Transhumain a écrit :
Le sense of wonder, c'est tout simplement le réenchantement du rationnel, de la Technique, la complexification infinie du fait, qui contraste alors avec sa description, forcément plus simple bien qu'elle se complexifie progressivement. Le sense of wonder équivaut à postuler l'existence de Dieu en dernier recours. Et plus l'écart se creuse entre ce fait infiniment complexe (Dieu) et sa description, plus la science-fiction remplit ce que nous appellerons sa « fonction W » (W pour Wonder / M de Métaphysique inversé). Voilà pourquoi 2001 : A Space Odyssey, le film de Stanley Kubrick qui n'est pourtant pas son plus abouti (Shining par exemple lui est supérieur à plus d'un titre), nous fascine autant : le monolithe est approché, apporte la connaissance, mais jamais son mystère n'est percé, bien au contraire. La « quincaillerie » du genre (fusées, lasers, etc.), le respect tacite de ses codes, participent pleinement du charme de la science-fiction, mais celui-ci est à double tranchant : en favorisant la reconnaissance immédiate, la quincaillerie simplifie la description pour l'amateur, mais la complexifie encore pour le néophyte : le problème de la SF est que sa fonction W n'est guère opérante chez le non-initié, aux yeux duquel la description est si complexe que le fait ou l'événement décrit est relégué au second plan. Ne soyons pas surpris par la reconnaissance par les élites de la littérature fantastique, qui pourrait être définie comme la littérature du surgissement d'un événement infiniment complexe dans un monde aisément descriptible - le nôtre -, et par le rejet massif de la science-fiction, dont les codes eux-mêmes, quand ils ne phagocytent pas toute quête métaphysique, la dissimulent à la vue du commun des mortels, pour ne se donner qu'aux plus méritants.
La "difficulté" pointée par plusieurs personnes ici, ne vient pas d'un problème de compréhension. Je maintiens qu'il n'est nul besoin d'avoir lu beaucoup de SF pour comprendre ou apprécier Egan, ou tel ou tel concept. Mais le lecteur non familier du genre est confronté lors de ses premiers contacts avec
certains livres, écrits pour le fandom, à une profusion de termes et concepts qu'il comprendra certes sans peine, mais qui brouilleront peut-être sa vision d'ensemble. Ca tient moins à une spécificité du genre, qu'à son caractère générique lui-même. je l'écrivais d'ailleurs l'autre jour sur mon blog :
Or certaines oeuvres, qui ne cherchent pas forcément à s'inscrire dans l'histoire du genre, font l'économie de la quincaillerie, pour se concentrer sur autre chose. Ces oeuvres, je ne crois pas qu'elles soient difficiles, et je ne crois pas qu'elles fassent l'objet d'un déni particulier (2001 et Star Trek n'ont pas le même statut auprès de la critique). Elles récoltent seulement ce qu'ont semé des oeuvres plus kitsch pour happy few (auxquelles certains voudraient ici restreindre la SF).
Une autre "difficulté" vient de ce concept de "sense of wonder", qui finalement n'aide pas à comprendre grand chose. Dans la manière où tu l'entends, où serait le "sense of wonder" dans "Tous à Zanzibar", ou dans "1984"? Personne ne discutera l'appartenance de "Tous à Zanzibar" à la SF, et personne ne discutera que "1984", que l'on peut annexer à la SF (ou pas), est "légitimé". Cette explication faisant appel au "sense of wonder" qui finit par ressembler à la classique "vertu dormitive" de Molière, n'aide pas tant que cela à expliquer le problème du déni (si(il y en a un, et surtout par qui).
De nouveau, le terme de "quincaillerie" montre l'incompréhension de la SF, telle que je la vois, en tout cas. Si on enlève le vaisseau spatial, l'ordinateur, la cryogénisation, etc, dans "2001", plus rien ne fonctionne. Si Kubrick fait appel à un auteur de SF, c'est qu'il fait appel à un auteur de SF, parce que celui-ci écrit de la SF, avec des vaisseaux spatiaux, des explorations spatiales, etc. Si ce n'est que de la quincaillerie, quel intérêt?
Maintenant, s'il y a des amateurs de merveilles sans spéculation sur la science, sur les techniques, sur le futur, sur les extraterrestres, sur l'évolution, etc, je n'y trouve rien à redire. Mais j'aurais du mal à parler de science-fiction. Et ces amateurs seront aimables d'éviter de parler de "quincaillerie" dans les œuvres de SF. Comme on dit vulgairement, s'ils n'aiment pas, qu'ils n'en dégoutent pas les autres. Qu'ils cherchent, dans les corpus SF, des œuvres particulières qui leur plaisent pour des raisons qui sont les leurs, je n'y trouve par contre rien à redire, c'est même passionnant d'essayer, pour un amateur de SF comme moi, de comprendre ce qu'ils trouvent. Ce serait juste plus agréable que ce soit fait avec un peu plus, je cherche le terme, de respect (terme un peu fort, sans doute…) vis à vis du genre.
Oncle Joe