Lem a écrit :
Ah. Donc, quand tu parles de Naruto ou de Star Wars, on ne peut en déduire que des trucs sur toi.
Je ne parle pas des émotions que je ressens. Je suis capable d'analyser comment l'artiste crée son oeuvre, mais je n'en déduis rien sur la définition de l'oeuvre.
Tu mettrais pas tes émotions dans la balance, tu ne parlerais pas de représentations et d'identités, tu pourrais dire ce que tu veux sur les oeuvres.
Je suis capable d'expliquer pourquoi Naruto fonctionne sur le public ado, par les thèmes abordés, par les SUJETS abordés, mais je ne renverse pas la proposition. Je ne dis pas que le plaisir que procure Naruto définit les mangas.
En plus, ce qui définit les mangas et les différencie de la bd franco-belge, c'est en effet une esthétique, un mode de représentation, une grammaire, qui a une histoire, une évolution. Une manière de mettre en avant la narration plutôt que le dessin. Mais pas la peine de mettre en avant mes émotions pour décrire ça.
Je vois des techniques, une approche graphique, je constate qu'il y a des lecteurs au Japon. Ok. Maintenant, et c'est précisément ce qu'on fait dans le groupe de travail sur le manga auquel je participe, quand on analyse les raisons de l'attirance du manga en France, on obtient une image des AMATEURS DE MANGA, rien sur le manga en lui-même. On sait ce qu'ils recherchent, ce qu'ils désirent, et ils le trouvent dans le manga.
Quand je suis au pied de la Tour Eiffel et que je la juge "impressionnante", quand je vois Alien et que je trouve le monstre "effrayant" je suis définitivement hors d'atteinte de qui que ce soit ? On ne peut rien en déduire sur la Tour ou sur le monstre ?
En effet, on ne sait rien. Dire que c'est "effrayant" ou "impressionnant" ca ne nous apprend rien. En revanche, dire que les grandes structures métalliques produisent un effet sur les spectateurs, c'est vrai, mais la Tour Eiffel ne se définit pas par son côté impressionnant, c'est D'ABORD une grande tour en métal. De même Alien est avant tout un extra terrestre avec une queue et qui bave et qui a de grandes dents. Après, on peut dire que le caractère effrayant vient de représentations collectives qui associent le noir et le sombre à la mort, les longues dents au dangereux, et que l'ensemble de ces éléments produit un phénomène de peur. Mais ça définit surtout nos représentations mentales, ce qui nous fait peur dans nos sociétés. Bref, ça définit le spectateur.
Et c'est le talent du réalisateur d'exploiter nos représentations pour produire une sensation. Fais Alien rose-fluo et dansant le chachacha à Broadway, l'effet sera pas le même. Alors oui, c'est de l'esthétique, c'est de l'analyse, mais c'est de l'analyse de nos structures mentales en tant que récepteurs.
En revanche, si on adopte une analyse en terme de sujet/objet, Alien c'est l'histoire d'un équipage de vaisseau dont les membres sont éliminés un par un par un alien. Et c'est bien l'élimination, un par un, qui définit l'oeuvre.
Je ne crois pas un instant que tu penses ce genre de chose. Tu es juste dans la négation par principe.
Tu te trompes énormément. Si tu n'avais pas mis tes émotions dans la balance, j'aurais rien à dire. Je sais que je ressens exactement le même plaisir en regardant un épisode de Dr House et en lisant un livre de SF. Il y a là aussi, un émerveillement devant le moment d'épiphanie (c'est le terme employé dans la série). Et je sais aussi, que lorsque cet émerveillement est absent dans un texte de SF, le texte m'ennuie et ne m'intéresse pas.
Par conséquent, en utilisant ma propre expérience, je peux te dire que ton idée ne fonctionne pas.
Le sow va très bien définir les amateurs de SF, l'émotion qu'ils éprouvent et veulent éprouver en lisant un texte SF, mais elle échoue totalement pour dire que ce sow est l'élément qui définit la SF. Il faut autre chose, beaucoup plus discriminant et qui, de mon point de vue, ne peut passer que par le sujet/objet.
Le raisonnement inverse (ou plutôt symétrique), c'est : "La peur est l'élément définitionnel de la littérature d'horreur". Ça te paraît faux ? Tu connais d'autres formes de fiction qui ont élu la peur comme leur principe esthétique central ? Maintenant, reviens à la SF et au sense of wonder…
Sauf que précisément, ça ne fonctionne pas avec le sow. D'ailleurs, le terme "wonder" a disparu des revues. Je regardais les "blurbs" des Year's Best SF récent, et le mot "wonder" n'y est pas. On parle d'avenir, oui, d'extrapolation, aussi, mais d'émerveillement, point.