’. Basé sur des faits réels si j’en crois ce que l’auteure a bien voulu livrer en ces pages quant à la genèse de sa nouvelle, elle sombre dans le too-much. Le nucléaire c’est le mal, en plus, regardez les centrales elles font rien qu’à fuir, c’est pas joli-joli. Cela étant, l’humour est omniprésent, et cela fournirait un bon sujet de sketch à Florence Foresti.
Les Fleurs de Troie (Jean-Claude Dunyach) : si l’idée de l’opération du héros lui permettant de découper le réel en fractales et de voir la réalité cachée était plutôt sympathique, elle est sous exploitée (ou alors, j’ai raté un truc – ce qui ne serait pas étonnant). Je n’ai pas été touché par cette nouvelle. Non qu’elle soit mauvaise, mais simplement, elle n’a éveillé aucune émotion, alors que – supposé-je – c’est là son but.
Pirate (Maheva Stéphan-Bugni) : la petite nouvelle dans Leur Club (dirons-nous avec légèreté) livre la seconde bonne surprise du recueil (y voir peut-être un signe que la relève est prête et ne demande qu’à en découdre – ou que seuls les nouveaux sont capables de surprendre alors que les vieux routards ne font que ronronner et répéter à l’envie des schémas déjà vus) : malgré un léger défaut dans la structure (un problème lors du basculement dans la phase de résolution), la fin est très belle.
Trois Singes (Laurent Kloetzer) : si j’étais de bon poil, je dirais que la nouvelle est amusante. Mais ce serait mentir. L’homme seul – et revanchard – qui veut niquer le système, et qui y parvient : la crédibilité est sensiblement égale à zéro. Quant à la « bombe iconique », idée assez sympathique (bien que déjà utilisée – dans Glyphe de McAuley comme le soulignait Oncle Joe), elle est ici utilisée d’une manière qui confine à la magie. Suspension d’incrédulité : moins deux points. Et citer Dick dans le corps du texte, en guise de conclusion (la citation la plus rebattue, en outre), c’est vraiment limite.
Aurais-je eu 15 ans à la lecture de ce texte que j’eusse pu apprécier (j’ai encore du niquer ma concordance des temps, et je m’en re-fous).
Lumière Noire (Thomas Day) : bonne idée Dantesque, jusque dans sa conclusion mystique à la con. Il est aussi dommage de voir chacun des arcs narratifs se conclurent de façon trop abrupte. A son crédit, disons que Day nous livre un western post-apo qui serait parfait pour une série B signée John Carpenter.
Temps Mort (André Ruellan) : court texte, déjà lu, ailleurs, en mieux, en plus fort.
Les Trois Livres qu’Absalon Nathan n’écrira jamais (Léo Henry) : si l’on met de côté la quincaillerie SF utilisée, le texte est très bon, un des meilleurs de l’antho (pas le meilleur, mais sur le podium). Certes, ça pue son J.L. Borges à cent pas, mais ça reste malgré tout très bon. Pour le coup, ça aurait même été meilleur si l’arsenal SF n’avait pas été déployé.
Penchés sur le berceau des géants (Daylon) : franchement ? Le seul texte que je n’ai pu que parcourir du regard, sans arriver à plonger dedans, sans accrocher. Daylon tombe dans l’écueil du débutant : pas d’enjeu, uniquement du style. Travaillant trop son texte (comment ça, trop ? comment peut-on trop travailler un style ? En l’aseptisant, peut-être, en n’y mettant pas de cœur, pas d’âme, j’en sais rien), il en oublie de faire fonctionner le processeur d’histoire.
Dragonmarx (Philippe Curval) : la mauvaise blague du recueil. D’un goût douteux, cette nouvelle nous fait remonter 30 ou 40 ans en arrière du temps des fictions politiques lourdingue. Ce texte seul donne par là tout son sens au titre passéiste du recueil. Ou alors, j'ai pas compris la blague.
Terre de fraye (Jérôme Noirez) : trop de second degré peut tuer un genre et Noirez s’y emploie avec joie. Son récit est agréable à lire, mais bouffé par trop d’humour mal venu et des personnages grotesques (le danseur de kabuki bourré en permanence, la journaliste maso…), avec en sus un personnage principal dénué de tout relief. Mais y’a des giclettes de foutre, ça peut en amuser certains. Ca rate la pure jubilation de pas grand-chose.
Je vous prends tous un par un (David Calvo) : WTF ? L’anthologiste demande où ailleurs que dans ce recueil ce texte aurait-il pu être publié. A ça, il y a deux réponses : premièrement, était-ce bien la peine ; deuxièmement, si publication il doit y avoir, pourquoi pas sur un blog ou une antho en ligne ?
Hilbert Hôtel (Xavier Mauméjean) : la perle du recueil, et qui le clos en beauté. On dira que là encore, Borges s’y montre en creux, que son esprit y volète dans les coins, mais c’est pour une belle réussite. Contrairement à un Henry, Mauméjean s’est dépouillé des oripeaux de la SF pour livrer un texte abyssal. La conclusion parfaite.
- Please, be polite.
- Go fuck yourself.