systar a écrit :
Pour GLG, l'intéressant sera d'aborder la question de la réflexion politique en fantasy. On va voir si la discussion nous y mène (et si l'argument massue de Sarmate citant Tolkien sur l'impossibilité d'une fantasy à thèse en laisse encore la possibilité)
J'ai rappelé que Tolkien rejetait l'interprétation allégorique de la fantasy parce que c'est une idée qu'il a défendue de façon opiniâtre. Ceci dit, ça ne signifie pas que ça soit parole d'évangile…
Pour en revenir à mes spéculations toute personnelles sur la fantasy, c'est chez Donald W. Winnicott qu'il m'avait semblé trouver une piste à explorer. En lisant ce fil, je me rends compte du reste que cela rejoint deux thèses soulevées plus haut.
Cela peut rejoindre ce que note Célia :
Célia a écrit :
La fantasy, celle dont je parle ici et que j'apprécie, se focalise sur les processus d'individuation en utilisant ces fameux outils symboliques/métaphoriques - comment devenir soi à partir, et en tenant compte, d'un héritage collectif.
Et c'est très proche, en termes psychanalytiques plutôt que philosophiques, de ce que note Systar :
systar a écrit :
donc, on a une chaîne: conscience - transcendantal - monde. (chaîne qui n'est pas chronologique, hein, mais "logique", et permanente: c'est tout le temps qu'elle opère)
On le voit, l'intéressant, c'est de voir le "contenu" de tout ce transcendantal, c'est-à-dire: quelles sont les opérations de l'esprit qui vont faire que je vais percevoir un monde qui prend sens, qui s'organise, s'informe, de manière à être vivable, et non pas un pur donné brut dénué de tout sens?
A cette question, Ernst Cassirer a donné une réponse, nourrie par une érudition impressionnante.
Ce transcendantal ne consiste pas uniquement en opérations abstraites d'agencement spatial et temporel du donné sensible. Il est pluriel, et il y a diverses choses qui permettent à une conscience d'unifier son expérience du monde et de lui donner sens.
Le langage, par exemple (je ne peux pas percevoir ni penser le monde au-delà des limites de mon propre langage; le lexique et la syntaxe des langues que je maîtrise font que j'arriverai à penser certaines choses, mais pas telles autres), mais aussi la connaissance scientifique rationnelle, l'art... et le mythe.
Ces différentes médiations entre conscience et monde, Cassirer les a nommées "formes symboliques". Elles coopèrent, elles agissent de concert, même si historiquement elles ont apparu parfois contradictoires et incompatibles à l'échelle des populations.
A propos du mythe, il ne faut donc pas le faire entrer en concurrence radicale avec la rationalité, puisque ce sont deux formes symboliques qui contribuent toutes deux à organiser mon expérience des choses (et de moi-même, aussi).
Ainsi, ce que je me demande, c'est si la fantasy ne joue pas, structurellement, ce rôle d'art qui rend visible le rôle du mythe dans la constitution de mon expérience.
Dans
Jeu et réalité, l'espace potentiel, Winnicott ajoute une troisième réalité aux deux réalités reconnues par la psychanalyse freudienne. Dans la psychanalyse classique, il y a une réalité intérieure, qui est celle que nous percevons subjectivement, et une réalité extérieure, objectivement identique pour tous, mais aussi difficile à percevoir parce qu'elle est rarement en adéquation avec notre réalité intérieure. Winnicott y ajoute une troisième aire, médiane, qu'il appelle l'espace potentiel. C'est en quelque sorte l'espace symbolique qui sert d'interface entre réalité intérieure et réalité extérieure.
En tant que pédiatre, Winnicott s'est intéressé à la formation de cet espace potentiel dans la psyché de l'enfant. Il l'associe à ce qu'il appelle "l'objet transitionnel" : un objet, souvent une peluche ou un doudou, où le nourrisson développe et transfère un symbolisme affectif quand il commence à souffrir de la perte de la toute puissance et de la séparation avec la mère. D'après Winnicott, cet objet transitionnel est à la base du développement du jeu, et le jeu finit par créer l'espace potentiel qui permet à l'enfant de s'approprier le monde. Même si ce n'est pas le sujet de son étude, Winnicott affirme à plusieurs reprises que les individus capables de continuer à cultiver leur aire transitionnelle peuvent développer, à l'âge adulte, des tempéraments religieux, artistiques ou philosophiques.
Ce qui me séduit dans cette hypothèse psychanalytique, c'est que certaines notions associées à la fantasy s'y accordent très bien. Le "monde secondaire" est un espace potentiel manifeste ; la connexion entre jeu et créativité, en fantasy, est aussi très proche de la fonction remplie par l'objet ou l'aire transitionnels ; l'objet transitionnel conçu comme un substitut à une perte passée cadre assez bien avec le caractère rétrospectif (plutôt que régressif) de la fantasy - en atteste du reste la notion de "consolation" posée par Tolkien.
La fantasy pourrait donc remplir le rôle d'un objet transitionnel : elle construit un espace potentiel structurant pour l'individu qui se l'approprie. Le caractère cyclique ou itératif des motifs fantasy doit d'ailleurs être lié à cette structuration : c'est dans la ritualisation de la fiction que s'affirment une identité et une appropriation du monde.