Lensman a écrit :silramil a écrit :
C'est la posture de science-fiction, la posture spéculative, qui donne ses objets à construire plutôt qu'à copier, qui n'est pas habituelle chez les lecteurs contemporains.
Un des problèmes soulevé était le déni de la science-fiction par les instances légitimantes. Ce qui serait, disons, difficile pour le "grand public", devrait l'être moins pour les instantes légitimantes, les '"professionnels" de la lecture. Il devrait exister une partie de la littérature légitimée, qui n'aurait peut-être pas de succès populaire, mais qui devrait s'appuyer, justement sur la "posture spéculative" dont tu parles. Cette partie de la littérature, qui serait légitimée (mais peu lue), et qui revendiquerait une "posture spéculative", est-ce qu'elle existe? On a posé qu'il y a "déni" de la science-fiction (peut-être se trompe-t-on depuis le début…). Du fait de l'existence de la science-fiction, lue et écrite par tout de même pas mal de gens, on voit qu'il devrait y avoir au moins une version "savante" (si j'ose dire) du genre qui serait légitimée (même si peu lue). Je ne parle pas d'un corpus de quelques textes, mais d'une branche qui s'appellerait par exemple "littérature spéculative", et où il serait question (de manière raffinée), d'exterrestres, du futur, d'autres planètes, de spéculations technologiques et sociologiques, etc. Cela intéresserait un public certes réduit, mais ce serait reconnu comme une branche d'accès "difficile" de la littérature. Ton avis?
Oncle Joe
Je ne suis pas vraiment ton raisonnement, là.
Il me semble qu'il ne peut pas y avoir, en l'état actuel des représentations en littérature, de branche "spéculative" au sein de la littérature générale. Ce qui y ressemble n'est pas une branche spécifique, mais des textes perçus comme des "écarts" par rapport à la norme réalisto-centriste.
Je pense au réalisme hystérique d'auteurs comme Pynchon, au réalisme allégorique d'un Murakami, à la spécularité de textes borgesiens ; je pense aussi aux textes écrits par des auteurs de littérature générale, dont l'axe de spéculation est évident et l'objectif reste de peindre l'humain éternel, par ex inversion de l'homme et du singe à des fins satiriques chez Boulle, mettre en scène la fin du monde pour montrer des êtres humains dans leurs derniers retranchements (Merle, Mc Carthy).Le Passeur, cité par dracosolis un peu plus haut, fait partie de cette catégorie (floue).
Ces textes sont conçus et reçus au sein d'une littérature qui reste à un seul monde ; ils ne se détachent de ce monde qu'au moyen de jeux textuels, en mettant en scène des paradoxes, des situations impossibles, ou alors en reléguant au second plan tout aspect vraiment concret - il ne s'agit pas de construire des objets crédibles, mais de faire comme si, pour montrer autre chose (satiriser la société).
Comme je le disais dans un précédent message, sur un point que tu approuvais, ce type de texte poursuit des enjeux qui ne sont pas ceux de la science-fiction.
Où veux-je en venir ?
Du point de vue de la légitimation, ces ouvrages, conçus comme des écarts par rapport à une norme, font partie des exemples constituant cette norme, et démontrent la plasticité de la littérature.
Les oeuvres de science-fiction, quant à elles, gravitent autour d'une autre norme (un modèle plein de mondes alternatifs extrapolés). Elles ne peuvent être intégrées à la norme dominante qu'au prix d'une négation de ce modèle.
Et la difficulté de lecture des oeuvres de science-fiction vient, dans cette logique, du fait qu'il faille changer de cadre mental (de disposition d'esprit) pour les apprécier. Les oeuvres de Pynchon, MacCarthy, etc., conçues dans le modèle dominant, sont lues de manière adéquate comme des excentricités, mais dans le même cadre mental que le reste de la littérature générale.
c'est un peu abstrait, mais je n'ai pas la force de simplifier plus ce soir.