En guise de coda…
Je relisais ce fil et souriais devant les ironies d'Oncle sur l'éternel retour de Nietzsche sous ma plume quand m'est venue une idée.
Il y a un très beau film de Michel Gondry que vous connaissez peut-être.
Eternal sunshine on a spotless mind. Pur film de SF situé dans un "aujourd'hui" vague, sans précision. On invente une machine, disons un programme informatique avec le hardware correspondant, capable d'effacer de façon ultra-sélective des réseaux de souvenirs (c'est vraiment de la SF, donc l'effacement implique la destruction/le recâblage des réseaux de neurones du sujet).
Le pitch commercial de la firme qui commercialise ce service, c'est la possibilité de se débarasser des souvenirs les plus douloureux, en particulier les histoires d'amour ratées, pour entamer une nouvelle vie. La narration est très habile, très dickienne/jeuryenne, d'une certaine manière ; elle entrelace plusieurs chronologies paralllèles où se manifestent une histoire d'amour (début, apogée, descente, agonie, fin), des hallucinations, des espèces de déjà-vus inexplicables, etc. Au bout d'un moment, on comprend ce qui se passe.
(SPOILER) : le couple-héros du film a vécu son histoire d'amour, a eu recours à la firme en question pour en liquider le souvenir mais c'est la démarche elle-même qui est un échec : rendus à leur "virginité" affective, l'homme et la femme se recroisent, retombent amoureux et le cycle recommence.
La scène finale du film est très belle : le couple qui s'est redéchiré et est prêt à recourir une deuxième fois à l'effacement mémoriel réalise que c'est perdu d'avance, qu'on ne peut pas vivre comme si on n'avait pas vécu – et que si on essaie, on est condamné à repasser sans cesse sur ses propres traces sans le savoir. Alors, il prend la décision la plus courageuse, celle de revivre encore une fois l'histoire mais
consciemment, en sachant qu'elle va échouer. Avec, bien sûr, l'espoir que cette conscience permettra d'éviter l'échec (conduira à une libération).
Comment ne pas voir dans ce film (passionnant en lui-même et qu'on peut apprécier sans aucun arrière-plan philosophique), oui, comment ne pas y voir la mise en œuvre concrète, le "test" pourrait-on dire, de la notion nietzschéenne de l'Eternel Retour qui est pure métaphysique : si l'univers est infini, alors toute chose se répète éternellement – et nos vies aussi. Et le seul moyen d'échapper à l'enfer de la répétition, c'est de vivre en sachant que tout s'est déjà produit et que tout se reproduira – de faire en sorte que cette vie infinie soit vécue et consentie comme telle.
Le courage est cependant le meilleur des meurtriers, le courage qui attaque : il finira par tuer la mort car il dit "comment ? était-ce là la vie ? Allons ! Recommençons encore une fois" (Zarathoustra)
Il y a sans doute bien des romans que j'ignore qui traitent de ce thème mais il me semble que, passé au prisme de la SF, il apparaît sous un jour unique – comme situation physique, matériellement vécue. Pour quel bénéfice ? Je ne sais pas. En tant qu'auteur et lecteur, le saisissement esthétique justifie tout.