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par Sarmate » mer. juil. 14, 2010 11:07 am
Personnellement, j'ai du mal à concevoir une pré-fantasy française.
Certes, quelques auteurs ont écrit, dès le XIXe siècle, des œuvres qui ne sont pas sans rapport avec l'imaginaire fantasy. Il faut lire ou relire Les chevaliers errants dans La légende des siècles, du père Hugo ; l'incontournable Salammbô de Flaubert, certains poèmes en prose de Gaspard de la Nuit d'Aloysius Bertrand… Mais dans ces textes, c'est surtout l'influence du romantisme, plus ou moins diluée, qui s'exprime.
Quant au surréalisme, même s'il a innervé une grande partie de la culture française, j'ai du mal à concevoir comment il aurait pu donner naissance à un versant populaire, surtout un versant de proto-fantasy. La fantasy s'exprime par un genre privilégié, le roman ; or le surréalisme a violemment attaqué le roman, perçu comme le genre bourgeois par excellence. Certes, pas mal d'anciens surréalistes ont écrit des romans, et même des romans importants ; mais ils avaient alors plus ou moins pris leurs distances avec le mouvement.
Un autre volet qui m'inciterait à distinguer création surréaliste et fantasy, c'est la recherche surréaliste. Le surréalisme innove et déstructure, alors que la fantasy est fondée sur l'exploitation souvent formatée de schémas et de mythèmes récurrents.
Je crains que ce qui pèse sur la création littéraire française ne soit un lourd legs sur la valeur du roman. Pendant des siècles, le roman a été un genre honteux ; l'Eglise n'était pas la seule à le vilipender, la faculté de médecine aussi… Il a fallu ruser avec le public et la mauvaise réputation du genre, en surinvestissant la valeur signifiante du roman, ce qui a donné naissance à l'idée maintenant redoutablement enracinée (même dans les littératures de l'imaginaire) que le roman doit délivrer une vérité. Comme la culture française est rationnelle depuis la période moderne, le merveilleux n'a plus été admis que comme métaphore ou allégorie du monde réel - parce qu'il devait en définitive délivrer une vérité. Notez que le fantastique lui-même n'est qu'un épiphénomène du romantisme, courant venu de l'étranger… (Comme la fantasy, serais-je tenté de dire.) L'autofiction elle-même n'est qu'un ultime avatar de cette conception du roman qui doit être en connexion avec le réel - et la littérature du "je" a de très vieilles racines dans le XVIIIe et le XIXe siècles français… C'est cet héritage qui m'amène à penser qu'il n'y a pas eu émergence française de la fantasy : la fantasy vient de l'étranger. Ce qui n'empêche nullement que les auteurs français puissent en donner une version singulière : après tout, le pétrarquisme ou le romantisme ont été eux aussi des mouvements importés, qui ont donné de riches surgeons français.
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Sarmate le mer. juil. 14, 2010 11:26 am, modifié 2 fois.